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Au temps du Test du crapaud. Justice et avortement (Argentine, mi-xxe siècle)

In the age of the “toad test”: justice and abortion in Argentina in mid-twentieth century
Agustina Cepeda
p. 239-254

Résumés

En 1954, la Cour d’appel de Buenos Aires acquitte Elena Teotina Haedo de Gaitán et la sage-femme Catalina Fuccia du délit d’avortement en invoquant la figure juridique de la « tentative d’avortement impossible », la grossesse étant scientifiquement et médicalement impossible à vérifier. Cet article examine l’application de la législation anti-avortement dans l’Argentine du milieu du xxe siècle, une Argentine considérée par l’historiographie comme pronataliste. L’analyse des processus judiciaires à l’œuvre permet également d’examiner les formes de tutelle sur le corps et la reproduction des femmes.

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Texte intégral

  • 1 Titre de la thèse en sciences sociales : Corps en délit. Femmes, avortement et justice. Argentine 1 (...)

1L’article s’inscrit dans une recherche sur les formes de tutelle de la justice sur le corps des femmes de 1940 à 1994 dans la province de Buenos Aires1. À travers l’étude sur la longue durée d’une série de procédures judiciaires dans des procès pour avortement, il s’agit d’analyser les dynamiques de la justice pénale par rapport à l’interprétation de la loi et de les articuler aux différents contextes politiques et médicaux. En Argentine, l’avortement est illégal, sauf en cas de viol d’une femme atteinte d’idiotie ou folie et en cas de risque pour la vie ou la santé de la mère (articles 85 à 88 du Code pénal réformé en 1921).

  • 2 Sur genre et péronisme, voir Valobra, 2004-2005.

2Plus restreinte, la période étudiée ici concerne l’expérience péroniste des années 1946-1955, dont la politique de population a suscité un vif débat historiographique sur sa caractérisation, pronataliste ou promaternaliste2. C’est aussi l’époque où se diffuse le diagnostic de grossesse mis au point par le médecin argentin, Carlos Galli Mainini (1914-1967), un spécialiste en endocrinologie formé en Italie et à Harvard. En 1947, ce dernier publie El Test del Sapo o El diagnóstico del embarazo con batracios machos (Le test du crapaud ou Le diagnostic de la grossesse avec des batraciens mâles).

  • 3 Speckman Guerra 2002.

3Mettre en avant le cas emblématique d’Elena Teotina Haedo de Gaitán et de la sage-femme Catalina Fuccia, acquittées en 1954 du délit d’avortement sous le motif de « tentative d’avortement impossible », permet d’apporter une pierre au débat et de comprendre le système bio-normatif qui s’impose aux femmes. À la manière d’Elisa Guerra Speckman3, nous chercherons à dévoiler la manière dont les opérateurs juridiques de la juridiction pénale ont tranché les conflits autour de l’interruption illégale des grossesses.

Pronatalisme ou promaternalisme : les termes du débat

  • 4 Thébaud 1992.
  • 5 Nari 2004 ; Miranda & Grión Sierra 2009 ; Eraso 2007 ; Otero 2004.

4Le pronatalisme peut être défini comme un ensemble de mesures économiques, sociales et juridiques, prises par un gouvernement pour encourager la fécondité. Les études féministes européennes des années 1980 et 1990 ont défini comme pronatalistes, par exemple, les politiques de l’Italie fasciste avant 1945 ou de l’Espagne franquiste d’après 1945.4 Dans un contexte de forte baisse des indices de natalité, ces gouvernements promurent l’augmentation du nombre d’enfants par femme dans une perspective nationaliste. Pour enrayer des comportements néo-malthusiens ou eugénistes, ces politiques visèrent principalement les pratiques utilisées pour contrôler les naissances5.

  • 6 Bock & Thane 1996.

5Cependant, les études sur le pronatalisme ont très tôt signalé les limites des politiques populationnistes, dont la portée réelle sur le nombre d’enfants fut faible. La notion de pro-maternalisme6 rend davantage compte d’une politique qui prône la maternité comme une responsabilité sociale et citoyenne, en se référant à des notions médicales et morales sur le rôle des femmes comme mères. Plus généralement, cette notion met l’accent sur les mesures de protection de l’enfance, de la mère et de la famille.

  • 7 Pantelides 1983.
  • 8 Nari 1996 et 2004.
  • 9 Di Liscia 1999 ; Torrado 2003 ; Bianchi 1993.
  • 10 Torrado 2003 : 86.

6L’Argentine a connu une transition démographique particulière7 puisque les taux de natalité y ont baissé en même temps que ceux de la mortalité. Cette particularité a rendu suspectes les méthodes de contrôle de la natalité utilisées par les femmes. Comme l’a fait remarquer l’historienne Marcela Nari8, les médecins et les pénalistes hostiles au contrôle des naissances ont, dans les années 1920 et 1930, fait de l’avortement leur cible principale. Avec l’infanticide et l’abandon d’enfants, les pratiques abortives ont été au centre de leurs préoccupations car elles mettaient en question les théories qui considéraient la maternité comme un « instinct naturel de l’abnégation ». Vers 1940, les débats sur la dénatalité et les risques inhérents à la diminution du nombre des naissances pour le développement de la puissance du pays se sont renforcés. L’historiographie a longtemps considéré que les années de la Seconde Guerre mondiale et de l’après-guerre étaient « pronatalistes », l’allocation versée pour la naissance des enfants en étant la preuve la plus évidente9. La démographe Susana Torrado indique ainsi que, si vers 1930, la natalité est descendue au-dessous de 30 pour mille, on assiste à une inversion de la tendance pendant la période 1945-195110.

  • 11 Barrancos 2001 ; Valobra 2004-2005.
  • 12 Barrancos 2001. De son côté, Karina Ramaccioti (2004) a étudié la Caisse de maternité et souligné q (...)

7Cependant, certains travaux qui prennent en compte le genre soulignent que cet indicateur n’a pas été accompagné d’autres indices et que les statistiques ne démontrent pas qu’il y ait eu un baby-boom dans les années du péronisme11. Plutôt qu’une politique pronataliste qui viserait le nombre des enfants, il s’agirait d’une politique d’aide à l’enfance. À titre d’exemple, le premier Plan Quinquennal du gouvernement péroniste (1947-1951) promeut explicitement l’indissolubilité du mariage et prévoit des campagnes de lutte contre l’avortement. Le deuxième assigne comme objectif à l’État d’assurer l’accomplissement des droits de la famille, en encourageant la constitution des patrimoines, la généralisation des allocations familiales, des exemptions fiscales, voire la suppression des discriminations civiles envers les enfants illégitimes. Pour Dora Barrancos, il s’agit bien d’une politique « promaternaliste » qui encourage la constitution de la famille et son bien-être en protégeant la maternité et en assistant surtout l’enfant12. Est alors créée la Direction nationale de l’assistance sociale (loi 13341 de 1948). Est abrogée également la disposition qui punissait les mères pour abandon d’enfants. Rien n’encourage les actions judiciaires contre les femmes qui interrompent leur grossesse. Or, dans les années de l’après-guerre, les femmes ont eu recours plus souvent à l’avortement – ce que démontrent les données statistiques –, dans le cadre des transformations sociales du monde du travail et de la vie politique.

  • 13 Cosse 2006.
  • 14 Felliti 2005.

8Sous les gouvernements péronistes des années 1946-1955, on assiste à la promotion d’une idéologie familiale nucléaire qui tend à réduire le nombre d’enfants par famille et rétrécir le réseau de parenté13. Aucune action parlementaire ne modifie les peines prévues en cas d’avortement ni n’augmente les sanctions. Les pratiques obstétriques ne sont pas davantage contrôlées, les produits contraceptifs ne sont pas retirés du marché (ce que le gouvernement péroniste de 1974 fera plus tard14), les faiseuses d’anges et les avortées ne sont pas délibérément poursuivies.

Justice et avortement : un cas emblématique

  • 15 Caimari 2004.

9En 1947, au moment où se met en place la réforme péroniste sur l’organisation des prisons15, Felicitas Krimpel, juriste, féministe et criminologue chilienne, expose, dans la Revista penal y penitenciaria, son projet de transformer les prisons pour femmes en centres surveillés. Elle explique au Directeur général des Instituts criminels, Roberto Petinatto, l’injustice faite aux femmes :

Réfléchissons aux nombreux cas de femmes condamnées pour infanticide, avortement ou adultère, et nous pourrons observer que dans chacun de ces cas où la loi ne condamne que la femme, l’égoïsme de l’homme apparaît clairement, ainsi que le manque de compréhension des législateurs pour faire face courageusement à un problème qui n’arrive pas à être totalement résolu. La femme du peuple, accablée par des circonstances adverses, par l’ignorance, par la honte et la misère supprime le fruit de ses amours illégitimes. La loi la poursuit inexorablement et la met en prison (…).
L’homme qui est au moins aussi coupable qu’elle en engendrant une vie sans le moindre sens de la responsabilité, demeure libre, continue son œuvre fatale et encourage ainsi des maux sociaux, des haines et des malheurs.

  • 16 La plupart des femmes mises en cause et subissant une procédure pour avortement demeuraient à l’Asi (...)

10S’il est vrai que les femmes sont plus souvent mises en cause et condamnées que les hommes pour des délits d’avortement et d’infanticide, elles sont nombreuses à être relâchées et acquittées, et ceci pour les mêmes motifs que ceux évoqués par Felicitas Krimpel. De 1946 à 1955, le nombre de femmes mises en cause et incarcérées dans les prisons argentines pour avortement est en moyenne de 27 par an, selon les statistiques de la population des prisons publiées dans cette même revue16. Sur cette moyenne, environ 85% sont acquittées (suspension de la procédure faute de motif justifiant l’action de la justice) ou déclarées innocentes. Lorsqu’on analyse les décisions de la Cour suprême de justice de la province de Buenos Aires et de la Cour d’appel nationale en matière pénale de la ville de Buenos Aires, on trouve que la figure juridique la plus courante pour justifier l’acquittement est la tentative impossible de délit ou le délit impossible d’avortement.

  • 17 Revue Jurisprudencia Argentina 1955, tome II, avril, mai, juin, p. 458-459. Il n’est pas possible d (...)

11Observons un cas de la fin de l’année 1954 à Buenos Aires : celui de la sage-femme Catalina Fuccia et d’Elena Teotina Haedo de Gaitán, la première étant accusée d’avoir pratiqué des manœuvres abortives sur la seconde, avec son consentement17.

Buenos Aires, septembre 1954. L’officier inspecteur Federico G. Mendizábal manifeste que le 3 mai dernier, à 3 h 30, il a été appelé à intervenir par la garde de l’hôpital Policlínico Teodoro Alvarez, à cause d’une femme, Elena H. de Gaitán (…) Interrogée dans ce lieu, Elena Teotina Haedo de Gaitán a avoué que vers la fin du mois de mars dernier, n’ayant pas eu sa période menstruelle, elle a pensé être enceinte. Pour avorter, elle était allée au cabinet de madame Fuccia le 3 avril dernier.
Celle-ci l’a allongée sur une civière et lui a introduit une sonde dans le vagin, qu’elle devait garder pendant 24 heures. On calculait que sa grossesse datait de 40 jours. Le lendemain, elle a retiré la sonde d’elle-même, et elle a eu une grande hémorragie avec des caillots, ce qui lui a fait croire que l’avortement était accompli. Au bout de 20 jours de pertes, elle est allée chez Madame Fuccia, qui lui a conseillé de se coucher et de mettre un sac avec du gel sur le ventre. Puisque les pertes de sang continuaient, elle s’est encore rendue chez l’obstétricienne, mais cette fois, celle-ci a refusé de la soigner, raison pour laquelle elle est allée à l’hôpital Alvarez. Mme Gaitán ne souhaite pas avoir un autre enfant car elle n’a pas assez de place pour vivre, compte tenu qu’elle habite avec son mari et ses deux enfants dans une seule pièce.
La sage-femme Catalina Fuccia reconnaît aussi qu’à l’époque et au lieu indiqués par Mme Gaitán, celle-ci est venue pour qu’on pratique sur elle un avortement, et qu’elle lui a mis une sonde en lui donnant les instructions référées par Mme Gaitán. Elle raconte ensuite les faits de manière identique à sa co-accusée.
Le procureur accuse ces femmes d’être auteurs du délit d’avortement (articles 85 alinéa 2, et 88 du code pénal) et demande qu’elles soient condamnées : un an et six mois de prison pour Catalina Fuccia ; un an pour Madame Elena Teotina Haedo de Gaitán, et toutes les deux aux frais de justice. L’avocat de Madame Fuccia demande que le fait soit considéré comme une tentative d’avortement impossible, et qu’elle soit acquittée. Le défenseur public de Madame Elena Teotina Haedo de Gaitán, demande l’acquittement de celle-ci, dans sa présentation de la feuille 47.

12Le tribunal déclare tenir compte du fait qu’aucune des accusées n’a été condamnée précédemment et des motifs qui ont poussé la femme enceinte à commettre une telle action. Il condamne les deux femmes aux peines demandées, mais avec sursis. Les inculpées et leurs avocats interjettent appel de la décision. Le 11 mars 1955, le juge Mario Oderigo déclare à la Cour d’appel :

À mon avis, les deux défenseurs ont raison et ils l’exposent avec une logique impeccable. Madame Fuccia avoue avoir réalisé des manœuvres abortives sur le corps de Madame Gaitán, et celle-ci reconnaît y avoir consenti. Ces manœuvres sont prouvées, puisque, même s’il n’y a en avait pas de trace au moment où le médecin légiste dont le rapport se trouve à la feuille 36 a effectué son examen, elles ont été démontrées indubitablement dans le rapport du médecin policier de la feuille 7 (art. 346, Code de la procédure criminelle). Mais ce qui n’est nullement prouvé est la grossesse de Madame Gaitán au moment où ces manœuvres ont été pratiquées, puisqu’on ne peut pas prendre en considération à ce sujet le rapport de la feuille 7, dont le laconisme en ce sens ne peut être pris que comme le résultat d’une simple inférence du médecin ayant examiné la patiente. Il est presque superflu de répéter que le soi-disant état de grossesse, élément indispensable au délit d’avortement, ne peut être prouvé par aveu ou par des indices, car ces éléments ne sont pas aptes à démontrer le corps du délit, comme ce tribunal l’a déclaré à plusieurs reprises. Nous serions donc face à une tentative d’avortement impossible, qui n’est pas punissable pour la femme, conformément aux dispositions de l’article 88 du Code pénal, lequel autorise à exempter de la peine ou à la réduire à l’égard des tiers.

13Tentative d’avortement impossible ? Les défenseurs des accusées ont mis en avant une question cruciale : Elena Gaitán était-elle enceinte ? Et le juge a prononcé l’acquittement. Si les politiques péronistes en matière de population avaient eu pour but l’augmentation du nombre d’enfants par famille, la poursuite de l’avortement aurait dû être plus intense. L’appel à une construction juridique permettant d’acquitter les accusées paraît démontrer au contraire le peu d’intérêt à punir le délit. Mais revenons au « délit impossible d’avortement ».

Le délit impossible d’avortement

  • 18 Cavallero 1983.
  • 19 Réforme pénale de 1921. Le dernier paragraphe de l’article 44 du Code pénal en vigueur énonce : « S (...)

14Le Code pénal argentin a réglé la question du délit impossible au Titre VI du livre premier consacré à « la tentative », mais il a omis d’inclure dans cette dernière notion une référence à des moyens idoines18, ce qui fait du délit impossible un cas de tentative19. Les juges et les avocats de l’affaire Fuccia-Gaitán n’ont pas employé des arguments tout à fait originaux dans la recherche d’une issue favorable aux accusées. Franz von Lizt, juriste autrichien, signalait en 1901 que « la tentative d’avortement chez une femme qui n’est pas enceinte est punissable lorsque l’existence de la grossesse n’est pas tout à fait impossible ; la tentative de donner la mort à un enfant qui naît mort est punissable si la mort n’est pas indubitable ». En Argentine, les discussions théoriques de la jurisprudence sur la figure juridique de la « tentative » ont envisagé très tôt la situation des manœuvres abortives chez une femme qui n’était pas enceinte. La tentative d’avortement impossible n’est plus punissable depuis 1903.

  • 20 Le « corps du délit » est quelque chose qu’il faut montrer ; ce n’est pas un fait, mais un factum p (...)

15L’affaire Fuccia-Gaitán n’est pas la première à connaître ce dénouement. Depuis 1941, plusieurs arrêts des Cours d’appel provinciales ont acquitté des femmes, sages-femmes, concubins et maris du délit d’avortement en le considérant comme un délit impossible au regard de la preuve. Dans toutes ces affaires, on ne pouvait prouver « scientifiquement » l’état de grossesse des femmes qui s’étaient fait avorter. Les « manœuvres abortives », douloureuses et mortelles, n’étaient que des « tentatives » ; il n’y avait pas de « corps du délit », mais un recours à une pratique illégale20.

16La plupart des procès criminels pour avortement commençaient à la suite de dénonciations de médecins et de professionnels de la santé travaillant dans un hôpital public. Les femmes s’y rendaient à cause des infections provoquées par les manœuvres abortives et c’est à partir de là que commençait l’intervention policière. Lors du procès, les victimes étaient décrites comme des mères ou des femmes dont « il fallait protéger l’honneur » et on mettait à leur actif l’absence d’antécédents judiciaires et les témoignages favorables des voisins. Ces procédures judiciaires comportaient des expertises de médecins légistes, la perquisition des cabinets clandestins, l’audition de témoins, de longs interrogatoires des accusés et le recueil des matériaux utilisés pour effectuer les avortements (sondes, pilules, bandages et linges tachés de sang). Ces longues procédures judiciaires pouvaient aboutir à une modification de l’action pénale si la grossesse préalable aux manœuvres illégales ne pouvait être prouvée.

  • 21 Arrêt nº 23.429 du 16 novembre 1947, de la Cour correctionnelle et criminelle de la ville de Buenos (...)

17Conformément au Code pénal argentin, le seul aveu n’était pas suffisant comme élément de preuve pour condamner une personne. Or, si « les aveux et les indices » ne pouvaient pas certifier l’état de grossesse, le développement des méthodes de dépistage précoce de la grossesse ne le permettait pas non plus, au moins au moment de cette affaire. À l’époque, on utilise des tests biologiques basés sur les effets produits par la HGC (hormone gonadotrophique chorionique) sur les organes reproducteurs de divers animaux (rats, lapins, grenouilles, crapauds). Comme le montre le dépouillement des revues de médecine et de gynécologie, il y eut en Argentine, dès 1934, des applications pratiques de la réaction de Friedman pour dépister la grossesse. Découvert en 1931, ce test avait pour base l’obtention d’« hyperémie ovarienne chez les lapins après injection d’urine de femme enceinte dans la veine marginale de l’oreille ». Mais sa fiabilité fut contestée par plusieurs médecins qui s’en expliquèrent dans la littérature scientifique. Un arrêt de 1947 acquitta des accusées alors que la réaction chimique de Friedman avait donné des résultats positifs. Le juge de l’affaire (le même que celui de notre affaire, Horacio Vera Ocampo) signala que « la réaction de Friedman pouvait donner des résultats positifs dans des cas où la grossesse n’existait pas » et ne pouvait donc constituer une preuve tangible21.

  • 22 Lors de notre enquête orale, les femmes des milieux populaires dont les fils et les filles sont nés (...)

18S’appuyant sur des travaux antérieurs, un médecin de l’hôpital Rivadavia, Carlos Galli Mainini (1914-1967), injecta en 1947 de l’urine de femmes enceintes dans le sac lymphatique dorsal de crapauds mâles Bufo Arenarium et conclut, après l’analyse de 179 cas, à une réaction spécifique. Publiée en Argentine, dans des revues de l’Amérique latine et à New York, son étude connut un fort impact : la description de la technique fut reproduite dans presque toutes les revues médicales argentines et son efficacité fut soumise très rapidement à des évaluations dont les résultats furent également publiés. Considéré comme fiable à plus de 99%, le test du crapaud commença à se diffuser en Argentine et en Amérique latine à partir du début des années cinquante, mais dans l’arrêt concernant Gaitán et Fuccia, on ne fit aucune référence à ce test22.

  • 23 Pour une analyse féministe du discours juridique, voir Smart 2000.

19L’absence d’une technique fiable permettant d’établir l’état de grossesse d’Elena Haedo de Gaitán était un atout pour les accusées. Les descriptions précises des manœuvres abortives laissaient peu de marge à l’incertitude sur l’état de grossesse mais la jurisprudence pénale argentine offrait une lucarne pour l’acquittement. Quel a été le prix à payer pour ce petit passe-droit légal ? Peut-on imaginer que, lors des négociations pour qualifier la « tentative de délit impossible », les femmes aient perdu la voix pour témoigner de « leur propre état de grossesse » ?23

Des femmes victimes du Droit et de la Science ?

  • 24 Il est clair que l’appel à « l’honorabilité » de ces femmes constituait aussi un point d’infléchiss (...)

20Dans l’arrêt Gaitán-Fuccia, le délit n’est pas mis en exergue et il n’y a pas d’arguments moraux, pronatalistes ou éthiques. L’acquittement des accusées a été justifié par l’application des règles propres au droit. Les aveux des femmes restaient subordonnés aux « constatations de la science » : elles étaient acquittées du délit, mais en même temps expropriées légalement des savoirs spécifiques sur l’état de grossesse24.

  • 25 Dalla Corte Caballero 1996. D’autres études analysent l’interdiction légale de la pratique de l’avo (...)

21Dans une étude sur le droit du xixe siècle en Argentine, Gabriela Dalla-Corte Caballero met en évidence que les cas d’avortement, d’infanticide et d’abandon d’enfants ont constitué un élément clé de la construction du droit pénal en tant que « champ de genre ». L’asymétrie légale sur la base de la différence sexuelle, de l’idéalisation de la maternité et de l’honneur féminin y est légitimée. La pénalisation des comportements liés à la reproduction y diffère selon le sexe des prévenus. Toutefois, tandis qu’une lecture « exégétique » de la législation montre que celle-ci assigne aux femmes la responsabilité des actes délictueux en matière de reproduction, les interprétations qu’en font les juges expriment, selon l’auteure, une acceptation ambiguë des stratégies mises en œuvre par les femmes pour limiter les naissances25.

  • 26 Signalons le travail intéressant de Fabiola Rohden sur la professionnalisation et l’émergence de la (...)
  • 27 Nous avons développé ailleurs, en reprenant quelques hypothèses de Joan Scott (1996) sur l’individu (...)

22La preuve « médicale ou scientifique » de l’état de grossesse prend le pas sur le témoignage des femmes sur leur propre grossesse et le discrédite. Le processus de médicalisation de l’accouchement et de la maternité à l’œuvre depuis le début du xixe siècle, a institué la science comme autorité en matière de grossesse, d’accouchement, de soins aux jeunes enfants et d’allaitement26. La possibilité de « détecter l’embryon » a dévalorisé le témoignage des femmes qui percevaient « les symptômes » de leur grossesse. Les femmes perdaient leurs droits au profit de la Science et leurs savoirs au profit du Droit27.

  • 28 Le seul travail qui présente une analyse dans ce sens est celui de Kristian Ruggiero (2000) pour le (...)

23Ici apparaît, à notre avis, un problème concernant la place prise dans le discours historiographique développé dans l’histoire des femmes et du genre par « la construction du rôle maternel et de l’idéal de la mère ». Dans les travaux sur la maternité en tant que dispositif social, pédagogique, médical et juridique, l’avortement a été envisagé sous l’angle de la punition et de la discipline sur le corps maternel. À partir de l’hypothèse d’une efficacité des prescriptions légales, on a considéré que le rapport entre le Droit et la différence sexuelle était évident : les femmes étaient des victimes et l’avortement constituait un délit punissable28.

  • 29 Parmi d’autres, Maureen Cain (1990) a créé le terme standpoint pour indiquer que la connaissance de (...)
  • 30 Cette rupture est antérieure à la pilule contraceptive, aux discours sur la révolution sexuelle, à (...)

24Cette fausse épistémologie du standpoint sous-estime la capacité de « tricher » des sujets, et s’avère incapable de rendre visibles les contradictions inhérentes au droit libéral autour de la différence des sexes29. À la lecture des arrêts rendus durant la période péroniste, nous percevons que l’avortement était une pratique commune, et souvent perçue comme telle. Les juges, les procureurs et les avocats de la défense n’étaient pas surpris par les « manœuvres abortives ». Dans les cas jugés comme des « délits impossibles », on acquittait les mères qui voulaient réguler le nombre de leurs enfants par le recours à l’avortement. Les cas qui n’étaient pas qualifiés comme des tentatives concernaient davantage les femmes ayant récidivé dans cette pratique ou celles qui, sans enfant, l’utilisaient comme moyen contraceptif, rompant ainsi avec l’association directe qui était établie entre le sexe et la reproduction30.

  • 31 L’analyse de plus long terme de notre travail doctoral montre trois façons d’acquitter les femmes « (...)

25Pourquoi la loi n’était-elle pas appliquée plus sévèrement ? Peut-être que l’interdiction pénale de l’avortement s’est mise à fonctionner comme une norme intégrée à un continuum d’appareils médicaux, législatifs et moraux dont la fonction régulatrice était de renforcer l’interdiction plutôt que la punition effective. Y a-t-il eu tricherie dans le cas de Gaitán et Fuccia ? Les contradictions propres à l’application stricte de la loi, et notamment l’obligation légale de « démontrer » scientifique-ment la grossesse sans moyen technique pour le faire, leur ont été bénéfiques. Leur témoignage, unique preuve des manœuvres abortives, a été étouffé pour les protéger. Les femmes ont ainsi échappé à la loi jusqu’au moment où les crapauds ont acquis leur célébrité et où d’autres tests fiables se sont diffusés31.

  • 32 Soler 1973.
  • 33 Klein 2005.

26Les rédacteurs du Code pénal ont exigé, pour constituer la preuve de l’avortement, la preuve de la grossesse32. Tous les commentateurs soulignent la nécessité de prouver l’existence d’une grossesse chez la femme, le fait que le fœtus soit en vie au moment de l’action de l’agent et que sa mort soit due à cette action33. Si la grossesse est la condition matérielle, le corps de l’embryon n’est pas le corps du délit, à la différence de ce qui se passe pour l’homicide. Il faut uniquement prouver que la femme était enceinte.

  • 34 Rifiotis (2007) nous alerte sur la différence entre les sujets de droits et les droits chez les suj (...)
  • 35 Espindola 2002.

27Dans l’histoire présentée ici, les prévenues se trouvent sous le feu croisé d’un système de lois qui cherchent à les pénaliser et d’un système normatif d’ordre biopolitique34. Nous avons montré que la rhétorique nataliste de l’expérience péroniste ne s’articulait pas nécessairement avec la manière dont les opérateurs juridiques intervenaient au pénal dans les procès pour avortement. L’analyse d’une politique d’État se doit d’être attentive aux actions à l’intérieur de cet État et l’application de la loi doit être envisagée comme l’expression d’une culture légale où les aspects de doctrine sont réinterprétés. La loi n’est pas toujours ce qu’elle semble être. Il est dès lors possible qu’il y ait pléthore de « grenouilles » malignes et futées, plutôt que de crapauds dont le nom, dans l’argot populaire argentin, est synonyme d’échec35.

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Bibliographie

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Notes

1 Titre de la thèse en sciences sociales : Corps en délit. Femmes, avortement et justice. Argentine 1940-1994, IDES-UNGS. Une première version de cet article a été présentée aux journées de la viiie Réunion d’anthropologie du Mercosur (Buenos Aires, 2009) et aux viiie Journées nationales de débat pluridisciplinaire sur la santé et la population de l’institut Gino Germani (2009).

2 Sur genre et péronisme, voir Valobra, 2004-2005.

3 Speckman Guerra 2002.

4 Thébaud 1992.

5 Nari 2004 ; Miranda & Grión Sierra 2009 ; Eraso 2007 ; Otero 2004.

6 Bock & Thane 1996.

7 Pantelides 1983.

8 Nari 1996 et 2004.

9 Di Liscia 1999 ; Torrado 2003 ; Bianchi 1993.

10 Torrado 2003 : 86.

11 Barrancos 2001 ; Valobra 2004-2005.

12 Barrancos 2001. De son côté, Karina Ramaccioti (2004) a étudié la Caisse de maternité et souligné que le promaternalisme péroniste est plus préoccupé par les mères au foyer que par les travailleuses qui ont des enfants.

13 Cosse 2006.

14 Felliti 2005.

15 Caimari 2004.

16 La plupart des femmes mises en cause et subissant une procédure pour avortement demeuraient à l’Asilo Correccional de Mujeres, situé à Buenos Aires. D’autres prisons accueillant des femmes mises en cause pour avortement étaient celles de Formosa, Posadas, Presidencia Roque Sáenz Peña, Santa Rosa et Neuquén.

17 Revue Jurisprudencia Argentina 1955, tome II, avril, mai, juin, p. 458-459. Il n’est pas possible d’accéder au dossier suite aux politiques de conservation et de destruction des dossiers du service de justice. L’arrêt a été prononcé par la Cour d’appel nationale en matière pénale de la ville de Buenos Aires.

18 Cavallero 1983.

19 Réforme pénale de 1921. Le dernier paragraphe de l’article 44 du Code pénal en vigueur énonce : « Si le délit était impossible, la peine diminuera de moitié et elle pourra être diminuée au minimum légal ou être exclue, selon le degré de dangerosité montré par le délinquant ».

20 Le « corps du délit » est quelque chose qu’il faut montrer ; ce n’est pas un fait, mais un factum probandum. Le corps du délit est constitué de trois volets : corpus criminis (le résultat du délit), corpus probationi (la preuve), corpus instrumentori (l’instrument).

21 Arrêt nº 23.429 du 16 novembre 1947, de la Cour correctionnelle et criminelle de la ville de Buenos Aires.

22 Lors de notre enquête orale, les femmes des milieux populaires dont les fils et les filles sont nés dans les années 1950 nous ont dit ne pas avoir réalisé d’analyses de sang ni d’urine pour détecter leur grossesse. Toutefois, la plupart d’entre elles avaient entendu parler au moins une fois du test du crapaud. L’une de mes interviewées se souvient : « Ceux du laboratoire Sulivan-Díaz cherchaient des crapauds dans le parc de ma maison, alors que nous habitions à Mar Chiquita. Ils avaient besoin de crapauds mâles, car le test ne fonctionnait pas avec des femelles. Ils emportaient des seaux pleins de ces bêtes pour faire des analyses. Je te parle de la fin des années quarante, jusqu’à 1958, la période où nous habitions là ». Entretien réalisé le 11 juin 2008.

23 Pour une analyse féministe du discours juridique, voir Smart 2000.

24 Il est clair que l’appel à « l’honorabilité » de ces femmes constituait aussi un point d’infléchissement dans les argumentations des avocats de la défense et des juges. En Argentine, l’étude de « l’honorabilité » associée à la typologie des délits à été l’objet d’études devenues classiques (Ruggiero 1994 ; Rubial 1996).

25 Dalla Corte Caballero 1996. D’autres études analysent l’interdiction légale de la pratique de l’avortement ainsi que sa tolérance sociale au Brésil (Pedro 2003).

26 Signalons le travail intéressant de Fabiola Rohden sur la professionnalisation et l’émergence de la gynécologie au Brésil (Rio de Janeiro) vers la fin du xixe comme « science de la femme ». 22% des thèses de médecine produites entre 1833 et 1940 concernent la sexualité et la reproduction, en très grande majorité celle des femmes à qui sont imputés tous les problèmes en la matière (Rohden 2011 et 2002).

27 Nous avons développé ailleurs, en reprenant quelques hypothèses de Joan Scott (1996) sur l’individualisme abstrait, les situations paradoxales dans le domaine des droits et des politiques en matière de sexualité en Argentine (Cepeda 2008).

28 Le seul travail qui présente une analyse dans ce sens est celui de Kristian Ruggiero (2000) pour le xixe siècle. Dans “Not Gilty”. Abortion and Infanticide in the nineteenth-century Argentina, Ruggiero analyse de quelle manière l’absence de pénalisation d’une pratique interdite s’explique par des arguments sur la protection des femmes.

29 Parmi d’autres, Maureen Cain (1990) a créé le terme standpoint pour indiquer que la connaissance devait être produite à partir du point de vue des opprimés. Bien que je ne partage pas cette perspective philosophique féministe, elle m’est apparue intéressante en tant que métaphore des prétentions d’une certaine écriture de genre qui utilise des sources judiciaires et criminelles. Je reconnais l’importance des travaux de Gabriela Dalla Corte Caballero et m’en distingue à la fois. Tandis que cette auteure analyse les causes pénales concernant l’avortement, l’infanticide et l’abandon d’enfants dans la ville de Rosario vers la fin du xixe siècle, en concluant que les prescriptions pénales sont interprétées par les magistrats au profit des femmes (particulièrement des célibataires responsables des « enfants non désirés »), elle n’analyse pas les contresens de la Loi libérale.

30 Cette rupture est antérieure à la pilule contraceptive, aux discours sur la révolution sexuelle, à la libération des pratiques sexuelles et au discours féministe des années 1970.

31 L’analyse de plus long terme de notre travail doctoral montre trois façons d’acquitter les femmes « ayant pratiqué un avortement » : depuis 1962, on a recours à la figure légale du secret professionnel, à la tentative d’avortement impossible et à l’avortement sentimental. Le motif prédominant reste la tentative impossible, mais elle commence à décliner à partir des années 1980.

32 Soler 1973.

33 Klein 2005.

34 Rifiotis (2007) nous alerte sur la différence entre les sujets de droits et les droits chez les sujets. Il développe le problème de la traduction juridique des droits qui engendreraient, plutôt qu’une culture des droits, la répétition de sujets infantilisés et mis sous tutelle dans leur capacité d’action.

35 Espindola 2002.

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Pour citer cet article

Référence papier

Agustina Cepeda, « Au temps du Test du crapaud. Justice et avortement (Argentine, mi-xxe siècle) »Clio, 39 | 2014, 239-254.

Référence électronique

Agustina Cepeda, « Au temps du Test du crapaud. Justice et avortement (Argentine, mi-xxe siècle) »Clio [En ligne], 39 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/11930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.11930

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Auteur

Agustina Cepeda

Cepeda Agustina, boursière du Conicet (Conseil national de la recherche scientifique et technique). Doctorante à l’Institut de développement économique et social de l’Université Nationale de General Sarmiento. Membre du groupe d’études sur la famille, le genre et les subjectivités de l’Université Nationale de Mar del Plata. agustinacepeda@yahoo.com.ar.

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