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« Ni pillage ni viol sans ordre préalable ». Codifier la guerre dans l’Europe moderne

“No rape and pillage without orders”: sex offences and early modern European armies
Mariana Muravyeva
Traduction de Geneviève Knibiehler
p. 55-81

Résumés

L’émergence de l’État nation en Europe à l’aube de l’époque moderne s’accompagna d’un contrôle strict du comportement sexuel et de l’apparition d’une interdépendance étroite entre régulation de la sexualité, reproduction et mariage hétérosexuel. Les armées européennes devinrent un champ d’expérimentation pour la création d’hommes et de citoyens modèles ; la sexualité des soldats était strictement contrôlée et toute déviation par rapport à la norme sévèrement punie. Le droit militaire, basé sur le droit naturel, sur le concept de guerre juste et sur une certaine idée de la discipline, fut le premier à développer une approche systématique des agressions sexuelles, à les hiérarchiser et à trouver les moyens de les punir. Le résultat fut que les codes et les tribunaux militaires européens condamnaient toute pratique sexuelle s’écartant de la norme, c’est-à-dire des relations conjugales hétérosexuelles vouées à la reproduction. Ce fut l’un des aspects les plus importants de l’émergence et du développement de l’État nation.

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Texte intégral

  • 1 Sur la révolution militaire, voir Ayton & Price 1998 ; Black 1991 ; Childs 2001 ; Downing 1992 ; St (...)

1La guerre était partie intégrante de la vie quotidienne en Europe à l’aube de l’époque moderne ; dans certains pays elle était synonyme de normalité pour les populations locales. Au xviie siècle, on compte seulement sept années sans guerre, sept années de paix. Les grandes puissances européennes étaient constamment engagées dans des conflits d’ordre religieux, dynastique, colonial, économique, donnant lieu à des affrontements militaires. La guerre étant devenue l’une des méthodes principales de résolution des conflits politiques, les gouvernements européens se mirent à prêter plus d’attention à l’ensemble des réglementations et règles de conduite introduites par l’armée. Les chercheurs appellent ce processus la « révolution militaire » pour souligner les profonds changements survenus à la fois dans l’art de la guerre et dans les pratiques juridiques au début de l’Europe moderne1.

  • 2 La codification du droit militaire désigne l’assemblage et la mise en forme systématique, en généra (...)

2Les juristes les plus célèbres de cette époque, Hugo Grotius, Samuel Pufendorf, Christian Thomasius, Emmerich de Vattel, Charles-Louis de Montesquieu et beaucoup d’autres, firent une place au droit militaire entre le jus naturale et le jus gentium. La codification du droit militaire, qui précéda la codification du droit civil2, était alors une tâche à mener de toute urgence : il convenait de fournir à l’armée, pour qu’elle puisse fonctionner, une assise juridique détaillée ; il fallait en faire un mécanisme facile à contrôler et prêt à combattre pour la défense des intérêts de l’État. Les tous nouveaux codes et réglementations militaires étaient centrés autant sur l’art de la guerre que sur la discipline et offraient des outils et des méthodes pour le maintien de “l’ordre” parmi les officiers et les soldats. Ces méthodes disciplinaires en vinrent à concerner le moindre aspect de la vie militaire, y compris la sphère privée, dépossédant l’individu de toute intimité. Les armées développèrent leurs propres systèmes juridiques et leurs propres tribunaux si bien qu’au début du xviiie siècle, dans la plupart des pays d’Europe, les militaires possédaient leurs propres administrations et leurs propres systèmes juridiques réglementés par des codes spécifiques. Cette compétence particulière était non seulement valable en temps en guerre mais aussi pendant les périodes de paix, dans les garnisons et les quartiers généraux, autrement dit tant que les officiers et leurs soldats étaient sous les drapeaux.

3Créer une armée modèle, un homme et un citoyen exemplaires, nécessitait une régulation sévère de la sexualité masculine, laquelle acquit une grande visibilité dans les codes militaires au xviie et au xviiie siècle. Les réglementations visaient principalement deux aspects de la conduite sexuelle masculine, à savoir les relations entre militaires, à l’intérieur de leur groupe d’appartenance, et le comportement des militaires à l’égard de la population civile, qu’il s’agît de leurs concitoyens ou des populations de pays ennemis. Elles constituaient l’application d’une nouvelle attitude vis-à-vis des opérations militaires et des populations civiles en général, attitude soulignée dans de nombreux pactes, ententes et accords à cette époque. Les lois miliaires interdisaient formellement (sous peine de mort) le pillage, la collecte de butin et autres “bêtises” commises au préjudice des civils vivant sur les territoires conquis. Les agressions sexuelles, en particulier sur des femmes enceintes et des femmes accompagnées d’enfants en bas âge, faisaient également l’objet d’une interdiction comme nous le verrons plus loin. Si les razzias, les pillages et les viols étaient encore des pratiques courantes dans l’armée au xviie et au xviiie siècle, la pression juridique et les procès pour comportement sexuel illégal, d’une part, et la discipline de plus en plus strictement réglementée, d’autre part, transformèrent peu à peu les habitudes des militaires et des combattants et leur imposèrent un comportement “bien réglé”.

  • 3 Sur le concept de citoyenneté au début de l’époque moderne en Europe, voir : Wells 1995 ; Linklater (...)
  • 4 Sur le droit militaire russe : Keep 1985 ; Stevens 1995 ; Paul 2004.
  • 5 Sur la sexualité et les défenseurs du droit naturel en Europe, voir : Muravyeva 2013.

4Cet article est centré sur les réglementations juridiques développées par l’armée au xviie et au xviiie siècle, et met en lumière l’évolution du comportement sexuel des militaires, lequel servit de modèle pour l’édification de l’homme et du citoyen nouveaux dans les jeunes États-nations3. Je ferai un résumé chronologique des principaux changements survenus dans le droit international et les réglementations militaires puis aborderai l’attitude des contemporains vis-à-vis de la sexualité masculine au xviie et au xviiie siècle, ainsi que leur façon de mettre en pratique les lois et les réglementations, en partant des procès qui se tinrent devant les tribunaux militaires européens. Je m’arrêterai plus particulièrement sur le cas de la Russie et tenterai par cette étude de mettre en lumière l’expansion de la révolution militaire en soulignant le processus de changement d’attitude vis-à-vis de la sexualité masculine. Le cas de la Russie est exemplaire pour plusieurs raisons. Les tribunaux militaires russes étaient les principaux et souvent les seuls tribunaux en fonction dans le pays alors que le droit militaire est devenu le cadre de la codification et des réformes du droit au xviie et au xviiie siècle. Le droit militaire était utilisé par le législateur pour tester de nouvelles lois avant de les appliquer au niveau de l’État. Cependant, les chercheurs n’ont pas accordé suffisamment d’attention à la pratique des tribunaux, ce qui fait tout l’intérêt et la nouveauté du cas de la Russie par rapport à d’autres pays d’Europe comme l’Angleterre, la France, la Suède ou l’Allemagne4. Je montre dans cet article comment le droit militaire, centré sur la régulation, la discipline et l’ordre, a conforté le modèle de sexualité reproductive dans le mariage, développé par les défenseurs européens du droit naturel ; nous verrons que l’on trouve dans l’armée un exemple de comportement sexuel en accord aussi bien avec la loi naturelle qu’avec la loi divine5.

La “révolution militaire” dans le droit européen : vivre dans le respect des réglementations

  • 6 Roberts 1956 ; Parker 1976 et 1988 ; Black 1998.
  • 7 Black 1991 et 2008. Sur ce débat, voir : Rogers 1995 ; De Moor 1997.

5La notion de “révolution militaire” suggère que l’Europe connut de profonds changements dans les attitudes des combattants, y compris des changements dans les dispositions juridiques et le droit international. Cependant, les débats sur la profondeur de ces changements n’ont pas cessé depuis les années 1950. Michael Roberts, dans une conférence inaugurale en 1956, attribuait à la technologie militaire des conséquences historiques importantes. Selon lui – d’autres chercheurs, à commencer par Geoffrey Parker, ont développé ensuite sa pensée – les changements technologiques dans l’art de la guerre, les tactiques et les doctrines militaires, en augmentant l’usage des armes à feu et autres armements modernes, ont conduit l’État à accorder plus d’attention à l’armée et à ses besoins, et à créer de nouvelles institutions et de nouveaux instruments pour financer les guerres et les opérations militaires. Roberts, prenant pour exemple les armées suédoise et danoise, souligne que l’une de ces conséquences fut la création d’un plus grand nombre de troupes régulières6. À partir de ses idées, le débat s’est ensuite concentré surtout sur les aspects techniques et technologiques de ces changements, comme le développement de l’armement, des tactiques d’assaut, de l’artillerie, de l’infanterie, etc. Certains chercheurs (Jeremy Black, entre autres) ont montré que l’influence de ces changements était exagérée et que le concept de “révolution” était trop simpliste pour expliquer l’émergence de l’État et de la guerre modernes7. Les historiens militaires quant à eux ont porté leurs discussions sur les armes et les uniformes et ont à peine abordé les problèmes de discipline et d’organisation de l’armée, alors que ces questions auraient dû être cruciales dans un tel débat.

6Au début de l’époque moderne, les changements les plus visibles en Europe sont ceux qui apparaissent dans les dispositions juridiques concernant l’organisation militaire, lesquelles comprenaient un nouveau système de discipline étroitement lié au concept de “guerre juste”. L’attitude à l’égard des civils, en particulier des femmes et des enfants, devint un élément fondamental de ce concept. Le lieu commun, pour les théoriciens de la guerre juste était la condamnation de la violence sexuelle. Alberico Gentili (1552-1608) a formulé ainsi l’attitude générale de ses contemporains et autres défenseurs de la loi naturelle :

  • 8 Gentili 1877 : 241. Sur la position des défenseurs du droit naturel au sujet du viol, au xvie et au (...)

Il n’est pas légal de commettre cet acte [le viol], même s’il est parfois légal de tuer des femmes… Pourquoi une femme qui fait partie des combattants ne supporterait-elle pas de subir personnellement la guerre ?... Mais il n’y a aucune raison pour qu’elle souffre une insulte aussi grave8.

  • 9 Russell 1977 : 127-212.

7Le concept de guerre juste n’était pas nouveau au xvie siècle. On peut en retrouver les fondements chez les philosophes romains comme saint Augustin, chez les canonistes et surtout les décrétalistes du Moyen-Âge. Les décrétalistes, à partir de l’exemple des rois de la Bible ayant mené des “guerres justes” contre les incroyants, développèrent un concept cohésif de guerre juste dont les cinq éléments principaux étaient les suivants : persona, res, causa, animus et auctoritas ; ce concept s’appuyait sur cinq critères définissant une guerre juste : la personne qui déclarait la guerre devait être un laïc ; la cause de la guerre devait être soit la protection de la patria soit la récupération de biens précédemment dérobés ; une guerre juste était basée seulement sur la nécessité ; le seul désir de punir des ennemis ne constituait pas une bonne raison de faire la guerre ; la guerre ne pouvait être déclarée que sous l’autorité d’un souverain légitime. Selon Raymond de Peñafort (ca 1175-1275), si un individu faisait mauvais usage de la violence, se livrait à des pillages, des razzias et des meurtres non justifiés, il devait être immédiatement excommunié9.

  • 10 Urs Graf (1485-1529) était aussi un mercenaire. Il a représenté des mercenaires dans des œuvres com (...)
  • 11 Voir, par exemple : Hale 1983 ; Baron 1966 : 430-440 ; Moxey 2004 : 67-100 ; Mosse 1998 : 2-34.

8Les auteurs du xvie siècle développèrent la partie légaliste de cette doctrine, à savoir qu’ils insistèrent sur les dispositions juridiques à l’origine des déclarations de guerre et des opérations militaires. Leur thèse principale était que la guerre était un affrontement entre deux armées, respectant l’immunité des populations civiles, en particulier des personnes les plus fragiles – les femmes, les enfants et les vieillards – et de celles que l’on pensait essentielles à la paix – les membres du clergé, les marchands et les ambassadeurs. Tous, en général, condamnaient les razzias, l’usage excessif de la violence, les atrocités infligées aux civils, en particulier lorsque ceux-ci étaient chrétiens. Pierino Belli (1502-1575), Balthasar de Ayala (1548-1584), Alberico Gentili et Hugo Grotius (1584-1645) appelèrent les officiers et les soldats à « se conduire en chrétiens » et se prononcèrent en faveur de châtiments sévères pour tous ceux qui ne respecteraient pas les règles de la morale chrétienne. Ils ont contribué à la création de l’image du “guerrier chrétien”, dont la conduite est dictée par ces règles. En même temps, comme les humanistes, ils se consacrèrent à l’étude des différents comportements humains, et à l’analyse des incitations au crime et à la violence. L’inverse du guerrier chrétien était le mercenaire sans merci, imperméable à la justice et à la morale. Beaucoup d’entre eux voyaient la guerre comme la raison fondamentale de l’accroissement de la violence et des agressions. Des images de champs de bataille et de désespoir (comme les tableaux peints par Urs Graf)10 vinrent compléter le regard des hommes de la Renaissance sur la guerre11.

9Des auteurs laïcs ou religieux du xvie et du xviie siècle ont insisté sur les dangers moraux encourus par les hommes qui décidaient de s’engager dans l’armée : la tentation de la boisson, du jeu, de la débauche et le total oubli de Dieu. Le principal danger était que l’on y apprenait à user de la violence dans la vie de tous les jours. Voici par exemple ce qu’en dit Érasme :

  • 12 Érasme 1813 : 67. Sur la position d’Érasme sur la guerre juste, voir : Fernández 1973. [Traduction (...)

Frémissez-vous à l’idée de meurtre ? Vous n’êtes pas sans savoir que donner la mort le plus promptement possible à un grand nombre d’individus fait partie du célèbre art de la guerre. Si le meurtre n’y était pas enseigné, comment un homme qui tremble à l’idée de tuer l’un de ses semblables, même par provocation, pourrait-il de sang-froid trancher la gorge à un grand nombre pour une solde minable, et sous la seule autorité d’un mortel aussi faible, aussi mauvais, aussi misérable que lui, qui ne le connaît peut-être même pas en personne et qui se soucierait fort peu de l’anéantissement de son corps et même de son âme ?12

10Cent ans plus tard, un auteur moscovite, dans sa préface aux réglementations militaires « Discipline et art militaire » (Uchenie i khitrost’ ratnogo stroeniia liudei), exprime ainsi ses regrets :

  • 13 Uchenie i khitrost’ ratnogo stroeniia liudei 1647 : f. 15 rev-16. Voir aussi : Hale 1971.

Aujourd’hui au contraire [contrairement aux anciens guerriers qui étaient purs et pieux] les soldats profèrent blasphèmes et insultes contre Dieu, ils boivent, jurent, sombrent dans la luxure … ils déshonorent les femmes et ne respectent pas la justice. Et l’on peut les entendre dire que leurs actes sont habituels pour des militaires et leur sont permis car ils ne sont pas des moines enfermés dans un monastère13.

  • 14 Belli 1936 : II, 61-62.
  • 15 Belli 1936 : II, 177-178.
  • 16 Ibid. : II, 80-81.

11Les juristes du xvie et du xviie siècle se concentrèrent aussi sur la question pragmatique de l’opposition entre le “bien” et le “mal” et par conséquent sur la nécessité d’une discipline militaire. Pierino Belli, dans un traité intitulé « Sur l’art militaire et la guerre » (1563), démontre l’importance de la discipline pour les soldats chrétiens. Selon lui, les soldats devaient suivre les règles de conduite chrétiennes formulées par saint Luc : « N’usez de violence envers personne et n’accusez pas non plus faussement ; et contentez-vous de votre solde » [Luc 3:14]. Belli remarque cependant avec amertume que ces règles sont très difficiles à faire appliquer et que les soldats les ignorent « car les soldats aujourd’hui se soucient peu de leur salut (ce sont des personnes qui ne croient pas en Dieu ou qui ne le craignent pas) et se livrent au pillage et à toutes sortes d’outrages »14. Ces choses arrivent à cause de l’impunité et des privilèges dont jouissent les militaires, lesquels, remarque Belli, ne sont justifiés que s’ils récompensent la vertu. L’un de ces privilèges est l’ignorance de la loi, souvent pardonnée pour la raison que les soldats ne connaissent rien d’autre que le maniement des armes. Les militaires se servent de cette excuse pour commettre des crimes, mais cela est inacceptable. Belli prend l’exemple du viol pour montrer qu’on ne peut pas excuser une conduite illégale sous prétexte que l’on ignore la loi. Clodius Albinus (ca 150-197) et Totila († 552), pourtant si différents, avaient tous deux le viol en horreur et punissaient très sévèrement les violeurs. Albinus faisait abattre deux arbres, auxquels on attachait les pieds du violeur pour l’écarteler15. Les femmes n’échappaient pas pour autant aux « rigueurs de la guerre ». Belli ne précise pas de quelles rigueurs il veut parler mais dit s’inspirer du Digeste de Justinien et d’autres lois anciennes lorsqu’il évoque la captivité et la rançon. D’autre part, les personnes religieuses seront épargnées : les soldats ne feront subir aucune violence aux hommes attachés au service de Dieu16.

  • 17 Ayala 1912 : II, 127.
  • 18 Ibid. : II, 174.
  • 19 Ayala 1912 : II, 174-175.
  • 20 Sur l’opinion de Grotius sur le viol et les crimes sexuels : Muravyeva 2013 : 76-79.

12Pour l’Espagnol Balthasar de Ayala, juriste et juge militaire, le fait de traiter avec douceur et gentillesse les populations civiles des pays conquis aidait à les pacifier et à les soumettre à une nouvelle loi, alors que la cruauté et la violence provoquaient mécontentement et rébellion. Les meilleurs exemples étaient ceux de Scipion et d’Hannibal17. Ayala décrit la discipline militaire tout au long du Livre iii de son fameux traité « Du droit de la guerre et des responsabilités liées à la guerre et à la discipline militaire » (1582). La puissance d’une armée, explique-t-il, dépend totalement de la discipline et de la vertu, qui la rendent efficace et la conduisent à la victoire. Les femmes représentent le principal danger pour la discipline et donc pour l’efficacité militaire : « Les cantinières [sont] une grande honte et offrent matière aux plus vifs reproches », note-t-il18. Faisant référence à l’histoire romaine, il insiste sur le fait que l’on devrait interdire aux soldats et aux officiers d’introduire leurs épouses dans les campements ou de s’y marier et d’emmener leurs femmes lorsque les troupes se déplacent. Les femmes ont aussi tendance à aimer vivre dans le luxe ; elles poussent les soldats à vendre leur blé ou à échanger le bétail du butin contre du vin, autres habitudes répréhensibles qui empêchent l’armée d’être mobile et victorieuse19. Hugo Grotius apporta une conclusion au débat sur la guerre juste, en démontrant l’illégalité de tout abus perpétré contre la population civile. Le viol, les razzias, les pillages, les meurtres sont des crimes ; ceux qui s’en rendent coupables seront jugés et punis même en temps de guerre20.

  • 21 Toutes ces réglementations furent publiées par Lünig en 1723 ; on trouvera plus loin une analyse pl (...)

13Cette attention portée par les juristes aux règles de la guerre se refléta largement dans le développement du droit militaire. Environ 500 réglementations et codes militaires différents virent le jour au xvie et au xviie siècle. La codification faisait partie du développement de l’État-nation21. L’armée était un outil important, une partie de la machine d’État ; elle représentait sa souveraineté, non pas celle du souverain lui-même mais celle de la nation en général. L’idéal de loyauté, d’obéissance et de discipline guidait le processus de création d’armées efficaces et victorieuses, prêtes à servir la nation. Emmerich de Vattel (1714-1767) note ceci :

  • 22 Vattel 1797 : 299.

Le bon ordre et la subordination, partout si utiles, ne sont nulle part si nécessaire qu’au sein des troupes. Le souverain doit déterminer exactement les fonctions, les devoirs et les droits des gens de guerre, soldats, officiers, chefs de corps, généraux ; il doit régler et fixer l’autorité des commandants dans tous les grades, les peines attachées aux délits, la forme des jugements, etc. Les lois et les ordonnances qui concernent ces différents points forment le code militaire.
[...] Les règlements qui tendent en particulier à maintenir l’ordre au sein des troupes et à les mettre en état de servir utilement forment ce qu’on appelle la discipline militaire. Celle-ci est d’une extrême importance22.

14Vattel résumait ainsi les idées principales sur la guerre juste et la discipline militaire : l’armée devait rester en bon ordre, bien dirigée et réglée ; les soldats devaient être responsables de leurs actes, et l’on pouvait obtenir cela en observant la discipline et une subordination appropriée. Le droit militaire offrait les outils officiels propres à conforter ces idées.

Réguler le comportement sexuel : réglementations et codes européens

  • 23 “Kaysers Friderici III. und des H. Röm. Reichs Heers = Ordnung wieder die Türcken, bey geneiner Rei (...)
  • 24 Lünig 1723 : 4.
  • 25 Ibid. : 58-76, 277-280.

15Le droit militaire, au début de l’Europe moderne comprenait deux parties : les règles de la guerre, qui régissaient non seulement les combats mais aussi le comportement des militaires sur le champ de bataille, et le droit militaire proprement dit, qui régissait la politique militaire de l’État. En 1486, l’empereur Frederick III (le Pacifique) fut le premier souverain de l’époque moderne à proclamer, durant la guerre austro-hongroise (1477-1488)23, des réglementations visant à renforcer la discipline au sein de ses troupes. Ces dispositions servirent de base en 1508 au premier code militaire, composé par son fils Maximilien Ier (1459-1519). Le code comprenait 23 “articles” dont les cinq premiers prescrivaient une obéissance absolue à l’empereur. L’article 7 regroupait l’ensemble des règles de conduite à l’intérieur du camp ; l’article 13 précisait que les églises ne devaient pas servir au cantonnement et l’article 14 interdisait toute violence à l’égard des populations civiles locales : « Jurez que vous ne ferez pas de mal aux femmes enceintes, aux veuves et aux orphelins, aux prêtres, aux jeunes filles honnêtes et aux mères, ou vous serez accusés de parjure et punis de mort »24. Se basant sur cet article, Charles v (1500-1558) publia un certain nombre d’ordonnances interdisant tout usage de la violence contre les civils et Maximilien II (1527-1576) y ajouta ses propres “articles” pour composer ce qui fut considéré comme le code militaire universel du Saint Empire Romain jusqu’en 164225.

16Le code le plus abouti fut celui élaboré en 1621 par Gustave Adolphe de Suède (1594-1632). Ce règlement, qui comptait 167 “articles”, était remarquable par l’extrême sévérité des châtiments : la peine de mort était la principale punition dans au moins 41 articles pour des fautes telles que la désertion, la mutinerie, la désobéissance, le manque de respect envers les officiers, le fait de s’endormir pendant son tour de garde, le pillage et le viol. Il servit de modèle pour le code de l’armée écossaise de Leslie en 1644, pour celui de la nouvelle armée modèle de Cromwell et pour le code militaire impérial de 1642.

17La deuxième vague de codification eut lieu dans les années 1670 et 1680. La Suède et le Danemark produisirent de nouveaux articles en 1683 ; Guillaume d’Orange publia son code en 1674 et Louis XIV le sien en 1679. Ces lois différaient des précédentes réglementations surtout parce qu’elles ressemblaient à des codes de droit : elles étaient en effet composées de chapitres thématiques couvrant tous les aspects de la vie militaire. Durant cette période, les premiers codes apparurent aussi dans la marine.

18La troisième vague de codification intervint dans les années 1710 et 1720. Les événements les plus importants furent les codes militaires de la Russie (1716) et de la Prusse (1717). Les textes s’allongeaient et se compliquaient. Ainsi, Maurice de Nassau, prince d’Orange (1567-1625) n’avait ajouté que six articles aux réglementations publiées, en réponse à une mutinerie parmi les officiers hollandais. Mais, au début du xviie siècle, les souverains hollandais, allemands et autrichiens publièrent de nouvelles réglementations disciplinaires tous les ans pour compléter les codes militaires existants. De plus, les codes précédents rassemblaient en un seul article toutes les agressions sexuelles et les punissaient de la même manière (par la peine de mort) : à la fin du xviie siècle, elles formaient un chapitre à part comprenant sept à dix articles et traitant toutes les agressions et les mauvaises conduites ainsi que leurs différents châtiments (voir par exemple le chapitre 16 du Code militaire suédois ou le chapitre 20 du Code militaire russe de 1716).

19Le contenu et la structure de ces codes se ressemblaient beaucoup car les souverains faisaient chacun des emprunts aux textes des autres. Un chapitre à part réglementait la discipline, y compris les agressions et les crimes qui y étaient liés. La peine de mort était exigée pour les crimes considérés comme graves d’un point de vue militaire, comme le pillage et le viol non autorisés de civils. Les simples soldats étaient le plus souvent exécutés par pendaison et les officiers étaient passés par les armes ou décapités. Certains codes prévoyaient des châtiments particulièrement vicieux pour certaines agressions : par exemple, le code suédois de 1683 prévoyait le matraquage à mort des soldats qui se livraient au pillage au lieu de poursuivre les armées ennemies. Les agressions collectives (comme le viol collectif) pouvaient être punies par la “décimation” (un individu sur dix était puni pour l’exemple et les autres étaient pardonnés ou recevaient une sentence moins lourde). Les châtiments corporels étaient réservés aux crimes moins importants (jeux d’argent, abus d’alcool, non-respect des règles sanitaires, etc.). Tous les codes mentionnaient les devoirs fondamentaux des soldats, comme, entre autres, obéir aux ordres, ne pas briser le rang, suivre le drapeau et le garder. Ils mettaient tous l’accent sur le maintien de l’ordre dans le campement et durant les déplacements, par la réglementation des activités des cantinières, la réduction de la consommation d’alcool et de la pratique du jeu, la prescription de règles sanitaires de base pour éviter les épidémies. Ils contenaient tous des directives pour préserver la bonne moralité des soldats.

  • 26 Tallett 1997 : 122-128.

20Pour rendre ces codes accessibles et les faire connaître au sein de leurs armées, la plupart des commandants ordonnaient que des copies en soient imprimées et distribuées à leurs officiers et que certains articles soient lus à haute voix aux simples soldats lors de leurs rassemblements – mensuels en Suède et en Russie – ou lorsque les nouvelles recrues prononçaient leurs vœux d’obéissance (comme dans les armées de l’Empire ou d’Angleterre). Cette pratique permettait aux commandants de s’assurer que les règles de base du droit militaire étaient connues de leurs soldats et de leurs officiers, qui les respecteraient par peur des châtiments, parmi lesquels la peine de mort. Le code militaire finit par s’introduire dans la législation nationale en tant qu’élément de la politique sociale du nouvel État-nation : les militaires formaient un groupe social à part, possédant sa propre juridiction26.

“Abstenez-vous de piller, d’établir des cantonnements dans les églises et de violer des femmes sans ordre préalable” : création d’une nouvelle (hétéro)normativité

  • 27 Au sujet de ce procès, voir : Brauer-Gramm 2001 ; Kemper 2004 : chapter 1.

21Le premier procès concernant un manquement aux règles de la guerre et à la loi des hommes et de Dieu fut celui du chevalier Peter von Hagenbach (ca 1420-1474) qui commit de nombreuses atrocités dans la ville de Breisach sans que la guerre ait été déclarée. Ses soldats prirent la ville d’assaut, la mirent à sac, violèrent les femmes, dévalisèrent les marchands, etc. Un tribunal ad hoc fut désigné par l’Archiduc d’Autriche et von Hagenbach fut officiellement accusé d’avoir « foulé au pied les lois de Dieu et des hommes » ; il fut condamné pour meurtre, viol, parjure et autres méfaits, y compris pour avoir donné l’ordre à ses mercenaires de tuer les hommes dans les maisons ou ils étaient cantonnés de manière à avoir les femmes et les enfants complètement à leur merci. Von Hagenbach fit appel à son souverain, le duc de Bourgogne, sur les ordres duquel il prétendait avoir agi. Le tribunal le déclara néanmoins coupable et le condamna à la décapitation27. Ce procès servit de précédent pour les affaires de manquement aux règles de la guerre et fixa un certain seuil à ne pas dépasser dans la conduite à l’égard des populations civiles.

  • 28 Kohler & Scheel 1900 : art. cxv-cxxii.
  • 29 Bambergische Peinliche Halsgerichtsordnung 1507 : 39b (art. cxlii).

22Au début de l’époque moderne, les codes militaires indiquaient que les soldats devaient respecter une attitude chrétienne envers les populations civiles locales ; les agressions sexuelles jouèrent dans ce contexte un rôle important. Tous les codes comprenaient des réglementations du comportement sexuel des militaires, en temps de guerre (lors des déplacements de troupes) comme en temps de paix (dans les campements et les cantonnements). La plupart des codes militaires se référaient à la Constitutio Criminalis Carolina (le « Code criminel » de Charles v) de 153228, qui définissait plusieurs crimina carnis. L’article 115 condamnait les « relations sexuelles immorales et contre l’ordre de nature », qui comprenaient les relations sexuelles avec des animaux, avec une personne du même sexe, entre hommes ou entre femmes, et prévoyait d’exécuter les coupables par le feu. L’article 116 interdisait l’inceste, c’est-à-dire les relations sexuelles entre parents proches, y compris avec une belle-fille (fille du conjoint ou femme du fils) ou une belle-mère, mais n’indiquait aucun châtiment et renvoyait aux lois de “nos prédécesseurs” ainsi qu’aux ordonnances impériales, s’en remettant à l’avis des juristes confirmés. Cet article reproduisait le code criminel de Bamberg de 1507, lequel recommandait dans ce cas d’agir avec prudence et de mener un procès en privé29. L’opinion des juristes était importante dans les cas de rapt : lorsqu’une femme est enlevée contre la volonté de son mari ou de son père (étant elle-même consentante) et que ce dernier attaque celui qui l’a enlevée, le châtiment est appliqué (art. 117). On trouve des dispositions similaires pour les cas d’adultère (art. 119). Le châtiment pour bigamie est décrit à l’article 121 : l’article précise que même si la bigamie est un crime encore plus détestable que l’adultère, la peine de mort ne sera pas appliquée, ce qui signifie qu’elle était appliquée en cas d’adultère. La peine de mort était également recommandée pour le viol (art. 118) mais seulement si la victime était une “honnête femme” et à condition que des preuves solides soient rassemblées. La catégorie des honnêtes femmes excluait les prostituées, car le viol était censé priver les femmes de leur honneur et les prostituées en étaient dépourvues. La tentative de viol était punie selon les circonstances et le rang social de l’accusé. Le trafic (le commerce, selon les mots du xvie siècle) de femmes et d’enfants condamnait l’accusé à être privé de son honneur et à recevoir le châtiment général (art. 121) alors qu’un proxénète pouvait être soit banni soit condamné au bûcher, avoir les oreilles coupées ou recevoir tout autre châtiment corporel (art. 122). Cette liste d’agressions sexuelles hiérarchise les abominations considérées comme les crimes les plus dangereux et les plus odieux – bestialité, relations entre personnes du même sexe, viol et adultère – mais les juges conservaient une certaine discrétion sur différents types de rapports sexuels.

23Les codes militaires européens s’inspirèrent largement de la Constitutio Criminalis Carolina, reprenant sa structure et ses recomman-dations procédurales. Les crimes contre nature venaient habituelle-ment en premier, suivis par le rapt et le viol, puis par la bigamie, la prostitution et le proxénétisme. Attardons-nous sur les fautes visées par la régulation du comportement sexuel des officiers et des soldats au sein de l’armée, à savoir les relations entre personnes d’un même sexe, les relations sexuelles avec les animaux, et les agressions hétéro-sexuelles non-violentes.

Sodomie et bestialité

  • 30 Lünig 1723 : 117, 148, 428, 585, 616, 673, 817, 1032, 1061, 1082, 1106, 1129, 1144, 1154, 1158, 117 (...)
  • 31 Eder 2004 : appendice I, 159-165.
  • 32 Artikul voinskii s ktarkim tolkovaniem 1735 : 180-181. Sur le droit face à l’homosexualité en Russi (...)

24Les relations entre personnes d’un même sexe et les relations avec des animaux, réunies sous l’accusation de sodomie, étaient particulièrement dérangeantes selon les standards militaires. Le bûcher était le châtiment universel pour ce type de fautes. Les codes militaires impériaux de 1672 (art. 20) et 1682 (art. 20), le code français de 1695 (art. 18), le code Osnabruck-Brunswig de 1688 (art. 17), le code souabe de 1710 (art. 13) et d’autres codes allemands se référaient à la Carolina ou bien condamnaient le coupable au bûcher. Le code suédois de 1683 prévoyait un autre châtiment – la décapitation – et réservait le bûcher aux cas de “bestialité”30. Les « Articles of War » du code anglais renvoyaient en général de tels cas devant le tribunal civil, lequel demandait souvent la peine de mort pour ces crimes. La sodomie était parfois considérée comme l’une des fautes les plus graves, les coupables étant passibles de la peine de mort, comme dans les articles de 1749 (art. 29)31. Le code militaire russe de 1716 était le seul à avoir une attitude différente vis-à-vis de la sodomie et de la bestialité. La bestialité était punie par « un châtiment corporel sévère » et la sodomie (muzhelozhstvo) entraînait la peine de mort seulement en cas de viol, mais d’autres sentences pouvaient être prononcées, comme l’envoi aux galères. Les relations volontaires entre personnes d’un même sexe entraînaient un « châtiment corporel sévère » comme les cas de bestialité (art. 165-166)32.

  • 33 Puff 2003 : 117.

25Les accusations de sodomie étaient souvent utilisées dans des « guerres de pamphlets » idéologiques, pour donner de l’ennemi une image d’obscurantisme et de déviance. Durant les guerres franco-allemandes du nord de l’Italie (1494-1527) – guerres qui reposaient largement sur le nombre et la compétence militaire des mercenaires suisses – les accusations de sodomie devinrent une méthode bien commode pour se débarrasser d’un supérieur impopulaire en le transformant en bouc émissaire, pour justifier le non-respect de la discipline militaire ou pour discréditer un adversaire. Selon le chroniqueur suisse Fridolin Baldi, la campagne de Pavie de 1512 était dirigée contre les “hérétiques” – autrement désignés comme “sodomites”. Dans le contexte des guerres d’Italie, s’en prendre à la réputation d’un homme en le traitant de sodomite équivalait à le dénoncer comme traître, soumis sexuellement et politiquement aux forces étrangères33. Au début de l’époque moderne, les voyageurs revenant de Moscou rapportaient souvent l’image d’un pays tolérant envers la sodomie, ce qui aida à créer une image de barbarie et de dépravation des mœurs. Le savant allemand Adam Olearius (1599-1671), secrétaire de l’ambassadeur impérial en Russie de 1633 à 1636, note par exemple :

  • 34 Olearius 1662 : 81. Voir aussi : Zelenina 2007.

Tout leur discours est plein des abominations qu’ils ont eux-mêmes commises ou vu commettre par d’autres, ils se vantent de crimes qui seraient ici châtiés sur le bûcher, et dont le souvenir devrait être enfoui sous leurs cendres. Mais comme ils se livrent entièrement à toutes sortes d’actes licencieux, et même à des péchés contre nature, non seulement avec des hommes mais aussi avec des bêtes, celui qui est capable de raconter toutes ces histoires, d’en faire le récit avec force gestes, est considéré comme le plus brave des hommes. Leurs violoneux les mettent en chansons et des charlatans en font des représentations publiques et ne craignent pas de montrer leurs braies34

26Traditionnellement, les Anglais considéraient la sodomie comme une pratique “papiste”. Daniel Defoe, dans le poème intitulé « L’Anglais bien-né », place l’origine de la luxure en Italie :

  • 35 Defoe 1889 : 187. [Traduction citation GK]
  • 36 Cité dans Gilbert 1976 : 73.

La luxure a choisi le climat torride de l’Italie,
Où la fermentation du sang engendre viol et sodomie :
Où les veines gonflées débordent de flots livides35.
D’autre part, officiers et soldats étaient toujours suspectés de succomber aux “vices contre nature”. Anthony Gilbert souligne le fait que les relations entre personnes d’un même sexe étaient très répandues au sein de la marine britannique même si la sodomie était considérée comme une faute capitale en Grande-Bretagne jusqu’en 1861. Un officier britannique, à une époque plus récente, rapporta ainsi : « À ma connaissance, la sodomie est une pratique courante sur les navires au long cours. Sur les bateaux de guerre, je dirais que c’est la pratique préférée du marin »36.

  • 37 Gilbert 1976.

27Pourtant les relations entre personnes du même sexe étaient sévèrement punies. Durant la Guerre de succession d’Espagne, les condamnations à mort pour sodomie constituaient 27% des sentences prononcées par les tribunaux militaires de la Navy (63% étaient des condamnations pour désertion et seulement 4,5% pour meurtre). Les proportions demeurèrent les mêmes jusqu’au début du xixe siècle : entre 1756 et 1806, 30% des accusés étaient exécutés pour avoir eu des relations sexuelles avec une personne du même sexe (ou pour pédérastie)37.

  • 38 Rosen 2006 : 79-81.

28Dans d’autres pays, cependant, les procès pour pédérastie n’aboutissaient pas forcément à des sentences aussi sanglantes. Au Danemark, six personnes seulement furent poursuivies au xviie et au xviiie siècle et dans la majorité des cas elles étaient accusées de “bestialité”. En 1628, deux Écossais (un lieutenant-colonel et un civil) périrent sur le bûcher à Copenhague, après quoi le roi Christian IV chargea une commission d’évêques et de professeurs de théologie de préparer un texte sur la discipline religieuse de la population : De l’autorité de l’Église sur les non-repentants (1629). En 1663 le sergent Claudi Amberg agressa sexuellement un garçon de treize ans (le garçon rapporta que cela s’était passé alors qu’il était endormi). Le commandant général, ne sachant pas comment formuler la sentence, demanda au War Office de l’aider. Ne recevant pas de réponse de ce ministère, il décida de bannir le sergent de son régiment. En 1674, le capitaine Frederik von Basse s’enfuit vers “un autre royaume” après que sa femme eut porté plainte à cause de l’absence d’enquête au sujet de l’accusation de sodomie dont son mari faisait l’objet. Des soldats affirmèrent avoir été forcés et abusés par leur capitaine, mais von Basse ne reçut pas d’autre châtiment que l’obligation de divorcer d’avec sa femme38.

  • 39 En 1744, la peine de mort fut abolie en Russie pour la plupart des fautes capitales, y compris les (...)
  • 40 RGADA 210/11/MS/226 ff. 291, 293, 313.
  • 41 RGADA 210/13/BS/597 ff. 25-27.
  • 42 RGVIA 8/3/1401.
  • 43 Gilbert 1976 : 74.
  • 44 Rosen 2006 : 82.

29En Russie, les procès condamnant les relations avec une personne du même sexe étaient extrêmement sévères, mais la peine de mort39 n’était jamais prononcée, même dans les cas de viol sur mineurs. Ainsi, en 1642, un garçon ayant été violé par un soldat, ce dernier reçut un châtiment corporel très sévère (des coups de knout)40. En 1655, le capitaine Afanasii Spiridonov ayant violé le fils d’un soldat fut condamné à des coups de knout et à un séjour dans un monastère41. Quand la peine de mort fut abolie en Russie en 1744, on continua d’infliger aux auteurs de viols sur personnes du même sexe des châtiments corporels et des condamnations à des travaux forcés. En 1768, le sergent Evdokim Shenanov qui avait abusé d’un jeune garçon fut condamné à être passé par les “baguettes” (6 coups de trique donnés par cinq cent personnes alignées sur deux rangs) et rétrogradé42. Châtiments corporels et “baguettes” étaient appliqués dans d’autres armées, comme dans la marine britannique et l’armée allemande, danoise ou suédoise. En 1762, Martin Billin et James Bryan reçurent mille coups de fouet pour pédérastie43. Un soldat danois nommé Jacob fut condamné aux baguettes en 1742 (16 coups donnés par 300 hommes) pour une affaire avec le dénommé Peter Jessen44.

  • 45 Liliequist 1991 : 395 ; Liliequist 1992 : 51.
  • 46 Muravyeva 2011 : 86-94 ; RGVIA 8/1/1520, 8/1/1796, 8/3/315, 8/3/869, 8/3/968, 8/3/1353.
  • 47 Hekma 1991 : table 1.

30La grande attention portée aux relations homosexuelles au sein de l’armée de terre et de la marine s’expliquait par la crainte de voir tous ces hommes (surtout les jeunes) écartés de leur fonction de reproduction par des préoccupations et un environnement uniquement masculins : après tout, ils passaient beaucoup de temps loin des femmes, loin de leurs épouses, et restaient enfermés dans des unités composées seulement d’hommes. Les procès très sévères étaient censés leur rappeler leurs devoirs de chrétiens, dont le premier, le principal, était celui de se reproduire. Cependant, dans certains contextes nationaux, l’acte de copulation avec des animaux était considéré comme plus grave que le fait d’avoir des rapports avec d’autres hommes. Ainsi en Europe du Nord, au Danemark et en Suède, les incidents concernant des hommes accusés de relations homosexuelles étaient peu nombreux ; les procès pour “bestialité” dépassaient largement en nombre les accusations de “sodomie”. La Suède est célèbre pour le nombre de procès pour “bestialité” : 1500 procès eurent lieu entre 1635 et 1754. Les militaires, simples soldats pour la plupart, représentaient presque 15% des accusés45. À la même époque, dans le nord-ouest de la Russie, les procès pour “bestialité” étaient très peu nombreux (35 au total pour les xviie et xviiie siècles) et les tribunaux militaires russes ne traitèrent que huit cas sur toute la durée du xviiie siècle46. En Hollande, la fin du xixe siècle ne compta que quatorze procès de soldats pour “bestialité”47. Pris dans leur ensemble, les procès condamnant les relations homosexuelles suggèrent que l’État accordait une attention spéciale à la sexualité des militaires : il réglementait de manière stricte les limites à ne pas dépasser et incitait les hommes à ne s’engager que dans des relations hétérosexuelles.

Fornication et prostitution

  • 48 Lünig 1723 : 117, 428, 585, 616, 673, 867, 929, 1032, 1061, 1082, 1106-1107, 1129.
  • 49 Hacker 1981 : 647-648.

31Les pratiques sexuelles illégales n’entraînaient pas la peine de mort mais étaient tout de même sévèrement punies – par des châtiments corporels, la rétrogradation ou le bannissement. Cependant, la punition dépendait souvent de la décision du juge du tribunal militaire ou du commandant48. Presque tous les codes militaires interdisaient la prostitution et la présence de prostituées dans les campements et durant les déplacements des troupes. D’autre part, les armées avaient besoin de femmes pour effectuer tout le travail d’intendance, les tâches ménagères, la couture, le rangement, la lessive, la cuisine, et pour satisfaire les besoins sexuels des militaires, si bien que la quantité de cantinières et autres vivandières demeura très importante, comme en témoignèrent les contemporains. Von Wallhausen (ca 1580-1627), dans un livre intitulé Book on War Maneuvers (1617), déclare que « pour 3 000 soldats allemands… vous avez à coup sûr 4 000 prostituées, servantes et autres valets au service de l’armée ». Les chercheurs ont estimé à 100 000 le nombre de « femmes de soldats, prostituées, serviteurs et servantes et autres cantinières » qui accompagnaient les 40 000 hommes de l’armée impériale en 164849. La majorité des femmes étaient des épouses et des veuves de soldats et c’était elles que l’on accusait de prostitution. Mais ce n’était pas si simple. Le roman de Defoe intitulé The Life & Adventures of Mrs. Christian Davies Commonly Called Mother Ross décrit les multiples tâches que devaient accomplir les femmes dans l’armée : la Mère Ross gagne sa vie comme intendante, vivandière, putain, blanchisseuse, cuisinière et même soldate de temps en temps. Elle raconte sa vie, les viols qu’elle a subis et décrit aussi la conduite des épouses des soldats. Le passage qui suit la montre attendant la décision du commandant concernant sa demande au King’s-Arms :

  • 50 Defoe 1741 : 82-83 [Traduction citation GK]

J’attendais à la porte, mon enfant dans les bras. Alors que j’étais plantée là, un soldat qui avait servi à l’étranger m’aperçut et jugea avec finesse que j’étais une débauchée, et il commença à me traiter comme telle, à me parler grossièrement et après une série de m---e et de p----n et d’autres expressions fleuries comme chienne et garce, il dit que c’était une sacrée honte que la noblesse encourage un paquet de p----ns et de débauchées, qu’elle leur vienne en aide comme si elles faisaient partie de ses amis et leur donne le pain qu’elle ferait mieux de distribuer à ceux qui ont risqué leur vie et versé leur sang au service de leur pays ; il conclut ses salutations amicales en m’envoyant un coup de bâton dans la poitrine50.

  • 51 Cité dans Hacker 1981 : 651.

32Les cantinières, les vivandières, les femmes et les veuves de soldats étaient, globalement, qualifiées de putains. Dans l’armée allemande le soldat chargé des bagages était le Hurenweibel (le sergent des putes) : « Est choisi et placé à ce poste un soldat assez âgé et expérimenté car il a sous sa responsabilité et son pouvoir tout le train de bagage ainsi que les putains et les valets »51. La présence de prostituées dans l’armée était considérée comme un remède contre le viol (en effet, la prostitution a souvent servi de palliatif aux frustrations sexuelles masculines). L’officier espagnol Sancho de Londono notait en 1589 :

  • 52 Cité dans Hale 1968 : 184. [Traduction citation GK]

Étant donné que des États bien organisés tolèrent de telles personnes afin d’éviter des désordres bien pires, il est nécessaire de les tolérer dans celui-ci car les hommes libres, forts et vigoureux pourraient autrement commettre des crimes contre les populations locales, agresser leurs filles, leurs sœurs et leurs femmes52.

33Au xviiie siècle, les armées continuèrent d’avoir des cantinières car les vivres demeuraient en partie sous la responsabilité du personnel non combattant. Cependant, le souci principal était d’en débarrasser les campements et les garnisons. Ainsi, dans la ville ukrainienne de Vasil’kov, où les troupes avaient leurs quartiers, le nombre des prostituées ne cessait de croître. En 1744, le major Kul’nev, ayant épuisé toutes les formes de doléances au niveau local, adressa un rapport à la Chancellerie régionale à Kiev :

  • 53 Andreevskii 1885 : 140-141.

J’ai adressé plusieurs fois des plaintes au maire de Vasil’kov, le prêtre Maksim, pour lui demander de s’occuper d’elles [les putains], mais il leur est favorable et dit que ce sont de bonnes personnes ; et juste après cela, une nuit, une femme, Olena Stepanikha, fut prise par mes soldats en train de forniquer, et j’avais déjà signalé cette femme et j’avais demandé qu’on la punisse pour prostitution, mais il n’a rien fait et l’a laissée partir, ce qui signifie qu’il protège les prostituées ; je vous demande donc de m’indiquer quoi faire de cette femme qui est actuellement dans ma prison53.

  • 54 TsGIA SPB 19/1/5.

34Apparemment, le maire (de même qu’un religieux haut placé dans la hiérarchie) tirait profit de la prostitution et agissait très souvent en proxénète comme le comité le découvrit plus tard. Les bordels de campagne étaient souvent organisés par les épouses et les veuves des soldats avec le soutien des autorités locales qui tiraient des profits personnels de ce trafic. C’était surtout le cas dans les grandes villes comme Saint-Pétersbourg, qui abritaient un grand nombre de troupes de l’armée de terre et de la marine. En 1720, le consistoire de Saint-Pétersbourg fut chargé par le tribunal militaire du régiment des gardes de Preobrajenski de résoudre une affaire dans laquelle deux femmes, Maria Kirillova et Maria Vasil’eva, étaient aussi impliquées. La première avait dirigé sans encombre un bordel jusqu’au jour où elle avait été arrêtée pour bigamie. Elle avait déjà eu affaire à la justice pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage. Sa maison était un lieu de rendez-vous très prisé des gardes et cinq soldats comparurent devant la cour pour donner leur opinion au sujet de Maria. Son deuxième mari trouva de quoi payer la caution pour la faire libérer. Seize femmes en tout furent arrêtées pour prostitution par les autorités locales, mais elles furent vite relâchées sans se voir infliger aucune peine car leurs maris, tous soldats, les réclamèrent et réfutèrent les charges pesant sur elles. Le résultat fut que Kirillova continua de tenir sa “maison” tout au long des années 172054.

  • 55 RGVIA 8/3/122.
  • 56 RGVIA 8/2/274, 8/1/1757.

35En Russie, les tribunaux militaires traitaient la “fornication” comme une faute disciplinaire sans gravité ; ils infligeaient des châtiments corporels aux soldats et des amendes aux officiers qui étaient pris dans des bordels. En 1747, le sous-lieutenant Vasilii Naumov dut ainsi verser une amende équivalant à un tiers de sa solde pour avoir fréquenté assidûment les bordels55. En revanche, l’adultère et les relations avec une femme honnête étaient considérés comme des fautes graves punies de châtiments corporels sévères56. Le péché de chair et l’adultère représentaient trente pour cent des délits sexuels entre 1721 et 1800 en Russie. Les cas de viol représentaient 44% des cas (la moitié desquels concernaient des filles mineures). Ces décisions des tribunaux militaires montrent toute l’attention que portait l’État à la conduite morale et sexuelle des soldats.

36Le xviie et le xviiie siècle représentent une étape charnière dans la transformation des sociétés européennes et dans leur accès à la modernité. L’un des aspects les plus importants de cette transformation fut l’adaptation aux nouvelles normes et aux canons du comportement sexuel, conformes à un nouvel ordre des genres, lequel était basé sur l’hétérosexualité, la reproduction, la monogamie et l’autorité patriarcale. La sexualité n’était justifiée que par la nécessité de la reproduction et n’était admissible que dans le cadre de rapports conjugaux. En dehors du mariage et de la fonction de reproduction, elle était proscrite et punie. L’armée devint le champ privilégié de l’expérimentation de nouveaux modèles de reproduction et de nouveaux outils de contrôle social, ce qui aboutit à transformer le comportement sexuel masculin en un modus operandi qu’il convenait de réglementer et de surveiller. Le droit militaire fut souvent la source du droit criminel en Europe, en particulier parce qu’il procurait des schémas plus sévères de poursuites judiciaires contre les individus coupables de pratiques sexuelles illicites. Les simples soldats comme les officiers étaient appelés à être des citoyens modèles, dont le comportement sexuel deviendrait le canon de la masculinité – une hétérosexualité maîtrisée et des liens monogames voués à la reproduction – et servirait d’exemple aux autres hommes (et aux femmes).

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Rosen Wilhelm von, 2006, « Almost nothing: male-male sex in Denmark, 1550-1800 », in Katherine O’Donnell & Michael O’Rourke (eds), Queer Masculinities, 1550-1800: siting same-sex desire in the early modern world, Houndmills, Palgrave Macmillan, p. 77-93.

Russell Frederick H., 1977, The Just War in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press.

Stevens Carol Belkin, 1995, Soldiers on the Steppe: army reform and social change in early modern Russia, DeKalb, Northern Illinois University Press.

Stradling R.A., 1994, « A ‘military revolution’: the fall-out from the fall-in », European History Quarterly, 24/2, p. 271-278.

Tallett Frank, 1997, War and Society in Early Modern Europe, 1495-1715, London, Routledge.

Wells Charlotte Catherine, 1995, Law and Citizenship in Early Modern France, Baltimore, John Hopkins University Press.

Winthrop William, 1920, Military Law and Precedents, Washington, Government Printing Office.

Zelenina Galina, 2007, « Svidetel’stva inostrantsev xvi-xvii vekov o moskovitakh-sodomitakh » [Les récits de voyageurs étrangers au seizième et au dix-septième siècle sur les Moscovites-sodomites], in Lorina Repina, Anna Stogova & Alexandra G. Suprianovitch (dir.), Gender i obshschestvo v istorii [Genre et société dans l’histoire], St. Petersbourg, Aleteiia, p. 440-459.

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Annexe

Archives

Archives nationales russes. Actes anciens (RGADA)

f. 210 Razriadnyi Prikaz [chancellerie militaire]

Prikaznoi Stol (PS) [département de la chancellerie]

Pomestnyi Stol (PmS) [département de l’État]

Belgorodskii Stol (BS) [département de Belgorod]

Moskovskii Stol (MS) [département de Moscou]

Novgorodskii Stol (NS) [département de Novgorod]

Archives historiques militaires nationales de Russie (RGVIA)

f. 8 General-auditorskaia ekspeditsiia kantseliarii Voennoi kollegii [Expédition générale et Audit de la Chancellerie du Collège militaire]

Archives historiques centrales de Saint-Pétersbourg (TsGIA SPB)

f. 19 Petrogradskaia dukhovnaia kosistoriia [Consistoire de Saint-Pétersbourg]

Sources non publiées

Uchenie i khitrost’ ratnogo stroeniia liudei, 1647 [Discipline et compétences des militaires]. Manuscrit non publié. Bibliothèque nationale de Russie (Rossiiskaia Natsional’naia Biblioteka), coll. 536, F.115.

Sources publiées

Andreevskii Aleksei (ed.), 1885, Istoricheskie materialy iz Arkhiva Kievskogo Gubernskogo pravleniia [Données historiques des archives du département régional de Kiev], vol. 8, Kiev, v ripografii gubernskogo pravleniia.

Artikul voinskii s ktarkim tolkovaniem [Articles militaires accompagnés de brefs commentaires], 1735, St. Petersbourg, Pri Imperatorskoi akademii nauk.

Ayala Balthasar, 1912, De Jure et Officiis Bellicis et Disciplina Militari Libri III, John Westlake (ed.), Washington, D.C., The Carnegie Institution of Washington.

Bambergische Peinliche Halsgerichtsordnung, 1507, Bamberg.

Belli Pierino, 1936, De Re militari et bello tractatus, Herbert C. Nutting (ed.), Oxford, Clarendon Press.

Defoe Daniel, 1889, The Earlier Life and the Chief Earlier Works of Daniel Defoe, London, George Routledge and Sons.

—, 1741, The Life and Adventures of Mrs. Christian Davies Commonly Call’d Mother Ross, London.

Érasme, 1813, The Complaint Of Peace, Boston, Charles Williams / Burlington, New Jersey, D. Allinson.

Gentilis Alberico, 1877, De Jure Belli. Libri Tres, Thomas Erskine Holland (éd.), Oronii, Y. Typographeo Clarendoniano.

Koehler Josef & Willy Scheel (hrsg.), 1900, Die Peinliche Gerichtsordnung Kaiser Karls V: Constitutio Criminalis Carolina, Berlin, Halle S. S., Buchhandlung des Waisenhauses.

Lünig Johann Christian (ed.), 1723, Corpus Juris Militaris, Leipzig, Lankisch.

Olearius Adam, 1662, The Voyages & Travels of the Ambassadors from the Duke of Holstein, to the Great Duke of Muscovy, and the King of Persia, London, Thomas Dring, et John Starkey.

Vattel Emmerich de, 1797, The Law of Nations, or Principles of the Law of Nature Applied to the Conduct and Affairs of Nations and Sovereigns, London, G.G. and J. Robinson, Peternoster-Row.

Watts William, 1632, The Swedish Discipline, Religious, Civile, and Military: the first part, in the formes of prayer daily used by those of the Swedish nation, in the armie, London, John Dawson for Nash.

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Notes

1 Sur la révolution militaire, voir Ayton & Price 1998 ; Black 1991 ; Childs 2001 ; Downing 1992 ; Stradling 1994.

2 La codification du droit militaire désigne l’assemblage et la mise en forme systématique, en général par sujets, des lois ou des dispositions statutaires, des règles et réglementations d’un pays ou d’une terre donnée, pour la gestion des opérations et de la discipline militaire. Elle fut entreprise au début du xvie siècle, avant que les juristes ne commencent à codifier le droit, opération qui fut conduite, selon les spécialistes, à la fin du xviie et au xviiie siècle. Sur la codification, voir : Cartuylels 1997 ; Daston & Stolleis 2008 ; Downing 1992.

3 Sur le concept de citoyenneté au début de l’époque moderne en Europe, voir : Wells 1995 ; Linklater 1996.

4 Sur le droit militaire russe : Keep 1985 ; Stevens 1995 ; Paul 2004.

5 Sur la sexualité et les défenseurs du droit naturel en Europe, voir : Muravyeva 2013.

6 Roberts 1956 ; Parker 1976 et 1988 ; Black 1998.

7 Black 1991 et 2008. Sur ce débat, voir : Rogers 1995 ; De Moor 1997.

8 Gentili 1877 : 241. Sur la position des défenseurs du droit naturel au sujet du viol, au xvie et au xviie siècle, voir : Muravyeva 2012a : 17-19.

9 Russell 1977 : 127-212.

10 Urs Graf (1485-1529) était aussi un mercenaire. Il a représenté des mercenaires dans des œuvres comme “Champ de bataille” ou “Consiglio di guerra”.

11 Voir, par exemple : Hale 1983 ; Baron 1966 : 430-440 ; Moxey 2004 : 67-100 ; Mosse 1998 : 2-34.

12 Érasme 1813 : 67. Sur la position d’Érasme sur la guerre juste, voir : Fernández 1973. [Traduction citation GK]

13 Uchenie i khitrost’ ratnogo stroeniia liudei 1647 : f. 15 rev-16. Voir aussi : Hale 1971.

14 Belli 1936 : II, 61-62.

15 Belli 1936 : II, 177-178.

16 Ibid. : II, 80-81.

17 Ayala 1912 : II, 127.

18 Ibid. : II, 174.

19 Ayala 1912 : II, 174-175.

20 Sur l’opinion de Grotius sur le viol et les crimes sexuels : Muravyeva 2013 : 76-79.

21 Toutes ces réglementations furent publiées par Lünig en 1723 ; on trouvera plus loin une analyse plus détaillée et d’autres références à cette publication.

22 Vattel 1797 : 299.

23 “Kaysers Friderici III. und des H. Röm. Reichs Heers = Ordnung wieder die Türcken, bey geneiner Reichs Versammlung beliebet Anno 1486”, Lünig 1723 : 1-3.

24 Lünig 1723 : 4.

25 Ibid. : 58-76, 277-280.

26 Tallett 1997 : 122-128.

27 Au sujet de ce procès, voir : Brauer-Gramm 2001 ; Kemper 2004 : chapter 1.

28 Kohler & Scheel 1900 : art. cxv-cxxii.

29 Bambergische Peinliche Halsgerichtsordnung 1507 : 39b (art. cxlii).

30 Lünig 1723 : 117, 148, 428, 585, 616, 673, 817, 1032, 1061, 1082, 1106, 1129, 1144, 1154, 1158, 1175, 1194, 1199, 1347.

31 Eder 2004 : appendice I, 159-165.

32 Artikul voinskii s ktarkim tolkovaniem 1735 : 180-181. Sur le droit face à l’homosexualité en Russie au début de l’époque moderne, voir : Muravyeva 2012b.

33 Puff 2003 : 117.

34 Olearius 1662 : 81. Voir aussi : Zelenina 2007.

35 Defoe 1889 : 187. [Traduction citation GK]

36 Cité dans Gilbert 1976 : 73.

37 Gilbert 1976.

38 Rosen 2006 : 79-81.

39 En 1744, la peine de mort fut abolie en Russie pour la plupart des fautes capitales, y compris les crimes sexuels.

40 RGADA 210/11/MS/226 ff. 291, 293, 313.

41 RGADA 210/13/BS/597 ff. 25-27.

42 RGVIA 8/3/1401.

43 Gilbert 1976 : 74.

44 Rosen 2006 : 82.

45 Liliequist 1991 : 395 ; Liliequist 1992 : 51.

46 Muravyeva 2011 : 86-94 ; RGVIA 8/1/1520, 8/1/1796, 8/3/315, 8/3/869, 8/3/968, 8/3/1353.

47 Hekma 1991 : table 1.

48 Lünig 1723 : 117, 428, 585, 616, 673, 867, 929, 1032, 1061, 1082, 1106-1107, 1129.

49 Hacker 1981 : 647-648.

50 Defoe 1741 : 82-83 [Traduction citation GK]

51 Cité dans Hacker 1981 : 651.

52 Cité dans Hale 1968 : 184. [Traduction citation GK]

53 Andreevskii 1885 : 140-141.

54 TsGIA SPB 19/1/5.

55 RGVIA 8/3/122.

56 RGVIA 8/2/274, 8/1/1757.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mariana Muravyeva, « « Ni pillage ni viol sans ordre préalable ». Codifier la guerre dans l’Europe moderne »Clio, 39 | 2014, 55-81.

Référence électronique

Mariana Muravyeva, « « Ni pillage ni viol sans ordre préalable ». Codifier la guerre dans l’Europe moderne »Clio [En ligne], 39 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/11856 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.11856

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Auteur

Mariana Muravyeva

Muraveyya Mariana, professeure d’histoire, occupe le poste de recherche avancée Marie Curie à l’Université Brookes d'Oxford. Elle travaille sur l’histoire de la criminalité, l’histoire des lois, l’histoire du genre et l’histoire de la sexualité dans l’Europe moderne. Elle fait partie du comité de rédaction d’Aspasia. The International Yearbook of Central, Eastern and Southeastern European Women’s and Gender History et est l’auteure ou l’éditrice d’une centaine de publications, dont Gender in Late medieval and Early Modern Europe (Routledge, 2013) ; Shame, Blame, and Culpability: crime and violence in the Modern State (Routledge, 2012) ; Bytovoe nasilie v istorii rossiiskoi povsednevnosti [Domestic violence in the history of Russian everyday life] (St. Petersburg, EU Press, 2012). Elle a récemment publié les articles suivants : « Bytovukha: Family Violence in Soviet Russia », Aspasia, 8 , 2014 : 90-124 ; « “Till Death Do Us Part”: Spousal Homicide in Early Modern Russia », The History of the Family, 3, 2013 : 306-330 ; « Sex, Crime and the Law: Russian and European Early Modern Legal Thought on Sex Crimes », Journal of Comparative Legal History, 1, 2013 : 74-102 ; ou encore « Le viol dans les codes militaires russes de Pierre le Grand à l’Armée rouge », in Raphaelle Branche & Fabrice Virgili (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011, p. 25-42. muravyevam@gmail.com

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