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Cerveaux fous et sexes faibles (Grande-Bretagne, 1860-1900)

Diseased brains and the weaker sex: Great Britain 1860-1900
Aude Fauvel
p. 41-64

Résumés

La psychiatrie est souvent présentée comme la science sexiste par excellence, les experts du psychisme ayant non seulement nourri les discours sur l’infériorité du « sexe faible », mais aussi très concrètement contribué à l’exclusion des femmes en acceptant « d’hospitaliser » celles qui refusaient de se conformer aux désirs masculins. Sans pour autant mettre en cause ce constat du rôle détestable joué par les psychiatres dans la répression des femmes, cet article propose de voir cette histoire sous un autre angle en réfléchissant aux répercussions de cette prise de position sexiste sur l’agencement du savoir médical et, inversement, sur celui des représentations des patientes. L’exemple britannique montre en effet que les théories sur l’infériorité mentale des femmes n’ont pas été partagées par l’ensemble du corps médical et ont, en outre, parfois été fortement combattues par les malades – poussant ainsi à nuancer l’image d’un « pouvoir psychiatrique » univoque et tout-puissant. En retraçant les débats qui ont entouré l’émergence de la thèse du « cerveau faible » dans la Grande-Bretagne du xixe siècle, il s’agit donc de jeter un autre regard sur la construction (et la déconstruction) des catégories du savoir psychiatrique et de comprendre comment les sujets de ce savoir – les patientes – ont pu, par « en bas », influencer leur évolution.

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Texte intégral

  • 1 George Fielding Blandford (1829-1911), voir la seconde partie pour plus d’informations biographique (...)
  • 2 Extrait d’une lettre envoyée par Blandford à la presse pour se justifier (Anonyme 1895).
  • 3 Lanchester 1983 ; Showalter 1987 : 146-147.

1En 1895, Sir Lanchester apprit que sa fille Edith s’était éprise d’un homme pauvre, socialiste et irlandais, et que, pire encore, elle voulait vivre avec lui sans se marier. Désemparé, Lanchester se tourna alors vers un psychiatre, George Fielding Blandford1, qui décréta que cet « amour libre » équivalait à un « suicide social » et qu’on pouvait dès lors considérer Edith comme une « monomaniaque » dont « le cerveau avait été retourné » par le socialisme2. Lanchester fut rassuré : on interna Edith « d’urgence », une façon radicale de couper court à ses velléités de révolte3.

  • 4 Le champ de l’histoire psychiatrique est assez mixte, hormis sur la question du traitement différen (...)
  • 5 Chesler 1975.
  • 6 Appignanesi 2008.
  • 7 Showalter 1987.
  • 8 L’usage de cette abréviation est justifié par les historiens, dans le sens où les différenciations (...)
  • 9 À titre d’exemple, une première femme ne devint médecin-chef d’un asile en France qu’en 1920 (Const (...)
  • 10 Comme on le verra, Edith Lanchester finit en effet par être libérée. De façon générale, indiquons i (...)

2Cette histoire, comme beaucoup d’autres du même genre, pourrait servir d’illustration à une thèse classique défendue par de nombreuses historiennes4 : la psychiatrie est sans doute LA science sexiste par excellence, les spécialistes du psychisme ayant non seulement nourri les discours sur l’infériorité du sexe faible, mais aussi très concrètement contribué à l’exclusion des femmes en acceptant d’hospitaliser celles qui, comme Edith, refusaient de se plier aux desiderata masculins. De Phyllis Chesler5 à Lisa Appignanesi6 en passant par Elaine Showalter7, depuis les années 1970 et l’entrée de la critique féministe dans les sciences humaines, toutes les auteures ont ainsi souligné les partis pris des « sciences psys »8, un domaine d’autant plus perméable aux opinions convenues que les connaissances y sont en réalité fort limitées. En somme et pour le dire autrement, les experts de l’esprit ont une fâcheuse tendance à confondre maladie mentale et refus d’adhérer aux conventions sociales. Dès lors et de même qu’on a traité les homosexuels ou les dissidents (communards, anti-franquistes, anti-Poutine…) de malades devant être soignés, de même les femmes rétives ont-elles souffert des préjugés d’une profession où, en outre, seuls des hommes dirigeaient les services jusqu’à une période récente9. Le médecin de fous – celui qui avait donc le pouvoir d’enfermer – étant du même sexe que le père, le frère ou le mari, le monde psychiatrique a ainsi longtemps été propice à l’exercice d’une forme de connivence masculine, le cas d’Edith (et il est loin d’être le plus dramatique10) figurant bien comment certains ont sciemment recouru aux services des psychiatres pour étouffer les désirs de leurs filles, mères, sœurs.

  • 11 Comme l’expliquent les notes 16 et 19, l’Écosse a un régime de santé indépendant. Ceci étant, comme (...)
  • 12 Foucault 2003.

3L’objet de cet article n’est certes pas de mettre en cause ce constat du rôle franchement détestable que certains spécialistes de l’esprit ont joué dans la répression des femmes, mais plutôt de relire cette histoire sous un autre angle en réfléchissant, à partir du cas britannique11, à la façon dont une prise de position sexiste joue sur l’interaction médecins/patients – altérant les savoirs des uns et la parole des autres. On se figure en effet souvent le « pouvoir psychiatrique »12 comme un tout indivisible, où les médecins auraient tous et toujours partagé un même type de discours sur les femmes et sur la folie. Or ce ne fut pas le cas : les psychiatres ne se mirent en fait à théoriser l’infériorité du « cerveau faible » et l’idée qu’il était naturel d’interner plus de femmes qu’à partir des années 1860, sans que ces notions ne fassent en outre l’unanimité. Par ailleurs, de même qu’on a donc exagéré la rigidité du corps médical, de même a-t-on inversement sous-estimé la capacité des patients, et particulièrement des patientes, à contrecarrer les élucubrations des docteurs. Pourtant en l’occurrence (et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cet exemple) si la Grande-Bretagne fut au xixe siècle un des pays où les aliénistes prononcèrent les mots les plus durs sur le sexe faible, ce fut aussi, dans le même temps, le lieu des premiers grands succès féministes et antipsychiatriques – les deux s’étant profondément nourris l’un de l’autre.

4Comment expliquer ce paradoxe ? Quelles torsions théoriques firent émerger la thèse du cerveau faible au xixe siècle ? Et comment des femmes comme Edith Lanchester s’y prirent-elles outre-Manche pour la combattre ? En explorant ces questions, il s’agira donc ici de jeter un autre regard sur les rapports entre psychiatrie et (anti-) féminisme, en interrogeant les mécanismes de construction (et de déconstruction) des catégories du savoir médical et en examinant comment les sujets de ce savoir – les patientes – ont pu, par « en bas », infléchir les théories et les pratiques les concernant.

Les femmes et le psychisme féminin sous l’œil de la médecine mentale

La folie : du fléau moral universel à la dégénérescence sexuée

  • 13 Moral est ici entendu au sens d’antonyme de physique (le physique et le moral).
  • 14 Chesler 1975 ; Showalter 1987 : 3.
  • 15 Tomes 1990 ; Fauvel 2010.

5Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’idée que la folie serait typiquement féminine n’a pas émergé de concert avec la psychiatrie (ou « médecine mentale » et « aliéniste » selon les termes du xixe siècle). Pour les pères fondateurs de la discipline même si les troubles mentaux avaient sans doute un support corporel, l’essentiel pour soigner les aliénés était en effet surtout de savoir que leur problème résultait en général d’un trouble « moral »13, comme un deuil, une faillite, ou tout autre choc du même type. Dès lors, il suffisait inversement d’administrer un « traitement moral » pour distraire, au sens fort, les malades de leur marasme : en dialoguant avec eux, en les occupant sainement et, surtout, en les isolant dans un environnement médical sécurisé (l’asile). De ce point de vue, le processus conduisant à l’aliénation (et à la guérison) était donc essentiellement identique chez l’homme et la femme. Certes, les aliénistes estimaient que les raisons poussant les gents féminine et masculine à basculer pouvaient différer, de même que la forme de leur délire. Les femmes étaient plus sensibles à la perte d’un enfant, les hommes aux revers professionnels ; les femmes avaient souvent des fixations religieuses, les hommes des délires politiques, etc. Mais si les deux sexes divergeaient dans leurs façons d’exprimer la folie, rien n’indiquait en revanche que l’un soit plus disposé que l’autre à perdre la tête. Par conséquent et contrairement à ce qui a pu être dit14, en pratique les premiers aliénistes internaient autant de femmes que d’hommes, détectant la même dose d’anormalité chez les unes et les autres15.

  • 16 En France, la loi obligea chaque département à prendre en charge ses aliénés indigents en finançant (...)
  • 17 Scull 2004.
  • 18 D’une dizaine de milliers dans les années 1840, les internés du secteur public britannique étaient (...)

6Cette situation changea cependant drastiquement dans la seconde moitié du xixe siècle avec le basculement de cette vision morale vers une version beaucoup plus physique des choses, basculement qui découla notamment des déconvenues auxquelles l’aliénisme se heurta dès les années 1860. Malgré l’optimisme des pionniers du champ, il devint en effet évident dès cette époque – soit quelque vingt ans après l’ouverture d’établissements publics un peu partout en Europe16 – que les asiles ne seraient pas des « machines à guérir », les taux de guérison y excédant rarement 5%17. Les patients ne guérissaient pas, chaque jour il en arrivait de nouveaux… en à peine deux décennies le nombre d’aliénés avait ainsi déjà été multiplié par dix des deux côtés de la Manche, une croissance exponentielle18 qui mit donc rapidement fin aux espoirs initiaux de maîtrise thérapeutique de la folie.

  • 19 Écossais et Belges se distinguèrent ici en décidant de tester à large échelle le suivi « en liberté (...)
  • 20 Brillant orateur, Henry Maudsley (1835-1918) fut notamment professeur de jurisprudence médicale à l (...)
  • 21 Valentin Magnan (1835-1916) fit toute sa carrière à Ste-Anne comme médecin-chef du bureau des admis (...)
  • 22 Pick 1989.

7Justement, que fallait-il en déduire ? Que l’on s’était trompé et que la médecine asilaire n’était peut-être pas la bonne réponse morale pour les aliénés ? Certains aliénistes allèrent jusque-là et plaidèrent pour l’exploration d’autres thérapeutiques, hors des asiles. Sauf exception19, ils furent cependant peu suivis, la majorité des médecins préférant une autre explication à l’échec : si l’on n’arrivait pas à soigner les fous, c’était tout simplement que leur mal était plus grave que prévu et qu’il affectait sans doute profondément le physique en plus du moral. À l’heure où Paul Broca et d’autres neurologues soulignaient le lien entre troubles du comportement et lésions cérébrales, les psychiatres en conclurent ainsi qu’ils devaient eux aussi étudier davantage la physiologie de l’aliénation. Outre ces découvertes neurologiques, leur revirement somatique s’adossa à un autre modèle : l’évolutionnisme. Jean-Baptiste Lamarck et, surtout, Charles Darwin n’avaient-ils pas montré que l’hérédité guidait l’évolution ? Il paraissait dès lors logique de postuler que les déshérités de l’évolution – les fous donc – souffraient inversement d’un défaut héréditaire. C’est la conclusion à laquelle arrivèrent en tout cas Henry Maudsley20 en Grande-Bretagne ou Valentin Magnan21 en France qui, à l’explication morale, substituèrent la dégénérescence22. Les lignes de cette théorie ne se recoupèrent pas tout à fait des deux côtés de la Manche, du fait de l’empreinte plus forte du schéma darwinien côté britannique. Mais, pour résumer grossièrement, ces aliénistes postulèrent en somme que lorsqu’un individu abîmait son corps – en consommant trop d’alcool ou en contractant une maladie vénérienne par exemple – il en léguait ensuite des séquelles à ses enfants, lesquels naissaient dès lors déjà tarés (le xixe siècle connaissait le principe de l’évolution, pas les lois de la génétique…). Par conséquent, à part enrayer en amont le processus par des politiques anti-alcooliques et vénériennes ou en dissuadant les personnes saines d’épouser des héréditaires, la médecine ne pouvait pas grand-chose après coup : acquises, les tares étaient indélébiles, d’où l’incurabilité de la plupart des aliénés, au corps et au cerveau irrémédiablement lésés.

8Justifiant le ratage asilaire (si les aliénés ne guérissaient pas, ce n’était pas la faute des médecins, mais parce qu’ils étaient incurables…), la doctrine dégénérative basculait du même coup l’aliénisme vers une vision beaucoup plus défaitiste de la maladie mentale. Il ne s’agissait ainsi plus tant de guérir les fous que de protéger les sains – certains commençant même à penser qu’il vaudrait peut-être mieux stériliser (voire éliminer) les dégénérés. Mais outre qu’elle ouvrait donc la voie aux dérives eugénistes de l’entre-deux-guerres, la diffusion de cette théorie eut une autre conséquence : en portant l’accent sur les mécanismes somatiques, elle entraîna une forte sexualisation des troubles psychiques. Car si l’on considérait que le corps était tout, que toute l’hérédité et les caractéristiques mentales des individus se lisaient dans ses stigmates, alors les hommes et les femmes, dont les physiques dissemblaient, avaient aussi, logiquement, des psychologies distinctes.

Le sexe faible, maladif et fou

  • 23 Crichton-Browne 1892 : 949.
  • 24 Moscucci 1990, pour un exemple d’analyse gynécologique de troubles mentaux : Barnes 1890.
  • 25 Kent 1990 ; Moscucci 1990 ; Oppenheim 1991 ; Sheehan 1997 ; Scull 2006.

9Suivant la logique de leur nouvelle doctrine, les aliénistes se mirent ainsi à chercher dans le physique des femmes les contours de leurs aptitudes mentales, la « meilleure façon de connaître les différences entre les intellects des hommes et des femmes » étant « de considérer la différence qu’il y a entre leurs corps »23. Or la différence la plus évidente se situant sous la ceinture, c’est là que les experts regardèrent en priorité. Pour les plus convaincus du lien indéfectible entre corps et esprit, tout le mystère de la psyché féminine se trouvait même là : dans les ovaires, l’utérus et la vulve. Les gynécologues de Grande-Bretagne étaient d’ailleurs entièrement d’accord avec cette idée24. Puisque traiter le bas-ventre d’une femme revient à traiter son esprit nous sommes les mieux placés pour le faire, conclurent-ils, préconisant notamment la pratique d’opérations sexuelles
– ovariotomie et clitoridectomie25 – non pas pour régler des problèmes gynécologiques, mais bien pour soigner des troubles mentaux. Ceci étant, précisément parce qu’à trop porter l’accent sur le pubis les aliénistes risquaient d’être doublés par les gynécologues, ils insistèrent aussi sur un autre point : chez la femme, ce n’était pas seulement l’organe reproducteur qui différait, c’était aussi le cerveau.

  • 26 Descendant d’une famille de médecins écossais, James Crichton-Browne (1840-1938) dirigea l’asile de (...)
  • 27 Crichton-Browne 1879.

10Outre-Manche, la question de la spécificité du cerveau féminin fut posée frontalement en 1879 par James Crichton-Brown26, co-fondateur du célèbre journal Brain, dans une étude fameuse portant sur la dissection de 400 cerveaux d’aliénés27, Crichton-Brown y notait en particulier le fait suivant, déjà relevé en France par Broca : chez les humains, fous ou non, les cerveaux des hommes étaient en moyenne plus lourds. On pouvait, selon lui, en déduire deux choses. D’une part, puisque l’espèce humaine se trouvait, bien sûr, au sommet de l’évolution, cette non similitude de poids montrait qu’à tous points de vue, cérébral compris, femelles et mâles étaient voués à se distinguer, le cours normal de l’évolution tendant ainsi à accentuer les caractéristiques des sexes. D’autre part, la quantité de masse cérébrale étant forcément, pour Crichton-Brown, un indice de puissance intellectuelle, les femmes, qui avaient déjà moins de muscles, étaient donc également désavantagées sous le rapport de la raison, deux aspects justifiant pleinement qu’on les qualifie de sexe faible.

  • 28 Maines 2009.

11Un utérus et quelques cent grammes de cerveau en moins, telles étaient ainsi, en résumé et selon les aliénistes évolutionnistes, les caractéristiques essentielles du corps des femmes et, partant, de leur psychologie. Or, à les croire, puisque d’un côté les organes sexuels féminins avaient pour seul but d’enfanter (les médecins estimant que la recherche du plaisir était accessoire chez les femmes, voire pathologique28) et que de l’autre le cerveau féminin était impropre à l’effort, la nature ne destinait donc visiblement les femelles humaines qu’à une chose : être mères. Pour rester saines, il leur suffisait dès lors de suivre trois règles : 1) préserver leur capacité reproductive ; 2) privilégier les occupations d’intérieur, leur nature de génitrices leur intimant de fonder un foyer ; 3) proscrire les activités violentes, contraires à la douceur maternelle.

  • 29 Les manuels médicaux du xixe siècle regorgent ainsi de descriptions fantasmatiques de clitoris de l (...)
  • 30 Ainsi d’après les médecins du xixe siècle, la nymphomanie se soldait soi-disant souvent par la mort (...)
  • 31 Maudsley, 1874 : 466-467.
  • 32 Vertinsky 1990.

12Enfreindre l’une de ces règles revenait a contrario à violenter la nature profonde du corps et de l’esprit féminins. Pour commencer, que des femmes se livrent au débordement des sens (ce qui était déjà contre-nature), mais, pire encore, tirent du plaisir hors de toute visée reproductive (par coït protégé, onanisme, lesbianisme ou autre) déréglait forcément leur appareil reproducteur, lequel dans ce cas se masculinisait29 ou s’échauffait jusqu’à provoquer la folie et/ou la mort30. La continence maritale s’imposait donc et il était bien sûr hors de question d’encourager la contraception ou l’avortement. Par ailleurs, de même le bas-ventre de la jeune fille, particulièrement susceptible en son âge charnière de contracter des habitudes contre-nature, devait-il être gardé des tentations, de même fallait-il aussi protéger l’autre organe sensible de son psychisme : son cerveau. S’il était ainsi utile d’éduquer les filles pour qu’elles soient de bonnes épouses et mères, il était par contre dangereux de les soumettre à une stimulation intellectuelle intense puisque leur cerveau n’était pas fait pour cela et qu’elles ne pouvaient, en outre, « supporter sans heurts d’être soumises à une tension mentale intense au moment même où leur corps subissait aussi une tension physique extrême »31. Enfin, frêles et douces, les femmes qui se risquaient à pratiquer un sport ou, pire, à manier des armes, sombraient presque inévitablement dans la démence, tant le corps féminin était étranger à ces activités32.

  • 33 Maudsley 1874 : 468.
  • 34 Maudsley 1874 : 479.
  • 35 Maudsley 1874 : 477.
  • 36 Mitchell cité par Scull (Scull 2009 : 99).

13Les femmes se hasardant à vivre contre la « tyrannie de leur organisation »33 en tiraient donc nécessairement des séquelles, allant de la fatigue à la plus sévère aliénation. Par conséquent, toute femme présentant un de ces traits de caractère (un manque de pudeur, une passion intellectuelle, etc.) devait être considérée comme une malade requérant d’être soignée, sans quoi sa santé et, au-delà, celle de la race, serait compromise. Suivant la doctrine héréditaire, les déréglées menaçaient en effet ensuite de léguer leurs anormalités, menace d’autant plus grande que les tares se transmettaient plus aisément de la mère à l’enfant en raison du passage in utero. Dans le cadre de ce schéma médical, vouloir que les femmes votent, apprennent ou travaillent à l’égal des hommes n’avait donc aucun sens. « L’infériorité de constitution » physique et mentale du « sexe faible » était déjà en soi une évidence « physiologique »34 qu’il était absurde de nier. Puis, surtout, œuvrer dans le sens d’une égalité factice entre hommes et femmes impliquait d’obérer le mouvement naturel de différenciation des sexes et, à terme, l’avenir de l’espèce. Les réformateurs étaient prévenus : autoriser les femmes à se rapprocher des hommes conduirait, au mieux, à l’avènement d’une société d’individus « sans sexe »35 semblable à celle des fourmis, au pire à une dégénérescence généralisée de l’humanité tirée en arrière par des femelles « vampires »36.

Succès et désaveu d’une théorie

  • 37 Maudsley 1874 : 479.
  • 38 Dans l’entre-deux-guerres, certains asiles comptaient jusqu’à 30% de plus de femmes (Chesler 1975, (...)
  • 39 Blandford est ainsi connu pour son concept de « folie morale », soit l’idée que, même raisonnable, (...)

14De nombreux auteurs ont souligné le caractère implacable de ce raisonnement qui, s’adossant à la prétendue « vérité physiologique »37, ne justifiait pas seulement les attentes d’une certaine société victorienne en terme de pudeur féminine, mais allait même jusqu’à promouvoir la répression des originales en incitant les maris à hospitaliser toutes celles qui se comportaient de façon « anti-naturelle » au nom de la préservation de l’évolution. Bien que ce ne soit pas la seule raison de cette mutation statistique, on peut dès lors soupçonner que la tendance à interner plus de femmes qui apparut à la fin du xixe siècle ait pour partie pris sa source dans cette exhortation38. Le message eut un effet d’autant plus ravageur qu’en Grande-Bretagne il fut porté par certains des plus grands noms de la psychiatrie. On a mentionné en introduction George Fielding Blandford pour qui toute idée « amorale » était un signe de folie39 et qui justifia donc qu’on enferme des femmes comme Edith Lanchester précisément parce qu’elles contestaient le bien-fondé des bienséances. Or Blandford présida rien moins que la Medico-Psychological Association (l’association professionnelle des aliénistes britanniques) en 1877, un titre, qui, si l’on ne doit en citer qu’un, suffit à attester de son renom. Mais en ce qui concerne la ligne la plus pure de l’évolutionnisme psychiatrique, il faut ici surtout insister sur deux autres personnalités également évoquées : Henry Maudsley et John Crichton-Browne, les deux plus fameux aliénistes britanniques à avoir défendu la thèse du sexe faible. Maudsley et Crichton-Browne n’étaient en effet pas seulement des proches de Darwin, la caution ultime en matière de réflexion évolutionniste, ils étaient eux-mêmes des figures de l’intelligentsia, les leçons de Maudsley à l’université de Londres faisant salle comble, tandis que Crichton-Browne brillait en collaborateur de Brain. Si l’on ajoute que ces deux docteurs furent eux aussi élus à la tête de la Medico-Psychological Association (en 1871 et 1886), on comprendra, sans avoir tous les détails de leur carrière, combien ils brillaient sur la scène médicale.

  • 40 Cricthon-Browne 1884.

15Dans ces conditions, il est indéniable que leur avis d’experts eut une large résonance, Maudsley et Crichton-Browne s’étant en outre adressés tant aux scientifiques qu’au grand public. Entre autres exemples d’influence, lorsqu’en 1878 la British Medical Association (l’association générale des médecins britanniques) choisit de refuser d’admettre des femmes, elle broda ainsi autour de leurs idées et objecta de l’inaptitude du psychisme féminin à faire face aux exigences du métier. Plus significatif encore, quand les autorités voulurent évaluer les réformes à entreprendre dans les écoles londoniennes en 1884, elles décidèrent de consulter un spécialiste du développement cérébral et se tournèrent vers… Crichton-Browne qui en profita, bien sûr, pour s’alarmer de l’impact des écoles féminines sur la santé des filles40. L’un dans l’autre, il semble donc bien qu’à la fin du xixe siècle, pouvoirs britanniques médicaux et profanes aient été tous convaincus de l’infirmité de l’esprit féminin.

  • 41 Cricthon-Browne 1892.
  • 42 Le débat se prolongea dans le British Medical Journal de mai à juillet. On reprocha notamment à Cri (...)

16Et pourtant, derrière cette apparente réussite et à bien y regarder, le triomphe du cerveau faible fut en fait assez court en Grande-Bretagne, où cette thèse fut, si ce n’est démentie, du moins mise de côté quelques quinze ans après avoir été validée par le milieu scientifique. Ainsi, tandis que la date de l’exclusion des femmes-médecins (1878) est toujours citée comme preuve du règne de la misogynie médicale outre-Manche, on oublie souvent en revanche de mentionner qu’en 1893 la British Medical Association fit marche arrière et décida, non seulement d’accepter les femmes, mais même de les encourager. Sentant le vent tourner, un an auparavant Crichton-Browne lui-même avait pourtant insisté une fois encore sur les limites du cerveau féminin dans un discours prononcé au 110e congrès de la Société médicale de Londres et publié dans le British Medical Journal41. Mais cette fois-ci, à sa grande surprise, l’éminent médecin fut violemment attaqué42. Et quand en 1894 ses propres collègues aliénistes de la Medico-Psychological Association votèrent à leur tour, ils se rangèrent à l’avis général et admirent les femmes presque sans discussion. Sans aller pour autant jusqu’à dire que plus aucun médecin de Grande-Bretagne ne croyait à l’infériorité psychique des femmes en 1894 (c’était loin d’être le cas), ces votes montrent en tout cas clairement que cette thèse avait alors largement perdu de son aspect consensuel. Maudsley d’ailleurs ne s’y trompa pas qui, déçu, cessa à l’époque de fréquenter cette communauté médicale britannique dont les choix institutionnels constituaient un désaveu implicite de ses positions théoriques.

Les psychiatres vus par les femmes

Les patientes contre l’autorité médicale

  • 43 Walkowitz 1980 ; Kent 1990.
  • 44 Notamment Josephine Butler (1828-1906) et Elizabeth Wolstenholme-Elmy (1833-1918) autour de la Ladi (...)
  • 45 Butler 1896.
  • 46 Wilkinson 1870 : 15.
  • 47 Kent 1990 : 127-135.

17Or autant on s’est attaché à décrypter la façon dont les théories sur l’infériorité féminine ont envahi l’espace scientifique, public et privé, au point que des femmes finissent par s’auto-convaincre de leur infirmité – symptôme ultime d’aliénation – autant on s’est finalement peu interrogé sur le processus inverse qui a, a contrario, conduit à défaire leur emprise. Précisément, que se passa-t-il entre les années 1870 et 1890 pour que certains médecins commencent ainsi à se distancer ? En l’occurrence, et contrairement à d’autres contextes, il s’avère qu’en Grande-Bretagne ces thèses suscitèrent une forte réaction – et une réaction organisée – chez les malades, un phénomène qui n’est certes pas la seule cause de leur chute mais qui y contribua néanmoins largement. Des historiens ont ainsi déjà décrit l’importance du courant de protestation qui suivit le vote de la loi sanitaire de 186443. Cette disposition permettait en effet à la police d’arrêter les femmes qu’elle jugeait prostituées, puis autorisait ensuite les médecins à les examiner de force et à les retenir autant de temps qu’ils le voulaient – les clients mâles n’encourant, eux, aucune mesure. Or cette loi souleva une vague de colère sans précédent contre la médecine, certains et surtout certaines44 décidant alors de s’organiser pour la faire révoquer et pour dénoncer les appétits malsains qu’ils estimaient être derrière cette mesure. Car s’il s’agissait vraiment de juguler le péril vénérien les docteurs viseraient aussi les hommes, estimèrent ces sceptiques45. S’ils ne s’attaquaient qu’aux femmes, c’était donc qu’ils n’étaient pas guidés par un but sanitaire, mais bien par un « désir médical effréné de manipuler et de dominer les femmes »46. Suscitant la parole des patientes, la campagne révéla ainsi l’ampleur de leur mécontentement, nombre d’entre elles mentionnant notamment à cette occasion le goût immodéré des docteurs pour les palpations douteuses47. Mais si le rôle de cette bataille dans la constitution de la sensibilité féministe outre-Manche est donc relativement bien connu, on a en revanche peu (voire pas) pensé à la rapprocher d’un autre combat, et pour cause : qui se douterait qu’une des plus grandes victoires des femmes fut obtenue contre les psychiatres, parangons de l’autorité médicale s’il en est.

  • 48 Le mot est employé, par exemple, dans la bibliographie de témoignages de patients compilée par Gail (...)
  • 49 Fauvel 2005.
  • 50 Mellett 1981.
  • 51 Créée par John Perceval (1803-1876), The Alleged Lunatics’ Friend Society (la société des soi-disan (...)
  • 52 Bien que Louisa Lowe soit connue des historiens (Bennett, Nicholson & Porter 2003 ; Owen 1989 ; Bla (...)
  • 53 Sur l’idée que l’hystérique, via ses maux et ses convulsions, traduit dans son corps sa révolte con (...)

18Marquée par l’image d’un « pouvoir psychiatrique » tout-puissant, l’historiographie voit généralement le xixe comme le siècle où la voix des aliénés a été brisée, confisquée par les médecins et cloîtrée à l’asile. Dès lors, quand des exemples de fous s’étant exprimés en public ont malgré tout été découverts, ils ont été perçus comme des exceptions extraordinaires de « survivants »48 et étudiés au cas par cas, sans qu’on s’interroge sur l’existence possible d’une contre-culture aliénée collective49. Pourtant ce n’est pas un hasard si en certaines périodes et en certains lieux les publications de malades ont été plus nombreuses : il s’avère que le silence des patients a en fait été relatif, le schéma foucaldien s’appliquant en l’espèce mieux à la France qu’à la Grande-Bretagne. Le droit anglais offre en effet déjà la garantie de toujours pouvoir en appeler à l’habeas corpus et d’exiger d’être entendu par la justice. Or cette procédure, normalement exceptionnelle, fut précisément détournée par les aliénés pour contourner le silence asilaire, tant et si bien que pour en éviter l’occurrence les autorités finirent même en 1845 par instituer des commissions de civils chargées de recueillir les doléances des patients, sans que les médecins puissent s’y opposer50. En raison de ces particularités législatives, les Britanniques s’habituèrent ainsi plus qu’ailleurs à écouter les malades, ce qui explique sans doute pourquoi c’est aussi chez eux que fut fondée la toute première association de patients psychiatriques qui s’efforça, dès 184551, de peser sur les politiques (à titre de comparaison des associations similaires ne sont apparues en France que dans les années 1970). Dans ces conditions, quand les aliénistes s’en prirent plus spécialement au sexe faible, il n’est pas étonnant qu’une autre association soit alors née : The Lunacy Law Reform Association ouverte par une femme, Louisa Lowe, en 187452. Bien plus que chez les hystériques en qui certains ont voulu voir des résistantes paradoxales au pouvoir médical53, c’est ainsi plutôt du côté de Lowe et de ses semblables qu’il faut chercher les signes d’une première entreprise féminine de déconstruction du discours psychiatrique. Car non seulement ces « folles » prirent la parole, mais elles obtinrent même gain de cause, le parlement finissant, comme on le verra, par modifier la loi asilaire selon leurs recommandations.

De l’incompétence et de la bêtise des médecins mâles

  • 54 Éditeur engagé, John Lane (1854-1925) a fortement influencé l’avant-garde. Outre la publication de (...)
  • 55 Mélomane, pédagogue et militante spirite, Georgina Weldon (1837-1914) – ayant réussi à échapper à u (...)
  • 56 Lowe 1883 ; Weldon 1882.
  • 57 Owen 1989 ; Walkowitz 1992 ; Bennett, Nicholson & Porter 2003.
  • 58 Lanchester 1983 ; Owen 1989 ; Bland 1995.
  • 59 Charles Reade (1814-1884) est notamment l’auteur d’Hard Cash (1863), une histoire d’internement arb (...)

19Que ce soient les gynécologues ou les psychiatres, les médecins les plus convaincus de la débilité du sexe faible se heurtèrent donc outre-Manche à l’opposition des femmes, lesquelles contre-attaquèrent sur trois plans. Dans le cadre des associations, les militantes s’efforcèrent d’abord de faire connaître des exemples d’abus médicaux. On a mentionné les témoignages évoquant d’étranges touchers gynécologiques lors de la campagne contre la loi de 1864. Dans le même esprit, la presse à sensation et des éditeurs parfois très renommés comme John Lane54 s’occupèrent aussi de relayer les récits de femmes ayant eu, elles, affaire aux experts de l’esprit. Aussi bien Louisa Lowe que Georgina Weldon55, la recrue la plus célèbre de son association, donnèrent ainsi des comptes-rendus horrifiques de leurs rencontres avec l’aliénisme sous forme de livres56, d’articles, de conférences, de tournées publicitaires…, au point que Weldon finit même par tirer un revenu substantiel de ses activités anti-aliénistes57. Quant à Edith Lanchester, évoquée en introduction, elle fit appel à ses camarades socialistes, qui alertèrent la presse et organisèrent des manifestations en son honneur58. Suivant l’exemple du romancier Charles Reade59, un proche de Louisa Lowe, ces femmes surent à chaque fois jouer du goût des Britanniques pour le gothique et les histoires de savants fous. C’est ainsi par le biais d’anecdotes terrifiantes et en posant en martyres d’une science masculine dénaturée qu’elles parvinrent à attirer l’attention du public et à bousculer le mythe de l’impartialité médicale.

  • 60 La « rest-cure » est associée au nom de l’américain Weir Mitchell (1829-1914). Il s’agissait d’obli (...)
  • 61 C.S.C. (Churchill) 1912, en réponse à un article d’Almroth Wright (Wright 1912).

20Outre ces campagnes à sensation, les patientes s’efforcèrent aussi, plus positivement, d’apporter leur point de vue sur ce que pourrait être une bonne médecine mentale pour les femmes. Quand aliénistes et gynécologues insistaient sur la physiologie, elles soulignèrent au contraire l’importance du social dans l’apparition de la folie féminine. Moins que la menstruation, l’hérédité ou la petitesse de leur cerveau, c’étaient surtout les attentes de l’entourage qui expliquaient pourquoi les femmes étaient souvent sujettes aux troubles nerveux. Tiraillées entre la réalité de leurs désirs et la modération exigée par la société, elles passaient en effet leur temps en porte-à-faux et étaient donc plus susceptibles de craquer. Dans cette équation, les médecins n’étaient d’aucune aide : en naturalisant l’infériorité sociale des femmes, ils apportaient, au mieux, des réponses thérapeutiques inadaptées et contribuaient, au pire, à l’hypocrisie collective en aidant à subjuguer les récalcitrantes – les opérations sexuelles, l’internement ou le « rest-cure »60 étant ainsi plus des punitions que de réels traitements. Pour remédier au problème, il fallait dès lors en passer par une meilleure surveillance des médecins (d’où les campagnes pour changer les législations vénériennes et asilaires), par une écoute plus attentive des patientes et, enfin, par la féminisation de la profession médicale, seule une femme pouvant en comprendre une autre. Quant à la question de savoir si le corps féminin était si débile qu’il devait être placé sous tutelle, certaines choisirent de répondre par l’humour. Car après tout, comme le remarqua l’épouse d’un certain Winston Churchill, si les femmes étaient si handicapées pourquoi les docteurs ne proposaient pas tout simplement de les « abolir » ?61

  • 62 Sophia Jex-Blake (1940-1912) et Elizabeth Blackwell (1821-1910) ont appartenu au « groupe des sept  (...)
  • 63 Kent 1990 : 131-132.
  • 64 Née à Londres Mary Corinna Putnam Jacobi (1842-1906) vécut ensuite aux États-Unis, avant de retourn (...)
  • 65 Américaine, Charlotte Perkins Gilman (1860-1935) est célèbre pour avoir montré dans une nouvelle (G (...)

21Pour finir, la meilleure façon de combattre les thèses aliénistes était encore de les démentir dans la pratique et de prouver que les femmes pouvaient accomplir des activités contre-nature sans pour autant dégénérer ou faire exploser leur cerveau. Presque toutes les patientes qui ont critiqué la psychiatrie ont ainsi été parallèlement de ferventes partisanes de l’éducation et de l’indépendance économique des femmes, à commencer par Weldon qui dirigea une école et se présenta partout comme un exemple vivant de l’aptitude des femmes à vivre en bonne santé, seules et sans la tutelle d’un mari. De façon plus générale, les propos des médecins sur la fragilité féminine ont aussi eu cet effet paradoxal de pousser de nombreuses femmes à entreprendre des études – et particulièrement des études de médecine – pour démontrer le contraire. Ainsi, Sophia Jex-Blake et Elizabeth Blackwell62 avouèrent s’être engagées dans la voie médicale surtout pour lutter contre les « malfaisances » des docteurs mâles, plutôt que par réel goût de la médecine63. Quant à Mary Corinna Putnam Jacobi64 la toute première femme britannique à être devenue médecin (en s’exilant pour ce faire en France), ce n’est pas un hasard si elle choisit ensuite d’exercer comme psychiatre. Elle put dès lors combattre les préjugés de la discipline de l’intérieur en position experte, tout en s’appuyant sur les mots et l’expérience d’une célèbre patiente : Charlotte Perkins Gilman65.

Vers une autre psychologie de la femme ?

  • 66 Internée sept mois, Ann Pratt, simple « mulâtresse », diffusa ensuite un pamphlet à travers Kingsto (...)
  • 67 Lyttelton Stewart Forbes Winslow (1844-1913) reprit la clinique de son père, lui-même aliéniste. De (...)
  • 68 Hamilcar 1910.

22Face à ce mouvement de contestation, la réponse des médecins oscilla initialement entre condescendance et hostilité marquée. Les étudiantes qui forcèrent les portes des universités d’outre-Manche furent ainsi insultées et parfois agressées. Quant aux patientes qui se plaignaient, elles furent traitées d’affabulatrices. Mais le milieu médical dut peu à peu revenir sur ses positions. Il faut dire qu’en plusieurs occasions retentissantes les aliénistes furent publiquement désavoués par les autorités. Entre autres exemples, Georgina Weldon fit reconnaître l’illégalité de sa procédure d’internement, Edith Lanchester sortit de l’asile, quant à l’incroyable Ann Pratt elle parvint du fin fond de l’Empire (Kingston, Jamaïque) à susciter une enquête administrative sur l’ensemble du système asilaire colonial66. Plus impressionnant encore, la loi sanitaire de 1864 fut abandonnée en 1886 suite aux pressions exercées par les femmes et le gouvernement modifia aussi la loi asilaire en 1890 en suivant les recommandations de Louisa Lowe – deux indications lourdes de l’influence que les patientes avaient alors acquise sur la scène publique. En cette fin de siècle, il était ainsi devenu évident que si les médecins ne voulaient pas continuer d’être perpétuellement pris à parti, ils devaient faire un pas vers leurs malades-femmes. Le Dr Forbes Winslow67 donna à cet égard l’exemple de reconversion le plus spectaculaire. D’abord traîné au tribunal pour avoir accepté d’interner Georgina Weldon à la demande de son mari sans même l’avoir vue, Winslow opéra ensuite un virage radical : il commença par s’excuser auprès d’elle, puis devint carrément son ami, avant d’aller jusqu’à préfacer le livre d’une autre déçue de la psychiatrie, Marcia Hamilcar68.

  • 69 Anonyme 1893 : 598-602.
  • 70 Almroth Wright (1861-1947) est connu pour avoir mis au point un vaccin contre la typhoïde.
  • 71 Wright 1913.
  • 72 Thomas Claye Shaw (1841-1927) exerça dans divers asiles (Colney Hatch, Leavesden, Banstead). Outre (...)
  • 73 Claye Shaw 1908.

23Si l’exemple de Winslow est extrême, il n’empêche qu’à partir des années 1890, le milieu médical commença dans son ensemble à adopter une attitude plus prudente vis-à-vis des femmes. Outre les campagnes anti-aliénistes à répétition, un autre facteur joua aussi un rôle déterminant dans cette évolution : le nombre croissant de médecins à avoir croisé des collègues féminines. Or ainsi que le remarquèrent plusieurs d’entre eux lors de la réunion annuelle de la Medico-Psychological Association en 1893, non seulement ces dernières avaient réussi à suivre des études, mais elles se révélaient aussi d’excellentes praticiennes, le tout sans qu’on ne note chez elles de signes de dégénérescence69. Il fallait donc se rendre à l’évidence : le cerveau féminin n’était sans doute pas si faible que cela et il n’y avait peut-être pas de contre-indication absolue à ce que les femmes exercent des activités dites masculines. Tous n’acceptèrent évidemment pas ce revirement. On a évoqué le dépit de Maudsley retranché dans le mutisme, la conviction de Crichton-Browne réitérée jusqu’à sa mort, tandis qu’Almroth Wright70 (biologiste et partisan de la psychologie évolutionniste traditionnelle) fut un leader de l’anti-suffragisme71. Ceci étant, il faut noter – un peu plus qu’on ne l’a fait – que les propos de plus en plus exagérés de ces hommes venaient pour beaucoup de ce qu’ils sentaient précisément que leurs confrères s’étaient mis à douter de l’infériorité féminine, comme le montrèrent d’ailleurs les votes de 1893 et 1894 à la British Medical Association et à la Medico-Psychological Association ainsi que l’admission d’une quarantaine de femmes médecins dans la foulée. Quelques années plus tard Thomas Claye Shaw72, un autre célèbre aliéniste, résuma l’état d’esprit qui était à présent celui de nombreux médecins : il faut admettre que les prouesses accomplies par les femmes nous ont prises de court, dit-il, c’est donc bien la preuve qu’elles ont une « psychologie spéciale »… spécialement imprévisible, évolutive et qu’il faut sans doute intégralement repenser73.

  • 74 Wright 1912.
  • 75 Thomas Claye Shaw, qui n’avait pourtant rien d’un révolutionnaire, attaqua ainsi le diagnostic de f (...)

24L’étude des rapports entre psychiatrie et histoire des femmes s’est souvent faite sur le mode de la dénonciation, les chercheuses ayant souligné l’utilisation de la soi-disant science de l’esprit à des fins de répression, allant même, comme Phyllis Chesler, jusqu’à soutenir des actions en justice contre des psychiatres. Mais si cette mise en avant militante de la victimisation des femmes par les médecins est une veine utile et même nécessaire de l’historiographie, il n’empêche qu’elle a conduit à éclipser un autre versant : la façon dont les patientes se sont essayées, parfois avec succès, à répondre aux docteurs. Dans la lignée d’une histoire des sciences qui s’attache aujourd’hui aux interactions entre paroles profanes et expertes, on s’est ainsi efforcé ici de montrer que même le savoir psychiatrique n’a pas été imperméable aux réactions des malades – celles-ci ayant réussi côté britannique à ébranler leur vision de la psyché féminine. Il ne faudrait pas, cependant, aller jusqu’à renverser l’équation. L’exemple britannique est déjà en soi une exception. Et, surtout, si les femmes y réussirent à contester les théories du cerveau faible, celles-ci ne disparurent pas pour autant de l’arrière-plan des représentations. Quand au début du xxe siècle les suffragettes durcirent leur mouvement, ces thèses revinrent ainsi au goût du jour. On traita ces femmes d’hystériques74, on dit que leurs actes prouvaient combien le cerveau féminin était imparfait et l’on appela logiquement les médecins en renfort : des militantes furent internées et ordre fut donné, en cas de grève de la faim, de les gaver de force comme on le faisait pour certains aliénés – cet épisode illustrant une fois encore la collusion entre psychiatrie et sujétion des femmes. Cependant là aussi la situation se retourna. Car non seulement les aliénistes supportèrent mal d’être aussi ouvertement réquisitionnés, mais ils avaient là une nouvelle démonstration des apories de leurs concepts. En effet, si les femmes étaient vraiment un sexe faible et nerveusement fragile, comment pouvaient-elles dans ce cas réussir à s’organiser et même à tenir le gouvernement en otage ? Tirant les conclusions qui s’imposaient, certains changèrent alors de bord et soutinrent les suffragettes75 – des psychiatres devenant en somme féministes, un événement impensable trente ans auparavant et qui apporta un revirement inattendu au long chassé-croisé entre médecins et patientes. Là encore, cette histoire britannique n’est pas transposable. Mais elle illustre néanmoins un autre aspect du lien entre féminisme et psychiatrie, les outrances médicales ayant ainsi parfois joué un rôle paradoxal, aidant autant à faire le mouvement des femmes qu’à le défaire.

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Bibliographie

 

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Notes

1 George Fielding Blandford (1829-1911), voir la seconde partie pour plus d’informations biographiques.

2 Extrait d’une lettre envoyée par Blandford à la presse pour se justifier (Anonyme 1895).

3 Lanchester 1983 ; Showalter 1987 : 146-147.

4 Le champ de l’histoire psychiatrique est assez mixte, hormis sur la question du traitement différencié des sexes où la quasi-totalité des travaux ont été écrits par des historien-ne-s (Tomes 1994).

5 Chesler 1975.

6 Appignanesi 2008.

7 Showalter 1987.

8 L’usage de cette abréviation est justifié par les historiens, dans le sens où les différenciations disciplinaires entre psychiatrie, psychologie, psychanalyse, etc. ne sont pas toujours opératoires pour saisir la dynamique d’ensemble du champ.

9 À titre d’exemple, une première femme ne devint médecin-chef d’un asile en France qu’en 1920 (Constance Pascal à Prémontré).

10 Comme on le verra, Edith Lanchester finit en effet par être libérée. De façon générale, indiquons ici à titre d’exemple que les femmes furent, entre autres, beaucoup plus souvent lobotomisées que les hommes (Showalter 1987).

11 Comme l’expliquent les notes 16 et 19, l’Écosse a un régime de santé indépendant. Ceci étant, comme le débat sur les femmes toucha l’ensemble du territoire britannique, on parlera ici de « Grande-Bretagne ».

12 Foucault 2003.

13 Moral est ici entendu au sens d’antonyme de physique (le physique et le moral).

14 Chesler 1975 ; Showalter 1987 : 3.

15 Tomes 1990 ; Fauvel 2010.

16 En France, la loi obligea chaque département à prendre en charge ses aliénés indigents en finançant des établissements prévus à cet effet (les asiles) à partir de 1838. En Angleterre et au Pays de Galles une loi similaire d’ensemble fut adoptée en 1845, l’Écosse bénéficiant quant à elle d’un système indépendant.

17 Scull 2004.

18 D’une dizaine de milliers dans les années 1840, les internés du secteur public britannique étaient passés à 50 000 dans les années 1860, pratiquement 70 000 en 1871, plus de 100 000 en 1900 (Scull 2004) – une évolution similaire à la France (Chapireau 2007, Fauvel 2010).

19 Écossais et Belges se distinguèrent ici en décidant de tester à large échelle le suivi « en liberté » des aliénés dans des familles d’accueil et des petites structures. Un siècle avant la mise en place du secteur en France, un tiers des malades écossais bénéficiaient ainsi déjà d’une prise en charge hors-structure.

20 Brillant orateur, Henry Maudsley (1835-1918) fut notamment professeur de jurisprudence médicale à l’université de Londres de 1869 à 1879. Il dirigea toute sa vie une maison de santé privée pour femmes.

21 Valentin Magnan (1835-1916) fit toute sa carrière à Ste-Anne comme médecin-chef du bureau des admissions.

22 Pick 1989.

23 Crichton-Browne 1892 : 949.

24 Moscucci 1990, pour un exemple d’analyse gynécologique de troubles mentaux : Barnes 1890.

25 Kent 1990 ; Moscucci 1990 ; Oppenheim 1991 ; Sheehan 1997 ; Scull 2006.

26 Descendant d’une famille de médecins écossais, James Crichton-Browne (1840-1938) dirigea l’asile de Wakefield (1866-1875) puis fut nommé inspecteur en chef du service asilaire en 1876, fonction qu’il occupa pendant quarante-cinq ans.

27 Crichton-Browne 1879.

28 Maines 2009.

29 Les manuels médicaux du xixe siècle regorgent ainsi de descriptions fantasmatiques de clitoris de longueur démesurée devenus des proto-verges à force de plaisir (Laqueur 2005).

30 Ainsi d’après les médecins du xixe siècle, la nymphomanie se soldait soi-disant souvent par la mort des malades (Fauvel 2012).

31 Maudsley, 1874 : 466-467.

32 Vertinsky 1990.

33 Maudsley 1874 : 468.

34 Maudsley 1874 : 479.

35 Maudsley 1874 : 477.

36 Mitchell cité par Scull (Scull 2009 : 99).

37 Maudsley 1874 : 479.

38 Dans l’entre-deux-guerres, certains asiles comptaient jusqu’à 30% de plus de femmes (Chesler 1975, Chapireau 2007). La tendance s’est inversée, plus d’hommes étant aujourd’hui hospitalisés dans les services fermés.

39 Blandford est ainsi connu pour son concept de « folie morale », soit l’idée que, même raisonnable, toute personne défendant des idées amorales peut être dite malade.

40 Cricthon-Browne 1884.

41 Cricthon-Browne 1892.

42 Le débat se prolongea dans le British Medical Journal de mai à juillet. On reprocha notamment à Crichton-Browne de ne pas tenir compte de la moindre corpulence des femmes dans le calcul du ratio de matière cérébrale homme/femme et de ne pas évoquer les facteurs sociaux dans la constitution de la fragilité nerveuse féminine.

43 Walkowitz 1980 ; Kent 1990.

44 Notamment Josephine Butler (1828-1906) et Elizabeth Wolstenholme-Elmy (1833-1918) autour de la Ladies’ Association Against the Contagious Diseases Act fondée en 1869.

45 Butler 1896.

46 Wilkinson 1870 : 15.

47 Kent 1990 : 127-135.

48 Le mot est employé, par exemple, dans la bibliographie de témoignages de patients compilée par Gail Hornstein (Hornstein 2011).

49 Fauvel 2005.

50 Mellett 1981.

51 Créée par John Perceval (1803-1876), The Alleged Lunatics’ Friend Society (la société des soi-disant fous) fut active de 1845 à 1863 (Hervey 1986).

52 Bien que Louisa Lowe soit connue des historiens (Bennett, Nicholson & Porter 2003 ; Owen 1989 ; Bland 1995), personne n’a encore précisément étudié son association. On ne sait donc ni combien elle avait d’adhérents, ni qui la composait, même si son premier rapport confirme qu’elle attirait surtout des femmes (Lowe 1874).

53 Sur l’idée que l’hystérique, via ses maux et ses convulsions, traduit dans son corps sa révolte contre l’autorité masculine et médicale : Cixous & Clément 1975, Foucault 2003. Cette thèse a beaucoup été critiquée côté « anglo-saxon », Showalter 1987, Caminero-Santangelo 1998. Pour un résumé du débat : Tomes 1994.

54 Éditeur engagé, John Lane (1854-1925) a fortement influencé l’avant-garde. Outre la publication de The Yellow Book on lui doit ainsi celle de Professor Hieronimus (Skram 1899), roman écrit depuis l’asile par la romancière norvégienne Amalie Skram (1846-1905).

55 Mélomane, pédagogue et militante spirite, Georgina Weldon (1837-1914) – ayant réussi à échapper à un internement requis par son époux en 1878 – passa ensuite le reste de sa vie à militer contre la collusion médecins-maris.

56 Lowe 1883 ; Weldon 1882.

57 Owen 1989 ; Walkowitz 1992 ; Bennett, Nicholson & Porter 2003.

58 Lanchester 1983 ; Owen 1989 ; Bland 1995.

59 Charles Reade (1814-1884) est notamment l’auteur d’Hard Cash (1863), une histoire d’internement arbitraire qui fut rééditée à sept reprises jusqu’en 1914.

60 La « rest-cure » est associée au nom de l’américain Weir Mitchell (1829-1914). Il s’agissait d’obliger les femmes qui s’étaient « épuisées intellectuellement » à suivre un régime grossissant et un repos forcé pendant plusieurs semaines. Virginia Woolf y fut, par exemple, soumise.

61 C.S.C. (Churchill) 1912, en réponse à un article d’Almroth Wright (Wright 1912).

62 Sophia Jex-Blake (1940-1912) et Elizabeth Blackwell (1821-1910) ont appartenu au « groupe des sept » premières femmes à avoir tenté de s’inscrire ensemble dans une université de médecine britannique. Après avoir été finalement rejetée, Jex-Blake ouvrit une université médicale pour femmes à Londres en 1874.

63 Kent 1990 : 131-132.

64 Née à Londres Mary Corinna Putnam Jacobi (1842-1906) vécut ensuite aux États-Unis, avant de retourner en Grande-Bretagne puis de passer à Paris où elle reçut son doctorat de médecine en 1871. Elle revint par la suite aux États-Unis.

65 Américaine, Charlotte Perkins Gilman (1860-1935) est célèbre pour avoir montré dans une nouvelle (Gilman 1892) comment, le « rest-cure » pouvait au contraire rendre fou (un récit inspiré par sa propre expérience). Sur les liens et l’inspiration réciproque entre Perkins Gilman et Jacobi : Bittel 2009.

66 Internée sept mois, Ann Pratt, simple « mulâtresse », diffusa ensuite un pamphlet à travers Kingston sur les cas de torture qu’elle avait vus à l’asile (Pratt 1860). Il s’ensuivit une enquête locale en 1861, puis une investigation à travers l’empire en 1863 (Jones 2008).

67 Lyttelton Stewart Forbes Winslow (1844-1913) reprit la clinique de son père, lui-même aliéniste. Devenu célèbre à la suite de l’affaire Weldon, Winslow accéda ensuite plus encore à la postérité en enquêtant sur Jack l’éventreur, manifestant tant d’intérêt pour ses crimes qu’on finit par le soupçonner d’être lui-même l’assassin.

68 Hamilcar 1910.

69 Anonyme 1893 : 598-602.

70 Almroth Wright (1861-1947) est connu pour avoir mis au point un vaccin contre la typhoïde.

71 Wright 1913.

72 Thomas Claye Shaw (1841-1927) exerça dans divers asiles (Colney Hatch, Leavesden, Banstead). Outre une première expérience réussie de psychochirurgie sur un paralytique général, il est connu pour ses analyses des liens entre crime et folie.

73 Claye Shaw 1908.

74 Wright 1912.

75 Thomas Claye Shaw, qui n’avait pourtant rien d’un révolutionnaire, attaqua ainsi le diagnostic de folie (Claye Shaw 1913), tandis que Charles Mansell Moullin (1851-1940) et Agnes Savill (1875-1964) s’en prirent au gavage décrit comme une torture physique et mentale (Savill, Mansell Moullin & Horsley 1912).

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Pour citer cet article

Référence papier

Aude Fauvel, « Cerveaux fous et sexes faibles (Grande-Bretagne, 1860-1900) »Clio, 37 | 2013, 41-64.

Référence électronique

Aude Fauvel, « Cerveaux fous et sexes faibles (Grande-Bretagne, 1860-1900) »Clio [En ligne], 37 | 2013, mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10972 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10972

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Auteur

Aude Fauvel

Aude Fauvel, collaboratrice à l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique (IUHMSP) de Lausanne, a écrit une thèse sur l’histoire de la psychiatrie française au xixe siècle (EHESS, 2005) et s’est également intéressée aux institutions britanniques de la folie. Examinant le point de vue des patients et la façon dont leurs écrits et paroles ont influencé les représentations de la maladie mentale, elle a plus particulièrement étudié les liens entre histoire médicale, littéraire et artistique, et a aussi exploré les problématiques de genre autour de la question des déviances sexuelles féminines. Ses dernières publications : « Femmes violeuses et hommes bafoués. Sexe, crime et médecine dans la France du xixe siècle » in J.-J. Lefrère, M. Pierssens (dir.). Crimes et délits, 15e colloque des Invalides, Tusson, Le Lérot, 2012, p. 91-116 ; avec Tillier Bertrand, Derniers dessins d’un fou à lier. André Gill, caricaturiste, Tusson, Le Lérot, 2010 ; « A world-famous lunatic. Baron Raymond Seillière (1845-1911) and the patient’s view in transnational perspective », in W. Ernst & T. Mueller (dir.), Transnational Psychiatries. Social and Cultural Histories of Psychiatry in Comparative Perspective c. 1800-2000, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2010, p. 200-228 ; « Women and psychiatric institutionalisation in France », in P. Bourdelais & J. Chircop (dir.), Vulnerabilities, social inequalities and health in perspective, Évora, Ediçoes Colibri, 2010, p. 61-75.
aude-fauvel@hotmail.fr

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