Christine Adams, Poverty, Charity, and Motherhood: Maternal Societies in Nineteenth-Century France
Christine Adams, Poverty, Charity, and Motherhood: Maternal Societies in Nineteenth-Century France, Urbana, University of Illinois Press, 2010, 251 p.
Texte intégral
1Depuis quelques années, les historiens critiquent l’idée que la France ait développé tardivement l’État providence en mettant en avant le rôle joué par les associations et la coopération privé-public dans la charité auprès des indigents au XIXe siècle. Ce système d’assistance élaboré peu à peu était plus répandu que l’on n’imagine et il a également façonné la nature de l’État providence au XXe siècle. Christine Adams se situe dans cette approche renouvelée par des études sur la plus importante association de charité dirigé par des femmes pour les femmes : la Société de Charité Maternelle. Celle-ci soutenait financièrement et émotionnellement des femmes pauvres mariées qui, sans cette aide, risquaient d’envoyer leurs enfants en nourrice, entraînant une rupture du lien maternel et mettant en péril la santé et la vie des nourrissons.
2Fondée en 1788 avec Marie-Antoinette comme patronnesse, la Société de Charité Maternelle fut une institution d’Ancien régime, baignant dans les idées des Lumières. L’hostilité jacobine entraîne sa disparition en 1794 ; elle renaît en 1801. À partir des archives de sept branches – Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Rouen, Limoges et Dijon – C. Adams étudie le fonctionnement de la Société et son rapport avec les instances nationales, départementales et municipales, depuis ses origines jusqu’aux premières années de la Troisième République. Outre la taille et l’importance de la Société, son étude se justifie par l’existence de sources importantes grâce à son partenariat avec l’État.
3Deux chapitres en particulier insistent sur ce rapport, l’un sur l’expansion de la Société sous Napoléon Ier et l’autre qui traite des efforts pour se faire reconnaître comme société d’utilité publique sous la Monarchie de Juillet. Napoléon tolère la Société pendant une décennie avant d’accorder un soutien officiel en 1810, l’année où sa jeune épouse l’impératrice Marie-Louise d’Autriche est enceinte de leur fils, le futur Roi de Rome. La subvention annuelle d’un demi-million de francs est assortie d’une série de contraintes : de nouveaux règlements, une inspection officielle et un taux de souscription élevé par personne. Napoléon voit dans la Société de la Charité Maternelle une extension de l’État qui simultanément reflète son propre pouvoir et son image (à travers sa femme), relie les familles des nobles et des élites à la Cour et à l’État et associe le financement privé aux efforts publics à l’égard des pauvres. Si les mesures mises en place sous Napoléon représentent un extrême dans les efforts que déploie l’État pour contrôler la Société, elles ont établi des façons de faire pour l’avenir : le patronage officiel de la reine ou de l’impératrice, les subventions gouvernementales, le soutien généreux en temps et en argent des femmes aisées et un « statut hybride » qui fait des branches individuelles des « organes semi-officiels de l’État » (p. 81). Au cours des années 1840, de nombreuses succursales ont sollicité le statut d’utilité publique pour pouvoir accepter les donations et legs. L’État exerce en retour davantage d’autorité. C. Adams affirme que la tension fondamentale entre l’État et la Société concernait, d’une part, le « contrôle et la surveillance » et, d’autre part, l’autonomie et le contrôle local (p. 137). À partir de la Troisième République, le soutien étatique à la Société diminue alors que ses membres et ses méthodes apparaissent démodés dans un environnement devenu plus démocratique et anticlérical, en même temps que les craintes concernant la dépopulation font du bien-être des enfants une priorité nationale. Malgré tout, infatigables, les femmes de la Société ont établi, selon C. Adams, des normes pour la charité envers les mères et enfants, qui ont perduré alors même que la Société perdait en importance.
4L’auteure consacre beaucoup de pages au statut juridique et aux finances de la Société mais l’analyse de la transformation de la culture sentimentale des Lumières dans la politique sociale est l’un des points forts du livre. La Société de Charité Maternelle est fondée sur le principe que les mères et l’amour maternel peuvent devenir une force active dans l’amélioration de la société. Les mères pauvres sont ainsi encouragées à établir des liens affectueux avec leurs enfants au lieu de les envoyer en nourrice afin de retourner au travail. La création de tels liens se fait par une forme de solidarité maternelle entre les mères pauvres et les femmes des élites qui distribuent les aides. Les dames visiteuses identifient les femmes qui ont besoin d’aide et les soutiennent durant les deux ans d’éligibilité après l’accouchement. Pour les dames visiteuses cette relation personnelle les renforce dans le sentiment de faire du bien ; pour les femmes pauvres, l’aide leur permet de rester à la maison auprès de leurs enfants et pour l’État cette organisation réduit, à peu de frais, la mortalité infantile et l’abandon des enfants. De plus, les élites imaginent que de tels contacts entre riches et pauvres auraient pour effet la réduction des antagonismes de classe. C. Adams affirme que le contact personnel « a créé aussi nombre de relations cordiales et a diminué la distance entre les classes » (p. 107). Elle reconnaît toutefois que la relation est aussi bien asymétrique que hiérarchique. De manière générale, la Société n’aide que les mères mariées religieusement et lors de leurs visites elles vérifient le comportement de leurs clientes : « la pitié s’accompagnait d’un sentiment fort de supériorité morale » (p. 102).
5Les stratégies et le point de vue des mères pauvres, certainement différents de ceux des dames patronnesses, sont difficilement accessibles par les archives. Mais à part quelques références éparses concernant certaines femmes et un bref paragraphe dans le dernier chapitre, l’auteure dit peu de choses des dames patronnesses elles-mêmes. En revanche, il est beaucoup question de la manière dont l’engagement dans la Société offre aux femmes une voix politique et un rôle culturel acceptables, notamment pour les femmes nobles, dans un siècle où elles n’accèdent pas à la même citoyenneté que les hommes. Leur travail charitable oriente ainsi le débat national sur la pauvreté et l’assistance. En même temps, les longues heures passées à récolter des dons et à faire des visites, passant ainsi des salons aisés aux quartiers les plus défavorisés, les ont certainement influencées et ont donné, surtout aux femmes nobles, un nouveau rôle culturel dans une société en voie de démocratisation. Pour autant leurs actions ne préconisent aucun changement social radical (au contraire, elles cherchent à maintenir l’ordre existant) ni plus de droits pour les femmes. Le succès de la Société de la Charité Maternelle tient cependant à la manière dont ses actions soutiennent l’ordre existant et ne remet en cause ni le statut des femmes, ni leur rôle traditionnel.
6Peut-être de manière inévitable, le livre développe peu aussi la relation entre la Société de Charité Maternelle et l’Église catholique, en particulier avec les sœurs congréganistes et les associations laïques de femmes catholiques. C. Adams indique le caractère œcuménique de la Société, qui accepte aussi bien des dames patronnesses que des clientes protestantes et juives (particulièrement nombreuses en région parisienne) si ces dernières ont célébré un mariage religieux. Dans certaines régions la Société s’est reposée sur des « Sœurs de la charité » (sans doute les Filles de la Charité ou des congrégations similaires) pour des recommandations ou même la distribution d’aides. Il n’est pas facile cependant de savoir si les membres de la Société de Charité Maternelle faisaient également partie d’autres associations de femmes catholiques importantes poursuivant des activités similaires, telles l’Œuvre des Pauvres Malades, active partout en France à partir de 1840, ou des associations locales paroissiales. Trouve-t-on les mêmes femmes dans ces différentes associations ou est-ce que les femmes des élites choisissaient en fonction de leur réseau social et leur engagement religieux ? Est-ce que de telles œuvres étaient en concurrence ou ont-elles travaillé de concert ?
7L’histoire institutionnelle racontée dans ce livre s’appuie majoritairement sur des documents officiels avec tous les avantages et les inconvénients du genre. Christine Adams réussit cependant à traiter ses sources, souvent un peu arides, avec sensibilité et à nous offrir un portrait détaillé et fortement contextualisé de l’une des charités, la plus importante dans la France du xixe siècle.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sarah A. Curtis, « Christine Adams, Poverty, Charity, and Motherhood: Maternal Societies in Nineteenth-Century France », Clio [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 03 juin 2013, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10942 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10942
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