Fernanda Alfieri, Nella camera degli sposi. Tomás Sánchez, il matrimonio, la sessualità (secoli XVI-XVII)
Fernanda Alfieri, Nella camera degli sposi. Tomás Sánchez, il matrimonio, la sessualità (secoli XVI-XVII), Bologne, Il Mulino, 2010, Fondazione Bruno Kessler, Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, Monografie, 55, 423 p.
Texte intégral
1Le livre, issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Trente, est consacré à l’étude du neuvième livre, De debito coniugali, des Disputationes de sancto matrimonii sacramento du jésuite espagnol Tomás Sánchez, publiées en trois tomes entre 1602 et 1605. À partir de l’analyse des sources citées par le théologien et des modalités de réception de l’œuvre, l’auteure est en mesure d’en démontrer l’originalité et le rôle novateur dans le contexte de la nouvelle doctrine du mariage élaborée par le Concile de Trente. La dernière partie du livre est consacrée aux réactions suscitées par les Disputationes, et aux commentaires des théologiens et docteurs en droit canon au XVIIe siècle. Le savoir et la discipline relatifs à l’intimité du mariage, que les hommes d’Église n’ont pas cessé de produire, font l’objet de ce livre, dont le point de départ théorique est, sans surprise, le Foucault de La volonté de savoir et de L’ordre du discours. La sexualité conjugale est, pour Sánchez, à la fois domaine d’investigation et objet de discipline, lieu de théorisation de la relation entre sujets et lieu de définition du sujet moderne à partir de sa sensibilité et de ses désirs. L’humanité qui se dessine dans le Livre 9 des Disputationes est fortement sexualisée et en proie à ses passions et désirs. Sánchez ne nie pas la légitimité de ces pulsions, pourvu qu’elles soient satisfaites, avec une certaine modération, dans le cadre du sacrement du mariage. De fait, il s’agit d’une ouverture aux besoins des individus, qui s’oppose à l’anthropologie intégralement pessimiste du mariage comme « mal nécessaire », qui avait connoté le discours de l’Église jusqu’à l’époque moderne. Il est évident qu’il s’agit là de répondre au choc de la Réforme protestante et de forger, pour le monde catholique, une nouvelle justification religieuse de la « dette conjugale » qui puisse à la fois s’opposer au rôle complètement inédit que les doctrines protestantes avaient attribué au mariage, mais aussi, et plus subtilement, dépasser la vision foncièrement négative d’un homme éternellement sujet à ses pulsions qui était celle de Luther.
2En « pensant par cas », le Jésuite espagnol présente une vaste gamme de passions, pulsions et plaisirs à l’usage des confesseurs, au point que, au XIXe siècle, dans la préface de la première traduction, partielle, en espagnol, les pères de famille sont invités à tout lire attentivement pour se rendre compte de la qualité et quantité d’informations que leurs filles peuvent recevoir chaque fois qu’elles vont se confesser. Mais, déjà au XVIIe siècle, les Disputationes avaient suscité des critiques et des censures, à l’intérieur même de la Compagnie de Jésus. Sánchez avait répondu en faisant appel à toutes les auctoritates qui avaient déjà traité la question avant lui, Thomas d’Aquin en tête, en défendant son choix d’une « honnêteté de parole » (honestidad de palabras) en mesure d’expliquer « l’anatomie » des actions humaines. Sánchez se voit en médecin anatomiste, qui examine un corps ouvert jusque dans ses parties les plus intimes et les plus honteuses et en fait un instrument de connaissance. C’est seulement ainsi, en adoptant un regard scientifique et distancié que le confesseur peut accomplir son œuvre pédagogique. Comme le mariage, la confession avait fait l’objet des attaques de la Réforme protestante et l’ouvrage de Sánchez ne peut pas se comprendre sans tenir compte de la centralité du sacrement de la confession dans la théologie de la Réforme catholique, et notamment dans celle de la Compagnie de Jésus. Il s’agit donc ici d’un livre dense, érudit et complexe, qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur la construction des identités sexuées dans l’Europe moderne.
Pour citer cet article
Référence électronique
Anna Bellavitis, « Fernanda Alfieri, Nella camera degli sposi. Tomás Sánchez, il matrimonio, la sessualità (secoli XVI-XVII) », Clio [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 03 juin 2013, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10935 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10935
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