Corinne Charles (dir.), Hay más en ti. Imágenes de la mujer en la Edad Media (siglos XIII-XV)
Corinne Charles (dir.), Hay más en ti. Imágenes de la mujer en la Edad Media (siglos XIII-XV), Museo de Bellas Artes de Bibao, BBK, 456 p.
Texte intégral
- 1 Un livret complémentaire donne une traduction des articles et du catalogue en français.
1Ce catalogue de l’exposition qui s’est tenue au musée des Beaux-Arts de Bilbao de février à mai 2011 propose, sous la direction de Corinne Charles, une compilation d’articles et une étude en espagnol plus détaillée des objets exposés1. Outre la qualité esthétique des reproductions, ce bel ouvrage est le premier du genre sur les représentations des femmes dans l’art à l’époque gothique. Son titre Hay más en ti, « Plus est en vous », reprend la devise de Louis de Bruges (vers 1427-1492) incluant son épouse Marguerite de Borselen, dont les initiales sont accolées à celles de son mari sur le fronton de son palais. Il y a donc plus en elle qu’une femme idéalisée ou cloîtrée. Ainsi, il s’agit de dépasser les images stéréotypées de la femme aux XIIIe-XVe siècles telles qu’elles ont été élaborées par la période romantique, de repenser les représentations de femmes dans l’art et le pouvoir signifiant de ces images à cette époque. Si le singulier du titre peut surprendre, la commissaire d’exposition précise dès l’introduction que le propos est de saisir « les multiples destinées de la femme médiévale », ses rôles et ses pouvoirs variant selon « qu’elle était reine, noble, issue de la classe marchande ou de la campagne, artisane ou prostituée » (p. 17). L’ouvrage multiplie les angles d’approche, égrenant ces différentes figures féminines à travers la production artistique mais aussi littéraire et normative du bas Moyen-Âge.
2Pour ce faire, l’exposition thématique a rassemblé des objets provenant d’Espagne mais aussi d’Allemagne, de l’actuelle Belgique, de France, d’Italie, des Pays-Bas du Sud et de Suisse. La richesse du catalogue ne tient pas seulement à cette diversité géographique mais bien à la variété des quarante-huit objets exposés dont l’étude de certains reste inédite. Les images de femmes sont appréhendées à travers des sculptures, enluminures, coffres de mariage, tapisseries, miroirs, manuscrits, fabliaux, mais aussi des chartes de donations royales, des listes urbaines relatives aux lieux de prostitution ou encore une ceinture de chasteté. Tous ont en commun de traiter ou de représenter des femmes. Nombre d’entre eux attestent la multiplication de la représentation des femmes dans l’imagerie profane à la fin du Moyen-Âge. La plupart sont néanmoins produits par des hommes et pour des hommes dans le but parfois de les offrir à des femmes, d’où la difficulté à saisir à travers ces images la réalité de la situation des femmes dans la société du bas Moyen-Âge. Dans leur contribution, les différents auteurs, qu’ils soient historiens, historiens de l’art, conservateurs ou juristes, confrontent le propos des images aux discours théologiques et juridiques, aux données économiques et sociales afin de distinguer les éléments discursifs de la réalité des conditions de vie des femmes à cette époque.
3Le plan du catalogue suit l’ordre des six sections thématiques de l’exposition. La première débute par l’analyse de François Boespflug sur l’évolution de la représentation de la Vierge Marie au cours des XIIIe-XVe siècles. Il montre qu’à l’enrichissement graduel des rôles qui lui ont été affectés dans l’imagerie a correspondu une reconnaissance sociale et ecclésiale de la dignité des femmes. Ce faisant, Marie est devenue un archi-modèle et l’historien s’interroge sur la signification de cette exaltation pour les femmes. Qu’il s’agisse d’un reflet ou d’une compensation de la situation des femmes « ordinaires », les deux effets antagonistes paraissent avoir coexisté. Ce caractère ambivalent se retrouve en effet dans la confrontation établie par Jean Wirth entre les textes théologiques et les représentations littéraires et artistiques. Pour les théologiens, la femme est égale en dignité à l’homme. Pourtant, dès le XIIe siècle, l’art et la littérature renvoient une image négative des femmes inspirée des textes misogynes rédigés en partie par des clercs. Cette misogynie semble destinée à détourner ces derniers des plaisirs charnels. Ainsi, l’image artistique et littéraire n’a pas vocation à refléter le statut réel des femmes – déterminé par la théologie et par le droit – mais tend au contraire à les valoriser ou les dévaloriser selon le discours sous-jacent.
4La deuxième section poursuit cette réflexion en abordant la production des images de femmes par les discours masculins, de la fin’amor aux héroïnes étudiées par Sophie Cassagnes-Brouquet. Cette partie débute par un article de Corinne Charles sur l’évolution des représentations féminines au XVe siècle. Les objets étudiés montrent une image érotique plus réaliste que celle offerte par la littérature courtoise. Ils offrent une vision masculine et aristocratique d’un lien conjugal idéalisé, celle d’une bourgeoisie urbaine qui affirme sa puissance par la commande de nouvelles œuvres d’art. Anita Guerreau-Jalabert poursuit la réflexion sur le pouvoir signifiant des images à travers l’analyse de la littérature courtoise. Construction idéelle, la fin’amor ne dit rien de la réalité des relations entre hommes et femmes mais elle doit être interprétée comme la volonté de l’aristocratie laïque d’afficher un ensemble de valeurs distinctes de l’Église, définissant son « être social » et légitimant son statut. Ce faisant, la littérature vernaculaire donne essentiellement un point de vue masculin de l’organisation sociale.
5La troisième section reprend le thème de la séduction à travers notamment l’article de Danièle Alexandre-Bidon sur les canons de l’esthétique féminine. Frédéric Billiet note aussi que, comme Ève, la musicienne est représentée comme séductrice sous les traits d’une sirène ou d’une sorcière. Mais, hors ces figures allégoriques, le musicologue s’intéresse aux quelques traces de femmes poétesses – trobairitz – que les manuscrits ont laissées. La période gothique semble avoir été favorable aux femmes musiciennes qui se virent ensuite, avec la Renaissance, privées de l’accès à la composition polyphonique.
6La section suivante porte sur les plaisirs charnels. Jacques Rossiaud aborde la façon dont le statut des femmes de plaisir évolue au cours du XIVe siècle avec la gestion par les villes des amours vénales et la régulation plus rigoureuse de la conjugalité appliquée aux époux. La lecture faite par Jean-Claude Mühlethaler des Quinze joies du Mariage éclaire la littérature misogyne de l’époque gothique et révèle que la satire de ces textes raille autant l’homme que la femme.
7La cinquième section se détourne ensuite du domaine du plaisir et de la séduction pour se consacrer à une étude du rôle économique des femmes. Perinne Mane analyse les images de la femme au travail. Comparant les milieux ruraux et urbains, elle montre que l’iconographie médiévale permet de saisir nombre de travaux féminins dans leur quotidienneté là où la documentation écrite reste parfois plus muette. Jean Verdon aborde la place des femmes dans les différents secteurs de l’économie médiévale (agricole, artisanat, commerce, professions libérales) et à travers les quelques figures de femmes au rôle politique telles les reines ou les dames de l’aristocratie. C’est à ces dernières que Christine de Pizan (1365-1430) prodigue des conseils sur la conduite à tenir pour gérer une seigneurie en l’absence de leur mari dans Le livre de la Cité des Dames. Jacqueline Cerquiglini-Toulet se penche sur l’œuvre de l’auteure, sur sa conscience d’écrivain et sa vision du rôle social de la femme inculquée par une éducation différenciée entre filles et garçons. Sylvie Bethmont-Gallerand analyse des traités d’éducation dont le Livre pour l’enseignement de ses filles du chevalier de la Tour-Landry. Ces ouvrages dressent le portrait d’une femme idéale, bonne chrétienne, dévouée au mariage, obéissante et humble. Elle s’interroge cependant sur la portée réelle de ces ouvrages vu que l’accès à l’écrit reste limité à cette époque.
8Enfin, dans la dernière section, Arnaud Dotézac complète ces images de femmes par une étude du statut légal de la femme à l’époque gothique, et particulièrement du droit canonique. La sacramentalisation du mariage par l’Église fait passer progressivement l’épouse sous le contrôle du mari. Pour autant, certaines femmes ont pu gérer des seigneuries ou exercer des activités économiques florissantes. D’autres sont parvenues à communiquer sur leur rôle politique à travers notamment la réalisation de sceaux. Brigitte Bedos-Rezak analyse les représentations féminines au prisme de la grammaire héraldique. Elle souligne combien le corps est un marqueur du statut social et genré du sigillant. Enfin, Danièle Alexandre-Bidon revient sur l’espace de la cuisine, lieu de contre-pouvoirs lié aux savoirs botanique et diététique des femmes.
9La dernière partie du catalogue donne une analyse détaillée des quarante-huit objets exposés. Elle complète ainsi la réflexion sur la signification de ces images, leur rôle performatif dans la société. Il y a plus dans ces objets qu’un simple discours sur la femme. Fabriquer « la femme » par des images apparaît donc comme un enjeu déterminant de toute construction sociale et comme le lieu d’expression des rapports de pouvoir et de domination. Par ce catalogue, l’exposition donne plus à voir qu’une simple représentation idéalisée des femmes au Moyen-Âge.
Notes
1 Un livret complémentaire donne une traduction des articles et du catalogue en français.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Laurence Alessandria, « Corinne Charles (dir.), Hay más en ti. Imágenes de la mujer en la Edad Media (siglos XIII-XV) », Clio [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 23 août 2013, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10930
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