Nicole Lucas, Dire l’histoire des femmes à l’école : les représentations du genre en contexte scolaire
Nicole Lucas, Dire l’histoire des femmes à l’école : les représentations du genre en contexte scolaire, Paris, Armand Colin, 2009, 159 p.
Full text
1Devenue mixte de façon très empirique depuis les années 1960, l’école est souvent mise en question pour son enseignement inégalitaire. L’auteure pose donc dans ce livre la question de la notion de l’égalité entre les sexes à l’école, une égalité qui se heurte à de fortes réticences provenant des traditions sociales et disciplinaires, des préjugés, des comportements hérités et même plus vraiment réfléchis. L’enjeu pédagogique, social et citoyen est majeur puisque, au-delà des savoirs, les manuels, et notamment ceux d’histoire, participent à l’éducation des enfants et des adolescents et à l’élaboration des futurs comportements adultes. Concernant ce sujet, le livre rappelle à quel point les comportements et fonctions des femmes ont été construits au fil des générations par la répétition des stéréotypes de genre. L’enseignement distribué dans ces conditions dessert les filles dans la construction de leur identité propre, ne leur offrant pas de modèles identificatoires sur lesquels s’appuyer pour développer leur personnalité et choisir une destinée se développant aussi dans l’espace public.
2Tout ceci explique aujourd’hui en grande partie l’évitement des filles, par autocensure, des filières d’excellence après bac+2. Ajoutons que, pour les garçons, l’enseignement actuel les oriente vers le maintien à l’âge adulte des préjugés sexistes, les filles ne disposant « naturellement » pas à leurs yeux d’un avenir public, c’est-à-dire autre qu’inscrit dans la tradition : familial et reproductif. Ainsi, la mixité scolaire ne favorise pas une réelle égalité entre les sexes et l’auteure enquête sur les moyens de « donner des clés et des outils en synergie avec les savoirs », de suivre des « stratégies pour faire évoluer les pratiques » des enseignants. Le tout pour permettre une réelle égalité des chances entre filles et garçons, une égalité qui se rapproche de la simple justice et réponde somme toute aux intérêts mêmes de la société, qui a besoin des deux sexes pour se construire et se perpétuer sainement.
3Pour observer de près le rôle de l’institution scolaire dans la création et la reproduction des stéréotypes sexués, Nicole Lucas s’est penchée notamment sur les instructions officielles de l’Éducation nationale, sur un certain nombre de manuels scolaires, depuis la fin du xixe siècle jusqu’à nos jours, et sur des ouvrages traitant de la question des femmes en contexte scolaire.
4Avec l’émergence, et le succès relayé par les médias, de l’histoire des femmes depuis les années 1970, on aurait pu s’attendre à une rapide progression des acquis de cette recherche dans les manuels et dans les cours professés dans les classes. Mais le décalage reste considérable entre recherche et enseignement. Évitement ou oubli de la question des femmes de la part des auteurs des programmes, formation disciplinaire déficiente, excès de prudence, les raisons de l’absence des femmes dans les contenus scolaires sont diverses. Cependant, rappelle l’auteure, l’histoire des femmes apparaît désormais dans les manuels sous forme de dossiers, d’encadrés divers voire de chapitres. Mais rien toutefois qui touche à une vision globale de l’histoire. Or, présenter des femmes dans les sociétés et les cultures diverses, les faire parler, montrer leurs œuvres et leurs actions en tant qu’individu, agent social et économique, personnage politique, acteur collectif d’un événement donné etc. renouvelle à tout le moins les approches de l’histoire et permet de rendre au monde sa complexité, sa vue binoculaire, sa profondeur historique.
5Au fil des dix chapitres du livre, Nicole Lucas propose une réflexion d’ensemble sur le genre en tant que sujet brûlant dans nos sociétés, si l’on en juge par la situation des femmes réelles dans le monde et par les violences multiples dont elles sont l’objet : violences sociales, domestiques et familiales en temps de paix comme en temps de guerre, plafond de verre, double journée, question des droits.... Elle analyse l’histoire de l’histoire des femmes et du genre dans la longue durée et à travers l’espace et leur quasi-absence dans les programmes. En ce qui concerne le caractère sexué des contenus scolaires, l’auteure rappelle l’absence pratiquement totale des femmes (à l’exception en particulier de nos chères et incontournables Geneviève et Jeanne d’Arc et d’une ou deux régentes) dans les manuels de la fin du xixe siècle et jusqu’aux dernières décennies, ce qui correspond à la vision androcentrée de l’histoire savante à ces époques. Or les recherches ont montré que de nombreuses femmes ont joué un rôle important tout au long de l’histoire, et de nombreux exemples en sont donnés. Des femmes qu’on peut faire entrer de façon équilibrée dans le cours par le biais de l’art, de la littérature, en montrant leur place dans la société ou grâce à leurs œuvres en tant que femmes de lettres, ouvrières, journalistes, peintres, femmes engagées politiquement... Une réflexion est aussi amorcée sur de nouvelles thématiques à développer : femmes et migrations, femmes et esclavages.
6Plus largement, il est proposé de faire travailler ensemble, « de façon dynamique et réfléchie », toutes les disciplines à cette réévaluation du féminin dans les classes. Une réévaluation qui passe en histoire (mais aussi en art, en littérature et partout ailleurs) par la mise en situation des femmes partout où elles interviennent en tant qu’actrices de l’histoire ou du présent. De nombreuses et intéressantes pistes pédagogiques donnent des exemples de mise en œuvre d’une réelle approche genrée dans les diverses disciplines afin d’éveiller les élèves à cette culture égalitaire entre les sexes à construire. Chacun pourra faire son miel de ces exemples et de leur traitement en fonction des niveaux d’enseignement.
7Je m’appesantirai pour ma part, et en tant qu’auteure de manuels d’histoire du primaire, sur le fait qu’une réelle introduction de l’étude du genre ne pourra se faire avec profit dans les manuels qu’après une profonde réforme des programmes, un changement radical de point de vue qui permettra une autre écriture de l’histoire. Cela avait été en partie le cas avec les programmes mis en œuvre par l’équipe de Michelle Perrot en 2002 pour le primaire, qui avaient ouvert la voie à une autre écriture des manuels, mettant les femmes plus en avant. Car, il faut le rappeler sans cesse – tout le monde ou presque semblant l’oublier – les auteurs de manuels se conforment, certes dans la diversité, aux programmes et strictement aux programmes de l’Éducation nationale. C’est un présupposé incontournable et qui explique l’absence dans les manuels d’éléments importants d’une période donnée s’ils ne sont pas spécifiquement proposés comme sujets d’étude. Ce présupposé implique de traiter le programme imposé avant de pouvoir traiter, à condition qu’on en ait la place, de ce qui est essentiel dans une période historique mais ne se trouve pas strictement exprimé dans ces programmes. Or, un livre d’histoire de l’école élémentaire dispose au mieux de 1200-1400 caractères pour construire un chapitre par double page. Dans ces conditions, avant de se mettre au travail, l’auteur ne peut que se poser réellement la question de ce qu’il doit écrire et comment il doit l’écrire pour que des enfants comprennent et s’approprient son texte. Et le programme est si lourd qu’on peut seulement distraire quelques lignes pour un sujet qui n’est pas formellement indiqué. D’où l’impression parfois de paragraphes d’histoire des femmes plaqués sur un développement donné. Au mieux, dans la situation actuelle, on pourra offrir un ou deux chapitres, quelques paragraphes et proposer des textes et des illustrations qui mettent les femmes en valeur dans leurs différents rôles. Ce que d’ailleurs font la plupart des ouvrages du primaire actuellement en circulation, en tout ou en partie. Enfin, pour terminer, cette conversion des manuels ne pourra réussir sans une conversion de l’ensemble des professeurs, rédacteurs de manuels y compris, les stéréotypes affectant toute la société. Permettre un vrai rééquilibrage vers une histoire dite « mixte » passe par la formation des jeunes professeurs et par la prise en compte des apports des sciences de l’éducation. Les expériences de professeurs faisant passer le genre dans différentes disciplines scolaires sont un grand encouragement à la poursuite des efforts en vue d’un enseignement réellement égalitaire et qui réponde aux aspirations et aux nécessités profondes des filles de nos écoles et, au-delà, de la société dans son ensemble.
References
Electronic reference
Geneviève Dermenjian, “Nicole Lucas, Dire l’histoire des femmes à l’école : les représentations du genre en contexte scolaire”, Clio [Online], 36 | 2012, Online since 19 April 2013, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10921; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10921
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