Françoise Basch, Ilona, ma mère et moi. Une famille juive sous l’Occupation, 1940-1944
Françoise Basch, Ilona, ma mère et moi. Une famille juive sous l’Occupation, 1940-1944, Donnemarie-Dontilly, éditions iXe, 2011, 120 p.
Texte intégral
1Au seuil de sa vie – écrit-elle –, Françoise Basch dédie ce livre à sa mère, Marianne Basch, née Moutet, décédée en l’an 2000. Ce témoignage émouvant sur la survie quotidienne ordinaire, sous l’Occupation nazie, d’une famille juive connue, est composé à partir des lettres de sa mère et de ses grands-parents, ainsi que des souvenirs de l’auteure. Cette période, constate-t-elle en avant-propos, « a profondément façonné mon identité ».
2Le récit commence par une tragédie, au lendemain de l’armistice demandé par Pétain au régime nazi, le suicide le 20 juin 1940 de son père Georges Basch, mobilisé dans l’armée française en déroute, épreuve que doivent surmonter son épouse Marianne devenue veuve, les deux enfants du couple – Françoise (née en 1930) et André (1933) – ainsi que ses parents Ilona (Hélène) et Victor, réfugiés à Lyon. Françoise Basch avait consacré en 1994, une biographie à son grand-père, Victor Basch, longtemps président de la Ligue des Droits de l’Homme, assassiné en 1944 avec sa femme par un commando franco-allemand composé en partie de miliciens français.
3Dans ce livre, où, comme l’indique le titre, sa mère et sa grand-mère sont à l’honneur, l’auteure entend montrer comment, dans ces moments exceptionnels de la guerre et de l’Occupation, des femmes ont su transformer voire subvertir les rôles traditionnels qui leur étaient assignés. Appartenant à la bourgeoisie intellectuelle juive de gauche, ses familles maternelle et paternelle « avaient en commun les idéaux de la République laïque et n’avaient que faire de la religion et de la tradition juive » (p. 32). Le père de Marianne, Marius Moutet, fils de vigneron, a été parlementaire socialiste du Rhône (soutien en 1936 des accords Blum-Viollette sur la citoyenneté en Algérie) – et ministre des Colonies en 1946.
4Françoise Basch fait le récit de l’exode, en voiture avec sa mère qui avait repris, en 1939, l’exercice de sa profession de médecin à Caen. Réfugiée dans une maison familiale dans la Drôme c’est là que cette dernière apprend le suicide son mari. S’engagent alors pour elle des mois de recherche pour continuer à exercer, afin de nourrir ses enfants et ses beaux-parents. Ses confrères lyonnais le lui interdisent et elle doit s’installer à Bollène à 200 km au sud de Lyon, laissant à sa belle-mère, Ilona, la garde de ses deux enfants, à charge pour elle d’assurer le ravitaillement de toute la famille.
5Françoise Basch a retrouvé dans les archives du Vaucluse les traces de dénonciations de sa mère en 1941 et 1943, dont l’une, envoyée au Commissaire aux questions juives à Vichy, émane d’un de ses confrères : « …la doctoresse BASCH, belle-fille de Victor BASCH, Juif hongrois ayant perdu la nationalité de Français, alias Marianne Moutet, fille de Marius Moutet, ex député socialiste, franc-maçon… » (p. 47). Malgré cette hostilité, Marianne Basch a organisé, avec d’autres habitants de Bollène, un réseau d’entraide pour accueillir des enfants juifs cachés.
6Aidée par sa logeuse, une catholique pratiquante qui lui fut d’un grand secours, ses débuts de doctoresse à Bollène sont difficiles et la clientèle ne se constitue que lentement. Mais Marianne trouve dans cette petite ville rurale le ravitaillement qui manquait à Lyon : elle confectionne toute la semaine des colis avec des produits achetés auprès des fermiers. Elle achète et engraisse avec des amis vache et cochon. L’année 1943 fut plus dure : tout manque, Marianne échappe de peu à une perquisition de la Gestapo ; inquiète de la situation lyonnaise, elle met ses deux enfants à l’abri à Dieulefit dans une famille de pasteurs. Elle sauve sa vie et celle de ses enfants grâce à des démarches auprès des autorités établissant qu’elle était issue d’une famille mixte, puis grâce à des faux papiers. En janvier 1944, après l’assassinat de ses beaux-parents, elle organise son passage clandestin en Suisse avec ses deux enfants. La sécurité retrouvée ne lui procure cependant pas la sérénité, mais des crises d’angoisse face à la décimation de la famille.
7Après le portrait vibrant de sa mère, Françoise Basch rend justice à sa grand-mère qui vécut 56 ans dans l’ombre du Grand Homme. On apprend ainsi qu’il fut dans l’intimité un personnage irritable, sujet à des dépressions et des colères. Ilona, elle-même anxieuse et plaintive, déploie une énergie, étonnante à son âge, pour faire tourner la maison, procurer chauffage et nourriture à son mari irascible et à ses petits-enfants. La vie d’épouse d’universitaire parisien ne l’avait guère préparée à cette lutte quotidienne de ménagère pour la survie de la famille, bien qu’elle ait été grandement aidée par les efforts de Marianne pour le ravitaillement. Françoise n’est pas la préférée car elle fait preuve d’une « paralysie domestique » que sa grand-mère attribue à sa paresse. Victor Basch essaie de lui faire entrer, par la force parfois, vocabulaire et grammaire latine. Les souvenirs de Françoise Basch lui laissent un manque affectif et un sentiment d’abandon : séparée de son père – dont elle apprend tardivement les circonstances de la mort – puis de sa mère, et enfin en 1942 de son jeune frère qui rejoint Bollène, jalouse de lui, elle se sent exclue du cercle familial restreint. Elle écrit aujourd’hui que sa mère a dû faire face à de nouvelles responsabilités de chef de famille, dans une période dangereuse où la survie de ses enfants était primordiale. À la fin de la guerre, Marianne reprit son travail à Bollène, puis à Paris comme gynécologue, tout en continuant à refouler ses émotions.
8Françoise Basch analyse son manque de confiance en elle comme le produit de l’attitude héroïque de sa mère pendant la guerre, accru du fait qu’elle n’a pas été autorisée à poursuivre des études médicales comme les autres membres du cercle familial. Elle termine son analyse par l’examen du rapport à la judéité des femmes de la famille et d’elle-même. Ilona Basch, Marianne sa bru et sa fille Yvonne (épouse Halbwachs) étaient athées, non pratiquantes et s’opposaient à l’extrémisme religieux. La rédaction de la biographie de Victor Basch a permis d’interpréter différemment certaines attitudes de ce dernier : la défense acharnée de Dreyfus, sa mission auprès des Juifs américains en 1915 ou encore son opposition farouche à l’Allemagne nazie sont pour sa petite-fille « autant de signes d’une judéité revendiquée et intensément présente » (p. 116). Ilona, ma mère et moi. Une famille juive sous l’Occupation, 1940-1944, est dédié aux femmes de la famille et en particulier à sa mère, héroïne ordinaire qui a su, dans des circonstances tragiques, transformer le rôle de genre auquel elle avait été précédemment assignée.
9Nombre de témoignages sur les persécutions et de récits d’enfants cachés ont été écrits, plus ou moins rapidement après la guerre et certains ont été publiés. Aucun n’a la même tonalité, même si certains éléments sont communs (l’exode, les rafles, les arrestations, les difficultés quotidiennes, la dispersion familiale, la déportation, les enfants cachés). Celui de Françoise Basch nous introduit dans le quotidien ordinaire et le devenir d’une famille de juifs français, très connue par le rôle éminent du patriarche dans l’espace public. Ce récit est particulièrement émouvant par l’introspection à laquelle, à plus de 80 ans, elle se livre ; par les forces et les faiblesses tirées de cette expérience unique, socle de sa construction identitaire, et par le bilan lucide qu’elle offre à ses lecteurs avec une tendresse certaine pour celles qui l’ont précédée.
Pour citer cet article
Référence électronique
Michelle Zancarini-Fournel, « Françoise Basch, Ilona, ma mère et moi. Une famille juive sous l’Occupation, 1940-1944 », Clio [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 19 avril 2013, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10913 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10913
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