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Clio a lu

Christine Bard, Une histoire politique du pantalon

Paris, Seuil, 2010, 392 p.
Florence Tamagne
p. 264-266
Bibliographical reference

Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Paris, Seuil, 2010, 392 p.

Full text

1« Le costume reflète l’ordre social et le crée, permettant, notamment, le contrôle des individus » (p. 7). Dans Une histoire politique du pantalon, Christine Bard, loin d’une histoire de la mode, inscrit sa recherche à la croisée de l’histoire du genre et de l’histoire politique de la culture matérielle. Elle montre que le vêtement est un objet genré, socialement construit, et qui fonctionne comme un symbole de pouvoir. En ce sens, il a une signification politique.

2Deux histoires se croisent ici : celle, d’une part, de l’adoption du pantalon, pendant longtemps attribut des Barbares, des hommes issus de milieux populaires, ou culturellement dominés par les classes aisées ; celle, ensuite, de la lente conquête du pantalon, emblème de masculinité et donc de pouvoir, par les femmes. L’universalisation du pantalon apparaît ainsi concomitante du tournant révolutionnaire. Il est le vêtement des « sans-culottes », marqueur visuel du changement de régime, symbole de liberté, emblème d’une uniformisation rêvée de la société. C’est l’une des rares fois dans l’histoire du costume où une mode venue d’en bas s’impose aux couches supérieures de la société. Porté par l’anglomanie, le pantalon se diffuse dans les années 1820, et en vient à incarner l’ordre bourgeois. Simple et austère, il est le signe de la « Grande Renonciation masculine », qui voit les hommes abandonner aux femmes le droit à la couleur et aux ornementations. Cet élan égalitaire ne s’étend pas au-delà de la gent masculine : le pantalon est réservé aux hommes, privilège qui mérite d’être inscrit dans la loi. Le décret du 29 octobre 1793, qui interdit aussi les clubs féminins, proclame la liberté du costume, entérinant avec l’abolition des privilèges la fin des règlementations somptuaires, mais imposant le respect de la différence des sexes. L’ordonnance de 1800 de la Préfecture de police de Paris, quant à elle, interdit aux femmes le costume masculin. Il n’y a pas de remise en cause de la domination masculine, que le code civil de 1804 ne fait que renforcer. La femme qui porte le pantalon est désormais assimilée à une travestie. En entretenant la confusion des sexes, la femme « qui porte la culotte » porte atteinte à l’ordre établi ; en s’appropriant un vêtement qui n’est pas le sien, elle s’arroge des droits auxquels elle ne peut légitimement prétendre.

3Au-delà des figures célèbres – George Sand, Rosa Bonheur, Colette –, nombreuses sont celles pourtant à braver les interdits, en dehors des périodes de carnaval : soldates, actrices, prostituées, tribades… À Paris, des femmes sont autorisées à porter le pantalon dans certaines circonstances : pour raison médicale, ainsi de la femme à barbe Clémentine Delait, ou pour raison professionnelle, comme l’exercice d’un métier masculin. Jane Dieulafoy, archéologue qui accompagne son mari sur les terrains de fouilles au Maroc, en Égypte ou en Perse, ne quitte pas son costume à son retour en France et c’est dans cette tenue qu’elle reçoit la croix de la Légion d’honneur. De fait, si les autorisations demeurent rares, les sanctions apparaissent limitées : le travestissement féminin reste une question mineure, puni d’une amende et de moins de cinq jours de prison. Comme le remarque Christine Bard, c’est donc moins aux dispositions législatives qu’à un contrôle social diffus qu’il faut attribuer l’endiguement du travestissement. Certaines féministes vont, pourtant, le revendiquer. C’est que le pantalon est un vêtement fermé, à la différence de la jupe, vêtement assigné aux femmes, qui souligne l’accessibilité du sexe féminin, sa pénétrabilité. Le pantalon, par ailleurs, est pratique, contrairement au vêtement féminin entravant, qui superpose jupons, sous-vêtements, corset et porte-jarretelles, privant la femme de mobilité, renforçant sa supposée faiblesse physique. Le port du pantalon ne signifie cependant pas pour autant reconnaissance de l’égalité des sexes. Les femmes de la communauté New Harmony, fondée par Robert Owen dans les années 1820, portent bien le pantalon, mais elles continuent d’avoir la charge des travaux domestiques. Sous l’impulsion de la féministe américaine Amelia Bloomer, le pantalon bouffant, porté sous la jupe, peut-être inspiré par le sarouel, devient le symbole d’une nouvelle réforme du costume féminin ; les quolibets en viendront rapidement à bout. En France, la féministe Madeleine Pelletier, qui s’habille en homme au quotidien, sans autorisation, envoie le 1er juillet 1887 une pétition aux députés, exigeant le droit de porter le costume masculin. Ce n’est certes pas sa seule revendication : elle entend également obtenir le droit au duel, au service militaire, à la chasteté militante.

4Cette « virilisation des femmes », qui entretient le soupçon de lesbianisme, est cependant loin de faire l’unanimité chez les féministes et, comme le souligne Christine Bard, les transformations du costume féminin ne sauraient être attribuées au seul mouvement des femmes. La pratique du sport, notamment, contribue à l’évolution du costume, même si cela ne va pas sans réticences : l’équitation était déjà un prétexte au port du pantalon ; au début du xxe siècle le cyclisme en est un autre, de même que bientôt le yachting, le patinage, l’escrime, l’alpinisme ou le golf. Encore faut-il savoir se plier aux normes de son temps : dans les années 1930, la championne Violette Morris, qui porte le short sur le terrain et le complet veston en ville, fait scandale. En 1927, elle est suspendue de la Fédération féminine sportive et on lui interdit de paraître sur les terrains de sport en tenue masculine. Pour autant, le pantalon peine à s’installer dans certains milieux – les écoles, jusqu’en mai 68, les tribunaux, certaines entreprises – et il faut attendre les années 1970 pour qu’il devienne l’uniforme de la femme active.

5Si comme le remarque Christine Bard, porter le pantalon est un droit, ne pas en porter en est également un. Banalisé pour les femmes politiques depuis les années 1980, le pantalon serait aujourd’hui un passage obligé : en juillet 2012, Cécile Duflot, se présentant à l’Assemblée dans une robe à fleurs, très couvrante, s’est vue huée par une partie des députés mâles, comme déstabilisés par cet apparent sursaut de féminité. De même, dans certaines banlieues où porter une jupe, c’est « être une pute », le port de la jupe est devenu quasi impossible, notamment pour les jeunes filles issues de familles d’origine maghrébine. Paradoxalement, alors que pendant longtemps, le port du pantalon était perçu comme émancipateur, c’est aujourd’hui le port de la jupe, symbolisé par la « journée de la jupe » qui est devenu un acte de résistance. Une histoire politique du pantalon se lira donc utilement avec un autre ouvrage de Christine Bard, Ce que soulève la jupe (Autrement, 2010), qui en est le pendant, malheureusement souvent un peu redondant. Et pour celles et ceux qui s’intéresseraient aux multiples manières, pour les hommes, de subvertir le vêtement masculin, on ne saurait trop conseiller le livre de Shaun Cole, ‘Don We Now Our Gay Apparel’. Gay Men’s Dress in the Twentieth Century (Paris, Berg International, 2000).

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References

Bibliographical reference

Florence Tamagne, Christine Bard, Une histoire politique du pantalonClio, 36 | 2012, 264-266.

Electronic reference

Florence Tamagne, Christine Bard, Une histoire politique du pantalonClio [Online], 36 | 2012, Online since 19 April 2013, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10881; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10881

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