Isabelle Parésys et Natacha Coquery (dir.), Se vêtir à la cour en Europe. 1400-1815
Isabelle Parésys et Natacha Coquery (dir.), Se vêtir à la cour en Europe. 1400-1815, Villeneuve d’Ascq, Université Lille-3, Irhis, CEGES, CRCV, coll. « Histoire et littérature de l’Europe du Nord-Ouest », 2011, 347 p.
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- 1 Fastes de cour et cérémonies royales. Le costume de cour en Europe. 1650-1800, Pierre Arizzoli-Clém (...)
1Alors que les travaux sur les cultures vestimentaires se sont multipliés et que les recherches historiques sur les cours aux époques médiévale et moderne sont fort nombreuses, de manière assez surprenante l’historiographie sur le vêtement de cour en Europe est restée peu fournie. Le colloque international tenu en 2009 au château de Versailles sur les « Cultures matérielles, cultures visuelles du costume dans les cours européennes (1400-1815) » se donnait donc pour objectif, sous la direction scientifique d’Isabelle Paresys, d’explorer un sujet encore trop peu traité. Le palais abritait au même moment une grande exposition sur les « Fastes de cour et cérémonies royales. Le costume de cour en Europe. 1650-1800 », rassemblant des pièces textiles venant de toute l’Europe, notamment des riches collections russes et scandinaves. Si la Cour de France a en effet rayonné sur toute l’Europe durant cette période, la plupart des vêtements de cour français, connus par l’iconographie, ont en revanche disparu. Le beau catalogue de l’exposition, paru en 20091, permet d’apprécier, à travers des photographies de costumes alors présentés au public, l’extraordinaire somptuosité et le raffinement des tenues curiales. Il propose également de nombreuses mises au point par des spécialistes européens.
2Deux ans plus tard, les actes du colloque paraissaient à leur tour. Ils rassemblent seize contributions, dont quelques-unes en anglais, émanant de chercheurs dont certains ont aussi participé au catalogue, tant français qu’étrangers, auteurs reconnus ou jeunes doctorants. Une même diversité se reflète dans leurs disciplines, puisque se côtoient historiens et historiens de l’art, mais aussi conservateurs de costumes, anthropologues, spécialistes de l’analyse filmique. Cette ouverture disciplinaire traduit la volonté des organisateurs d’aborder le vêtement de cour de manière large, en confrontant des approches variées et en ouvrant le champ chronologique et spatial. La période choisie va en effet du début du xve au début du xixe siècle, passant outre la traditionnelle coupure entre Moyen Âge et Temps modernes, non pertinente pour rendre compte d’un phénomène qui naît dès le xve siècle. Les contributions s’attachent à plusieurs cours, prenant en compte le cas de la France, de l’Angleterre, de l’Espagne, et du Saint Empire germanique avec la Bavière et l’empereur Rodolphe II. On peut regretter que soient laissées de côté les cours italiennes, scandinaves ou russes, mais ces dernières ont fait l’objet de contributions fournies dans le catalogue évoqué précédemment. L’espace italien reste cependant le parent pauvre des deux publications. Selon des méthodes et des problématiques différentes, les auteurs ont sollicité des sources variées, textuelles – inventaires, comptes, correspondances, presse – et iconographiques. On soulignera à ce propos l’effort des éditeurs pour donner toute leur place aux images, ce qui est rare pour ce type de publication scientifique, avec une trentaine d’illustrations en couleur.
3L’ouvrage, précédé d’une solide introduction d’I. Paresys et N. Coquery définissant ses enjeux scientifiques, se divise en quatre parties de taille équilibrée. La première, consacrée à « L’habit de cour en politique », balaie toute la période, de la fin du Moyen Âge avec l’adoption du noir par le duc de Bourgogne Philippe le Bon (S. Jolivet) et l’usage des devises sur les vêtements princiers (O. Vassilieva-Codognet), à l’attention extrême que porte Napoléon Ier à l’habit (P. Mansel). Même dans l’Angleterre du xviiie siècle, dont le centre de gravité du système politique se déplace vers le Parlement, le vêtement de cour constitue un outil permettant d’afficher ses options partisanes (H. Greig). Les deux parties suivantes s’attachent à l’étude monographique d’un certain nombre de garde-robes de souverains et souveraines ou membres de familles régnantes. La première d’entre elles, « Choix vestimentaires et garde-robes royales », qui porte sur les xvie et xviie siècles, présente un large éventail de cas : l’impératrice Isabelle de Portugal (M.J. Redondo Cantera), l’empereur Rodolphe II (Milena Hajna), Henri II et Catherine de Médicis (I. Paresys), Charles II d’Angleterre (M. Hayward) et les souverains bavarois (C. Thépaut-Cabasset). La seconde intitulée « L’habit de cour et la mode » se consacre à des tenues féminines de la seconde moitié du xviiie siècle et du début du siècle suivant, à travers les exemples de la comtesse d’Artois (P. Gorguet Ballesteros), de la reine d’Espagne Marie-Louise de Parme (P. Benito Garcia) et de l’impératrice Joséphine (S.L. Siegfried). La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est plus originale par le choix de sa thématique. Il s’agit en effet d’examiner les représentations au xxe siècle du costume de cour au cinéma, au théâtre et dans la haute couture, autant de domaines où il est toujours bien présent aujourd’hui. Qu’il s’agisse de films consacrés à Elizabeth Ire (D. Decouvoux), à Marie-Antoinette (N. Foucher-Janin), du travail des costumiers (S. Perrault) ou de la mode de Christian Lacroix (M. Villelongue), ces transpositions des costumes anciens dans le monde contemporain sont soumises à une série de contraintes, financières, culturelles, matérielles, qui stimulent la créativité des costumiers et couturiers et les conduisent à créer des vêtements actuels en puisant dans le passé.
4Un certain nombre de lignes de force se dégagent de contributions par ailleurs très diverses. La plus évidente est la somptuosité affichée des vêtements de cour, et plus particulièrement des tenues des souverains et de leurs épouses, telle Isabelle de Portugal, dont la richesse et le faste constituent un des moyens d’afficher leur puissance. Mise en scène dans l’iconographie, elle se traduit plus prosaïquement dans les sources comptables par les montants très élevés consacrés aux dépenses vestimentaires. On remarquera cependant que le coût des tenues n’est abordé ici qu’à travers les dépenses des souverains, laissant de côté les conséquences financières du paraître pour les courtisans. Autre point souligné dans plusieurs contributions : la tension entre une codification extrême du costume de cour, qui tend à le figer et aboutit parfois à des formes d’archaïsme, et la nécessité de le faire évoluer au gré des transformations politiques, matérielles et culturelles, dont l’essor de la mode féminine au xviiie siècle est un aspect bien connu. Les couleurs, les matériaux et surtout les formes des vêtements se modifient donc sans cesse. Les circulations internationales d’une cour à l’autre, qui jouent un rôle actif dans ce processus de changement, sont mises en exergue par plusieurs auteurs. Les mécanismes en sont divers : l’exil des princesses à l’occasion de leur mariage, les commandes de textiles et de vêtements à l’étranger, à Paris surtout, mais aussi les déplacements des artisans tailleurs les plus prisés et les correspondances diplomatiques. Si les influences espagnole, puis surtout française, sont très marquées, elles ne déterminent pas entièrement le paraître des cours européennes. Plusieurs auteurs soulignent le cosmopolitisme des garde-robes princières durant la première modernité, tandis qu’inversement des réactions nationales s’observent dès le xviie siècle.
5Enfin, remarquons que les contributions consacrées aux tenues féminines sont à peine un peu plus nombreuses que celles concernant les hommes, sauf dans la dernière partie, qui reflète en ce sens fidèlement la culture du monde contemporain, dissociant la virilité de la mode. Dans le monde mixte des cours européennes, la nécessité du paraître concerne aussi bien les hommes que les femmes. Chez tous se retrouve le même besoin d’éblouir par des tenues précieuses qui requièrent les mêmes textiles luxueux, font appel aux mêmes couleurs, usent également de broderies, de rubans et de pierreries. La contribution d’Isabelle Paresys comparant les dépenses vestimentaires d’Henri II et de son épouse Catherine de Médicis est à ce titre tout à fait éclairante. Ce n’est qu’avec le xixe siècle que s’instaure la grande dichotomie entre vêtements féminin et masculin, les hommes arborant désormais des tenues civiles austères et sombres. Le cas de Joséphine à l’orée du xixe siècle est révélateur des changements alors en marche. Alors que les tenues qu’elle arbore dans ses portraits officiels montrent une mode féminine moderne, qui a rompu avec les paniers d’Ancien Régime au profit des robes à la grecque, le costume de cour masculin se voit imposer par Napoléon un retour pur et simple aux codes vestimentaires de l’Ancien Régime.
6On peut regretter que les auteurs s’éloignent parfois trop de la cour à proprement parler, pour s’intéresser plus généralement aux usages nobiliaires. On peut aussi remarquer que la plupart des études se concentrent sur les souverains au détriment des courtisans, qui au final apparaissent assez peu. Faut-il seulement incriminer l’état de la documentation ? Ces réserves mises à part, la publication atteint son but en suscitant réflexions et interrogations sur le vêtement de cour, terme préféré par les éditrices du volume à celui de costume, dans la mesure où il intègre davantage les dimensions politiques, économiques et culturelles du paraître.
Notes
1 Fastes de cour et cérémonies royales. Le costume de cour en Europe. 1650-1800, Pierre Arizzoli-Clémentel et Pascale Gorguet-Ballesteros (dir.), Versailles/Paris, Château de Versailles/RMN, 2009.
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Bibliographical reference
Christine Dousset, “Isabelle Parésys et Natacha Coquery (dir.), Se vêtir à la cour en Europe. 1400-1815”, Clio, 36 | 2012, 261-264.
Electronic reference
Christine Dousset, “Isabelle Parésys et Natacha Coquery (dir.), Se vêtir à la cour en Europe. 1400-1815”, Clio [Online], 36 | 2012, Online since 19 April 2013, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10880; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10880
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