- 1 Breward 1998 : 301-314 ; Ribeiro 1998 : 315-325.
- 2 Stallybrass & Jones 2000.
- 3 Kovesy Killerby 2002 ; Muzzarelli 2003 : 185-220 ; Muzzarelli 2009 : 597-617.
- 4 Blanc 2008 : 94-95.
- 5 Hollander 1993 : chapitre v.
1Pour chaque culture et chaque époque, les couvre-chefs joignent à la fonction protectrice celle d’une signalétique symbolique1. Je n’aborderai guère la première, ni la possibilité de masquer ou le risque de cacher l’identité par un capuchon ou un voile, pour me préoccuper davantage du couvre-chef comme un signe d’appartenance et de respect des règles de morale ou des lois civiques2. J’envisagerai les couvre-chefs féminins comme des éléments susceptibles de témoigner d’une identité : de genre, de religion mais aussi sociale, et donc comme supports sémantiques à l’appartenance. Je le ferai en examinant en particulier les prescriptions des lois somptuaires3 relatives aux couvre-chefs qui, s’ils étaient des accessoires, n’en étaient pas pour autant des détails pour paraphraser Odile Blanc4. Je le ferai en laissant de côté le fait que, si les accessoires de mode forment un type particulier d’objets dans les rapports spécifiques qu’ils entretiennent avec le corps5, les couvre-chefs le sont encore plus dans la relation qu’ils ont avec la partie la plus noble de celui-ci, la tête, siège de la pensée et de l’action.
2De cette relation découle l’idée d’une étroite connexion entre conceptions, passions, intentions, valeurs et objets placés sur la tête. Cette relation marque le respect ou l’honneur : en effet, on devait mettre (dans le cas des femmes) ou enlever (dans celui des hommes) son couvre-chef, tout comme pour indiquer l’entrée dans un ordre monastique, on procédait à la tonsure ou à la prise de voile.
3Par ailleurs, certaines coiffures ont fait partie de costumes plus complexes dans le monde laïc ou ecclésiastique et, à sa manière, chaque langue a conservé la trace de la capacité particulière des couvre-chefs de signifier un état d’âme, « prendere cappello » pour s’inquiéter, ou pour marquer sa déférence, « tanto di cappello », chapeau bas. La relation des femmes aux couvre-chefs constitue à sa façon une histoire dans l’Histoire, en commençant par l’obligation qui leur est faite de se couvrir la tête.
4Si, de nos jours, aller tête nue pour une femme ne signifie pratiquement rien6 en tant qu’élément symbolique, il n’en allait pas de même au Moyen Âge ou à l’époque moderne, où toutes les femmes ou presque se présentaient la tête couverte et où il était rare, et donc singulier, qu’une femme ait la tête découverte dans les lieux publics, mais aussi dans un environnement domestique.
5Cet usage fait traditionnellement référence au texte de saint Paul (1 Cor. 11,3) dans lequel l’apôtre considère que la femme doit porter sur la tête un signe de soumission à la puissance, entendue ici comme sujétion à l’autorité masculine. Cependant, je ne pense pas qu’une femme de l’époque, interrogée sur la raison pour laquelle elle marchait dans la rue et, surtout, pénétrait dans une église la tête couverte, aurait pu réciter ce passage de saint Paul.
- 7 Taddei 2007 : 329-351.
- 8 Nico Ottaviani 2005 : 851.
- 9 Muzzarelli 2007 : 399-423.
6En réalité, c’était une pratique diffuse, mais aussi une obligation légale comme en témoignent les lois somptuaires, en particulier l’exemple d’une Riformanza de Terni de 1549 précisant que toute femme âgée de plus de 12 ans7 doit se couvrir la tête dès qu’elle sort de chez elle « sauf pour passer de maison en maison »8. Elle est autorisée à porter sur la tête un voile, à condition qu’il ne soit pas de soie, ou bien une serviette, un petit pan de tissu ou ce qui lui a semblé le plus honnête et le plus convenable. La même loi réservait le voile de soie aux épouses pendant les six premiers mois suivant leur mariage, sous peine d’une amende de cent ducats accompagnée de l’excommuni-cation et de la mise sous séquestre de l’objet litigieux que n’importe quel officier pouvait saisir sur la tête de la femme. Une partie de l’amende allait, comme souvent dans les villes d’Ombrie, au Mont-de-piété local9. Cependant, la même législation concède le port de voiles de soie aux femmes de cavaliers, de docteurs et de capitaines.
7Cet exemple permet déjà à lui seul d’esquisser quelques éléments significatifs : les femmes doivent sortir la tête couverte, les nouvelles épousées jouissent de certains privilèges et les femmes des catégories supérieures ont la possibilité de porter des couvre-chefs plus recherchés, interdits aux autres, c’est-à-dire des voiles de soie. Toute infraction à la loi était donc coûteuse et exposait la femme à la saisie agressive et humiliante du couvre-chef placé illicitement sur sa tête.
- 10 Une première reconstruction dans Muzzarelli 2006 : 13-28.
- 11 Il s’agit de deux zones pour lesquelles ont été recueillies et éditées de manière systématique tout (...)
8À partir de ces premières observations, je souhaiterai retracer une sorte de codification de la couverture de la tête féminine entre Moyen Âge et époque moderne10, en partant des lois somptuaires promulguées entre les xiiie et xvie siècles dans deux régions d’Italie centrale, l’Émilie-Romagne et l’Ombrie11. Mon propos est de saisir les correspondances entre couvre-chefs et identité genrée.
9Les lois somptuaires se sont presque exclusivement consacrées aux costumes féminins, mais, parfois, on y trouve trace de règlements portant sur les couvre-chefs masculins12 qui étaient souvent tout aussi voyants et précieux que ceux des femmes. Notons que, selon Jean de Capistran, auteur entre 1434 et 1438 du Traité des ornements des femmes
- 13 Giovanni da Capestrano 1956.
Il convient aux femmes de se montrer plus modestes et plus pudiques que les hommes et ceci par devoir de soumission à l’homme, et aussi pour ne pas fournir d’occasion à la luxure que l’aspect de la femme, en particulier bien habillée, suscite13.
10Donc, afin de contrôler et limiter les occasions de pécher, les femmes devaient avoir la tête couverte à l’église comme dans les rues de la ville, selon les prescriptions morales, mais aussi les lois, et, à la fin du Moyen Âge, seules les petites filles, quelques servantes ou nouvelles épousées pouvaient aller la tête découverte.
- 14 Muzzarelli 2002 : 413-418, en particulier 414-415.
11Très souvent, les législateurs partaient de la tête pour énoncer leurs restrictions et, dans quelques cas, comme celui d’un édit de Modène de 1564, afin de limiter le luxe au nom de « la simplicité chrétienne », de « l’honorabilité civique » et de « l’étroitesse des facultés » (restrictions économiques), décrivaient le corps de la femme de la tête aux pieds, en passant par les oreilles, le cou, la poitrine, les bras, « le travers », les cuisses et les jambes14. Le corps vêtu des femmes était ainsi décomposé, analysé et substantiellement dépouillé des ornements les plus précieux mais aussi des coiffures, pas forcément de grande valeur, puisque dans nombre de cas de simples berrette (toques ou bonnets) dépourvus d’ornements précieux étaient interdits.
- 15 Muzzarelli 2007 : 409-414.
12Les motivations des législateurs et des clercs étaient diverses, mais leur objectif commun était de couvrir la tête des femmes selon des règles, pas toujours aisées à comprendre. L’une d’elles concernait l’interdiction, presque généralisée, de porter sur la tête des perles et des pierres précieuses. Les fils d’or et d’argent étaient autorisés mais en quantité modérée. La prescription était valable aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la maison, que l’or et l’argent soient authentiques ou faux. Il convient de souligner que ces interdictions étaient également valables dans le cadre de l’environnement domestique : des contrôles pouvaient donc aussi avoir lieu dans une maison, à la suite d’une dénonciation évidemment. Celles-ci étaient sollicitées et récompensées : dans de nombreux cas, une partie de l’amende prélevée allait au dénonciateur15.
13Dans son Traité des ornements, Jean de Capistran trouvait indécent et malhonnête pour une femme de marcher la tête découverte et prescrivait que la femme reste voilée partout pour signifier sa soumission et éviter le scandale. Il rappelait en outre que, si voir le visage d’une femme pouvait susciter le désir et donc pousser au péché, il aurait fallu couvrir aussi le visage et pas seulement la tête, à l’église, comme dans les rues de la ville, à l’exception des femmes difformes au point de décourager tout désir. Quant aux législateurs, ils se sont préoccupés soit de limiter le luxe, soit de la corrélation entre les couvre-chefs et les différentes conditions sociales et personnelles.
- 16 Nico Ottaviani 2005 : 851 et 870.
- 17 Ibid. : 1041.
- 18 Ibid. : 601.
14Comme nous l’avons vu à Terni en 1549, le voile de soie était autorisé aux épouses dans les six mois après leur mariage. Une vingtaine d’années plus tard, en 1573, seuls les rubans de soie sont permis. La contrevenante à ces règles s’exposait à des mesures assez sévères16. Les concessions aux nouvelles épousées étaient pratiquées de ville en ville avec des variantes sur le contenu et la durée. Les règlements d’Orvieto en 1473 indiquent que seules les petites filles de moins de 12 ans et les nouvelles épousées pendant les huit jours qui suivent leur mariage peuvent entrer dans une église la tête découverte17. À Gubbio en 1566, toutes les nouvelles épousées peuvent pendant un an « aller en habit d’épouse » et mettre sur la tête « coiffes de soie blanche, fauve ou de n’importe quelle couleur »18.
- 19 Muzzarelli 2002 : 358.
15Les autres femmes pouvaient porter des tissus ou des draps ordinaires, des toiles fines et de la batiste tandis qu’aux veuves et autres femmes en deuil étaient permis des tissus de moindre valeur19.
16Les rares concessions accordées aux nouvelles mariées de pouvoir garder la tête découverte ou de la parer comme elles n’auraient pu le faire en temps normal ne duraient tout au plus que quelques mois et constituaient évidement une période hautement privilégiée pour ces jeunes femmes qui passaient d’une maison à une autre. La tête libre de couvre-chef signalait un changement de status et un voile de soie assouvissait l’orgueil, marquait la distance et proclamait le privilège.
- 20 Muzzarelli 1996 : 156.
- 21 Nico Ottaviani 2005 : 1007 « simplicibus pennis vel herba aut herbarum floribus ».
- 22 Muzzarelli 1996 : 583.
- 23 Nico Ottaviani 2005 : 592 et 599 « circulos de capite ».
17Gracieusement ornées de fleurs, les petites guirlandes évoquées par Pétrarque constituaient le degré inférieur de la couverture de la tête en usage au xive siècle, mais même ces modestes atours attirèrent les foudres des prédicateurs20 et l’attention des législateurs. Ces derniers intervinrent à Orvieto en 1336 pour concéder une couronne « de simples plumes ou d’herbes ou de fleurs des champs » : une simplicité destinée à faire place à des ornements bien plus complexes et coûteux21. Les couronnes ornées de perles et de pierres précieuses étaient pratiquement interdites partout, même si, dans de nombreuses villes, cette prohibition était accompagnée d’une amende qui correspondait à une sorte de taxe sur le luxe22. Parfois, la sévérité était plus grande jusqu’à prévoir la mise sous séquestre de l’objet, l’excommunication et la privation de la citoyenneté. À Gubbio en 1385, les couronnes, guirlandes ou « tours de tête » en or, argent, émaux, perles et pierres étaient proscrits aussi bien à la maison que dehors, sous peine d’une amende de 25 lires et, en 1561, toutes les dames et les citadines des rangs supérieurs se virent interdire l’or battu, l’argent ou les perles sur la tête, alors qu’elles pouvaient porter des coiffes d’or filé23.
- 24 Muzzarelli 2002 : 122 ; Nico Ottaviani 2005 : 126 ; Gnignera 2010 : 42-45.
- 25 Nico Ottaviani 2005 : 832.
- 26 Levi Pisetzky 1978 : 32-33.
18Parmi les concessions accordées aux femmes, les lois somptuaires de Bologne de 1398 énuméraient un maximum d’une once d’or et d’argent par guirlande, et celles décrétées à Pérouse en 1445 toléraient des guirlandes dont la valeur n’excédait pas 30 florins24. À Città di Castello en 1393, les couronnes, guirlandes ou frontaux étaient autorisés à l’intérieur comme à l’extérieur s’ils ne valaient pas plus de deux florins d’or, tandis qu’à Terni en 1444 les concessions montaient jusqu’à trois ducats d’or25. En 1330 à Florence, bien au contraire, même les guirlandes simplement peintes furent interdites à cause d’abus précédents « d’ornements superflus »26.
- 27 Nico Ottaviani 2005 : 266, 279, 282.
- 28 Muzzarelli 2002 : 106.
- 29 Muzzarelli 2002 : 477.
- 30 Nico Ottaviani 2005 : 530.
- 31 Ibid. : 557-558. Voir Welch 2007 : 379-394, en partic. : 382.
19Dans la plupart des cas, des concessions étaient faites aux femmes des cavaliers, docteurs en droit et en médecine comme à Assise27 et à Bologne28. À Modène, on passa d’une interdiction totale à une position plus pondérée : pas plus de 5 onces d’argent blanc ou doré sur la tête. À Piacenza en 1323, on précisait qu’était seulement autorisée une broderie de fil d’or de la largeur d’un doigt29 sous peine d’amende et de la mise sous séquestre de l’objet prohibé. À Foligno en 1584, au cours d’une période marquée par de perpétuelles lamentations sur les dépenses excessives des femmes, fut prise une mesure qui précisait que « chacune devait s’habiller selon son rang » et dénonçait le fait que les femmes « avaient la tête tellement ornée d’or et de pierres précieuses qu’elles ressemblaient toutes à des reines… dont résultaient une offense au grand Dieu, scandale vis-à-vis du prochain, ruine… »30. À la fin du siècle, on parvint à une attribution exacte des couvre-chefs par catégorie31: les femmes des cavaliers, des docteurs et de ceux qui avaient des charges à la curie romaine pouvaient porter une coiffe d’or d’une valeur de 8 florins ; celles des membres de l’ordre des prieurs des coiffes, des résilles ou des couvre-chefs de soie faits seulement d’or ou d’argent et de bandes et de rubans d’or et d’argent et, en outre, elles pouvaient porter sur la tête et au cou, et où elles le souhaitaient, deux onces seulement « de perles ou margaritarum (ensembles de perles minuscules) » d’une valeur de 6 écus l’once. Les mêmes concessions étaient accordées aux femmes de rang inférieur, mais sans les perles. Les femmes du contado pouvaient porter des coiffes et « autres couvre-chefs » de soie de n’importe quelle couleur et d’autres matières inférieures, mais pas de carmin ni de cramoisi.
- 32 Muzzarelli 2002 : 148-152.
- 33 Nico Ottaviani 2005 : 399.
20Au cours du xve siècle, les balzi (coiffes à bourrelets) font leur apparition dans les lois somptuaires ; ce sont des sortes de couvre-chefs féminins arrondis qui, quand ils sont représentés, contribuent à la datation de la peinture ou de la scène reproduite. Avant le Quattrocento, on ne trouvait pas de semblables coiffures qui rappelaient les turbans et étaient surtout portées par les jeunes femmes. Les balzi n’étaient pas autorisés par les législateurs sans discriminations. À Bologne, par exemple en 1453, les balzi de n’importe quel tissu, c’est-à-dire aussi d’or, mais sans perles et pierres précieuses, furent réservés aux femmes de cavaliers32. En 1426, à Foligno, ils étaient par contre interdits à toutes les femmes comme les chaperons et coiffures de soie ou de laine33.
- 34 Bernardino da Siena 1989 : 1089-1093. Sur les « duodecim stultitiae » « les douze sottises » qui ca (...)
- 35 « altum ad plus uno summisso et non ultra ».
21Le balzo, plus ou mieux précieux, était dénoncé par les prédicateurs. Bernardin de Sienne, qui a parsemé ses sermons de références aux habits et accessoires, en compare la définition à la rapidité avec laquelle celle qui le porte aurait pu rejoindre l’enfer : avec un balzo précisément34. Les lois ombriennes font souvent référence aux interventions des Frères considérés comme les inspirateurs de leurs mesures. La Riformanza du 28 avril 1448 confirme l’interdiction de porter des balzi ou autres ornements mentionnés par le frère Bartolomeo de Montefalcone très actif dans sa lutte contre le luxe des femmes. Quand le balzo était autorisé, il ne devait pas, selon la loi édictée à Foligno en 1448, être « plus haut qu’une taille modeste et pas plus »35 ; il ne devait comporter aucune broderie, ni perles ni autres pierres et ne devait pas être confectionné à partir d’un brocart d’or et d’argent. À Bologne, il était autorisé aux seules femmes de cavaliers.
22Le balzo est donc un couvre-chef identitaire d’un point de vue géographique mais aussi caractéristique de la jeunesse. Décoratif, mais relativement simple, il rendait un peu plus courte la distance entre Orient et Occident, offrant une confrontation dans le domaine de la mode entre pays et cultures, sans toujours permettre un dialogue entre eux.
- 36 Nico Ottaviani 2005 : 771.
23Tout aussi fréquents étaient les interdits portant sur les capuchons qui, à partir du Trecento, étaient séparés de l’habit même s’ils étaient en général taillés dans le même tissu. Les capuchons ou chaperons étaient largement répandus pendant les derniers siècles du Moyen Âge : ils se présentaient sous diverses formes et étaient portés de différentes manières. Ils étaient interdits aux femmes par les lois somptuaires pour deux raisons différentes : pour leur préciosité et, parce que considérés comme masculins, et donc causes possibles d’équivoques. À Todi en 1346, il est fait mention de façon explicite au chaperon comme un ornement masculin et il est interdit aux hommes de porter un chaperon long de plus d’un bras, et large de plus d’un bras et un quart. Le chaperon devait, en outre, être dépourvu d’or et d’argent massif ou travaillé, exception faite pour les cavaliers auxquels tout ornement était autorisé36.
- 37 Muzzarelli 2002 : 78.
- 38 « con tanti viluppi ».
- 39 Bernardino da Siena 1989.
- 40 Muzzarelli 2002 : 94 « capucium discopertum contra formam statutorum ».
- 41 Nico Ottaviani 2005 : 592. Sur les chaperons voir Gnignera 2010 : 93-102.
- 42 Muzzarelli 2002 : 87 « duorum pannorum diversi coloris simul sutorum que vulgariter appellantur ‘di (...)
- 43 Muzzarelli 2002 : 120.
24Les statuts bolonais de 1335 interdisaient aux femmes de plus de 40 ans quelle que soit leur condition de porter dans la journée des chaperons pendant dans le dos, comme elles semblaient le faire à des fins décoratives. Pour chaque manquement à cette règle, l’amende était de 25 lires37. Soit parce que pendants, soit parce que trop développés38, les chaperons étaient aussi la cible des prédicateurs : pour Bernardin de Sienne, ces enveloppements d’étoffe évoquaient les manigances de ceux qui s’emparaient des biens d’autrui39. L’interdiction ne souffrait aucune exception et était suivie d’amendes réelles, comme le montre une liste d’amendes de 1365 imposées aux Bolonaise prises avec des couronnes précieuses sur la tête, mais aussi avec de plus modestes capuchons40. La tête couverte d’un chaperon préoccupait les législateurs car il dissimulait l’identité de la personne et, pour cette raison, il était seulement autorisé pour se rendre en dehors de la ville à pied ou à cheval, comme à Gubbio41. Pourtant, les chaperons étaient régulièrement présents dans les trousseaux. Restent les interdictions de nature politique, comme celle de porter des chaperons ou manteaux de tissu de deux couleurs différentes42. Cette pratique fut interdite à Pérouse en 1376 (et en 1420) afin de ne pas alimenter les divisions des factions reconnaissables à leurs couleurs sur les chaperons ou les chausses43.
- 44 À Bologne en 1545. Muzzarelli 2002 : 185 ; à Gubbio, en 1566, on les autorise, seulement s’ils sont (...)
- 45 Muzzarelli 2002 : 185.
25Les berrette (bonnets ou bérets) éveillaient un peu partout les doutes et étaient seulement autorisés sans perles, pierres précieuses, médailles ou plumes44. Plus d’une loi prévoyait que les bonnets ne soient pas portés hors de la maison le jour, mais étaient autorisés « la nuit pour leur utilité », à condition d’être sans ornements45, en voyage ou pour se protéger des intempéries. Et toujours, sans plumes ou médailles d’or qui s’adaptaient bien à cette coiffure, comme en témoigne l’iconographie, surtout sur la tête des hommes.
26Les législateurs les désapprouvaient justement, parce qu’ils étaient considérés comme un couvre-chef spécifiquement masculin, ainsi qu’en témoigne une mesure prise à Modène en 1549. Après avoir précisé que, pour « maintenir la distinction entre l’ordre masculin et le féminin, il est interdit à toutes les femmes, qu’elles quelles soient, de porter publiquement ou de se montrer en habit d’homme », on leur interdisait de « porter des bonnets de quelque sorte que ce soit, si ce n’est pour sortir de leur maison la nuit, si le cas s’en présentait, ou en ville »46.
- 47 Ibid. : 206.
- 48 Ibid. : 169.
27C’était la même chose à Bologne en 1561 avec l’extension de l’interdit aux plumes comme ornements des chapeaux en tous lieux et en tous temps47, exception faite pour les prostituées auxquelles était autorisé l’usage du béret à plumes, qui leur fut imposé à Pérouse : un moyen sûr pour ôter l’envie aux femmes de posséder un objet évidemment désiré48, vu l’insistance des législateurs à l’interdire.
- 49 Gnignera 2010 : 39.
- 50 Muzzarelli 1999 : 99-105.
- 51 Frick Collier 2006 : 103-128, en partic. 123. Voir aussi Gérard-Marchant 2005 : 133-157.
28En effet, les plumes étaient à la mode : déjà au xve siècle, à la cour de Milan et de Ferrare, se portaient des toques de velours ornées de petites plumes d’aigrette (airone). L’extraordinaire balzo ou guirlande de plumes de paon représenté sur le cassone Adimari en prouve la diffusion en Toscane et dans la région de Florence en 1388. Les plumes de paon furent interdites sur les vêtements, mais autorisées sur les guirlandes49. En 1477 Marco Parenti, qui épousa une fille d’Alessandra Macinghi Strozzi50, commanda pour sa femme une coiffure composée de cent plumes de paon liées par des fils dorés et des rubans roses, bleus et argentés pour une somme de presque 60 florins51.
- 52 Esposito 2005 : 147-164, en partic. 156.
29Au xvie siècle, l’interdiction de s’orner la tête de plumes était constante et répandue dans l’Italie du nord et du centre : les ordonnances de Clément vii de 1532 interdisaient aux Romains « de quelque âge, rang, prééminence ou condition de porter dans la ville aucune sorte de plume »52.
- 53 Ibid. : 240 pour 1575.
- 54 Ibid. : 255 et 260.
- 55 Donati 1995 : 135-136.
30Les plumes étaient interdites à Bologne « sur les chapeaux de quelque façon que ce soit »53 et, en 1586, il fut précisé que ne pouvaient être portées sur les bonnets et chapeaux des plumes d’aigrette ni dans la ville ni au dehors. Dix ans plus tard, un ban reprend l’interdiction des « plumes, panaches d’aigrette et de toutes sortes et autres choses semblables en forme de panache »54. À Milan à la fin du xvie siècle, on proposa de réserver les plumes d’aigrette aux seuls feudataires de l’État afin qu’ils se distinguent des autres sans se ruiner en dépenses immodérées de soie, d’or ou d’argent. Les autres gentilshommes auraient pu orner leurs vêtements de toutes les autres plumes et elles auraient été refusées aux non nobles. Cette curieuse proposition prenait place dans un tissu complexe de normes somptuaires et montrait la difficulté de conjuguer l’exigence de la distinction avec les ressources limitées de nombreux nobles : une plume d’aigrette aurait pu la résoudre55.
- 56 Muzzarelli 2002 : 543.
- 57 Nico Ottaviani 2005 : 222, 228, 237.
- 58 Goretti 2005 : 149-177, en partic. 160.
- 59 Voir respectivement Muzzarelli 2002 : 185 et Nico Ottaviani 2005 : 189, 193.
- 60 Giovanni da Capestrano 1956 : 87.
31À Faenza et à Forli, les plumes étaient interdites56 et à Pérouse en 1575 comme en 1582 et 1589, étaient surtout « interdites les plumes sur les chapeaux57. Mais en dépit de ces prohibitions, le Cinquecento fut saisi d’une sorte de « fièvre plumassière »58 qui se manifestait, outre sur les chapeaux, dans le costume militaire ou dans les panaches. Les lois civiques59 et les moralistes les interdisaient soit pour leur préciosité, soit à cause d’un danger de confusion entre les être humains et les animaux. Dans le traité de Jean de Capistran, elles sont condamnées, car elles sont mises au service d’une ostentation vaniteuse, dont leur légèreté est le symbole par excellence60, mais leur usage ne disparut pas. L’absence de législation à leur propos en Ombrie confirme que l’usage des plumes et des panaches était surtout répandu en Italie du Nord.
- 61 Muzzarelli 2002 : 211.
- 62 Ibid. : 190.
- 63 Ibid : 170-171.
- 64 Ibid : 181.
32« Et en signe de leur impudicité elles doivent porter sur la tête le drap, le bonnet ou le chapeau avec plume ou sans plume 61» lit-on à propos des prostituées dans un règlement édicté à Bologne en 1566. Une vingtaine d’années auparavant, en 1545, il leur avait été interdit de porter sur la tête quoi que ce soit d’or ou d’argent, et imposé un drap ou voile jaune et non d’une autre couleur62. À Bologne les femmes de mauvaise vie se distinguaient des normes légales à la maison, où il leur était interdit de porter des vêtements ou des habits et accessoires de soie ou ornés de fils d’or, et, comme prostituées dans les lieux publics. Une règle postérieure en 1514 les obligeait à mettre sur l’épaule un grelot de faucon bien visible et effectivement sonnant, mais si elles le portaient, elles pouvaient placer sur l’épaule et sur la tête ce qu’elles voulaient63. Le grelot fut remplacé neuf ans plus tard par une bande jaune longue de deux bras jaune et large d’un quart64.
- 65 Nico Ottaviani 2005 : 477.
33À Foligno en 1556, ce n’était pas le bonnet, mais le voile bleu foncé, qui distinguait les prostituées. Elles devaient porter « pour aller ou rester hors de la maison, […] sur la tête tout voile ou coiffe de couleur bleu foncé d’une palme et demie de long et d’une de large »65 sous peine d’une amende de 120 écus d’or dont la moitié allait à l’accusateur, fait coutumier, et l’autre « aux œuvres pieuses et aux dépenses publiques ». L’utilisation de l’argent des amendes pour les œuvres publiques ou d’autres dépenses urgentes était assez répandue.
- 66 Rezasco 1890 : 161-220 ; Brundage 1987.
- 67 Lombardo 1986 : 321-341, en partic. 336.
- 68 Rossiaud 1984 : 76.
34Afin de distinguer les prostituées, les diverses cités adoptèrent des politiques différentes66 qui, concernant la tête, allaient de l’interdiction de porter le maccagnano, un tissu que les femmes romaines plaçaient sur leur tête67 (donc la règle de soustraction), à l’imposition d’un voile ou d’une bande d’une couleur précise ou d’un objet interdit à toutes, par exemple le béret à plumes (règle de distinction avec restriction marginalisante). L’interdiction à toutes les femmes malhonnêtes de porter la coiffe ou le chaperon demeura répandue dans certaines zones d’Italie et en dehors d’Italie, puisqu’à Dijon au milieu du xve siècle, enlever son chaperon à une femme équivalait à l’accuser de se prostituer et les filles publiques faisaient ce geste pour dénoncer leurs concurrentes secrètes68. Ceci confirme le fait qu’il était inhabituel pour une femme honnête d’avoir la tête découverte.
- 69 Nico Ottaviani 2005 : 223 (1275) et 239 (1589).
- 70 Nico Ottaviani 2005 : 808.
35Une distinction imposait aux prostituées de Pérouse de porter toujours en dehors de leur maison le bonnet69 qu’elles devaient aussi garder à l’église. La peine qui frappait celle qui avait enfreint la règle était, pour la première fois, une amende de 10 écus en faveur d’un couvent de filles converties et un mois de prison, mais la deuxième fois, elle était de 20 écus, du fouet et du bannissement de la ville. Avec le bonnet sur la tête, les prostituées pouvaient se vêtir et se parer sans restriction. À Todi aussi, elles étaient tenues de porter toujours le bonnet, même à l’église, sous peine d’une amende de 10 écus donnée au Mont de Piété et d’un mois de prison pour la première fois, mais pour la seconde d’une amende de 20 écus, du fouet et du bannissement70.
- 71 Ibid. 325. Sur les insignes des Juifs, voir Toaff 1996 : 237-263, en partic. 257-261 et Sansy 2001 (...)
- 72 Nico Ottaviani 2005 : 123.
36Le bonnet sur la tête des femmes était destiné, dans l’esprit des législateurs, à signaler leur marginalité et à Città del Castello en 1507, un bonnet jaune servait à désigner les Juifs tandis que les Juives étaient tenues de porter un voile jaune71. En 1432, à Pérouse les femmes juives devaient avoir « des anneaux aux oreilles » et des mantilles à l’ancienne mode quand elles sortaient de chez elles sous peine d’une amende de 15 lires. Les veuves étaient exemptées des anneaux, mais devaient porter des mantilles de n’importe quelle couleur sauf le noir, le gris et le vert sombre72. Ces mantilles ne devaient pas différer beaucoup des manteaux qui étaient réservés aux veuves ou aux femmes âgées mais interdits aux Juives. La règle ne précise pas si elles se portaient sur la tête ou sur les épaules et réserve de toute façon le noir et les autres couleurs sombres aux chrétiennes.
- 73 Voir Bellasi & Sparagni 2006.
- 74 Verga 1898 : 343-355.
- 75 Muzzarelli 2002 : 358.
37Si les capuchons avaient, au moins en théorie, la fonction de protéger la tête, les coiffures73 entremêlant les cheveux de voiles, de cordonnets, de rubans ou de perles étaient purement décoratives, tout comme les couronnes et les guirlandes, et consistaient en des arrangements complexes de la chevelure réalisés grâce à l’utilisation de postiches. L’obligation de se couvrir la tête était dans ce cas interprétée de façon à transformer sa tête en un authentique étalage de matières précieuses. Les Statuts bolonais de 1376 interdisaient les tresses d’or ou d’argent (peut-être des bandes d’or ou d’argent tressées dans les cheveux). Les coazzoni (tresses de cheveux entremêlées de rubans) sont fréquemment figurés dans l’imagerie et quelquefois pris en considération par les lois somptuaires qui, à Milan par exemple, les interdisaient aux prostituées74. La loi de Césène de 1575 autorisait « résilles et coiffes » d’une valeur d’un écu aux femmes mariées « y compris les cordelettes des tresses », et à toutes les autres d’une valeur maximale d’un demi-écu, cordelettes comprises75.
- 76 Ibid. : 329.
- 77 Nico Ottaviani 2005 : 241.
- 78 Ibid. : 399 « aliquam compositionem capillorum qui non essent innati, vivi et naturales proprii cap (...)
- 79 Giovanni da Capestrano 1956 : 115-116.
38Ces coiffures, entièrement tournées vers la décoration, étaient les moins fonctionnelles parmi tous les couvre-chefs. Entraient dans ce genre d’ornements les coiffures utilisant la passementerie76, « petites marguerites… perles noires »77, ou les postiches. À Foligno en 1426, les coiffures utilisant des cheveux postiches – « toute composition comportant des cheveux qui ne sont pas d’origine, vifs ou naturels à la propre tête » – furent interdites sous peine d’une amende de 25 lires78. Jean de Capistran considérait comme un péché mortel « l’utilisation des cheveux d’une autre … qu’ils soient morts ou vifs, de vierges ou de femmes mariées », mais acceptait leur recours en cas d’une difformité telle qu’elle aurait pu conduire le mari à l’adultère79.
39Reste que de telles coiffures possédaient une finalité décorative fort différente de celle qu’auraient souhaitée les moralistes et, plus que la simple manifestation de la fantaisie et de la richesse, elles semblaient exprimer une sorte de résistance aux consignes de modestie et à l’obligation de se couvrir la tête.
- 80 Muzzarelli 2002 : 183.
- 81 Ibid. : 667 et Nico Ottaviani 2005 : 703.
- 82 Nico Ottaviani 2005 : 708.
40Parmi de nombreuses créations curieuses, toutes ou presque interdites, les coiffes étaient le plus souvent autorisées, si elles étaient dépourvues d’ornements précieux, même quand elles étaient confectionnées avec un tissu d’or ou d’argent80. C’était le cas à Rimini en 1561 ou à Spolète en 157081, quand on précisa que la mariée pouvait en apporter en dot une douzaine, à condition qu’elles soient sans or ni argent, quoique les épousées aient pu utiliser comme parure de tête une once et demie de fil d’or ou d’argent dans la coiffe82.
- 83 Ibid. : 669, 672.
- 84 Ibid : 701.
- 85 Muzzarelli 2002 : 467.
41Toujours à Spolète en 1530, les femmes ne pouvaient porter de résilles ou de coiffes d’or travaillées d’une façon ou d’une autre, mais seulement des coiffes de soie ornées à volonté, une interdiction réitérée en 154283 : pour celles qui ne s’y soumettaient pas, c’était non seulement une amende mais aussi l’excommunication. Cependant, cela ne suffit pas. En 1567, on ajouta une peine qui étendait l’interdiction à « la privation de citoyenneté »84. À Foligno en 1549, un peu d’or sur la coiffe des mariées comme parure de tête fut exceptionnellement accordé85, mais pour une valeur inférieure à deux écus.
- 86 Nico Ottaviani 2005 : 479-481.
42Évidemment, les femmes ne surent pas s’en contenter et, en 1557, face aux infractions continues, les législateurs constatèrent, désolés, qu’« il n’y a pas de règle qui tienne ; infinies sont les femmes qui les transgressent », en dépit des amendes de 50 écus pour tout manquement aux règles. Ils décidèrent de rendre publics les noms de chacune de ces femmes parmi lesquelles plus d’une exhibait les « coiffes d’or » prohibées86. En général, on assiste vis-à-vis des coiffes à une attitude conciliante en raison des dimensions modestes de cette coiffure portée, avec des variations, jusqu’au xviiie siècle.
- 87 Giovanni da Capestrano 1956 : 121-122.
- 88 Frick Collier 2006.
43Les critiques de Jean de Capistran n’ont pas non plus épargné ces coiffes à propos desquelles s’établit, non sans mal, un accord tacite entre les femmes et les autorités citadines. Selon ses dires, quand le Seigneur dépouillera les filles de Sion de toutes leurs parures dans lesquelles elles se pavanent, il fera disparaître outre les chaussures, perles et colliers, les coiffes87. Ces dernières étaient l’admirable résultat de l’habileté de femmes artisanes. Si l’activité déployée par la main d’œuvre féminine dans les ateliers des couturiers à la fin du Moyen Âge est difficile à documenter, à Florence, se développe une spécialisation féminine dans la production de belles coiffes brodées et de coiffures complexes faites de postiches, de perles, de rubans et d’autres éléments décoratifs88.
44En définitive, malgré les interdits souvent contournés au prix d’une amende, nombre de femmes devaient vraisemblablement porter des couvre-chefs fantaisistes et excessifs, qui apportaient satisfaction et visibilité à celles qui les mettaient, travail à celles qui les produisaient et alimentaient avantageusement les caisses communales et même les pauvres. En effet, dans certains cas, une partie de l’amende au moins allait aux Monts de Piété créés et ouverts pour aider les pauvres, du moins ceux ayant besoin de crédit89. On peut donc dire que les architectures complexes placées sur les têtes des femmes faisaient du bien à un grand nombre de personnes !
45Les lois somptuaires se sont préoccupées de discipliner aussi des coiffures de moindre valeur monétaire, mais d’un haut niveau symbolique : c’est le cas du manteau-voile sur la tête. La Madone est souvent représentée la tête couverte d’un manteau, placé le plus souvent sur un fin voile transparent ou un tissu blanc. En réalité, les manières dont est couverte la tête de la Vierge sont assez diverses, ce qui semble signifier que la vertu n’avait pas un seul modèle esthétique, mais aussi que l’importance de la mode était telle qu’elle poussait les peintres à coiffer la tête de la Madone et à vêtir les autres saintes d’habits somptueux et de couvre-chefs à la mode pour communiquer avec leur public plus aisément et souligner l’importance du respect et de la reconnaissance dus à l’une et aux autres.
46Si Jésus et les Apôtres sont toujours représentés vêtus de tuniques intemporelles, il n’en va pas de même pour les saintes. Marie elle-même est souvent figurée portant sur la tête des voiles transparents de soie dorée, de rubans, de perles, etc. Mais elle est aussi représentée avec le manteau sur la tête, lequel était généralement entendu comme un signe de modestie, caractérisant les veuves et les femmes âgées en général.
- 90 « clamidem in capo ».
- 91 Nico Ottaviani 2005 : 114-115. Si elles l’avaient fait, les autres femmes auraient dû payer une ame (...)
- 92 Nico Ottaviani 2005 : 117.
47Parmi les lois qui imposaient une telle coiffure aux veuves, celles édictées à Pérouse en 1416 établissaient que les prostituées ne pouvaient pas mettre le manteau sur la tête90 ni le porter au-delà du genou, sous peine d’une amende de 10 lires et la mise sous séquestre du manteau. Était réservée aux seules veuves et religieuses la possibilité de se couvrir la tête avec leur manteau91. Une modification ultérieure élargit la concession aux femmes de plus de 40 ans, qui devaient seulement s’en couvrir la tête en cas de pluie92.
- 93 Muzzarelli 2002 : 358.
- 94 Nico Ottaviani 2005 : 475 « per corrotto, che ne moia uno, una o dieci di parenti, cavandone sempre (...)
48À Cesena en 1575, toutes les veuves se virent assigner le port de pans de tissu de « saglia, buratta, de toile d’Ostende »93 sur la tête, tandis qu’à Foligno était imposé le port d’un double pan de tissu aux veuves ; celles-ci firent entendre leur voix en 1554 afin d’obtenir de placer sur leur tête une seule paire de pièces d’étoffe et pas plus, que le deuil soit pour un ou plusieurs parents94. On voit bien que nous « malheureuses femmes », nous ne siégeons pas au Conseil, lit-on dans les registres de Foligno, et que les hommes ne se sont pas aperçus du désagrément et aussi de l’absurdité de charger la tête des femmes de « tissus de deuil », une paire pour chaque mort à pleurer au point de rendre les femmes « infirmes… estropiées et mortes ».
- 95 Blanc 1997 : 39-96.
- 96 Bernardino da Siena 1989 : 1242.
49La requête était destinée à susciter la compassion, mais plus généralement la mode était de ne pas en porter beaucoup : tant le corps comme la tête des femmes était chargé d’un poids énorme95, comme le dénonçait aussi Bernardin de Sienne96.
50Les couvre-chefs volumineux altéraient la forme de la tête et l’alourdissaient : la mode exigeait des sacrifices différents de ceux imposés par les moralistes et les législateurs ! Le manteau sur la tête, comme le nombre de pans de tissus, étaient donc les vocables d’un langage partagé, quoique sujet à des variantes d’une ville à l’autre, d’une époque à l’autre.
51Nous avons déjà évoqué l’obligation faite aux femmes de se voiler la tête selon l’indication de saint Paul, mais combien de femmes pouvaient-elles porter un voile sur la tête, quels étaient ces voiles et de quels messages étaient-ils porteurs ?97
- 98 Calvi 2002 : 477-503, en partic. 480.
- 99 Nico Ottaviani 2005 : 619.
52On a parlé des voiles bleu foncé des prostituées de Foligno et, toujours à Foligno, des voiles jaunes des juives, et des voiles blanc de deuil. Le blanc et le jaune, respectivement couleurs de la pureté et de la honte, contresignaient la valeur des femmes en termes de chasteté et d’honneur98. Plus généralement, c’étaient des voiles de coton blanc qui couvraient la tête des femmes en deuil de multiples strates. Pour le deuil, existaient aussi des voiles, ou peut-être des pans de tissu, noirs comme à Norcia en 152699.
- 100 Muzzarelli 2002 : 47.
- 101 « velum cum capitibus pendentibus supra pectus ».
- 102 Muzzarelli 2002 : 104, 109, 115.
53Dans les lois somptuaires édictées à Bologne, capitale depuis le xvie siècle de la production de voiles de soie, le voile apparaît plutôt rarement100. Il est surtout évoqué à propos du deuil pour l’autoriser pendant une durée limitée à un mois, « mais pas un voile avec des pendants sur la poitrine »101. Les seules concessions faites à la veuve étaient d’une valeur maximale de 10 lires pour le voile qui pouvait être de n’importe quelle sorte, et les voiles ou les vêtements de deuil ne pouvaient pas être portés plus de deux ou trois mois après le décès du conjoint102.
- 103 Ibid. : 331.
- 104 Ibid. : 549.
54Il semble qu’il existait des excès quant aux voiles en cas de funérailles et « pour empêcher cette dépravation de voiler autant les femmes », on limita à Forlì en 1556 le nombre des parentes qui pouvaient porter le voile103. On chercha aussi à Faenza en 1574 à restreindre « les dépenses excessives… dues au don de nombreux voiles aux femmes » en cas d’obsèques, suggérant de « convertir en œuvres pieuses et saintes pour les suffrages de l’âme du défunt » le coût de ces objets104.
55L’iconographie atteste la profusion de voiles entre le xve et le xvie siècle : très fins, impalpables, blancs, dorés, transparents, tels que plus d’une les portait et d’autres rêvaient de les porter. Les peintres, défiant les limites imposées par la matière, s’essayèrent à représenter la transparence et nous laissent en prise à des doutes relatifs quant au fait qu’ils aient réellement vu ce genre de voile et qu’il s’en produisait effectivement à la fin du Moyen Âge d’aussi raffinés et d’une consistance à peine perceptible.
56Le voile est une métaphore qui va au-delà de l’objet produit, désiré et commercialisé. Le fait de voiler la tête exigé par saint Paul est également une métaphore. Symbole de soumission mais aussi de légèreté et d’élégance, c’est une parure purement féminine qui a symbolisé pendant des siècles les moniales, les épouses et les veuves, mais pas seulement. Métaphoriquement, il dissimule sans cacher le tout, il laisse apercevoir allusivement plus qu’il ne montre. Le voile embellit et estompe tout à la fois, c’est un objet réel qui embrume un peu la réalité la faisant entrer dans une dimension onirique.
57En Occident, les femmes ont adopté le voile plutôt comme une parure, mais aussi pour obéir à la volonté masculine, se mettant à l’abri de l’accusation de résistance, sans toutefois sacrifier au désir de participer à la vie sociale, de tirer parti de la mode et de mettre en lumière l’unique, ou presque, partie de leur corps visible : le visage.
- 105 British Library, ms Harley 4379, Jean Froissart, Chroniques, vol. iv, p. 1, fol. 19v.
58Le voile donne de la grâce, il embellit, orne, mais ne cache pas : il ne dissimule pas la véritable nature des femmes qui, parées d’un élégant hennin, de hautes échasses et de voiles impalpables comme la mode l’exigeait, étaient et restaient des animaux pour les hommes. Une interprétation de la sorte s’applique à une miniature du xive siècle qui orne les Chroniques de Jean Froissart105 représentant une truie chaussée d’échasses, coiffée du hennin et d’un long voile. Dans ce cas, c’est un mince voile qui dévoile le préjugé et la violence sous-entendus dans cette représentation et traduit en image la considération que l’on avait pour les femmes dans certains milieux à la fin du Moyen Âge.