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Clio a lu

Albert Viard, Lettres à Léa, 1914-1919

(choisies et présentées par Bruno Viard), éditions de l’aube, 2010, 223 pages
Françoise Thébaud
p. 278-280
Bibliographical reference

Albert Viard, Lettres à Léa, 1914-1919, (choisies et présentées par Bruno Viard), éditions de l’aube, 2010, 223 pages

Full text

1La Grande Guerre peut paraître lointaine. Longtemps éclipsée dans les mémoires par les années noires de l’Occupation et le combat contre le nazisme, elle a retrouvé récemment une place de premier plan : renouvellement historiographique induit par les approches d’histoire culturelle et d’histoire des femmes et du genre, questionnement sur son caractère matriciel dans les violences du xxe siècle et sur l’anthropologie du combat, publication de carnets et de correspondances de guerre. Lettres à Léa en sont un exemple, « livre de mémoire et de tendresse » comme l’écrit la quatrième de couverture. Plusieurs niveaux de lecture sont possibles.

2L’origine et la composition de l’ouvrage d’abord. Inscrit dans le contexte évoqué, Lettres à Léa publie de larges extraits d’un trésor de famille oublié des décennies durant et retrouvé à la mort de Marguerite, enfant de la guerre et deuxième fille du combattant épistolier, « vestale de la mémoire familiale » sans doute restée célibataire. Deux types d’écrits du quotidien ont été sélectionnés par Bruno Viard – qui n’explicite pas les critères adoptés – et éditées par Jean Viard, qui rendent ainsi l’un et l’autre hommage à leur grand-père, sous-officier d’artillerie mobilisé à 27 ans : d’un côté, plus de 150 lettres ou extraits de lettres choisis parmi le courrier envoyé quasi quotidiennement, entre le 31 juillet 1914 et le 26 juin 1919, par Albert à sa femme Léa qui est retournée vivre chez ses parents dans son village natal des Vosges ; de l’autre, un journal de marche écrit également à l’intention de Léa pour décrire la guerre au jour le jour entre la mobilisation et le 14 octobre 1914. Bien maîtrisée, l’orthographe d’Albert, qui semble avoir fait des études militaires comme le suggère la photo prise le jour de son mariage, a été respectée mais la ponctuation, jugée défaillante, a été « rétablie ». L’ouvrage donne en effet à voir quelques photos de famille de différentes époques, ainsi que des reproductions de lettres ou cartes postales manuscrites. Les supports d’écriture sont de formats variés, l’écriture, à la plume ou au crayon, fine et serrée avec des lettres bien formées et de belles majuscules.

3Lettres à Léa est ainsi un témoignage sur les pratiques d’écriture et les codes épistolaires. Il informe également sur les mots et les gestes pour dire l’amour et l’affection et tenter de combler l’absence de l’aimée. Si « Ma chère petite femme » ouvre la conversation épistolaire, la formule finale est plus variée : « je t’embrasse de tout cœur », « ton petit homme qui t’aime de tout son cœur », « ton Albert qui te croque », « ton petit homme qui te gobe ». Albert demande à Léa de lui envoyer une photographie, de lui parler de ses toilettes, de lui faire don d’une mèche de cheveux. L’amour paternel n’est pas en reste pour le « petit trésor » qu’est Jeanne – la fille aînée qui allait décéder en 1932 –, et pour la « petite Guite » née au début de 1918 et dont « la bonne frimousse » fait vite oublier à Albert sa préférence pour un garçon. Le 13 juin 1918, il écrit : « C’est une grosse privation pour moi d’être privé des joies si douces que nous aurions ensemble. Comme je voudrais entendre appeler papa et avoir un bon sourire en rentrant à la maison ».

4Jamais les Français et les Françaises n’ont tant écrit que durant la Grande Guerre, échangeant de nombreuses lettres et cartes postales dont l’industrie devient prospère. Les combattants disent leurs difficiles conditions de vie (« nos misères ») et la mort omniprésente, remercient pour les envois de la famille, demandent des nouvelles des proches, évoquent la permission à venir, donnent des consignes à leurs femmes pour tenir la ferme ou la boutique – ou faire acte d’autorité sur les enfants –, et expriment parfois leurs états d’âme. Pour tous comme pour Albert, la lettre de l’aimée permet de penser le futur et de garder courage, car « c’est une journée perdue quand on ne reçoit rien » (24 avril 1918). Mais la correspondance d’Albert, dont le lecteur sait seulement qu’il est le cinquième enfant d’un épicier vosgien monarchiste, a des tonalités particulières. Celle d’un ardent patriote qui méprise « les lâches », assure sa femme qu’il fera son « devoir jusqu’au bout sans aucune défaillance » (30 octobre 1914), reçoit pour son courage médailles et citations – et fin 1916 une formation à l’École d’application de l’Artillerie et du Génie. Celle aussi d’un fervent chrétien qui écrit que « l’homme propose et Dieu dispose » (2 octobre 1917), qui demande à sa femme de prier pour lui et d’accepter à son égal les épreuves « en expiation des fautes » (28 septembre 1914). S’il décrit son quotidien et aspire au bonheur des retrouvailles et du « petit nid tranquille », il ne se plaint jamais, comme le lui fait remarquer Léa. La permission tant attendue de juillet 1918 est cependant retardée par la contre-offensive alliée qui permet, selon les mots d’Albert, de « regagner cette belle terre de France que le boche a souillée » (29 juillet 1918), puis suspendue pour cause de blessure. Celle-ci fait du valeureux « une pauvre chose meurtrie et sanglante » (31 août 1918) qui attend fiévreusement la lettre ou la visite de sa compagne, et qui pleure certains jours sur le portrait de celle-ci. Souffrant de plus en plus du manque de l’autre, les époux ne se retrouvent que l’été 1919 où Albert, militaire de carrière, est affecté à une garnison.

5Une dernière lecture mérite d’être mentionnée, l’ouvrage permettant une comparaison entre les lettres et le journal de marche qui, non soumis au contrôle postal, est plus précis sur les lieux et les opérations de guerre. L’intérêt principal de Lettres à Léa est cependant de susciter une histoire intime du conflit, à l’échelle des destins individuels.

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References

Bibliographical reference

Françoise Thébaud, Albert Viard, Lettres à Léa, 1914-1919Clio, 35 | 2012, 278-280.

Electronic reference

Françoise Thébaud, Albert Viard, Lettres à Léa, 1914-1919Clio [Online], 35 | 2012, Online since 05 June 2012, connection on 07 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10637; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10637

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Françoise Thébaud

Université d’Avignon, émerite

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