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Clio a lu

Michel Braud & Hélène Charpentier (dir.), Adèle, Adèle et Léontine. Journaux de jeunes filles protestantes à la fin du xixe siècle

Pau, Cairn, 2009, 158 pages
Danielle Rives
p. 274-276
Bibliographical reference

Michel Braud & Hélène Charpentier (dir.), Adèle, Adèle et Léontine. Journaux de jeunes filles protestantes à la fin du xixe siècle, Pau, Cairn, 2009, 158 pages

Full text

1La collection consacrée aux « Écrits du for privé des Pays de l’Adour », dirigée par Michel Braud et Maurice Daumas vient de publier les journaux que trois jeunes protestantes béarnaises ont rédigés dans le dernier tiers du xixe siècle : il s’agit d’un journal intime et de récits de voyages par des jeunes filles issues de la bourgeoisie protestante. Elles appartiennent toutes trois à des familles socialement aisées, mais les aléas de l’existence conduisent deux d’entre elles loin du berceau des origines, les confrontant à l’altérité de lieux et de milieux différents.

2Leurs relations respectives donnent une image assez fidèle de la condition des filles de la bourgeoisie provinciale ayant reçu une éducation pétrie de bonnes manières. Si la tonalité des récits est différente, des passerelles nombreuses relient les diaristes. La religion constitue le premier lien ; fille, nièce ou proche parente de pasteurs, toutes trois expriment un attachement sincère à la foi de leurs pères. L’écriture, parfaitement maîtrisée, rappelle aussi l’importance de l’éducation dans la culture protestante, soucieuse de dispenser dès les origines de la Réforme une égale alphabétisation entre les sexes. Les trois récits révèlent un attachement fort aux racines familiales et provinciales, mais ils manifestent aussi une réelle ouverture sur des ailleurs dont les rédactrices décrivent avec curiosité, voire empathie, les particularismes et les attraits. L’appartenance des trois jeunes filles à un même réseau familial et amical peut également expliquer la parenté des discours.

3Adèle Sarandet est une adolescente tourmentée ; elle entreprend la rédaction de son journal en janvier 1874, mais l’interrompt brutalement moins de deux ans plus tard. La tenue en est très irrégulière, marquée d’interruptions plus ou moins longues liées à ses humeurs. Orpheline de mère à l’âge de cinq ans, en perpétuelle quête d’affection, Adèle vit au sein d’une famille de petits industriels alsaciens où sa sœur aînée occupe les fonctions de gouvernante. Le journal, offert à sa demande comme cadeau de Nouvel an, joue le rôle de confident privilégié. Réceptacle de ses désarrois comme de ses enthousiasmes, il devient un véritable compagnon avec lequel elle entretient une étroite relation au point de s’adresser à lui à la première personne. Elle lui confie ses émois, ses doutes, ses chagrins en marge des récits du quotidien. Revenue en Béarn, elle interrompt sans explication la rédaction du journal dont elle découpe soigneusement, par ailleurs, un certain nombre de feuillets.

4Les textes d’Adèle Nogaret sont de facture très différente. Âgée d’une vingtaine d’années, Adèle est de tempérament enjoué ; nantie d’un diplôme d’enseignement, elle s’engage comme gouvernante auprès de riches familles étrangères en villégiature à Pau. Elle les accompagne ainsi au fil de leurs pérégrinations à travers l’Europe et rédige, à cette occasion, deux journaux de voyage : le premier raconte un séjour en Angleterre tandis que le suivant nous entraîne en Pologne. Un troisième texte ébauche la relation inachevée d’une excursion dans un massif des Pyrénées. Contrairement au journal de l’autre Adèle, on ne trouve point ici d’épanchement sentimental ou d’introspection de soi : la diariste se contente de rapporter des faits, ordinaires ou extraordinaires, dont elle semble vouloir garder trace pour un récit ultérieur. Dans le premier journal tenu durant l’été 1881, les mentions se résument essentiellement à une liste de personnes rencontrées ; noms, qualités, attitudes sont soigneusement consignés dans de brèves notices ponctuées d’abréviations et sans préoccupation littéraire. Le voyage en Pologne, de mars à juillet 1882, donne lieu en revanche à un tableau beaucoup plus détaillé ; le récit fourmille de descriptions des paysages, des particularités ou des travers des compagnons de voyage, des recettes de cuisine, des activités des espaces parcourus... Au fil des étapes, le récit nous entraîne de Pau à Paris, à Berlin et à Varsovie. L’emploi du temps bien rempli de cette société oisive, tourbillonnant de visites en promenades, de séances d’emplettes en séquences d’essayages, de préparations festives en réceptions données et rendues, est minutieusement noté. La diariste, qui partage totalement le mode de vie de ses maîtres, donne l’impression de se plier sans déplaisir aux fantaisies de cette existence un peu désœuvrée. Elle évoque au passage le programme d’étude qu’elle est censée dispenser à ses jeunes élèves, même si ce programme ne semble pas occuper une place essentielle dans ses activités, et elle apparaît davantage ici comme dame de compagnie que gouvernante. La relation laisse peu de place à l’expression des sentiments ou à l’analyse des situations. Elle s’apitoie parfois sur le sort des êtres souffrants, gratifie Prussiens et Russes de jugements de valeur peu flatteurs mais se garde bien de tout aveu susceptible de dévoiler son for privé.

5Le récit de l’excursion au Port de Vénasque, col frontalier situé dans la région de Bagnères-de-Luchon, est rédigé en 1883. Il prend la forme d’un exercice de style où la diariste manifeste d’indéniables qualités littéraires. Probablement destiné à une certaine diffusion, il ne s’inscrit pas dans le registre du journal.

6La dernière scriptrice, Léontine Nogaret originaire de Bayonne, relate la visite de deux jeunes cousins parisiens. Ces derniers sont accueillis chez ses parents ; fille de pasteur, benjamine d’une fratrie de neuf enfants, elle tient, du 1er au 18 avril 1887, un bref journal évoquant la préparation et la réception des deux cousins. Le récit est allègre, dévoilant le contentement juvénile de son auteur ; il est en revanche peu descriptif et ne s’épanche guère en confidences personnelles, hormis peut-être l’évocation nostalgique de la séparation au terme du séjour des deux cousins. La narration conduit le lecteur d’excursions en visites familiales et amicales rassemblant un groupe de jeunes gens insouciants et heureux de parcourir ensemble Béarn et Pays basque, tout en se découvrant eux-mêmes. Ici encore, il s’agit davantage de conserver la mémoire d’un événement exceptionnel qui a rompu la monotonie du quotidien familial, que de faire récit ; Léontine n’a apparemment pas poursuivi la rédaction de son journal.

7Nous avons, dans les trois cas, des fragments de récits souvent interrompus et sans continuité et non de véritables journaux intimes. Ils témoignent pourtant, non seulement de la part grandissante des femmes dans la prise d’écriture mais aussi, à travers l’affirmation de leurs convictions ou de leurs goûts, d’une certaine émancipation féminine et constituent à ce titre des sources utiles pour l’histoire des femmes.

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References

Bibliographical reference

Danielle Rives, Michel Braud & Hélène Charpentier (dir.), Adèle, Adèle et Léontine. Journaux de jeunes filles protestantes à la fin du xixe siècleClio, 35 | 2012, 274-276.

Electronic reference

Danielle Rives, Michel Braud & Hélène Charpentier (dir.), Adèle, Adèle et Léontine. Journaux de jeunes filles protestantes à la fin du xixe siècleClio [Online], 35 | 2012, Online since 05 June 2012, connection on 06 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10631; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10631

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Danielle Rives

Professeur agrégé d’histoire

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