1« Tous ceux qui sont à l’intérieur du Sérail impérial, tant hommes que femmes, sont les esclaves du Grand Seigneur », notait, non sans surprise, le voyageur italien Ottaviano Bon au xviie siècle1. Cette omniprésence des esclaves au sein de la cour ottomane, qui se retrouve jusque chez les époux des membres de la famille royale, n’eut de cesse de déconcerter les voyageurs occidentaux de passage dans l’Empire ottoman, tant il contrastait avec les pratiques en cours au sein des dynasties européennes. Que des sultans aient des concubines, passe encore. Nos rois n’avaient-ils pas eux-mêmes des favorites ? Mais que ces femmes, des esclaves, puissent devenir mères de princes et de princesses ottomans, voire de sultans, voilà qui avait de quoi laisser perplexe. Aussi n’est-il pas inutile de réfléchir à cette question du choix des stratégies matrimoniales au sein de la dynastie ottomane. D’autant plus que les sultans n’étaient pas les seuls à tisser des unions avec des esclaves. Même les princesses de sang étaient mariées de la sorte ! Pourquoi ce choix en faveur des esclaves ? Comment s’est-il progressivement imposé comme unique option ? Quelles en furent les incidences sur le statut des époux ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans les pages qui suivent.
- 2 Pour une bonne introduction à l’histoire ottomane, consulter notamment Inalcık 1973 ; Mantran 1989.
2Avant d’entrer dans le vif du sujet, il ne semble pas inutile de rappeler quelques éléments de contexte, à commencer par la situation politique2. La période qui s’étend du milieu du xive siècle au début du xvie siècle correspond à l’ère de construction de l’État ottoman qui, de petite principauté frontalière, se transforme en un Empire exerçant son pouvoir sur tout le pourtour de la Méditerranée orientale. L’État ottoman s’est ainsi étendu aux dépens de toutes les principautés anatoliennes musulmanes voisines, mais aussi des États et Empires chrétiens, ceux de Trébizonde, de Byzance, de Serbie, etc. Il faut imaginer le xive siècle comme une période d’intense morcellement politique, qui a permis l’émergence de nouvelles principautés guerrières, mais aussi de pouvoirs locaux, sous l’égide de chefs religieux ou politiques, qui disparaissent néanmoins au fur et à mesure que des principautés souveraines se constituent en puissants États indépendants. Cet éclatement territorial, qui s’accompagne de grands mouvements de population (avec l’implantation de colonies turques, tant en Anatolie qu’en Europe orientale), a nécessité la mise en place d’une intense diplomatie entre les différents pouvoirs existants, dans laquelle les mariages dynastiques tinrent une place non négligeable. Or, à partir du xve siècle, parallèlement à leurs conquêtes territoriales, les sultans ottomans mirent en place une politique de renforcement du pouvoir impérial, via une centralisation accrue, l’utilisation croissante d’esclaves au sein de l’armée et de l’État, et la montée en puissance de l’absolutisme. Si ces modifications ne se sont pas faites en un jour, elles s’affichent pourtant avec constance jusqu’au xvie siècle, qui voit se cristalliser l’idéal monarchique et gouvernemental dessiné au cours du siècle précédent.
- 3 Quelques ouvrages sont incontournables pour quiconque s’intéresse au fonctionnement de la dynastie (...)
- 4 Dans le courant du xviie siècle, les crises dynastiques successives entraînèrent une modification d (...)
- 5 En ce qui concerne les petites-filles de sultan, il n’est pas évident que le choix du mari lui revi (...)
3Les règles dynastiques se modifient elles aussi ; elles s’adaptent aux diverses évolutions politiques3. Le phénomène le plus marquant est l’élévation de la dynastie, qui se proclame progressivement supérieure aux autres. Cet idéal n’est pas sans conséquence sur les alliances matrimoniales, puisque bientôt se pose le problème du choix des époux pour les membres de la famille régnante : comment concilier rang dynastique et nécessités politiques ? Progressivement, les sultans se tournèrent de façon accrue vers les esclaves, lesquels semblaient répondre à cette double exigence. Cela ne fut rendu possible que parce que les règles dynastiques le permettaient. En effet, plusieurs principes commandaient la succession ottomane, à commencer par le système patrilinéaire. La succession se faisait par lignée masculine directe, sans que les femmes y aient part, au point même que l’origine sociale de la mère n’avait aucune importance. Le deuxième principe était qu’il n’existait aucune règle de succession particulière, c’est-à-dire que tous les princes de sang possédaient un même droit d’accession au trône. Aucune règle de primogéniture ni de désignation d’héritier ! Tous les princes étaient mis sur un pied d’égalité, ce qui renforçait leur besoin de se créer des soutiens politiques en vue de la succession. La mort d’un sultan provoquait immédiatement des conflits entre frères. Le prince victorieux devenait l’élu de Dieu, puisque sans son soutien, il n’aurait pu parvenir au trône4. Or cette égalité entre tous les princes donnait une grande marge de manœuvre au sultan pour créer des alliances matrimoniales. En tant que chef de famille, il avait seul l’autorité pour choisir les époux de tous les membres de sa famille, hommes et femmes, enfants et petits-enfants5. Et il avait soin de multiplier et diversifier les alliances matrimoniales pour renforcer son pouvoir, tant intérieur qu’extérieur, tout en maintenant un équilibre entre les princes, menaces constantes pour son propre trône.
- 6 Le terme esclave est problématique, dans la mesure où il tend à être compris dans son acception occ (...)
- 7 Sadeddin 1979 ; Neşri 1987 ; Yavuz & Saraç 2003.
- 8 Schiltberger 2008 ; Spandounes 1997 ; Kritovoulos 1954.
- 9 Mehmed 1996 ; Uluçay 1985a, 1985b ; Sakaoğlu 2008 ; Altınay 2000 ; Hammer 2000.
4C’est durant cette période de formation de l’Empire que s’opère le passage d’une politique d’alliance matrimoniale relativement traditionnelle, à une politique d’unions qui tendent à exclure tout membre « étranger » à l’Empire. Ce processus a conduit à favoriser les alliances avec des esclaves. Pour l’étudier, nous avons préféré séparer les alliances masculines de celles concernant les femmes de la dynastie, bien que les évolutions suivent une courbe similaire, afin de mettre en valeur leurs spécificités. Nous réfléchirons ensuite sur les conséquences statutaires de ces alliances pour les « esclaves »6 liés à la famille impériale. Le présent travail se fonde sur une étude des principales chroniques ottomanes et des récits occidentaux de la période, tels ceux de Neşri, Sadeddin Efendi ou d’Aşıkpaşazade pour les premiers7, de Kritovoulos, Spandounes et Schiltberger pour les seconds8. Les travaux biographiques disponibles sur le sujet se sont également révélés d’une grande utilité, notamment ceux de Mehmed Süreyya, d’Uluçay et, très récemment, de Necdet Sakaoğlu, ou encore les récit d’Hammer et d’Ahmed Refik Altınay9.
5La dynastie ottomane fonctionnait selon un modèle patrilinéaire : la succession se faisait uniquement par les hommes, les femmes n’intervenant en aucune manière dans le processus. Ce principe s’accompagnait d’une grande liberté dans les choix des épouses. Princesses ou esclaves, épouses officielles ou concubines, la position juridique de la femme n’avait aucune incidence en matière successorale. Cette règle dynastique s’accorde d’ailleurs avec les préceptes islamiques (l’Empire ottoman était un État musulman, et en cela se devait de respecter les canons de l’islam) : un homme a le droit de se marier légalement avec quatre femmes, tout en entretenant autant de concubines esclaves qu’il le veut, sans qu’il y ait de distinction de rang entre les enfants nés de ces différentes unions. Cette licence a permis aux sultans, dès les premiers temps, de faire coexister deux systèmes : les mariages inter-dynastiques et le concubinage. Néanmoins, au tournant du xve siècle, seules demeurent les esclaves concubines, compagnes des hommes de la dynastie, princes et sultans, tous hommes de la dynastie, princes et sultans, pour lesquels les pratiques sont identiques.
- 10 On ne trouve pas moins d’une vingtaine d’alliances inter-dynastiques pour les xive et xve siècles, (...)
- 11 Néanmoins, aucune alliance ne fut contractée avec des épouses juives, en raison de l’absence d’État (...)
- 12 Les exemples les plus probants de cette politique sont certainement les mariages de Maria (ou Despi (...)
- 13 Une grande confusion règne, à propos de ces mariages, sur les noms des époux. Néanmoins, il sembler (...)
6Commençons par le système des alliances inter-dynastiques, destiné à disparaître dans le courant du xve siècle. Il s’agissait de marier princes et/ou sultans avec des filles issues de lignées princières voisines. Il y eut ainsi des mariages contractés avec les dynasties chrétiennes, d’autres avec des dynasties musulmanes d’Anatolie10. Les mariages avec des princesses chrétiennes ne doivent pas surprendre : la législation musulmane autorisait les hommes à épouser des femmes pratiquant les autres religions du Livre, c’est-à-dire des femmes juives ou chrétiennes11. Néanmoins, aucune alliance ne fut contractée avec une femme juive en raison de l’absence d’État dirigé par une dynastie juive. Ces mariages faisaient suite à la conclusion d’une alliance politique, ou d’une défaite militaire : l’entrée de la princesse étrangère dans la famille du sultan symbolisait alors l’amitié officielle entre les deux familles, ou la victoire ottomane. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif était de s’assurer sinon le soutien de la dynastie alliée, du moins sa neutralité. L’épouse servait, en quelque sorte, de garantie, voire d’otage, en cas de conflit12. Ainsi, les nombreuses alliances conclues avec l’Empire byzantin13 relèvent toutes de raisons diplomatiques : chacune des deux puissances souhaitait, par ce biais, s’assurer de bonnes relations avec sa voisine. Il est également loisible de penser que, du côté ottoman, une telle alliance concourait à accroître le prestige de la dynastie, alors même qu’elle n’était qu’à la tête d’une petite principauté anatolienne. Quant à la partie byzantine, elle pratiqua une politique d’alliance active avec les différentes dynasties turques, tant du fait de la pression ottomane à ses frontières, que pour répondre à des besoins de politique intérieure. En effet, les derniers siècles de l’histoire byzantine sont caractérisés par une succession de querelles familiales, où chaque prétendant au trône fait appel à des secours intérieurs aussi bien qu’étrangers. Les diverses armées turques anatoliennes furent appelées, tour à tour, au service de différents prétendants. Tout ceci explique le grand nombre d’alliances maritales nouées entre ces deux dynasties.
- 14 Peirce 1983 : 28-56 (chapitre 2 : « Wives and concubines : the fourteenth and fifteenth centuries » (...)
7Toutefois, pour comprendre l’importance de cette politique d’alliance inter-dynastique, ainsi que sa disparition au cours du xve siècle, il est nécessaire de dresser un aperçu de la situation politique de la région au cours de cette période. En effet, on remarque un profond morcellement politique, conséquence de la chute du sultanat seldjoukide d’Anatolie et du retrait progressif de la domination byzantine. Ces deux phénomènes cumulés ont permis, dans toute la région anatolienne ainsi que dans les pays balkaniques et slaves, l’apparition de nouveaux pouvoirs, qui prirent la forme, en Anatolie, de beylicats semi-nomades, formés pour la guerre. Le rapport de force entre ces principautés évoluait constamment et balançait entre l’alliance et la guerre. Dans ce contexte, l’enjeu des alliances inter-dynastiques était essentiel, tant pour les Ottomans – qui surent faire preuve, sur ce point, d’une grande habileté – que pour leurs voisins byzantins, trébizontins, bosniaques, ou encore pour les Isfendiaroğlu, les Karamanoğlu ou les Akkoyunlus, qui étaient au xive siècle des dynasties encore puissantes à la tête de principautés anatoliennes. Cette pratique répondait à des impératifs de politique extérieure, propres à un contexte précis. Aussi, après la conquête de Constantinople (1453) et les annexions territoriales de Mehmed ii (1451-1481), la dynastie ottomane, passée du rang de principauté à celui d’Empire, n’avait plus de rival direct, à l’exception des Mamelouks d’Égypte. La majeure partie de l’Anatolie et de l’Europe orientale était désormais sous domination ottomane, le morcellement politique typique des premiers temps de l’État ottoman s’étant changé en une relative unité politique. Ainsi que l’a montré Leslie Peirce14, les alliances inter-dynastiques n’avaient plus de raison d’être ; elles ne contribuaient plus à rehausser le prestige dynastique. Dès lors, on constata la disparition progressive de ces mariages, au profit exclusif du concubinage.
- 15 Nilüfer et Asporça, que l’on retrouve nominalement citées dans des documents ottomans, et qui euren (...)
- 16 Bayezid ii régna de 1481 à 1512. Ces sept concubines sont celles qui sont connues pour lui avoir do (...)
- 17 Peirce 1983 : 34-35 ; Hammer, tome I, 2000 : 58-60.
- 18 Rappelons ici l’hypothèse avancée par Leslie Peirce, selon laquelle les souverains auraient choisi (...)
8Au tournant du xve siècle, le concubinage s’impose donc comme la voie unique de relations conjugales. Il devient également le seul moyen d’assurer la descendance dynastique. Néanmoins, la pratique remonte au tout début de la dynastie. De fait, dès Orhan (1324-1360), fils du fondateur éponyme, on constate un usage du concubinage : il eut au moins trois concubines15 ; Bayezid ii, à la fin du xve siècle, plus de sept16. Qui étaient ces concubines ? Des esclaves femmes, d’origine non-musulmane. Dans les premiers temps, ces femmes, prisonnières de guerre ou part du butin, devenaient esclaves à la suite des conflits armés. Ce fut le cas notamment de Nilüfer, concubine d’Orhan et mère de Murad ier, qui entra dans le harem du sultan à la suite de la conquête des territoires de son père, gouverneur de Yarhısar, au tournant du xive siècle17. Néanmoins, très vite, se mit en place un marché aux (belles) esclaves femmes, très lucratif. Au xvie siècle, la plupart des concubines qui entraient au harem impérial avaient été offertes au sultan ou aux princes par la mère de celui-ci (voire dans certain cas, par sa favorite, elle-même concubine) ou par ses principaux dignitaires, lesquels les avaient achetées spécialement dans ce but. Aux yeux des souverains, le grand atout de ces femmes, c’était leur condition d’esclave : contrairement aux princesses chrétiennes ou musulmanes, elles ne bénéficiaient ni d’un soutien politique de leur famille, ni de richesses personnelles (autres que celles que le sultan voulait bien leur donner). De ce fait, elles apparaissaient totalement soumises (ou presque) au sultan, ou aux princes. Elles paraissaient ainsi plus susceptibles de se dévouer entièrement à leur concubin, et par la suite à leur fils. A priori, elles ne représentaient aucun risque pour l’État18.
9Là encore, des explications politiques viennent éclairer cette préférence pour les concubines esclaves. La transition entre des mariages inter-dynastiques et un système exclusif de concubinage avec des esclaves se produisit à une époque où l’État ottoman s’imposait comme un Empire, qui se voulait universel. Ceci requérait la mise en place d’un nouveau discours et d’une nouvelle mise en scène de la souveraineté qui pussent correspondre aux nouvelles revendications de la dynastie. Et l’on constate, à la suite de Leslie Peirce, que Mehmed ii (1451-1481) qui, le premier, formula avec succès cette notion de souveraineté universelle, fut celui-là même qui mit en place ce changement : s’il multiplia les alliances avec des princesses étrangères pour lui-même, il en réduisit le nombre de façon radicale pour ses fils19. Pour ce souverain, qui passa l’essentiel de son règne à guerroyer, il était essentiel de s’assurer de soutiens côté oriental, lorsqu’il menait la guerre sur les territoires chrétiens, et, inversement, côté occidental, lorsqu’il dirigeait cette fois ses armées sur le front anatolien. De même, son fils et successeur, Bayezid ii (1481-1512), perpétua cette pratique, ne tolérant qu’une seule exception : son fils, Mehmet, épousa la fille du khan de Crimée. Exception qui n’en est pas vraiment une : les khan de Crimée étaient en effet des vassaux de longue date des Ottomans (qui décidaient de l’élection de leur chef), choisis par eux et sans velléité de rébellion connue. Par ailleurs, il était d’autant plus facile pour Bayezid de reprendre la politique de son père qu’il se trouvait installé à la tête d’un Empire, faisant concurrence aux Mamelouks, souverains d’Égypte, alors la principale puissance musulmane du pourtour méditerranéen, et aux empereurs occidentaux : son père avait poussé si loin ses expansions territoriales qu’il avait annexé les territoires de la grande majorité des anciennes dynasties, tant anatoliennes que d’Europe orientale. Le sultan ottoman aurait-il voulu se marier ou marier ses fils avec une princesse étrangère, qu’il lui aurait fallu soit contracter une alliance avec un de ces Empires pour maintenir son rang, ou encore accepter de créer une alliance avec une des dynasties soumises, ce qui était devenu politiquement inutile et ne confortait en rien le prestige impérial, sans parler des risques à promouvoir ainsi une dynastie désormais intégrée à l’Empire. Cela allait à contre-sens de la politique de Bayezid ii, et de façon plus générale, de celle des sultans ottomans du xve siècle, à savoir pacifier les régions nouvellement conquises et s’assurer de leur obéissance, travailler à rabaisser le pouvoir des grandes familles turques et renforcer le pouvoir central de la dynastie. Du reste, c’est dans ce contexte que l’usage de nommer des esclaves aux divers postes de l’administration impériale se développe : cette politique, déjà fortement engagée par Mehmed ii, fut portée à son excellence par Bayezid ii.
- 20 Au xvie siècle, deux concubines se distinguèrent des autres, en réussissant à se faire épouser des (...)
10On comprend donc que ce choix exclusif en faveur des concubines esclaves20 s’inscrit dans une politique dynastique plus générale visant à renforcer le pouvoir et le prestige de la dynastie, qui s’autoproclamait supérieure à toute autre. S’allier maritalement avec une de ces dynasties, c’était lui reconnaître implicitement un statut sinon égal, du moins similaire ; au contraire, repousser de telles alliances permettait à la dynastie ottomane de s’afficher au-dessus de ces familles, au-dessus de ce jeu d’alliances. Mais surtout, ce choix s’inscrivait dans une politique de promotion des esclaves aux principaux offices de l’État, et a contrario d’exclusion des Turcs nés libres, choix qui aboutissait à cette situation surprenante d’un sultan issu d’une esclave, porteur de tout l’éclat impérial, régnant au milieu d’une cour d’esclaves.
- 21 Si l’on se tourne du côté des dynasties turco-musulmanes voisines, similaires dans leurs pratiques (...)
- 22 C’est un aspect récurrent des mariages inter-dynastiques, que l’on retrouve également du côté des f (...)
- 23 Schiltberger 2008 : 41-44. Hammer 2000, tome I : 148-150 et tome 2 : 53 et 80-81.
11Une évolution similaire concerne les princesses ottomanes, à savoir les filles et petites-filles de sultans. Entre le xive et le xvie siècle, elles sont mariées tour à tour à des princes anatoliens, des chefs locaux (ottomans ou non) et des dignitaires-esclaves du sultan. Les motivations des mariages inter-dynastiques étaient similaires à celles des alliances contractées en faveur des sultans et princes : conclure une alliance avec une principauté voisine. Néanmoins, il faut relever deux caractéristiques des mariages des princesses. Premièrement, en tant que musulmanes, les princesses ottomanes ne pouvaient épouser que des musulmans. Sur ce point, les sultans ottomans furent très stricts, et l’on ne constate aucune entorse à la règle. Deuxièmement, la question se pose de savoir si les princesses agissaient en tant qu’agents ottomans et si elles conservaient des attaches culturelles ou politiques fortes avec leur famille d’origine. À l’heure actuelle, c’est une question sans réponse car les sources manquent. Néanmoins, on peut en douter. Les quelques cas connus de princesses ottomanes mariées à des princes anatoliens laissent plutôt penser que la princesse s’intégrait complètement à sa nouvelle patrie21. Ainsi, nous ne connaissons aucun exemple de prince étranger, né d’une princesse ottomane, qui serait venu solliciter tout particulièrement le soutien de la famille de sa mère dans une des nombreuses querelles successorales ou politiques. Pour les Ottomans eux-mêmes, la princesse donnée à un étranger était considérée comme perdue pour l’État, et ses fils n’étaient pas perçus comme des Ottomans, mais comme des princes étrangers. Ils n’avaient aucun droit de succession sur le trône ottoman22. Un exemple illustre bien ce fait : celui de la sœur de Bayezid Ier, épouse d’un souverain du Karaman. Son mari ayant été battu et fait prisonnier par son père, puis de nouveau quelques années plus tard par son frère, qui assiégeait maintenant la capitale, elle se vit contrainte de capituler et de se rendre, avec ses fils. Et c’est bien l’épouse et la mère de souverains étrangers qui se présentent devant le sultan vainqueur, malgré leur parenté !23
- 24 Fatma, fille de Bayezid Ier, épousa un gouverneur de province (dont le nom ne nous est pas parvenu) (...)
- 25 Deux filles de Bayezid Ier furent ainsi mariées, l’une au fils de Celaleddin Islâm, l’autre (Hundi (...)
12Aux xive et xve siècles, si les sultans pratiquèrent en parallèle deux types d’alliances matrimoniales (mariage avec des princesses étrangères, concubinage avec des esclaves), tel ne fut pas le cas des princesses ottomanes : une femme musulmane ne pouvait avoir des concubins ! Dès lors, c’est une autre particularité qui apparaît : les mariages hypogamiques, c’est-à-dire avec des personnes en dessous de leur rang. C’est même là une constante de l’histoire dynastique ottomane. Cette pratique connut néanmoins plusieurs phases. Dès le xive siècle, parallèlement aux alliances inter-dynastiques, les sultans marièrent leurs filles ou leurs sœurs (voire leurs petites-filles, mais le fait est moins sûr) avec certains de leurs dignitaires, en particulier les gouverneurs de province ou des chefs de familles turques très puissantes24. De telles unions n’étaient pas sans intérêt politique : elles leur permettaient de raffermir les liens avec certaines familles, voire peut-être de s’assurer un allié au sein de ces familles qui, dans les premiers temps de l’Empire, pouvaient représenter une force de coercition dangereuse. Autre cas de figure similaire : plusieurs princesses furent mariées, semble-t-il, à des chefs religieux, qui cumulaient en général une position de chef politique et une réputation religieuse25. Dans l’espace géopolitique morcelé qu’était l’Anatolie des xive et xve siècles, durant lesquels les gouverneurs et les chefs spirituels bénéficiaient d’une place parfois aussi importante que les princes, il n’est pas surprenant que les souverains ottomans se soient ménagés de telles alliances. Mais ce type de mariage disparut relativement vite, au fur et à mesure que la domination ottomane se renforçait et que des principautés de plus en plus homogènes se constituaient. Les chefs locaux perdirent de leur importance sur la scène politique. Dès lors, les sultans leur préférèrent des princes souverains, qui eux-mêmes disparurent progressivement.
- 26 On remarque d’ailleurs une évolution au cours du règne de ce sultan : d’abord mariées à des fils de (...)
13La disparition de ces alliances avec des princes ou gouverneurs anatoliens n’allait pas sans conséquences : il fallait bien marier les princesses (et elles étaient nombreuses) ! Si on ne les mariait pas à l’extérieur, il fallait alors leur trouver des époux à l’intérieur. Mais qui ? On voit alors apparaître, à partir du xve siècle, un type nouveau de mari : le dignitaire-esclave. Leur apparition est liée à la naissance et à la montée en puissance de ce nouveau type de personnage, à la fois esclave du sultan et dignitaire parmi les plus puissants de l’Empire. Comment est-on passé d’époux princes royaux ou, à défaut, de chefs politico-spirituels à des esclaves ? La transition de l’un à l’autre s’est réalisée, en fait, de façon progressive. Au cours du xve siècle, bon nombre de ces grands dignitaires esclaves étaient de noble origine : descendants de familles chrétiennes islamisés, soit parce qu’ils avaient été envoyés enfants comme otages à la cour du sultan, soit parce que la famille avait été détrônée et leurs membres en bas âge pris comme esclaves de guerre. Ce fut le cas, entre autres, de personnages tels que les Dukakinzade, ou encore les Hersekoğlu, pour ne citer qu’eux. Ils revêtaient une double étiquette, à la fois descendants d’une famille princière, et esclaves du sultan. Il n’est pas absurde de penser que leur statut ambivalent favorisa la transition dans les alliances matrimoniales contractées avec les princesses de la dynastie. L’hypothèse est malheureusement difficile à vérifier. On ne sait pas avec certitude comment le sultan les considérait. Par ailleurs, les données historiques montrent que dans certaines circonstances, ils étaient traités purement et simplement comme des esclaves, malgré leur haute naissance. On se rappelle ainsi la fin du grand vizir de Mehmed ii, Mahmud Pacha : le sultan lui signifia son renvoi en ordonnant de couper les cordes de sa tente, laquelle s’effondra sur lui. Ce licenciement peu délicat fut rapidement suivi de son exécution pure et simple, qui mettait fin à une quinzaine d’années de travail en commun entre le grand vizir et le sultan. En tous cas, cette transition coïncide avec une promotion générale en faveur des esclaves, et au détriment des Turcs libres gravitant autour du sultan. Et c’est sans surprise que l’on remarque que cette transition s’accomplit durant la seconde moitié du xve siècle, en particulier sous le règne de Bayezid ii. Ce n’est pas moins de onze alliances de la sorte qu’il noue avec ces esclaves-dignitaires26.
- 27 Ibrahim Pacha se vit promu, en l’espace de quelques années, aux plus hautes charges de l’État, grâc (...)
14Toutefois, dès le début du xvie siècle, ces personnages intermédiaires d’esclaves-princiers laissèrent leur place à des dignitaires totalement esclaves. Jusqu’à la chute de l’Empire, la règle dynastique voulut que les princesses ottomanes fussent mariées avec des esclaves, dépourvus de toute origine princière, et qui ne devaient leur place qu’à la faveur du sultan. Citons quelques exemples devenus célèbres : Ibrahim Pacha et Rüstem Pacha, grands vizirs successifs de Soliman le Magnifique, ou encore Sokollu Mehmed Pacha, grand vizir sous trois sultans, etc.27 À cette période, le gouvernement ottoman a pris pour coutume de s’entourer exclusivement d’esclaves : des jeunes gens élevés au palais, éduqués en vue de leur service futur, et qui gravissent progressivement les échelons du pouvoir grâce à leurs mérites. C’est également à ce moment que l’Empire ottoman atteint le maximum de son expansion, anéantissant notamment son rival mamelouk. Il s’étend dès lors sur un très vaste espace géographique, qui englobe tout le pourtour oriental de la Méditerranée. Les anciennes familles princières, tant chrétiennes que musulmanes, ont été définitivement assimilées. Elles ne représentent plus aucun enjeu politique pour le sultan, qui a achevé son long travail de renforcement du pouvoir monarchique. Il règne désormais en maître absolu, entouré d’esclaves qui lui doivent tout. En cela, le xvie siècle est bien le siècle de la cristallisation de l’idéal ottoman de l’Empire.
15En un sens, les mariages avec des esclaves, en sus des avantages politiques qu’ils représentaient, proclamaient également la toute puissance de la dynastie : si on mariait les princesses à des esclaves, à des dignitaires de l’Empire, c’était que les dynasties souveraines – et musulmanes – voisines dignes de contracter une alliance matrimoniale avec une princesse ottomane manquaient ! L’État ottoman étant devenu un Empire qui se disait universel, seuls des empereurs ou des fils d’empereurs auraient pu être considérés comme des gendres potentiels. En écrasant ses rivaux et en imposant sa toute-puissance, l’Empire ottoman se passait désormais d’alliances matrimoniales extérieures.
- 28 Leslie Peirce a en effet développé tout un argumentaire extrêmement pointu, révélant l’existence d’ (...)
16Quel était le statut des esclaves-époux royaux (ces esclaves hissés aux plus hauts degrés de l’échelle sociale, au point d’acquérir cette dignité suprême d’« époux royaux ») ? Par leur alliance avec la dynastie, ces esclaves, tant hommes que femmes, parvenaient à dépasser leur condition d’esclave… jusqu’à un certain point. En fait, leur statut paraît très ambigu. Prenons, pour commencer, la situation des concubines des princes et sultans. L’ambiguïté de leur statut tient au fait que, par la maternité, elles semblent perdre leur qualité d’esclave. Le cas des reines mères, révélé par Leslie Peirce28, est le plus explicite sur ce point. Avant de parvenir à l’étape ultime qui les faisait mères de prince, il leur avait fallu passer par la position de concubine, entièrement dévouée au service (sexuel) du sultan. À la naissance d’un enfant mâle, la maternité leur permettait de sortir de leur rôle de partenaire sexuel, pour se consacrer à l’éducation et à la carrière de leur fils. Et c’est seulement si celui-ci venait à monter sur le trône, qu’elles accédaient dès lors à la place et au statut de reine mère, le plus élevé dans la hiérarchie féminine palatiale. Or, on constate que ces femmes acquirent naturellement un droit de gouvernance, dans les cas de régence, ou plus couramment de conseil, sur les décisions de leur fils – le sultan. En somme, ces anciennes concubines esclaves se voyaient légitimées a posteriori, grâce à la naissance d’un héritier potentiel. Néanmoins, il est difficile de savoir si ce cas de figure est valable pour tous les cas de maternités, c’est-à-dire aussi bien lors de la naissance d’une fille que d’un fils, ou s’il s’agit de cas très spéciaux, à savoir uniquement des concubines dont le fils parvient à monter sur le trône. Certaines de ces concubines et mères purent acquérir non seulement leur liberté, mais le droit de quitter le harem impérial et de s’installer dans une résidence de leur choix, bien qu’avec l’accord du sultan. Certains auteurs ont même allégué qu’elles étaient libres de se remarier. Pour celles qui sont mères d’une fille ou d’un fils décédés, il semble néanmoins qu’il leur soit refusé d’appartenir rétrospectivement à la dynastie ottomane. Le statut de ces femmes esclaves qui devenaient concubines du sultan et mères est donc bien différent de celui des autres femmes esclaves du sultan, dont on a conservé une image exotique à travers les représentations du harem par les orientalistes. Elles dépassaient, par leur maternité, leur statut d’esclaves.
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- 31 Ce système remonte aux débuts de l’histoire ottomane et connaît sa phase la plus importante sous le (...)
17Dans le cas des esclaves hommes, à la fois grands dignitaires et issus de familles princières, on remarque que leur origine sociale était non seulement connue, mais reconnue, proclamée même à travers leur appellation. C’est le cas par exemple des Dukakinzade dont plusieurs membres épousèrent des filles et petites-filles de Bayezid ii29 ; ou encore de Hersekzade Ahmed Pacha, l’un des dignitaires du tournant du xve siècle et époux d’une fille de Bayezid ii30. Le cas de ce dernier est particulièrement frappant : envoyé en tant qu’otage à la cour du sultan, il y fut éduqué parmi les autres jeunes gens du palais, certains descendants, comme lui, de familles princières, d’autres totalement esclaves. Autre exemple similaire, celui d’Ahmed Mirza, fils de Uğurlu Mehmed, prince Karakoyunlu, et d’une fille de Mehmed ii : élevé lui aussi au palais, il est considéré tout à la fois comme un otage et comme un invité, en tout cas comme un (semi-) étranger. Le parallèle est intéressant parce que la situation est similaire : bon nombre des « esclaves » du sultan de la fin du xve siècle n’étaient autres que des membres de grandes familles chrétiennes, qui choisirent de devenir musulmans après l’annexion de leur territoire par les Ottomans, parce que c’était là le meilleur moyen, voire le seul, d’entrer au service du sultan et de continuer à exercer leur autorité31. Or les descendants des grandes familles turques, princières ou non, parce qu’ils étaient musulmans, ne pouvaient devenir esclaves. Ils se virent exclus des postes gouvernementaux au profit des Chrétiens. Ceci nous amène à douter très fortement du statut d’esclave de ces princes et ducs chrétiens, convertis et entrés au service du sultan. Il serait plus juste, pour ces individus, de concevoir leur soumission au sultan sous la forme d’une relation de suzerain à vassal (bien que le système de la féodalité ne soit pas en pratique dans les territoires ottomans), plutôt que de maître à esclave.
18Au xvie siècle, la situation évolue : les esclaves mariés aux princesses cessent d’être choisis parmi des descendants de familles princières. Ces familles ont été complètement assimilées, de même que leurs territoires, de sorte qu’il n’y a plus aucun intérêt à les choisir de préférence. Par contre, le système de l’esclavage « à l’ottomane » s’est installé comme le seul possible, imaginable même. Les esclaves deviennent dès lors les seuls à accéder aux postes du gouvernement impérial. Tradition valant force de loi, les mariages de princesses avec des esclaves/dignitaires sont devenus la seule option. Ces esclaves, s’ils ne peuvent se prévaloir d’une ascendance princière, n’en bénéficient pas moins d’un statut particulier les différenciant des autres esclaves au service du sultan, statut symbolisé par le titre de « damad impérial », c’est-à-dire de gendre impérial. On ignore s’il existait des prérogatives s’accordant avec l’octroi de ce titre, mais il est certain qu’il avait pour but de différencier les esclaves associés ainsi à la famille impériale, de ceux qui ne l’étaient pas. Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas : le fait de porter ce titre était avant tout symbolique et ne constituait pas un changement du statut. L’esclave époux d’une princesse restait un esclave du sultan, et leurs épouses avaient soin, à l’occasion, de le leur rappeler. C’est ce que fit Fatma Sultane, fille du sultan Ahmed Ier (1603-1617) et sœur du sultan régnant Ibrahim (1640-1648), lors de son mariage avec le vizir Melek Ahmed Pacha : après avoir énuméré la liste de ses obligations vis-à-vis d’elle, elle eut soin de préciser que n’étant qu’un esclave de son frère le sultan, il était dans l’obligation d’accéder à toutes ses requêtes, sinon de se préparer aux conséquences qui l’attendaient32. Autre exemple probant, celui du grand vizir Sokollu Mehmed Pacha, l’un des plus grands dignitaires de l’histoire ottomane, et l’un des plus influents, marié à l’une des filles de Selim ii (1566-1574), qui surprenait les voyageurs occidentaux par sa soumission complète à la sultane sa femme, alors même que tous le reconnaissaient comme le chef absolu du gouvernement. Il semble donc que ces « esclaves impériaux » gagnaient, par leur union avec la famille impériale, un statut spécial qui les distinguait des autres esclaves du sultan, mais qui n’était pas exclu de toutes charges en retour, et surtout, qui ne les soustrayaient pas à leur condition d’esclaves.
- 33 Ainsi, lorsqu’au 17e siècle le sultan Osman ii, déjà impopulaire pour avoir entrepris un certain no (...)
19Les mariages et alliances de la famille royale ottomane n’étaient pas considérés, aux xive et xve siècles, comme faisant partie de la grande histoire politique. De ce fait, les chroniqueurs ottomans en parlent peu, voire pas du tout. De leur côté, les voyageurs ou diplomates occidentaux, presque exclusivement des hommes, n’avaient pas accès ni de connaissance du monde féminin. Ils ignoraient pour la plupart le nom et le nombre des femmes du sultan, de leurs filles, sœurs ou petites-filles. Encore faut-il ajouter à cela la séparation des sphères masculines et féminines, qui a favorisé la croyance selon laquelle les femmes de la famille royale ottomane n’eurent aucun rôle dans la politique ottomane. L’objectif de cet article n’était pas tant de savoir si les femmes royales ottomanes jouèrent ou non un rôle dans la politique, mais d’observer le phénomène des alliances matrimoniales de la famille ottomane, autant pour les membres masculins que féminins, pendant cette période si particulière de la naissance et de la formation de l’Empire. Malgré quelques spécificités relevant du domaine du genre, la période est celle d’une transition entre un système d’alliances matrimoniales traditionnel, privilégiant les unions avec les familles et dirigeants extérieurs, typique d’une période de morcellement politique où une famille tente de s’imposer face à d’autres, et un système propre aux Ottomans, privilégiant cette fois l’association avec des esclaves, tant pour les hommes que pour les femmes. Transition progressive, fondée sur des raisons de pragmatisme politique, auxquelles s’associe une conception spécifique du prestige royal de la dynastie ottomane. Par-delà le détail des alliances, c’est toute une conception du pouvoir qui se dégage de ces pratiques matrimoniales : évolution de l’idéal monarchique, de la place de la famille ottomane, et de chacun de ses membres. Le moyen et le résultat en furent la promotion générale des esclaves aux postes d’État, au détriment des Turcs, et jusque dans les alliances dynastiques. Cette tendance atteignit sa phase ultime au xvie siècle, qui correspond à la cristallisation de l’idéal monarchique ottoman. De sorte que, non seulement l’alliance de la famille impériale avec des esclaves devint une règle dynastique, mais encore celle-ci se transforma en obligation incontournable, garantie de la pérennité de l’ensemble du système ottoman33. Cette omniprésence des esclaves au sein de la cour ottomane, surprenante aux yeux des voyageurs occidentaux, trouve donc des motivations politiques très anciennes. Une réflexion plus approfondie reste à mener sur le statut réel des esclaves/époux royaux. Jusqu’à quel point se démarquaient-ils des autres esclaves ? Et jusqu’à quel point l’association à la dynastie ottomane contribuait-elle à cette différenciation ? C’est une réflexion plus globale sur le système de l’esclavage dans l’empire ottoman, prenant en considération la spécificité apparente de ce type d’esclave, qu’il conviendrait de mener plus avant.