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Le sein et le couteau. L’ambiguïté de l’amour maternel dans l’Athènes classique

The breast and the knife: the ambiguities of maternal love in classical Athens
Aurélie Damet
p. 17-40

Résumés

Étudier l’essence et les manifestations de l’amour maternel dans la Grèce ancienne permet la mise en évidence de la complexité de la notion de philia. Les mères grecques éprouvent en effet pour leur progéniture des sentiments qui relèvent à la fois d’une nature instinctive et d’une élaboration conditionnelle qui repose sur des attitudes et des gestes. Le corps, le sang, le lait, sont autant d’éléments biologiques, « d’humeurs », qui nourrissent la part naturelle des affects maternels. Si Platon et Aristote se sont avant tout évertués à discuter le caractère inné ou acquis de l’affectation parentale, les poètes tragiques ont projeté sur la scène théâtrale un spectre large de sentiments familiaux, où la haine maternelle côtoie l’amour pourtant infanticide,  et où le souci intéressé des hommes qui n’ont pas engendré d’enfant (apais) croise la détresse des pères violemment privés de leurs rejetons. En ce sens, les Grecs ont pensé avec autant de nuances l’existence et la formation des affects maternels et paternels.

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Texte intégral

  • 1 Eschyle, Choéphores, v. 534 : « un caillot de sang se mêlait à son lait ». Sauf indication contrair (...)
  • 2 Fournier-Finocchiaro2006.
  • 3 Bodiou 2006a.
  • 4 Bodiou, Brulé & Pierini 2005.
  • 5 Knibiehler 2000 ; Morel 2001.
  • 6   Badinter 1980. L’auteure y reprend les thèses d’E. Shorter, à savoir que l’amour maternel n’est p (...)

1Loin du parfum barbare des Amazones que laisse planer le titre de cette étude, il sera ici question de l’affect et du lien maternels, couverts par le terme grec aux multiples contours de « philia ». Des couleurs changeantes de l’amour d’une mère grecque, du blanc laiteux ou rouge létal, concentrés tous deux dans le sein de Clytemnestre, mère violente et violentée chez qui caillot de sang et lait se mélangent1. De nombreuses analyses ont mis en lumière le rôle reproducteur de la femme athénienne, cantonnée parfois à n’être qu’une matrice pourvoyeuse de futurs citoyens. « Mère de la patrie »2, elle lui fournit sa substance civique ; une union athénienne qui se morfond sans la descendance tant attendue entraîne divorce ou répudiation, la femme ayant sans surprise le monopole de la stérilité3. Mais ce fait une fois établi, à savoir la « douloureuse obligation de maternité » dans le monde grec4, peut-on connaître ce que les mères elles-mêmes pensaient de la maternité ? Y a-t-il des traces d’un quelconque sentiment maternel ? La philia des mères est-elle envisagée comme un fait biologique et naturel (un instinct maternel) ou est-elle fondée sur des actes constitutifs ? L’historiographie s’est à plusieurs reprises penchée sur l’amour maternel, des ouvrages spécialisés d’Y. Knibiehler ou de M.-F. Morel5 aux polémiques essayistes d’É. Badinter6, mais les interrogations des unes et des autres remontent rarement à la Grèce classique.

  • 7 Vidal-Naquet 2002.

2Il est vrai que l’étude de cette période demande de céder non seulement à l’athénocentrisme des sources mais aussi au brouillage de la voix des intéressées. Comme de nombreux reflets de l’histoire athénienne classique, le miroir des mères est brisé7. Ce sont des voix masculines qui s’élèvent pour évoquer la philia des mères : les logographes du ive siècle, Platon, Aristote, et les poètes, Eschyle, Sophocle et Euripide, qui laissent la parole à ces mères tragiques, souvent meurtries et meurtrières, mais aussi aimantes et nourricières. L’ensemble des sentiments familiaux ne peut, dans l’Athènes classique, être étudié sans le recours attentif au genre tragique qui puise la quasi-totalité de ses scenarii dans les catastrophes intrafamiliales : c’est en pleine crise que l’amour et la haine se différencient et se disent haut et fort et que la philia des mères athéniennes s’épanche sur scène dans toute sa complexité. Si Platon et Aristote ont théorisé les sentiments familiaux et leur hiérarchie, établissant l’existence d’un amour maternel conditionnel, chez Platon, et naturel, chez Aristote, les poètes tragiques ont d’abord mis à l’épreuve le cœur des mères, les plaçant dans des situations exceptionnelles. Le premier temps de cette étude interroge la pertinence de l’existence d’un « instinct maternel » dans les sources grecques classiques et le motif de la philia par nature. Puis, les mères tragiques viendront livrer leur expérience maternelle, entre lien du sein et lien de sang, partagé et versé. Les pères ne seront pas totalement absents de cette étude et leurs sentiments seront évoqués, afin de nuancer la perception que les Grecs pouvaient avoir de l’amour parental.

Philia maternelle, philia naturelle ?

  • 8 Fraisse 1974 ; Alaux 1995 ; Konstan 1997.

3La philia maternelle est-elle naturelle ? Le débat sur l’existence de la philia par nature est au cœur des réflexions platoniciennes et aristotéliciennes. Rappelons préalablement que la philia, terme polysémique, est un sentiment et un lien qui structurent, dans la Grèce antique, les relations de parenté, de conjugalité, d’amitié, mais aussi d’hospitalité et de supplication8. Il sera ici exclusivement question de la philia dans la famille nucléaire, entre parents et enfants qui constituent l’oikos (maisonnée) idéalisé par Aristote et mis en scène par les poètes tragiques et comiques.

De l’utilité dans la philia

  • 9 Platon, Lysis, G.F. Flammarion, traduction L.-A. Dorion.
  • 10 Dorion 2006.

4Platon a consacré un dialogue à la définition de la philia, le Lysis9. Socrate y présente la théorie d’une philia conditionnelle, dans le cas des mères comme des pères. Selon lui, il n’existerait pas, a priori, de philia naturelle entre membres d’une même famille, si proches fussent-ils. La philia parentale ne peut naître que si les intéressés, parents et enfants, se rendent utiles les uns aux autres10.

  • 11 Platon, Lysis, 210c-d.

Toi-même, ni ton père ne peut t’aimer, ni personne ne peut aimer qui que ce soit en tant qu’inutile (achrèstos). Si donc tu deviens savant, mon enfant, tous les hommes seront pour toi des amis (philoi) et des parents (oikeioi) : car tu deviens utile et bon. Sinon personne n’aura d’amitié pour toi, pas même ton père ni ta mère ni tes parents11.  

5Ainsi que le résume J.-C. Fraisse, dans son ouvrage consacré à la philia antique,

  • 12 Fraisse 1974 : 129.

la nature cède donc le pas, dans la détermination de la philia, à la reconnaissance rationnelle d’une compétence, qui seule peut entraîner, de part et d’autre, des attitudes objectivement amicales12.

  • 13 Xénophon, Mémorables, I, 2, 51-52.

6On retrouve chez Xénophon, dans les Mémorables, ce même Socrate convaincu de l’inexistence a priori d’une philia naturelle. Cet enseignement socratique est notamment dénoncé par Polycrate afin d’alimenter les accusations portées contre Socrate, qui inciterait la jeunesse à se défier de l’autorité du père, si ce dernier est jugé inutile13. La réflexion platonicienne livre un premier élément théorique sur la nature de l’affection familiale et parentale, conditionnée au principe d’utilité. Dans cette idéologie du Lysis, l’amour paternel et l’amour maternel sont considérés sans distinction.

Mère nature

  • 14 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1120b13. Voir aussi Platon, République, I, 330b-c, qui use déjà de l (...)

7Il faut se tourner vers Aristote pour trouver une élaboration développée des divergences qualitatives de la philia dans la famille nucléaire. En effet, le philosophe établit que la nature des liens entre les parents et les enfants est différente selon que l’on se place du côté des géniteurs ou des rejetons. Les parents, écrit-il, sont comme les poètes, ils aiment ce qu’ils ont créé14. Les parents aiment davantage leurs enfants que les enfants n’aiment leurs parents, car les géniteurs considèrent leur progéniture comme une excroissance de leur propre corps, autant d’autres petits Moi, heteroi autoi :

  • 15 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1161b27-28, G.F. Flammarion, traduction R. Bodéüs.

Ainsi donc, les parents aiment leurs enfants comme eux-mêmes parce que, issus d’eux-mêmes, ils sont comme d’autres soi-même, à l’état séparé15.  

8S’ajoute encore une raison temporelle :

  • 16 Aristote,Éthique à Nicomaque, 1161b24-26.

La différence tient aussi à la longueur du temps passé à aimer, car les parents choient leurs enfants aussitôt nés, alors que ceux-ci chérissent leurs parents plus tard, le temps d’avoir conscience ou de pouvoir se rendre compte16.

  • 17 Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 496b : « Tout barbouillé de sang et pl (...)
  • 18 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1168a24-6.
  • 19 Ibid., 1168a21-24. Voir aussi Sophocle, Électre, v. 530‑533.
  • 20 Voir aussi Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 496d-e : « La mère encore b (...)

9Il y aurait donc un amour naturel parental qui naîtrait à l’arrivée de l’enfant ; Plutarque rappellera que seuls des parents peuvent passer outre l’aspect répugnant du nouveau-né ensanglanté17. Aristote affine encore sa présentation des degrés de philia : l’amour maternel serait supérieur à l’amour paternel car seules les mères, qui ont porté leurs enfants et ont été par la grossesse au plus près de leur progéniture, « savent mieux que les enfants sont à elles »18. En outre, les mères, parce qu’elles ont souffert lors de l’accouchement, aiment davantage leurs enfants. Pour Aristote, on attache davantage de valeur à ce qu’on a difficilement obtenu19. L’Éthique à Eudème reprend cette assertion de la supériorité de l’amour maternel qui repose tant sur la certitude d’aimer son propre enfant que sur la création d’un lien fort par l’épreuve physique de l’enfantement. La douleur des couches n’engendre pas un rejet du rejeton ; elle nourrit a contrario l’attachement des mères à leur petit20.

  • 21 Aristote, Éthique à Eudème, 1241b5-9, Vrin, traduction V. Décarie. Voir aussi Éthique à Nicomaque, (...)

De fait, les pères (et les mères plus que les pères) aiment leurs enfants davantage qu’ils n’en sont aimés. Et ceux-ci à leur tour aiment leurs propres enfants plus que leurs parents parce que l’activité est ce qu’il y a de meilleur. Et les mères aiment leurs enfants plus que les pères parce qu’elles croient que les enfants sont davantage leur œuvre : en effet, on juge de l’œuvre à la difficulté, et la mère souffre davantage de la naissance21.

  • 22 Fragment 1015 d’Euripide d’un drame non identifié. Voir aussi Homère, Odyssée, I, v. 215-216 ; Ména (...)

10L’incertitude indépassable du père est déjà proclamée dans un fragment non identifié d’Euripide : « Une mère aime toujours mieux ses enfants qu’un père : elle sait qu’ils sont d’elle, il pense qu’ils sont de lui »22. Non seulement la mère aime davantage que le père, mais elle ne demanderait rien en retour, selon le point de vue aristotélicien :

  • 23 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1159a28-33.

Quelques-unes en effet donnent leurs propres enfants en nourrice et les aiment en les sachant en bonnes mains, mais sans chercher à être aimées en retour si les deux ne sont pas possibles. Au contraire, il leur suffit, selon toute apparence, de les voir prospérer ; et personnellement, elles donnent leur amour même si eux ne leur rendent aucune des marques qui conviennent à une mère, en raison de leur ignorance23.

  • 24 Bonnard 2004.

11Ce désintérêt théorique maternel de la réciprocité des sentiments est en adéquation avec l’ingratitude dont certains fils font montre, « n’ignorant » pourtant pas l’existence de leur mère. L’amour supérieur de la mère est en effet bien peu récompensé en retour, si l’on s’en tient aux propos de l’Oreste matricide, héraut de toute cette tradition antique qui relègue la femme au rang de simple réceptacle nourricier et qui valorise l’importance du père dans la génération24, justifiant que le respect et l’amour pour une mère passent après ceux à l’égard d’un père.

  • 25 Euripide, Oreste, v. 550-556. Voir aussi le fragment non identifié 1064 : « Sache le bien, jamais j (...)

Si je suis impie d’avoir tué ma mère, je porte un autre nom, celui d’homme pieux, car j’ai vengé mon père. Quel était mon devoir ? À deux raisons, opposes-en deux autres : mon père m’engendra, ta fille me mit au monde ; elle fut le sillon qui reçut la semence d’autrui ; or sans père jamais il n’y aurait d’enfant. Je pensai donc que l’auteur de mes jours avait droit à mon aide plutôt que celle dont j’ai reçu la nourriture25.

12Malgré ce mépris affiché par Oreste pour la gent maternelle, c’est dans la famille de la mère que les Athéniens semblent trouver solidarité et affection : je reviendrai sur la concurrence affective entre branches maternelle et paternelle dans la conclusion de cette étude.

13Tel est le pan théorique de la philia maternelle à l’époque classique : philia conditionnelle et philia naturelle sont deux facettes de l’amour maternel. Philia des pères et philia des mères sont pensées comme structurellement non équivalentes, en raison de motifs, chez Aristote, avant tout biologiques. Le sentiment maternel peut encore être appréhendé par les traces, en actes et en paroles, que les mères ont laissées, visibles et audibles avant tout sur la scène tragique. En bon laboratoire de la parenté, la particularité du genre tragique est de mettre à l’épreuve la philia des mères. Mères aimantes et/ou mères a-mères, elles y aiment jusqu’au sacrifice de soi et y haïssent jusqu’au désir de mort de l’autre. Mais elles chérissent aussi des enfants qu’elles anéantissent. Cette complexe philia maternelle tragique revendique encore l’attachement biologique aux enfants, qui passent par le sein.

Les mères tragiques

« Phila aphila »

  • 26 La philia maternelle n’a pas attendu les productions tragiques pour trouver un medium privilégié d’ (...)
  • 27 Euripide, Électre, v. 1230-1231.
  • 28 Sophocle, Électre, v. 770-771.
  • 29 Konstan 1985. Voir aussi Dodds 1953.

14La philia tragique des mères est un lien particulièrement complexe26. Le personnage de Clytemnestre en incarne toute l’ambiguïté. Mère haineuse, elle est aussi celle qui réclame vengeance pour la mort de sa fille Iphigénie sacrifiée par son époux Agamemnon, tout en livrant à Télèphe leur fils Oreste en otage. Pour sa fille Électre, Clytemnestre est cette mère phila ou phila (ou phila aphila). Devant le cadavre de sa mère que son frère Oreste a assassinée, Électre commente : Idou, philan te kou philan pharea <se> tad’ amphiballomen27. La traduction proposée par L. Parmentier, dans l’édition C.U.F., ne rend pas bien compte de l’expression phila ou phila : « Mère qui fus notre ennemie, nous t’enveloppons dans les plis de ce manteau ». Le couple phila ou phila incarne pourtant la dualité de la philia grecque : par nature, Clytemnestre est phila, car elle est parente par le sang et mère d’Électre, et ce, quel que soit le degré de sympathie que cette relation implique. C’est d’ailleurs ce que revendiquait Clytemnestre elle-même, malgré son odieux comportement, lorsqu’elle évoquait le lien mère/enfant : « Chose étrange que d’être mère (Deinon to tiktein estin). Quelque mal qu’ils vous fassent, on ne peut haïr (misos) ses enfants »28. Mais dans la lutte pour le pouvoir royal, entre Oreste et Électre et entre Égisthe et Clytemnestre, elle n’est plus phila mais ennemie. Finalement, les traductions anglaises de l’expression phila ou phila, proposées par D. Konstan29, permettent de saisir le double caractère de la philia : « my own yet not of mine » ou « kin but not kind ». L’agôn logôn que Clytemnestre a engagé avec Électre illustre cette violence verbale inouïe, où l’on entend dans la bouche d’une mère une hostilité exemplaire :

  • 30 Sophocle, Électre, v. 289-292.

Eh quoi peste maudite ! es-tu la seule dont le père soit mort ? N’est-il pas d’autre mortel en deuil ? Ah ! puisses-tu périr misérablement et que jamais les dieux d’en bas eux-mêmes ne mettent fin à tes sanglots30.

  • 31 Clytemnestre, en instrumentalisant Oreste, tenterait d’éviter le sacrifice d’Iphigénie, voulu par s (...)
  • 32 Euripide, Télèphe, 29 (727 Kn.) : Apeptys’ echthrou phôtos echthiston tekos. Ce vers est attribué p (...)
  • 33 Eschyle, Choéphores, v. 190-191 : « […] ma mère, qui dément ce nom par l’aversion impie qu’elle nou (...)
  • 34 Euripide, Électre, v. 265 : « Gunaikes andrôn, ô Xen’, ou paidôn philai ».

15La Clytemnestre du Télèphe est tout aussi agressive, si on lui attribue le fragment suivant, dans lequel elle exprimerait son désamour pour le jeune Oreste qu’elle livre en otage à Télèphe, afin de faire céder Agamemnon31 : « Je déteste le fils très honni d’un homme que je hais »32. Confrontée à cette haine maternelle33, Électre peut déplorer que « c’est leur mari non leurs enfants qu’aiment les femmes »34.

De l’instinct à l’instant maternel : l’allaitement

  • 35 Eschyle, Choéphores, v. 896-898 ; Euripide, Électre, v. 1207 ; Phéniciennes, v. 1568 ; Homère, Ilia (...)
  • 36 Eschyle, Choéphores, v. 523-551.
  • 37 Jouanna 1993.
  • 38 Amphore à col à figures rouges paestanne, Malibu, J. Paul Getty Museum 80.AE.155.1 H 5739, LIMC Kly (...)

16Clytemnestre est encore emblématique de la philia maternelle pensée comme une relation corporelle spécifique par laquelle le lien mère/enfant se construit autour d’éléments physiques et biologiques. Alors qu’Oreste s’apprête à l’égorger, Clytemnestre dénude sa poitrine et, dans un dernier geste désespéré, elle tente de récréer une philia entre elle et son fils, pensant l’empêcher de commettre l’irréparable matricide35. Cette scène n’est que la réalisation dramatique d’un rêve de Clytemnestre, dans lequel elle allaite un serpent lui mordant violemment le téton. Le serpent Oreste, vengeur de son père assassiné, se tient maintenant devant elle36, après de longues années d’absence, peu propice à l’entretien de la philia familiale37. Un vase classique, seule occurrence à ce jour du matricide perpétré par Oreste, reprend cette monstration du sein, emblème de la relation affective et nourricière entre la mère et l’enfant38.

  • 39 Euripide, Phéniciennes, v. 1567-1569.
  • 40 Aristote,Éthique à Nicomaque, 1161b27-1162a2 : « les frères s’aiment entre eux comme étant nés des (...)

17Autre mère tragique et désespérée, Jocaste tente aussi d’empêcher l’affrontement entre ses fils Étéocle et Polynice, en dévoilant son sein implorant, dans l’espoir de réconcilier ses rejetons haineux : « Montrant aux yeux de tous ses pleurs et ses sanglots, elle s’élançait, suppliante, pour présenter à ses fils un sein (maston) suppliant »39. On retrouve dans ce geste de Jocaste l’idée aristotélicienne selon laquelle des frères s’aimeraient parce qu’ils sont issus des mêmes parents et partagent les mêmes fluides, le sang40, mais aussi le lait. L’appel au sentiment filial suscité par la vue de la poitrine maternelle que les deux fils ont connue, étant nourrissons, aurait dû ranimer chez les deux frères leur propre philia fraternelle réciproque. Mais, ainsi que le résume N. Loraux,

  • 41 Loraux 1986 : 101.

de Clytemnestre-Gorgone au sein de Jocaste : entre textes, entre mythes, un même regard grec sur le corps maternel, ce lieu du premier oubli et, à chaque fois, un même refus de voir, chez les fils, que la mère appelait au souvenir de l’intimité perdue41.  

  • 42 Hydrie à figures rouges, Berlin, Antikensammlung F 2395, LIMC Amphiaraos 27, vers 440 av. J.-C.
  • 43 On peut voir, rarement, Aphrodite allaitant Éros. Voir Lissarrague 1991 :
    202-203 ; Bonfante 1997 : (...)

18On aperçoit encore ce motif iconographique du sein dénudé sur le célèbre vase où Éryphile allaite le petit Alcméon, en présence du père Amphiaraos et de la nourrice42. Le semblant de quiétude qui émane de cette scène familiale d’allaitement joue de la connivence entre l’artiste et le spectateur. Les personnages sont nommés et on comprend dès lors que la mère allaite son futur meurtrier. Malgré cet exemple, hapax iconographique, les Grecs répugnaient à montrer des femmes allaitantes. Il faut garder à l’esprit que les images de la maternité sont très rares sous le pinceau des peintres. Ce sont les exceptions de situations mythologiques extraordinaires qui ont permis aux artistes de s’aventurer dans l’exécution d’un motif relativement tabou43.

  • 44 Vilatte 1991 ; Lett & Morel 2006.
  • 45 Euripide, Iphigénie à Aulis, v. 1152 ; Iphigénie en Tauride, v. 213 et v. 231-233.
  • 46   Eschyle, Choéphores, v. 749-750 et v. 762.
  • 47 Dans la cité utopique platonicienne de la République, 460c-d, le brouillage généralisé des repères (...)
  • 48 Euripide, Andromaque, v. 510-512.

19Cette pudeur de l’imagerie ne doit pas occulter le rôle valorisé de la figure maternelle allaitante et nourricière dans la société athénienne, qui coexiste avec le rôle de la mère pensé comme passif dans la génération des enfants. En effet, les femmes grecques ne confient pas à d’autres le soin de nourrir leur progéniture et la nourrice, personnage très récurrent dans les tragédies, intervient au moment précis du sevrage et aide à grandir44. Clytemnestre a ainsi allaité tous ses enfants45. À une exception près : la Clytemnestre eschyléenne des Choéphores semble avoir laissé cette tâche à la nourrice et c’est cette dernière qui a allaité le petit Oreste, « reçu pour son père »46. Clytemnestre, comme on l’a vu, se permet pourtant de présenter à son fils son sein dénudé, cherchant à recréer artificiellement un lien pensé comme naturel. La philia maternelle se construirait donc dans le moment fusionnel de l’allaitement47, dans un instant qui rapproche, sur le mode aristotélicien, la mère et l’enfant, la souche et le rejeton. Andromaque évoque encore cette fusion éternelle dans la mort, se projetant dans un avenir macabre avec son fils adoré Molossos : « Tu reposeras donc, enfant chéri, sur le sein (mastois) de ta mère : mort, tu l’accompagneras morte sous la terre »48.

  • 49 Dupont 2002.
  • 50 Dasen 2003 ;  Chabrol 2011.

20Si l’on se transporte un instant dans la Rome impériale, il est intéressant de noter que dans les familles aisées, les mères n’allaitaient pas leurs enfants et les pères choisissaient les nourrices49. On trouve ainsi une série de plaidoyers médicaux et moralisateurs qui incitent les mères à nourrir au sein leur progéniture. La pratique de l’allaitement maternel développerait, selon ces discours romains, l’affection entre le nourrisson et sa génitrice. Le refus d’allaiter est de la sorte placé sur le même plan que l’avortement ou l’exposition, notamment chez Favorinus d’Arles et Aulu-Gelle50.

  • 51 Ce que déplore encore Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 495a.  

21Revenons en Grèce. La philia maternelle, quoi qu’en dise Aristote, n’est pas toujours totalement désintéressée51, et le geste nourricier peut être replacé dans une relation réciproque de don/contre-don. La mère nourrit pour être nourrie à son tour :

  • 52 Euripide, Suppliantes, v. 918-924. Voir aussi Eschyle, Choéphores, v. 908, « Je t’ai nourri, je veu (...)

Ô mon enfant, mon pauvre enfant, je t’ai nourri, je t’ai porté dans mon sein, enfanté dans la douleur : et voici qu’Hadès a recueilli le fruit de mon travail, et je n’ai plus le nourricier de ma vieillesse, moi qui pourtant ai mis au jour un fils52 !

  • 53 Isée, Succession de Kiron, 32-34.

22Ainsi s’exprime le chœur des mères des Suppliantes ; ce discours renvoie à un état de fait légal dans la société athénienne où les fils (et non les filles) devaient nourrir leurs parents âgés, père comme mère. Ce devoir de nourriture, ou gèrotrophia, était une obligation à laquelle le jeune homme ne pouvait échapper, faute de quoi il encourait une poursuite légale pour mauvais traitement, risquait d’être privé de droit de parole à l’Assemblée et ne pouvait briguer de charge publique53.

  • 54 Homère, Iliade, ix, v. 440-495.
  • 55 Le roi Akrisios ayant appris par un oracle que son petit‑fils le tuerait, lorsque sa fille Danaè en (...)

23L’allaitement est l’expression d’une continuité de la proximité naturelle et corporelle entre la mère et l’enfant, mais relève aussi de la construction d’un lien nourri de services mutuels. Il faudrait cependant se garder de considérer l’acte nourricier comme dépendant uniquement de la philia féminine, de la mère et de la nourrice. Phénix rappelle à Achille les moments complices où il l’a pris sur ses genoux et l’a nourri54. Et le chœur de satyres des Pêcheurs d’Eschyle tente d’amadouer le petit Persée, à peine sorti de son coffre55, en lui promettant la bienveillance d’un nouveau père qui prodigue jouets et nourriture :

  • 56 Eschyle, Les Pêcheurs, v. 802-814, Paris, La Pléiade, traduction R. Dreyfus.

Allons ! chéri, viens ici ! N’aie pas peur ! Pourquoi pleures-tu ? Approche ! allons rejoindre mes enfants ! Viens dans mes bras nourriciers (paidotrophous), Cher enfant ! sois gentil. Tu joueras avec les fouines et les faons et les petits des porcs-épics. Tu dormiras avec nous deux, ta mère et moi, ton petit père. Et papa apportera au petit mignon des joujoux et une saine nourriture56.

L’instant meurtrier : les mères infanticides

  • 57 Pour un inventaire des figures criminelles dans la parenté tragique voir Belfiore 2000 ; Damet 2009 (...)

24Les mères tragiques et nourricières revendiquent une proximité physique avec leurs enfants. Mais, genre voué au déchirement intestin, la tragédie nous parle aussi des mères sacrificatrices, violentes ou haineuses qui mettent à mort leur progéniture, sans pour autant annihiler tout amour maternel. La typologie de ces mères à la philia dévoyée est riche et il n’est guère possible ici d’inventorier exhaustivement les génitrices criminelles57.

  • 58 Sebillotte 2006.
  • 59 Euripide, Érechthée, fragment 15.
  • 60 Ibid., fragment 17.
  • 61 Hécube, dans la pièce éponyme d’Euripide, v. 279-281, à l’inverse de Praxithéa, juge la cité à l’au (...)

25Praxithéa, épouse du roi d’Athènes, incarne la bonne citoyenne qui accepte de sacrifier son enfant pour la cité athénienne58 et que N. Loraux qualifie d’« extrémiste de la maternité civique ». La brève déclaration de la reine athénienne, conservée dans le fragmentaire Érechthée d’Euripide, ne laisse planer aucun doute sur l’engagement politique de l’épouse du roi athénien : « J’aime mes enfants, mais j’aime encore mieux ma patrie »59. Après un tel programme patriotique, il est difficile d’attribuer à Praxithéa les fragments suivants de la même pièce : « Rien de plus doux pour des enfants qu’une mère : aimez votre mère, mes enfants, car il n’est pas un autre amour plus doux que celui-là »60. Le rapport à la cité peut ainsi brouiller les supposées priorités de la philia maternelle61. Mais le geste de Praxithéa ne lui vaut guère d’accusation de « mauvaise mère ». Elle est a contrario encensée par les discours athéniens patriotiques, tel que le Contre Léocrate de Lycurgue. D’un point de vue politique, le sacrifice pour la communauté est toujours valorisé et ne constitue pas un geste et un meurtre répréhensibles. Écoutons le plaideur du discours lycurguéen :

  • 62 Lycurgue, Contre Léocrate, v. 100-101. La longue tirade de Praxithéa est d’une « grandeur d’âme et (...)

La nature a inspiré à toutes les femmes l’amour de leurs enfants (phusei gar ousôn philoteknôn pasôn tôn gunaikôn) ; mais le poète nous en a proposé une qui aimât mieux sa patrie que ses enfants mêmes, pour démontrer que, si les femmes sont capables d’un tel courage, les hommes doivent avoir pour leur pays un dévouement à toute épreuve62.

  • 63 Plutarque, Œuvres Morales, « Préceptes politiques », 809d.

26Des siècles plus tard, Plutarque considère encore que l’amour patriotique de Praxithéa est digne d’une « âme grande et généreuse »63.

  • 64 Euripide, Médée, v. 816-817.
  • 65 Lorsqu’une femme athénienne connaît des difficultés conjugales, sa famille natale, père et frère, l (...)

27Médée est encore un autre type de mère infanticide. Aimante, elle tue ses enfants, dans un geste désespéré qu’elle élabore comme l’ultime moyen d’atteindre Jason64, son ancien époux qui l’a délaissée pour une union hypergamique avec la fille du roi de Corinthe. Rejetée, humiliée, sans aide possible de son père ou de son frère65, Médée décide de priver Jason de sa descendance, mais non sans hurler la douleur du déchirement :

  • 66 Euripide, Médée, v. 1243-1250.

Allons ! cuirasse-toi, mon cœur ! Que tardons-nous à accomplir le forfait terrible et nécessaire ? Va, pauvre main, saisis l’épée, saisis-la ; marche vers la barrière qui t’ouvrira une vie de douleurs ! Point de lâcheté ! Ne te rappelle pas que ces enfants sont tes bien-aimés, et que tu les as mis au monde ; au moins pour cet instant, oublie tes fils, et pleure ensuite : car tu auras beau les tuer, pourtant ils t’étaient chers, et je serai, moi, une malheureuse !66

  • 67 Ibid., v. 1346.
  • 68 Antiphon, Accusation d’empoisonnement contre une belle‑mère.
  • 69 Cratère en calice à figures rouges lucanien, Cleveland, Musée d’art 1991.1, Peintre de Policoro, ve (...)

28Le geste meurtrier de Médée ne signifie pas qu’elle a cessé d’aimer ses enfants. Elle réussit cependant à les objectiver et à les instrumentaliser contre un époux devenu ennemi. La mère-hoplite ne dispose que de sa progéniture comme arme de combat. « Infâme, abjecte infanticide »67, Médée est mal considérée dans l’imaginaire classique, au même titre que Clytemnestre68. Mauvaises mères et femmes comploteuses, on les retrouve toutes deux sur un cratère lucanien. Une face fait figurer Médée triomphante abandonnant les corps égorgés et gisants de ses fils sur un autel. L’autre face présente une Clytemnestre tentant de retenir son époux Agamemnon qui s’apprête à sauver leur fils Oreste, livré par Clytemnestre en otage à Télèphe69.

  • 70 Moreau 1994 : 278-292 ; Depaulis 2003.

29La théorisation du comportement de Médée, à savoir la violence orientée contre les enfants pour atteindre le mari, a donné lieu à l’élaboration récente, par les psychanalystes, du « complexe de Médée »70. Les cas cliniques observés sont des femmes délaissées par leur mari et qui transforment leurs enfants en objets de vengeance. Il ne s’agit pas forcément d’infanticides réels et la pathologie peut relever d’une violence fantasmée envers le(s) fils du couple. Retour à Athènes : on notera que le plaideur d’un discours de Démosthène expose une tout autre théorie, pensant au contraire que les conflits entre époux sont apaisés par la présence d’enfants communs et que ces derniers ne pâtissent pas des litiges parentaux et conjugaux :

  • 71   Démosthène, Contre Boeotos, I, 23.

Les époux ont beaucoup plus souvent l’habitude, malgré tout ce qu’ils ont supporté l’un de l’autre, de se réconcilier à cause des enfants que d’étendre leur haine aux enfants qui leur sont communs, à cause des injustices qu’ils ont subies l’un de l’autre71.

  • 72 Sur la reconstitution du Térée de Sophocle, voir McHardy 2005.
  • 73 Qui ne sont pas forcément des mères (Loraux 1990 :  87-100).
  • 74 Euripide, Phéniciennes, v. 1515 ; Héraklès, v. 1021-1025 ; Eschyle, Niobé ; Agamemnon, v. 1140-1145 (...)
  • 75 Euripide, Suppliantes, v. 58-67.
  • 76 Euripide, Phaéthon, v. 67-70.

30Que l’instrumentalisation de la progéniture à des fins meurtrières ne signifie pas la disparition ou l’absence de philia maternelle est encore au cœur du mythe de Philomèle et Prokné72. Cette dernière, afin de venger sa sœur violée par Térée, son époux, ne trouve d’autre moyen que de le priver de descendance. Elle cuisine donc le petit Itys que son père mastique sans le savoir. Ayant pris connaissance de la teneur de son repas, Térée s’apprête à assassiner les deux sœurs ; tout ce petit monde se volatilise finalement, Térée ayant été transformé en huppe, Philomèle en hirondelle et Prokné en rossignol. Dès lors, Prokné devient un leitmotiv de la complainte maternelle et le héraut chantant des femmes en pleurs et en deuil73. Prokné, génitrice infanticide, est finalement invoquée autant pour symboliser la mère meurtrie74, que la mauvaise mère meurtrière et dénaturée75 : « Dans les arbres, le rossignol exhale les harmonies de son chant subtil. Éveillé dès l’aurore, il sanglote sur Itys, Itys mille fois pleuré »76.

  • 77 Visser 1986.
  • 78 Euripide, Méléagre.

31On pourrait analyser le cas de Prokné selon un autre angle relationnel. La mère d’Itys fait partie de ces femmes qui hiérarchisent entre la philia qu’elles portent à leurs enfants et celle qu’elles portent à leur famille natale, père, frères et sœurs. M. Visser a étudié ce motif de la femme privilégiant son oikos d’origine à son nouvel oikos composé de l’époux et des enfants77. Prokné venge ainsi l’honneur bafoué de sa sœur en s’attaquant à son mari et à leur fils ; Althée venge aussi la mort de ses frères tués involontairement par Méléagre, son propre fils, en jetant au feu le tison qui retenait sa vie78. On se souviendra encore d’Antigone qui explique qu’elle n’aurait jamais défié le décret de Créon si le cadavre abandonné dans les confins thébains avait été celui d’un hypothétique rejeton ou mari.

  • 79 Sophocle, Antigone, v. 905‑915.

Si j’avais eu des enfants, si c’était mon mari qui se fût trouvé là à pourrir sur le sol, je n’eusse certes pas assuré cette charge contre le gré de ma cité. Quel est donc le principe auquel je prétends avoir obéi ? Comprends-le bien : un mari mort, je pouvais en trouver un autre et avoir de lui un enfant, si j’avais perdu mon premier époux ; mais, mon père et ma mère une fois dans la tombe, nul autre frère ne me fût jamais né. Le voilà, le principe pour lequel je t’ai fait passer avant tout autre. Et c’est ce qui me vaut de paraître à Créon coupable, rebelle, frère bien-aimé !79

Affection paternelle vs affection des maternels

  • 80 Euripide, Andromaque, v. 1177-1180. Voir aussi les vers 1205-1206.
  • 81 Ps.-Aristote, Constitution d’Athènes, 43, 4 ; Démosthène, Contre Macartatos, 11 ; Isée, Succession (...)
  • 82 Euripide, Andromaque, v. 309.
  • 83 Leduc 1998.
  • 84 Euripide, Médée, v. 1396 : Oupô thrèneis. Mene kai gèras.

32Revenons un instant à Prokné et à Médée, qui sacrifient leur progéniture pour atteindre leurs époux. Leur motivation pose en miroir la question de la philia paternelle. Cette dernière semble parfois reposer sur le désir intéressé d’avoir une descendance qui perpétue nom et patrimoine. Pélée, déjà privé d’Achille, lorsqu’il apprend que son petit-fils Néoptolème est mort, s’exprime ainsi : « Il ne  me reste plus de lignée (genos), plus d’enfants dans la maison ! La misérable victime que je suis ! »80. Ici l’attachement familial de Pélée, père et grand-père en deuil, est lié au spectre de la maison vide, l’oikos erèmos81, redouté de tout Athénien. De même, l’attachement de Ménélas à sa « chère fille »82, Hermione, peut s’expliquer par l’opprobre qu’il subit de voir son gendre Néoptolème ensemencer une esclave, Andromaque, au lieu de lui donner des petits-enfants. Ménélas défend sa fille tout en pensant égoïstement à sa propre descendance mâle, parce qu’il n’a pas eu de fils. Car, si on parle souvent de l’obligation de maternité en Grèce ancienne, il faut rappeler que la naissance d’enfants était tout aussi socialement importante pour un homme. Cela explique notamment le recours fréquent à l’adoption par des citoyens athéniens inquiets au seuil de la vieillesse83, qui veulent s’assurer d’être enterrés selon la coutume, de voir perpétuer le culte des ancêtres de leur oikos et d’être assistés dans leurs vieux jours. Conscient de ce contexte socio-affectif, l’auditeur saisit toute la violence latente de la remarque cinglante que Médée adresse à Jason, qui se lamente sur la mort de ses fils : « Tes pleurs ne sont rien encore. Attends la vieillesse »84.

33Cependant, tout aussi complexe que son homologue maternelle, la philia paternelle ne se réduit pas à un sentiment intéressé et fondé sur des motivations religieuses et économiques. La tragédie nous laisse aussi entendre des pères attendris par la seule présence de leurs enfants. Ainsi Héraklès :

  • 85 Euripide, Héraklès furieux, v. 632‑635. Voir aussi Euripide, Danaé, 2.

Je n’ai nulle gêne à montrer ma tendresse paternelle. Les hommes sont tous pareils : ils aiment leurs enfants, les plus grands comme les plus humbles. Tous chérissent leurs enfants85.

34Père également tragique, Iphis évoque le vide insupportable qu’est la mort de sa fille, dont le souvenir laissé est celui d’une relation tactile et affectueuse :

  • 86 Euripide, Suppliantes, v. 1093-1103.

À présent, malheureux, que faut-il que je fasse ? Rentrer dans mes foyers ? Y trouver une immense solitude, y mener une impossible vie ? Ou me rendre au palais de Capanée, séjour qui m’était cher, au temps où ma fille vivait ? Elle n’est plus, l’enfant qui couvrait de baisers ma joue, et qui prenait ma tête dans ses mains. Pour un père, il n’est rien de plus doux qu’une fille. L’âme d’un fils, certes, est plus haute, mais moins tendre, moins caressante86 !

35La complicité père/fils est perceptible sur la scène comique. Les Nuées d’Aristophane sont consacrées aux relations entre un géniteur et son rejeton, certes houleuses en raison du comportement dépensier et insolent du fils, mais qui semblent reposer également sur une tendresse revendiquée par un père attentif aux besoins de son enfant :

  • 87 Aristophane, Nuées, v. 1380-1383, G.F. Flammarion, traduction V.-H. Debidour.

Effronté ! Moi qui ai nourri ton jeune âge, moi qui devinais tout ce que tu voulais dire par ton petit baragouin ? Si tu disais : « Goulou ! » compris : je te présentais à boire. Si tu demandais : « Miamiam ! » je rappliquais avec du pain87.

  • 88 Homère, Iliade, ix, v. 486-492.

36Il faut cependant rappeler que ce passage d’Aristophane constitue une parodie homérique : il reprend les termes de Phénix qui évoque, dans l’Iliade88, son rapport privilégié avec le fils de Thétis et de Pélée, Achille. Or, Phénix n’est pas le père d’Achille, mais son précepteur. On est ici en présence d’un père comique qui revêt les atours d’une figure affective et éducative valorisée dans les mythes grecs.

  • 89 Bremmer 1999. Voir aussi Humphreys 1986.
  • 90 Euripide, Mélanippe, 20, v. 15-17 : « Frères de notre mère chérie que faites-vous ? Vous êtes pris (...)
  • 91 Bacchylide est le fils de la sœur de Simonide, Eschyle est l’oncle maternel de Philokles, l’orateur (...)
  • 92 Diogiton et Diodote sont deux frères. Diogiton fait épouser sa fille à son frère : il devient ainsi (...)
  • 93 Lysias, Contre Diogiton, 2, 3, 16, 24, 27.
  • 94 Pindare, Isthmiques, V, VI ; Néméennes, V.

37La philia des pères grecs est somme toute marquée d’une certaine discordance, en fonction des sources et des approches méthodologiques privilégiées. Si l’on considère la parole poétique, tragique et comique, le sentiment paternel semble se déployer dans un spectre identique à son homologue maternel, de l’amour à la tristesse du deuil, en passant par la folie meurtrière (Héraklès ou Lycurgue) et par une certaine complicité. Les études anthropologiques insistent davantage sur la fragilité du lien père/enfants, en arguant notamment de la relation privilégiée entre ego et sa famille maternelle. L’analyse des cadres sociaux de l’Athènes classique a en effet débouché sur la mise en lumière d’une opposition entre les branches paternelles et maternelles. Déjà évoquée, la dissymétrie entre la philia maternelle et la philia paternelle, systématisée par les théories aristotéliciennes d’après des éléments biologiques et corporels, s’étend structurellement à la parentèle. C’est du moins la théorie de J. Bremmer qui a montré comment, dans l’Athènes classique notamment, la famille de la mère est pensée idéalement comme davantage bienveillante avec ego que celle du père. Le lien supposé fort entre ego et sa branche maternelle pourrait être un reliquat de la pratique du fosterage mythologique, sinon réel, qui valorise la lignée maternelle dans l’éducation des enfants89. On attend d’un oncle et d’un grand-père maternels qu’ils se conduisent avec affection avec leur neveu et petit-fils90, étant même des modèles91. Il est en revanche plus fréquent et plus « normal » qu’un oncle paternel soit au mieux, un parent neutre, au pire, un mauvais parent. L’exemple le plus frappant, dans le quotidien judiciaire athénien, de la réputation attachée a priori aux branches maternelle et paternelle est développé dans le Contre Diogiton de Lysias. Un même homme, Diogiton, devient à la fois grand-père maternel et oncle paternel de la femme du plaidant, dépouillée de sa fortune92. Le logographe fustige Diogiton pour son mauvais comportement, mais exclusivement en tant que mauvais grand-père maternel, et non en tant qu’oncle paternel dont on n’attendrait rien de bien affectueux93. On peut encore saisir la compétition entre l’attachement au père et celui aux parents maternels chez Pindare94. Ce dernier évoque deux frères vainqueurs, Pythéas et Phylacide, dont l’oncle et le grand-père maternels, respectivement Euthymène et Thémistios, se sont eux-mêmes illustrés dans les concours agonistiques. Or, il semblerait que le père des deux jeunes gens, Lampon, ait fait appel non à ces parents maternels pour entraîner ses fils mais à un athlète extérieur au cadre familial, un Athénien. Ici, on pourrait mettre sur le compte de la jalousie et de la méfiance le fait que le père sollicite un étranger, afin d’éviter que les liens entre ses fils et leurs parents maternels ne se renforcent.

  • 95 Bremmer 1983. Voir Sophocle, Trachiniennes, v. 31-33 et 39-41.
  • 96 Diogène Laërce, Vies des philosophes, « Thalès », I, 26, 2-3.

38Arguant de l’absence des pères dans l’éducation de leurs fils et de leur présence dans les lieux du politique, donc en dehors de l’oikos, J. Bremmer s’interroge en dernier lieu sur la possibilité même du développement affectif entre un père et un fils dans le monde grec95. Dans cette perspective, l’anecdote rapportée par Diogène Laërce pourrait confirmer ce questionnement et la valorisation des parents maternels au détriment du père. Alors qu’on demande à Thalès, qui a adopté le fils de sa sœur, pourquoi il n’a pas engendré de fils biologique, il répond : « Parce que j’aime les enfants »96.

39La philia maternelle est représentative de la perception que les Grecs avaient de la parenté dans son ensemble. Sentiment et amour, elle est aussi un lien qui se nourrit d’actes réciproques et qui ne se traduit pas par une relation indéfectible. La philia maternelle peut ainsi s’incliner tragiquement devant le choix de la préservation de la famille natale. Elle doit aussi parfois faire abstraction de l’intensité de l’amour pour son objet, l’enfant, dans des entreprises de vengeance contre l’époux trompeur. Tantôt caractérisée comme amour naturel lié à la proximité biologique et physique entre la mère et l’enfant, tantôt soumise au principe d’utilité et éprouvée par les scénarios tragiques, la philia maternelle de la Grèce ancienne est irréductible à un simple instinct sans nuance. Dans le monde grec classique, la valorisation de l’affection des mères et la solidarité entre une femme, son père et son frère, expliquent en partie l’opposition dégagée par les anthropologues entre les parents maternels et les parents paternels, ces derniers se caractérisant par un déficit affectif. Cependant, ces conclusions structurelles ne doivent pas occulter les preuves qui affleurent d’un indubitable intérêt des pères pour leurs enfants, véhiculé par les discours tragique et comique.

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Annexe

Appendice : les parents tragiques

Ériphyle : mère d’Alcméon et épouse d’Amphiaraos.

Althée : mère de Méléagre.

Andromaque : épouse d’Hector (tué par Achille), esclave-concubine de Néoptolème (fils d’Achille), mère d’Astyanax (qu’elle a eu avec Hector et qui est tué par Néoptolème) et de Molossos (qu’elle a eu avec Néoptolème).

Clytemnestre : mère d’Électre, Oreste, Iphigénie et de Chrysothémis. Épouse d’Agamemnon. Maîtresse d’Égisthe, lui-même cousin germain d’Agamemnon.  

Médée : première « épouse » de Jason, sœur d’Apsyrtos.

Ménélas : frère d’Agamemnon, père d’Hermione, beau-père par alliance de Néoptolème.

Pélée : père d’Achille et grand-père de Néoptolème.

Praxithéa : épouse du roi d’Athènes Érechthée.

Prokné : sœur de Philomèle, épouse de Térée et mère d’Itys.

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Notes

1 Eschyle, Choéphores, v. 534 : « un caillot de sang se mêlait à son lait ». Sauf indication contraire, les traductions proposées des tragédies, des discours des orateurs et des traités de Plutarque sont celles de la Collection des Universités de France.

2 Fournier-Finocchiaro2006.

3 Bodiou 2006a.

4 Bodiou, Brulé & Pierini 2005.

5 Knibiehler 2000 ; Morel 2001.

6   Badinter 1980. L’auteure y reprend les thèses d’E. Shorter, à savoir que l’amour maternel n’est pas un fait instinctif relevant d’une nature féminine et qu’en fonction des époques, les mères auraient oscillé entre indifférence et rejet
vis-à-vis de leurs enfants.

7 Vidal-Naquet 2002.

8 Fraisse 1974 ; Alaux 1995 ; Konstan 1997.

9 Platon, Lysis, G.F. Flammarion, traduction L.-A. Dorion.

10 Dorion 2006.

11 Platon, Lysis, 210c-d.

12 Fraisse 1974 : 129.

13 Xénophon, Mémorables, I, 2, 51-52.

14 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1120b13. Voir aussi Platon, République, I, 330b-c, qui use déjà de la même comparaison mais en la limitant aux pères.

15 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1161b27-28, G.F. Flammarion, traduction R. Bodéüs.

16 Aristote,Éthique à Nicomaque, 1161b24-26.

17 Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 496b : « Tout barbouillé de sang et plein de saleté, il fait plus penser à un assassinat qu’à une naissance, il n’est pas bon à toucher, ni à ramasser, ni à couvrir de baisers, ni à prendre dans les bras, sauf pour qui lui porte naturellement amour ».

18 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1168a24-6.

19 Ibid., 1168a21-24. Voir aussi Sophocle, Électre, v. 530‑533.

20 Voir aussi Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 496d-e : « La mère encore brûlante et pénétrée de douleur, tremblante de fatigue, loin de fuir et de négliger l’enfant, s’est tournée vers lui et lui a souri, l’a soulevé et l’a caressé, sans en recevoir agrément ni profit, mais n’en attendant que peines et souffrances ».

21 Aristote, Éthique à Eudème, 1241b5-9, Vrin, traduction V. Décarie. Voir aussi Éthique à Nicomaque, 1161b26-27 et 1168a25-26.

22 Fragment 1015 d’Euripide d’un drame non identifié. Voir aussi Homère, Odyssée, I, v. 215-216 ; Ménandre, Le Carthaginois, fragment 227.

23 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1159a28-33.

24 Bonnard 2004.

25 Euripide, Oreste, v. 550-556. Voir aussi le fragment non identifié 1064 : « Sache le bien, jamais je ne m’écarterai de la règle de te manifester toujours mon amour, parce que c’est justice et que tu m’as mis au monde. Mais de tous les mortels, celui que je chéris le plus est celui qui m’a engendré. C’est ma détermination, et toi, n’en sois pas jalouse, car c’est de lui que je suis né, et aucun homme ne saurait se proclamer fils de sa mère, mais bien de son père ». Voir encore Eschyle, Euménides, v. 658-659 et Euripide, Protésilas, 9.

26 La philia maternelle n’a pas attendu les productions tragiques pour trouver un medium privilégié d’expression. L’hymne homérique à Déméter est un bon exemple de littérature archaïque exploitant les relations mère/fille. Voir Bodiou 2006b.

27 Euripide, Électre, v. 1230-1231.

28 Sophocle, Électre, v. 770-771.

29 Konstan 1985. Voir aussi Dodds 1953.

30 Sophocle, Électre, v. 289-292.

31 Clytemnestre, en instrumentalisant Oreste, tenterait d’éviter le sacrifice d’Iphigénie, voulu par son père.

32 Euripide, Télèphe, 29 (727 Kn.) : Apeptys’ echthrou phôtos echthiston tekos. Ce vers est attribué par les éditeurs tantôt à Télèphe, tantôt à Clytemnestre.

33 Eschyle, Choéphores, v. 190-191 : « […] ma mère, qui dément ce nom par l’aversion impie qu’elle nourrit à l’égard de ses enfants ».

34 Euripide, Électre, v. 265 : « Gunaikes andrôn, ô Xen’, ou paidôn philai ».

35 Eschyle, Choéphores, v. 896-898 ; Euripide, Électre, v. 1207 ; Phéniciennes, v. 1568 ; Homère, Iliade, xii, v. 80. Dans Euripide, Électre, v. 969, Oreste a un moment d’hésitation avant de tuer sa mère : « Comment tuer qui m’a nourri et enfanté ? (Pôs gar ktanô nin, è m’ethrepse kateken) ». Sur l’interprétation psychanalytique de la monstration du sein de Clytemnestre et de la réaction d’Oreste à la vue de ce qui symboliserait le sexe de sa mère, voir Loraux 1986.  

36 Eschyle, Choéphores, v. 523-551.

37 Jouanna 1993.

38 Amphore à col à figures rouges paestanne, Malibu, J. Paul Getty Museum 80.AE.155.1 H 5739, LIMC Klytaimestra 31*, Peintre de Würzburg, vers 330 av. J.-C. On y voit Oreste saisissant par les cheveux sa mère, agenouillée et suppliante, qui dévoile son sein gauche. La parenté entre les deux personnages est signifiée par la similitude des chevelures.

39 Euripide, Phéniciennes, v. 1567-1569.

40 Aristote,Éthique à Nicomaque, 1161b27-1162a2 : « les frères s’aiment entre eux comme étant nés des mêmes parents, car leur identité avec ces derniers les rend identiques entre eux, et de là viennent les expressions être du même sang, de la même souche, et autres semblables ».

41 Loraux 1986 : 101.

42 Hydrie à figures rouges, Berlin, Antikensammlung F 2395, LIMC Amphiaraos 27, vers 440 av. J.-C.

43 On peut voir, rarement, Aphrodite allaitant Éros. Voir Lissarrague 1991 :
202-203 ; Bonfante 1997 : 174-175 ; Sutton 2004 : 327-350.

44 Vilatte 1991 ; Lett & Morel 2006.

45 Euripide, Iphigénie à Aulis, v. 1152 ; Iphigénie en Tauride, v. 213 et v. 231-233.

46   Eschyle, Choéphores, v. 749-750 et v. 762.

47 Dans la cité utopique platonicienne de la République, 460c-d, le brouillage généralisé des repères biologiques concerne aussi l’allaitement. Les femmes allaitent au hasard, ignorant si elles nourrissent au sein leur propre nourrisson ou celui d’une autre femme.

48 Euripide, Andromaque, v. 510-512.

49 Dupont 2002.

50 Dasen 2003 ;  Chabrol 2011.

51 Ce que déplore encore Plutarque, Œuvres morales, « De l’amour de la progéniture », 495a.  

52 Euripide, Suppliantes, v. 918-924. Voir aussi Eschyle, Choéphores, v. 908, « Je t’ai nourri, je veux vieillir à tes côtés (Egô s’ethrepsa, syn de gèranai thelô) ».

53 Isée, Succession de Kiron, 32-34.

54 Homère, Iliade, ix, v. 440-495.

55 Le roi Akrisios ayant appris par un oracle que son petit‑fils le tuerait, lorsque sa fille Danaè enfante Persée qu’elle a eu de Zeus, il met la mère et l’enfant dans un coffre qu’il jette à la mer. La mère et le fils survivent.

56 Eschyle, Les Pêcheurs, v. 802-814, Paris, La Pléiade, traduction R. Dreyfus.

57 Pour un inventaire des figures criminelles dans la parenté tragique voir Belfiore 2000 ; Damet 2009.

58 Sebillotte 2006.

59 Euripide, Érechthée, fragment 15.

60 Ibid., fragment 17.

61 Hécube, dans la pièce éponyme d’Euripide, v. 279-281, à l’inverse de Praxithéa, juge la cité à l’aune de sa fille : « Par elle je me réjouis et j’oublie mes maux, elle est mon réconfort et ma réparation : cité, nourrice, bâton, guide sur le chemin ».

62 Lycurgue, Contre Léocrate, v. 100-101. La longue tirade de Praxithéa est d’une « grandeur d’âme et [d’]une noblesse de sentiments dignes d’Athènes ».

63 Plutarque, Œuvres Morales, « Préceptes politiques », 809d.

64 Euripide, Médée, v. 816-817.

65 Lorsqu’une femme athénienne connaît des difficultés conjugales, sa famille natale, père et frère, lui vient en aide. Par exemple, Ménélas intervient dans les aventures de sa fille Hermione. Mais Médée ne peut espérer une telle solidarité : elle a elle-même tué son frère. Quant à son père, qui a dû récupérer les morceaux du cadavre de son fils que Médée avait dispersés afin d’aider Jason, il ne saurait lui venir en aide.

66 Euripide, Médée, v. 1243-1250.

67 Ibid., v. 1346.

68 Antiphon, Accusation d’empoisonnement contre une belle‑mère.

69 Cratère en calice à figures rouges lucanien, Cleveland, Musée d’art 1991.1, Peintre de Policoro, vers 400 av. J.-C.

70 Moreau 1994 : 278-292 ; Depaulis 2003.

71   Démosthène, Contre Boeotos, I, 23.

72 Sur la reconstitution du Térée de Sophocle, voir McHardy 2005.

73 Qui ne sont pas forcément des mères (Loraux 1990 :  87-100).

74 Euripide, Phéniciennes, v. 1515 ; Héraklès, v. 1021-1025 ; Eschyle, Niobé ; Agamemnon, v. 1140-1145 ; Sophocle, Électre, v. 148 ;  Antigone, v. 423-428.

75 Euripide, Suppliantes, v. 58-67.

76 Euripide, Phaéthon, v. 67-70.

77 Visser 1986.

78 Euripide, Méléagre.

79 Sophocle, Antigone, v. 905‑915.

80 Euripide, Andromaque, v. 1177-1180. Voir aussi les vers 1205-1206.

81 Ps.-Aristote, Constitution d’Athènes, 43, 4 ; Démosthène, Contre Macartatos, 11 ; Isée, Succession de Kléonymos, 44 ;  Platon, Lois 925c.

82 Euripide, Andromaque, v. 309.

83 Leduc 1998.

84 Euripide, Médée, v. 1396 : Oupô thrèneis. Mene kai gèras.

85 Euripide, Héraklès furieux, v. 632‑635. Voir aussi Euripide, Danaé, 2.

86 Euripide, Suppliantes, v. 1093-1103.

87 Aristophane, Nuées, v. 1380-1383, G.F. Flammarion, traduction V.-H. Debidour.

88 Homère, Iliade, ix, v. 486-492.

89 Bremmer 1999. Voir aussi Humphreys 1986.

90 Euripide, Mélanippe, 20, v. 15-17 : « Frères de notre mère chérie que faites-vous ? Vous êtes pris en flagrant délit de vouloir tuer ceux qu’il vous serait le moins permis de tuer ».

91 Bacchylide est le fils de la sœur de Simonide, Eschyle est l’oncle maternel de Philokles, l’orateur Dèmocharès est le fils de la sœur de Démosthène, Speusippos est le fils de la sœur de Platon. Neveux et oncles exercent le même métier.

92 Diogiton et Diodote sont deux frères. Diogiton fait épouser sa fille à son frère : il devient ainsi à la fois l’oncle paternel (il est le frère du père) et le grand-père maternel (il est le père de la mère) des enfants nés de sa fille et de son frère.

93 Lysias, Contre Diogiton, 2, 3, 16, 24, 27.

94 Pindare, Isthmiques, V, VI ; Néméennes, V.

95 Bremmer 1983. Voir Sophocle, Trachiniennes, v. 31-33 et 39-41.

96 Diogène Laërce, Vies des philosophes, « Thalès », I, 26, 2-3.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélie Damet, « Le sein et le couteau. L’ambiguïté de l’amour maternel dans l’Athènes classique »Clio, 34 | 2011, 17-40.

Référence électronique

Aurélie Damet, « Le sein et le couteau. L’ambiguïté de l’amour maternel dans l’Athènes classique »Clio [En ligne], 34 | 2011, mis en ligne le 31 décembre 2013, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/clio/10216 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/clio.10216

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Auteur

Aurélie Damet

Aurélie Damet est maîtresse de conférences en histoire grecque à l’Université Paris 1 et membre de l’équipe ANHIMA. Elle a étudié, sous la direction de Pauline Schmitt, Les conflits familiaux dans l’Athènes classique (thèse à paraître aux Publications de la Sorbonne, prix Sophau 2010). Actuellement ses recherches portent sur l’anthropologie juridique, notamment le traitement de l’insulte dans le monde grec, ainsi que sur les monstres cannibales féminins et la solitude en Grèce ancienne.  aurelie.damet@gmail.com

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