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Du bwiti en clips et en cassettes : la transnationalisation des musiques initiatiques du Gabon

Bwiti through clips and tapes: The transnationalisation of Gabonese initiation music
Alice Aterianus-Owanga et Rémy Jadinon
p. 57-75

Résumés

En croisant les approches anthropologique et historique sur la musique, cet article examine certaines routes, acteurs et objets musicaux qui ont accompagné la circulation du rite initiatique gabonais bwiti dans des réseaux et espaces transnationaux. Il démontre que cette circulation transnationale des musiques rituelles s’appuie sur des mobilités anciennes de musiciens, et que si elle s’entrelace avec des démarches de patrimonialisation, elle se déroule principalement en dehors des initiatives de l’Etat-nation. Il s’intéresse à la manière dont l’activité musicale, centrale au déroulement du rituel dans les temples du Gabon, l’est aussi devenue depuis quelques années sous de nouveaux aspects en dehors des frontières du Gabon, dans les cérémonies de bwiti New-Age, ou auprès des Gabonais de l’étranger. Il décrit enfin comment les sonorités et les représentations du bwiti se diffusent via les performances de quelques artistes hip-hop, en lien avec leur affirmation de retour aux sources et de réafricanisation. Finalement, cet article réfléchit au rôle de la musique dans la mise à disposition de fragments d’une religion dont la transnationalisation en tant que telle reste entravée par diverses barrières.

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Texte intégral

Introduction

« En Afrique centrale, d’entrée de jeu notre culture conçoit le monde comme étant né [sic] d’une note, elle-même produite par la vibration des cordes de la Harpe Sacrée. Comme je le dis dans mon premier opus : “C’est au son d’une harpe comme celle-ci que ce monde vint à la vie”. L’univers est ainsi appréhendé en termes de vibrations, d’où la puissante métaphore africaine avec les cordes, la harpe qui les porte, et la musique qu’elle produit. Au moyen de nos harpes, “La théorie des cordes” raconte un monde, sa naissance, son déclin et sa résurrection ». Lord Ekomy Ndong, 2017.

  • 1 Voir en ligne : <https://ekomyndong.com/category/actualites/>
  • 2 Le terme bwiti (également dit bwete dans certaines régions) est employé au Gabon pour désigner, sel (...)
  • 3 <https://www.youtube.com/watch ?v =5fkwPmUjpdI>

1C’est en ces termes que le rappeur et beatmaker Lord Ekomy Ndong présentait son album La Théorie des cordes1, publié en juin 2017 sur les plateformes de téléchargement en ligne, en rattachant sa création musicale aux récits cosmogoniques et au symbolisme des instruments du bwiti2. L’analogie avec ce rite initiatique gabonais était soulignée par l’un des vidéoclips accompagnant la parution de cet album3 : dans une vieille bâtisse abandonnée, la vidéo mettait en scène la métamorphose bwitiste et les chorégraphies d’un jeune danseur gabonais, selon une quête tout inspirée du parcours visionnaire de l’initié (Mary 1983). Comme le remarquèrent rapidement des auditeurs, passionnés de hip-hop et sites d’actualité gabonais, l’album proposait plus d’une innovation : en tant que premier opus sans paroles, dévolu exclusivement à des instrumentaux de hip-hop (beats) dans l’histoire de la création hip-hop gabonaise ; en tant que premier disque consacrant ses vingt titres à une fusion de notes de harpe avec des rythmiques hip-hop et des samples divers ; enfin, car il mobilisait des enregistrements originaux de harpistes gabonais vivant en France ou au Gabon, au sein de compositions conçues, mixées, et arrangées dans un studio nantais.

2Tout en apportant ces innovations, cette œuvre s’inscrit dans une série de continuités. Elle prolonge d’abord le parcours de cet artiste, qui s’attache depuis ses débuts à mettre en avant les richesses du monde initiatique gabonais ; elle fait ensuite écho à l’histoire de la musique populaire gabonaise et à ses usages des matériaux issus du monde initiatique local ; enfin, elle poursuit les étapes progressives de déplacement des rites initiatiques depuis les mbandja (temples) de l’intérieur du Gabon jusqu’aux scènes internationales de musique. L’arrivée de ces harpes dans les vidéoclips de rappeurs comme Lord Ekomy Ndong découle en réalité d’une longue histoire où s’entrelacent des circulations artistiques – translocales ou transnationales –, des phénomènes de décontextualisation d’objets sacrés vers les scènes profanes, des mises en réseau avec des imaginaires globalisés sur l’Afrique et ses religions originelles, et des démarches de quête identitaire recourant au champ religieux comme voie de résolution des troubles identitaires.

3Dans de précédentes publications, nous avons analysé comment le déplacement du bwiti des temples initiatiques aux scènes musicales populaires avait accompagné au Gabon une plus vaste entreprise de patrimonialisation des religions initiatiques (Aterianus-Owanga 2017a, 2017b), et comment les musiciens avaient contribué, parfois de façon pionnière, à la requalification du bwiti comme « patrimoine culturel », processus déjà décrit par plusieurs autres recherches (Mary 2005 ; Bonhomme 2006 ; Chabloz 2014). Dans cet article, nous croisons deux études sur les univers contemporains de la musique gabonaise, afin d’examiner les routes, acteurs et objets musicaux qui ont accompagné ou contribué à la circulation du bwiti dans des réseaux et espaces transnationaux. Quel rôle particulier les musiques ont-elles exercé dans le processus de déplacement d’un rituel local, devenu emblème national, en dehors des frontières de l’Etat-nation ? En quoi le développement de nouvelles technologies de diffusion et de création musicale a-t-il stimulé ou accentué ce processus ? Enfin, la présence du bwiti dans des réseaux musicaux et des champs sociaux transnationaux est-elle significative d’une transnationalisation de cette religion ?

4Nous optons, dans cet article, pour aborder une partie des phénomènes observés au prisme de la notion de « transnational », qui s’est affirmée dans les dernières décennies pour pallier les insuffisances du concept de « global ». Forgé essentiellement dans le cadre des études sur les migrations, pour appréhender les phénomènes d’attachements multiples entre pays d’accueil et pays d’origine des migrants (Basch et al. 1994), ce concept a aussi été affirmé pour penser la combinaison entre déterritorialisation et reterritorialisation des formes culturelles, ou les phénomènes contemporains qui s’ancrent dans les frontières de l’Etat-nation tout en transcendant celles-ci (Kearney 1995 : 548). Comme relevé par Stefania Capone, « si le terme ‘international’ est normalement utilisé pour désigner des activités menées par des Etats-nations, le terme ‘transnational’ définit toute activité initiée et menée par des acteurs non-institutionnels, qu’ils soient des groupes organisés ou des individus qui croisent les frontières des Etats-nations » (Capone 2010 : 237). Ici, nous nous référons à l’idée de transnationalisation pour aborder le processus de mise en mobilité d’objets, de sonorités et d’idéologies issus des rites initiatiques gabonais dans des réseaux outrepassant les frontières du Gabon et par des acteurs situés en dehors des sphères étatiques, en considérant les hiérarchies de valeur et les rapports de pouvoir qui s’entrelacent avec ce phénomène (Capone & Mary 2012 : 28). Parallèlement, l’idée de « scènes internationales » employée à plusieurs moments de notre article renvoie à des espaces de programmation et de diffusion musicale portés par des institutions étatiques ou interétatiques, situés dans un enchevêtrement de réseaux et de protagonistes, et dans lesquels s’insère une pluralité de contextes locaux interconnectés. Pour le cas des musiques rituelles du Gabon, nous verrons que les sonorités initiatiques circulent aussi bien dans ces scènes artistiques internationales que dans les « champs sociaux transnationaux » de la diaspora (Levitt & Glick-Schiller 2004 ; Capone & Mary 2012 : 33), sans pour autant être coupées de leurs ancrages territoriaux, ou dissociées de discours des origines et d’affirmations de localité.

  • 4 Ce terme réunit une nébuleuse de mouvements spirituels apparus depuis les années 1960, relevant tan (...)

5Dans un premier temps, nous démontrerons que la circulation transnationale des musiques rituelles s’appuie sur des mobilités anciennes de musiciens, et que si elle s’entrelace avec des démarches de patrimonialisation, elle se déroule principalement en dehors des initiatives de l’Etat-nation. Nous verrons ensuite comment le rôle central du musical dans les rituels de bwiti au Gabon a été reconfiguré depuis quelques années en dehors des frontières du Gabon, dans des cérémonies de bwiti New-Age4 ou auprès des Gabonais de l’étranger. En suivant le parcours d’un groupe de rappeurs gabonais résidant en France, nous décrirons enfin les sonorités et les représentations du bwiti qui se diffusent via leurs performances, en lien avec leur affirmation de retour aux sources et de réafricanisation. Nous réfléchirons finalement au rôle de la musique dans la mise à disposition de fragments d’une religion dont la transnationalisation en tant que telle reste empêchée par des frontières légales.

Le bwiti, du translocal au transnational : des circulations musicales fondatrices

  • 5 D’autres rites initiatiques ou thérapeutiques existent chez les groupes ethniques gabonais, notamme (...)

6Société initiatique masculine basée sur la consommation d’un hallucinogène local (l’iboga), le bwiti se ramifie en différentes branches : la branche originelle, le disumba, a essentiellement une vocation identitaire et initiatique, et serait issue du culte des ancêtres. Une seconde branche plus récente, celle du misoko, revêt une fonction essentiellement thérapeutique, et est elle-même divisée en différentes ramifications (Bonhomme 2006). Une variété d’autres branches et niveaux d’initiation s’est développée à l’intérieur de cette arborescence (entre autres, Ndea, Sengenya, Ngonde, Myobe), dont certaines admettent la présence des femmes, sans que cela ne remette en question l’asymétrie fondamentale entre les genres sur lesquels reposent le symbolisme du rituel et la circulation du savoir5.

  • 6 Cet article n’entend pas dresser une bibliographie exhaustive des travaux effectués sur le bwiti et (...)

7Le bwiti est depuis ses origines associé à des phénomènes de circulation spatiale et d’échanges interethniques, que ce soit entre des groupes voisins ou entre différentes provinces du Gabon. Il est vraisemblablement originaire de groupes ethniques du sud du Gabon (Mitsogo et Apindji) où son existence est attestée dès la période précoloniale. Ses circulations auprès d’autres groupes du sud et du centre du Gabon sont observées au 19e siècle (Bonhomme 2006), avant qu’il ne se propage chez les Fang, dans l’Estuaire et le nord du Gabon (Fernandez 1982 ; Mary 1983, 1999)6. Il y a fait l’objet de deux types de syncrétisme, d’une part avec les systèmes politiques et religieux propres au monde fang, d’autre part avec le christianisme (Balandier 1963 ; Mary 1999 ; Mifune 2012).

8Par-delà les différences fonctionnelles ou structurelles existant entre ces différentes branches, la musique exerce toujours un rôle central dans la pratique rituelle bwitiste. Durant les veillées, les sons des harpes, des arcs à résonateur buccal, des tambours ou des poutres percutées permettent de relier les initiés au monde spirituel et ancestral. Chacun de ces instruments est porteur de symbolismes dans les mythes d’origine du bwiti, comme le reformule Lord Ekomy Ndong en introduction de cet article. Dans les veillées de bwiti, l’activité musicale et dansée a pour objectif de créer la connexion avec les ancêtres et de favoriser l’apparition des esprits (mighonzi), ce qu’a déjà décrit la longue tradition de publications ethnomusicologiques et d’enregistrements collectés sur le bwiti (Sallée 1985 ; Mifune 2012 ; De Ruyter 2016). C’est par la métaphore musicale que les savoirs ésotériques, transmis de la bouche des aînés, deviennent compréhensibles aux néophytes, et c’est le « chant [de la harpe] qui fait comprendre aux initiés le sens profond des récits hermétiques » (Sallée 1978 : 59). Dans un contexte rituel éclaté entre différentes branches, différentes factions concurrentielles, ou entre différents groupes ethniques, l’existence d’activités musicales communes constitue l’un des ciments du rituel (De Ruyter 2016).

9Autour de ces éléments rituels et musicaux communs, le bwiti et d’autres rites initiatiques gabonais ont été déplacés depuis l’intérieur du pays vers les villes du Gabon, notamment vers Libreville et sa périphérie. A partir de la période coloniale et autour de l’indépendance, les mouvements accrus des populations ont permis le déplacement progressif de ces répertoires musicaux religieux vers des scènes musicales dites « commerciales », à Libreville puis à l’international.

Des musiques rituelles sur les scènes internationales

10En parallèle de l’urbanisation, une scène de musiques urbaines s’est mise en place à Libreville à partir des années 1950. Après l’ère des bars-dancings et des transistors, les premiers orchestres instrumentaux gabonais fleurissent dans les quartiers de Libreville au tournant des indépendances. D’abord orientée vers la reprise des standards internationaux de rumba congolaise et des musiques circulant sur les routes coloniales, cette scène de musiques urbaines se tourne progressivement vers les instruments, langages et systèmes musicaux issus des cadres cérémoniels et des fêtes de réjouissance du Gabon, donnant naissance à une catégorie musicale hybride appelée localement « tradi-moderne ». Cette étiquette musicale, que l’on retrouve au Gabon et dans d’autres États africains (White 2012 : 205), réunit des artistes de genres musicaux différents, mais opérant un même mélange entre instrumentations locales et arrangements ou instruments occidentaux. Les instruments, rythmes et mélodies rituelles ont exercé un rôle important dans la construction de cette catégorie « tradi-moderne », conduisant à un « passage à l’art » (Heinich & Shapiro 2012) progressif de ces sonorités dotées d’une efficacité rituelle, depuis les temples vers les scènes urbaines.

11Mathurin Rempano, Pierre Claver Akendengué, Aziz’Inanga, Julien Nziengui Mouélé, Pape Nziengui, ou Vyckos Ekondo : nombreux sont les musiciens gabonais qui participent des années 1960 aux années 1980 à cette tendance. Dans les scènes des festivals panafricains tels que celui de 1977 à Lagos, dans les foires internationales ou les jeux de la francophonie, ces artistes vont mettre en circulation des sonorités de harpe ngombi ou de mongongo, et aussi progressivement des éléments vestimentaires et chorégraphiques tirés des rituels. Alors même que l’Etat gabonais reste réticent à promouvoir ces sociétés initiatiques, auréolées d’un permanent soupçon de sorcellerie et d’obscurantisme (Mary 2005), c’est la confrontation à des scènes étrangères et au champ transnational qui éveille chez ces musiciens le désir de recourir à des éléments musicaux issus des patrimoines religieux initiatiques (Aterianus-Owanga 2017a). Au travers de ces créations en circulation, la présence de sonorités de harpe et d’objets rituels se normalise au cours des années 1980 dans les musiques populaires gabonaises, et elle devient l’une des constituantes du genre « tradi-moderne », particulièrement pour les artistes du sud et du centre du Gabon.

12A partir des années 1980, un tournant survient dans les politiques culturelles gabonaises, qui commencent à davantage se tourner vers une préservation du bwiti dans les musées et les expositions internationales, et à encourager les créations artistiques valorisant le bwiti comme bien culturel national, en écho aux dynamiques en cours sur le plan international et à des échanges avec l’UNESCO (Aterianus-Owanga 2017a). Mais le rapport aux cultes initiatiques en eux-mêmes demeure ambigu et, si la mise en spectacle de traditions folklorisées est encouragée, le bwiti n’en est pas pour autant érigé en patrimoine culturel. De même, jusqu’aux années 1990, il n’est pas encore question de transnationalisation du rite initiatique ou de séquences rituelles en elles-mêmes, notamment car il y a peu de Gabonais vivant à l’étranger susceptibles d’exporter le rite en dehors des frontières nationales. La diffusion de ces musiques évoquant de façon plus ou moins directe le rituel reste donc essentiellement confiné à quelques festivals de musiques dites « folkloriques » ou « traditionnelles ».

13Au début des années 1990, un tournant s’opère : l’accroissement de certaines technologies de diffusion musicale, le développement de nouvelles formes de mobilité des Gabonais, et l’émergence d’autres genres musicaux conduisent au déplacement des musiques rituelles dans de nouveaux espaces. Les prochaines parties de cet article examinent la façon dont, dans la continuité de l’histoire d’échanges et de mobilité interethnique entre différents espaces du Gabon, les musiques rituelles circulent aujourd’hui en dehors du Gabon via les voies du tourisme initiatique, des mobilités de la diaspora et des circulations des musiques hip-hop gabonaises.

Ecouter le bwiti sur la Toile

  • 7 Ces remarques découlent d’une analyse des vidéos, des profils et des commentaires laissés sur les c (...)

14Avec l’essor des technologies numériques, un flux croissant de documents audiovisuels liés aux pratiques religieuses du Gabon circule aujourd’hui sur les sites d’hébergement de vidéos en ligne (YouTube principalement), présentant divers aspects de la vie rituelle gabonaise. Outre les reportages ciblés sur l’initiation, produits par des télévisions locales et internationales7, de nombreuses vidéos exposent des danses collectives ou des performances de harpistes jouant en solo. Ces musiques rituelles sur la toile sont quelquefois exécutées par des figures du genre « tradi-moderne » citées plus haut, enregistrées en studio et mises en clip, mais parfois aussi produites au village, capturées par un téléphone portable ou un petit enregistreur, échangées directement entre personnes via bluetooth puis mises en ligne sur des sites d’hébergement (Jadinon 2017).

15La circulation de ces enregistrements individuels contourne les circuits longs (et parfois inaccessibles pour les artistes villageois) de la radiodiffusion ou de la diffusion commerciale. Le travail de médiatisation de ces musiques s’opère au travers des pratiques de partage de vidéo par les amateurs de musiques rituelles gabonaises, locaux ou internationaux, qui relayent les vidéos acquises par des échanges interpersonnels, pour les mettre à disposition à travers leur compte de médias sociaux ou sur des sites publics. Ces derniers contribuent ainsi à une mise à disposition croissante de vidéos de cérémonies ou de harpistes traditionnels en ligne. Via leurs interactions, musiciens ruraux et amateurs de musiques traditionnelles participent ainsi d’une première façon à une mise en circulation des productions musicales rituelles, dans un circuit direct allant du village aux plateformes numériques accessibles globalement.

16Qu’ils soient capturés directement lors de veillées ou produits lors de mises en scène effectuées pour des vidéo-clips, les enregistrements audio et vidéo mimant des étapes liturgiques sont particulièrement appréciés des membres des sociétés de bwiti et les exclamations de satisfaction sont fréquentes lorsqu’ils sont visionnés (Jadinon 2017). En effet, bien que les significations profondes des enseignements initiatiques soient régies par le sceau du secret, l’exhibition d’une partie des symboles et des signes associés à ces savoirs est pour sa part permise, et elle constitue même une condition sine qua non à l’existence du secret, dans le bwiti comme dans d’autres sociétés initiatiques (Bonhomme 2006 ; Zempléni 1976). Pour se maintenir, le secret a besoin d’être mis en scène et exposé face à un public de profanes (par les masques notamment) et les veillées comportent elles-mêmes toujours une partie publique accessible aux non-initiés. Dans la continuité de cette dualité public/profane structurant le bwiti, le fait de jouer des répertoires religieux dans le cadre de productions commercialisées n’est pas perçu comme une transgression du secret initiatique, puisque les symboles sont « protégés » par une pluralité de significations que seuls les initiés et maître initiateurs peuvent expliquer.

17Circulant dans des réseaux d’initiés, de Gabonais de l’étranger ou d’internautes curieux des rites du Gabon, ces enregistrements procurent désormais une large visibilité à ces pratiques rituelles sur la Toile, et accompagnent le développement de nouveaux usages de l’iboga. Repris par des sites qui font la promotion du bwiti, ils sont par exemple devenus partie prenante d’un tourisme néo-chamanique développé par certains centres gabonais ou occidentaux autour du bwiti. Porté par une vision souvent exotique ou primitiviste de l’Afrique, ce tourisme amène chaque année des Occidentaux à se rendre au Gabon pour s’initier au bwiti ou à des variantes du rituel, adaptées à des publics non familiers du Gabon (Chabloz 2014). L’association Ebando, portée par Hugues Poitevin (surnommé « Tatayo »), a été l’une des premières à proposer ce type de service à un public étranger, à partir du début des années 20008. Une série d’autres associations sont nées par la suite afin d’accueillir ces touristes d’un nouvel ordre, à Libreville et dans des provinces du Gabon. Parallèlement, d’autres promoteurs du bwiti ont mis en place des séjours de découverte de l’iboga et l’initiation en France, comme le harpiste et initié gabonais Mallendi qui a organisé dès 2003 en Ardèche des initiations à l’iboga.

18En plus de ces quelques centres thérapeutiques, des conversations avec des Gabonais de France confirment l’organisation ponctuelle de veillées de bwiti dans des régions de province. Au moyen d’enregistrements capturés dans des veillées, certains initiés continuent de procéder occasionnellement à des pratiques rituelles mineures, comme des rituels d’offrandes, à leur domicile et de façon individuelle. Mais ces activités sont rares, du fait de la difficulté d’obtention des matériaux requis, et du fait de barrières légales qui empêchent dans de nombreux pays la reterritorialisation du rite et l’usage de la plante sur laquelle il repose. En effet, en 2007, le décès d’un jeune homme dans le centre ardéchois de Mallendi, suite à l’ingestion d’iboga, conduit à l’interdiction en France de cette plante, qui était déjà prohibée aux Etats-Unis et dans divers Etats. La même année, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les sectes (Miviludes) mentionne que le bwiti relève de dérives sectaires (Chabloz 2009). Du fait de cette interdiction en France et dans d’autres pays occidentaux, l’iboga et les rituels au sein desquels il exerce un rôle central ne se sont que très faiblement exportés en dehors de leurs frontières, à la différence d’autres pratiques religieuses extra-occidentales qui se diffusent avec un grand engouement en France (Teisenhoffer 2007). C’est donc toujours vers le Gabon que se dirige la majorité des personnes qui souhaitent traverser les voies de l’initiation.

  • 9 Gilbert Rouget parvenait déjà à ces conclusions en affirmant qu’il existe différents types de trans (...)

19Au demeurant, certains Occidentaux ont contourné ces frontières légales en créant des centres, et en se faisant, à leur tour, initiateurs dans d’autres pays où la plante reste légale (en Amérique centrale principalement). Ils officient généralement dans des centres de bien-être, dont une quinzaine ont été répertoriés pour cette étude. Ces centres de soins proposent des « retraites spirituelles » ou des « traitements par l’iboga », en s’inspirant de diverses manières du bwiti ou de rituels proches, en utilisant souvent l’iboga pour ses vertus anti-addictives. Outre l’usage de l’iboga dans les retraites et les soins prodigués, le dénominateur commun de ces traitements repose sur la présence du musical, second pilier de recréation d’un rituel inspiré du bwiti. Rappelons que dans le rituel bwitiste, le musical est un élément majeur du système sonore susceptible de conduire à un état altéré de la conscience, et d’amener à une vision ou une possession9. Cet état est rendu possible à la suite d’une mobilisation de facteurs tels la prise d’un hallucinogène, le contexte, l’engagement dans le rituel, et le musical (Legrain 2009). Exécutées par des bwitistes consacrés qui constituent des acteurs clés de la hiérarchie initiatique, les musiques du bwiti prennent leur efficacité au sein d’un système cohérent régi par des normes précises.

20A l’inverse, les pratiques qui s’observent dans les retraites spirituelles révèlent une appropriation très fragmentaire de l’iboga et de la musique, deux « éclats de religion » (Champion 2003) qui sont extraits du système au sein desquels ils faisaient sens pour être réinvestis au sein de nouveaux rites New-Age. A l’exception du Oka Center10 situé dans la péninsule de l’Etat du Yucatán au Mexique, les contacts pris avec ces centres révèlent que peu d’entre eux disposent de musiciens formés pour accompagner les cérémonies, et la plupart ont recours à des enregistrements numériques, souvent capturés lors de leurs séjours au Gabon11. En outre, ces centres thérapeutiques focalisent leurs soins sur la consommation de l’iboga en laissant de côté le rôle socialisateur de la représentation musicale. Le nœud de la thérapie réside dans la consommation de dérivés de l’iboga, les musiques bwitistes ne venant qu’au second plan, parfois remplacées par des chants, du tambourin ou encore du didgeridoo. Le divinatoire repose sur l’absorption et non plus sur le rituel.

21Comme on le voit avec ces centres thérapeutiques, la mise en circulation et la recréation de rituels dans ces sphères néo-chamaniques procèdent souvent selon une logique fragmentaire, découpant sélectivement des éclats de rituels pour en faire de nouveaux usages. Le musical n’est alors qu’un fragment décontextualisé vidé de ses sens initiaux, car coupé d’un ensemble rituel systémique. Dans ce cas, la circulation des musiques rituelles et leur consommation en dehors des frontières du Gabon ne sont pas un indicateur de la transposition des rites eux-mêmes, et ce, pour différents motifs. Pour ce qui est du contexte migratoire, où la recréation du dispositif initiatique dans son ensemble est contrée par les interdictions juridiques, la pratique religieuse devient souvent plus personnelle et individualisée. La mise à disposition des musiques rituelles enregistrées, numérisées et échangées sur la Toile ou conservées dans des cartes SD constitue alors l’un des supports de perpétuation d’une activité rituelle, même mineure, palliant l’absence de rite complets. L’écoute des musiques initiatiques réunit cette petite communauté d’initiés dispersés de par le monde, même si le bwiti en tant que tel ne s’est pas exporté et réimplanté intégralement en dehors de ses frontières.

22En parallèle de ces différents types de consommation des musiques rituelles à l’étranger, d’autres creusets de circulation des musiques et des représentations du rituel se sont développés au sein de réseaux musicaux d’un nouveau genre, ceux liés au hip-hop gabonais. Leur observation permet de révéler d’autres esthétiques, images et enjeux identitaires développés récemment autour du bwiti, et elle éclaire comment différentes représentations des musiques rituelles peuvent être mises en dialogue par certains artistes.

Sampler les musiques de harpe : de Libreville à la diaspora gabonaise

  • 12 Ce terme désigne un sous-genre du rap, qui se caractérise par des textes porteurs d’une visée éduca (...)
  • 13 Hormis son usage politique et idéologique durant les indépendances, par Amilcar Cabral notamment, c (...)

23Inspirée par l’essor de la culture hip-hop à l’échelle globale, la scène rap gabonaise s’est développée à Libreville à partir de 1989-1990, en lien avec une période historique de reconfiguration des libertés d’expression. Assez rapidement, cette scène musicale a établi des continuités avec les musiciens précédents, notamment dans le registre des mobilisations des sonorités initiatiques. Dès les premières heures du rap gabonais, les membres du groupe pionnier Si’Ya Po’Ossi X s’essayent à sampler des instruments locaux, dont la harpe-cithare mvett, la harpe ngombi et l’arc musical mongongo, démarche qui fait des émules dans les générations suivantes. Le duo Movaizhaleine devient à partir du milieu des années 1990 le groupe le plus célèbre pour cette adjonction de samples traditionnels dans les musiques hip-hop. Lord Ekomy Ndong et Maât Seigneur Lion, les deux élèves du lycée National Léon Mba qui composent ce duo, mêlent ces bases instrumentales locales avec des influences du reggae jamaïcain ou des beats calqués sur le rap « conscient » américain12, autant d’influences résonnant chez la jeune génération de la capitale côtière. Dès leurs débuts, ils affirment un rap dépositaire d’une forte dimension revendicatrice, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan identitaire. Comme d’autres pairs de leur génération, ils dénoncent l’occidentalisation des cultures gabonaises, les conséquences néfastes de la colonisation et des relations franco-africaines contemporaines, et développent un projet de retour aux sources se déclinant dans les registres linguistique, culturel ou religieux. Cette entreprise, que l’un des auteurs de cet article a décrite ailleurs comme une forme de réafricanisation13 (Aterianus-Owanga 2017c), s’inspire d’autres idéologies indépendantistes, panafricanistes ou émancipatrices développées en Afrique ou dans la diaspora noire, qui ont plaidé pour un retour vers des origines et des sources culturelles transfigurées par le “ déracinement » colonial.

  • 14 Movaizhaleine, « La communauté de la harpe », On détient la harpe sacrée Tome 2, Zorbam Produxions, (...)

24Or, pour Movaizhaleine comme pour quelques rares autres rappeurs initiés aux sociétés secrètes du Gabon, cette repossession d’un soi africain s’acquiert en large partie par le travail religieux. C’est par le canal de ces pratiques rituelles et de la connexion aux ancêtres que s’acquerrait la connaissance d’un soi profond, antidote à la quête identitaire et à « l’occidentalisation » de la jeunesse gabonaise. Partagé sur l’ensemble du territoire et souvent érigé en tradition précoloniale endogène, le rite initiatique bwiti incarne ce projet identitaire que le groupe affirme. Il symbolise aussi l’union nationale que le duo veut représenter, en tant que rencontre entre un rappeur fang de l’Estuaire, initié au Bwiti fang (Lord Ekomy Ndong), et un rappeur vungu du sud du Gabon, initié au bwiti misoko et disumba (Maat Seigneur Lion). Bien qu’ils soient tout à fait conscients des distinctions existant entre différentes branches du bwiti, ces artistes dépeignent dans leurs œuvres une vision englobante et allégorique d’un bwiti générique, leurs odes poétiques et ésotériques représentant une communauté imaginaire d’initiés. Leur projet de défense de la richesse des patrimoines religieux gabonais se manifeste dans les créations musicales du groupe (qui associent des instruments rituels gabonais aux beats hip-hop) et dans leurs messages, notamment dans leurs albums On détient la harpe sacrée Tome 1 et 2 en 2005 et en 2007, puis l’album Ibogaïne d’Ekomy Ndong en 2011. Dans le titre phare du tome 2 de On détient la harpe sacrée, le duo revendique ainsi son appartenance à la « communauté de la harpe »14, référence aux initiés du bwiti.

  • 15 Ibidem

« Selon ce que content les traditions et les contes,
C’est au son d’une harpe que ce monde vint au monde.
Donc une armée de bardes se crée,
Avec pour arme secrète une harpe sacrée du Gabon profond […]
Et chaque (note de harpe) dans la forêt des abeilles
Fait naître des (éclats de rire) de Tchi’ jusqu’à Oyem.
À l’heure où leur science explose le cœur de l’atome,
La nôtre explore le cœur de l’homme.
Des hommes, comme pilotés par les astres
Gardent le temple : la communauté de la harpe […] ».15

25Au-delà de sa popularité au niveau local, le message de Movaizhaleine va progressivement exercer une influence en dehors du Gabon. Dès le début des années 2000, Movaizhaleine commence à exporter ses samples de harpe et ses messages de « retour aux sources » initiatiques sur des scènes musicales étrangères : celles des festivals de hip-hop. Parcourant les scènes du Bénin, du Sénégal, du Burkina Faso et de Guinée, leur style basé sur les instrumentations traditionnelles locales devient ainsi un emblème du rap gabonais dans les réseaux du hip-hop africain, bien avant que d’autres artistes au style plus inspiré du rap gangsta ne se fassent connaître à l’étranger. Mais leur entreprise de promotion des répertoires musicaux du bwiti prend surtout une nouvelle tournure avec le départ du groupe en France. Au début des années 2000, Lord Ekomy Ndong s’installe en effet en France, comme beaucoup de jeunes Gabonais étudiant à l’étranger. A Nantes, il poursuit ses activités musicales en même temps qu’il travaille dans l’animation et dans le karaté, et il commence à interagir avec les mouvements afro-descendants de France. Son collègue Maât Seigneur Lion le rejoint à partir de 2009, période de tensions politiques consécutives à la succession d’Omar Bongo (Aterianus-Owanga & Debain 2016). Alors que, avant cette date, le groupe était encore fréquemment présent à Libreville pour des spectacles et des activités, ses mobilités vers le Gabon se raréfient à partir de 2009, car les artistes contestataires sont moins souvent programmés sur les scènes officielles. Tout en poursuivant les échanges avec le Gabon via les réseaux sociaux, Movaizhaleine s’intègre dans la diaspora gabonaise de France et leurs performances se confrontent à de nouvelles audiences.

  • 16 C’est d’ailleurs ce titre que Maât Seigneur Lion a choisi pour son album paru en 2016 (Le Ngozé, Zo (...)

26Les mises en scène qu’ils développent autour des musiques de harpe offrent un révélateur intéressant des imaginaires et des projets idéologiques qui accompagnent leur mise en circulation du bwiti. En 2007, ils organisent leur premier concert à l’Elysée Montmartre, qu’ils intitulent le « ngozé », en référence au nom donné à l’ensemble principal de l’activité rituelle bwitiste16. Par la suite, des séquences ritualisées sont aussi fréquemment insérées dans les spectacles du groupe, qu’ils décrivent comme des « clins d’œil à la tradition » : qu’il s’agisse de rites de purification par des initiés vêtus de pagnes rouges qui balaient la scène avec des torches enflammées en amont du spectacle, ou d’introductions du spectacle par les mélodies d’un harpiste initié, l’addition d’éléments ritualisés ne manque jamais. Dans ce registre, une séquence intéressante se déroula lors d’un spectacle auquel l’un des auteurs de ce texte assistait en 2009. Tandis que Lord Ekomy Ndong était assis en arrière de la scène et se saisissait de sa harpe cithare, son camarade Maât Seigneur Lion se proposa de jouer le rôle du traducteur des paroles sacrées de « Dame harpe », et de transmettre aux spectateurs le contenu du message envoyé par l’instrument divin. Ce message portait sur différents dictons de la tradition bwitiste, mais aussi sur des valeurs plus générales que Maât Seigneur Lion entendait mettre en exergue : « la harpe sacrée vient nous proposer une nouvelle technologie, une nouvelle technique pour entrer en communication avec la voix de la vérité dans chaque homme et elle nous demande de l’écouter ». Entre chaque intervention, après avoir approché son oreille de l’instrument sacré et porté à la connaissance du public les paroles qu’il émettait, le rappeur enjoignait les spectateurs à répondre « basé » à ses affirmations, sur le même mode que lors des veillées initiatiques. Enfin, expliquant que « si chanter, c’est prier deux fois, alors danser c’est prier quatre fois », Maât Seigneur Lion se prêta, au centre du podium, à un exercice chorégraphique intitulé « la danse du feu », reprenant les mouvements des initiés au bwiti misoko lors des veillées. Parfois méconnues du jeune public, d’autant plus lors de leurs spectacles en France, les références au cadre initiatique étaient ainsi mêlées par le groupe à d’autres éléments métaphoriques liés au contexte contemporain, comme ici celui de la technologie, utilisée pour illustrer le principe de communication avec le divin. Elles étaient associées à une spiritualité universelle qui résonnerait avec « la voix de la vérité dans chaque homme ».

27Face à une audience hétérogène de fans, gabonais, africains ou occidentaux connaisseurs de hip-hop ou du Gabon, reliés par des expériences communes de vie, de voyage ou de curiosité pour le Gabon, ces artistes contribuent souvent de la sorte dans leurs spectacles à transmettre des sons, des images et des symboles d’un bwiti rendu universel, selon une conception qui n’est pas sans rappeler certains types de discours New-Age bâtis autour de religions extra-occidentales (Ferreux 2001). Les déplacements des sonorités du bwiti et l’invocation de cette harpe guérisseuse sur les scènes musicales hip-hop rappellent plus particulièrement les remarques de Nadège Chabloz, qui décrit la production progressive, au fil de circulations d’initiés et de touristes occidentaux du bwiti entre la France et l’Afrique, d’une représentation de l’iboga comme plante enthéogène susceptible de guérir le monde (Chabloz 2014 : 6). Alors que ce tourisme mystico-spirituel tend à détacher l’iboga de son cadre rituel local pour en faire un remède universel, les artistes de hip-hop comme Movaizhaleine font de la musique, autre élément nodal du rituel, un remède qu’ils s’attachent à rendre accessible et bienfaisant pour l’ensemble de leurs auditeurs de par le monde. Ils surfent ainsi, en apparence, sur une même vague New-Age de guérison par les rituels, musiques et plantes « traditionnelles » extra-occidentaux que les nouveaux entrepreneurs du bwiti.

28Pourtant, s’ils contribuent à une même représentation du bwiti sous un jour New-Age, ces musiciens ne partagent ni les mêmes motivations, ni les mêmes trajectoires, ni les mêmes représentations du rituel que celles des acteurs du tourisme mystico-spirituel. Alors que ces derniers sont souvent tiraillés entre images morbides et salvatrices de l’altérité africaine et des rites initiatiques (Chabloz 2014), les rappeurs présentent le bwiti comme un soubassement culturel leur étant propre, qu’ils ne tiennent pas à universaliser et dont ils ne veulent nullement modifier l’organisation par leurs mises en scène. Lord Ekomy Ndong rendait ainsi compte de ces nuances lors d’un entretien où nous discutions de son album Ibogaïne :

« Non, je ne suis pas dans une universalisation du bwiti, de le faire plus connaître qu’autre chose. […] Ce qui est secret, je n’ai pas l’envie, la prétention, ni la légitimité pour le divulguer, et d’ailleurs je ne sais pas tout ce qui est secret, je connais juste deux ou trois trucs secrets. Donc non, je ne suis pas dans cette démarche. Par contre, toute culture ou toute civilisation a des humanités classiques, des bases culturelles sur lesquelles repose la vision du monde qu’on a […]. En réalité, ce sont des choses qui viennent réellement, même si on est des enfants de colonisés, d’esclaves ou de tout ce que tu veux, du village planétaire, du coca-cola, du hamburger et de la télé, il y a quand même des choses qui viennent finalement vraiment et survivent à des conceptions d’une autre époque, qui sont liées à nos propres cultures traditionnelles et ancestrales ». (Entretien avec Lord Ekomy Ndong, Novembre 2011, Nantes)

29Au-delà de l’idée d’une religion qui viendrait guérir le monde et qu’il s’agirait de promouvoir au-devant du global, pour Ekomy Ndong, il s’agit avant tout d’une entreprise personnelle de recherche de soi propre aux jeunes Gabonais. La mise en avant du bwiti répond pour lui à un entrelacement entre un choix stratégique et une idée de continuité avec la « tradition », conçue ici comme un bloc culturel qui se transmettrait « naturellement » de génération en génération.

30Le parcours d’Ekomy incarne ainsi on ne peut mieux les dialogues complexes entre local et global qui jalonnent ces parcours de diffusion du bwiti hors du Gabon par la musique : tout en reliant différentes influences culturelles mondialisées, qui en font un individu cosmopolite sous maints aspects, la démarche d’Ekomy est bel et bien tournée vers le local et vers une idée d’endogénéité précoloniale. Les rappeurs comme Ekomy ne se positionnent à aucun moment comme des entrepreneurs religieux, et c’est depuis leur statut de musicien qu’ils contribuent à mettre en circulation des symboles, des discours, des sonorités et des idéologies religieux. Grâce à leurs « capitaux transculturels » (Kiwan & Meinhof 2011) et leurs positions à l’intersection entre de multiples réseaux – situés entre le Gabon, l’Afrique, la diaspora africaine de France, les réseaux du hip-hop –, ils diffusent des images et des sonorités du bwiti auprès de jeunes Gabonais du Gabon ou de la diaspora, qu’ils incitent à se tourner vers l’initiation comme religion originelle, ou auprès d’étrangers qui se familiarisent avec une vision universaliste du bwiti, dépassant les seules sphères du tourisme initiatique et de la mouvance New-Age.

31Si le groupe Movaizhaleine a acquis une grande légitimité dans les réseaux du hip-hop gabonais ou africain et dans quelques réseaux « World-Music », ses usages et ses mises en circulation de matériaux religieux ne sont pas sans soulever des tensions et des polémiques au niveau du Gabon, interrogeant la légitimité des musiciens à s’emparer des matériaux initiatiques. Ces tensions apparaissent au Gabon depuis les premiers vidéo-clips ayant mis en scène des parures, masques et symbolismes du bwiti misoko dans les années 1980, comme celui que le chanteur Vyckos Ekondo avait publié en 1990 (Aterianus-Owanga 2017a, 2017b). La diffusion (alors pionnière) de cette vidéo, où le chanteur se mettait en scène comme un haut initié, avait entraîné des sanctions et des amendes de la part des instances initiatiques du bwiti misoko et disumba, car le chanteur et certains danseurs de la vidéo n’étaient alors pas initiés, ni habilités par leurs pairs à procéder à ces mises en scène.

32L’histoire des musiques commerciales gabonaises employant des éléments rituels sacrés sur des scènes populaires est jalonnée d’affaires de cet ordre, et le statut d’initié (ou non) des musiciens usant des répertoires religieux est l’objet de maintes discussions dans les médias, dont jouent certains musiciens. Pour Movaizhaleine comme pour d’autres artistes, l’exercice d’une activité musicale employant des éléments liés au registre sacré conduit aussi à des obligations de négociations avec les instances initiatiques, notamment pour le membre du duo initié au bwiti misoko et disumba, qui fut longtemps résident au Gabon. Preuve de ces arrangements avec le système initiatique, leurs aînés initiatiques participent sous certains aspects des créations qu’ils élaborent. Ainsi, les rituels qu’ils reprennent sur leurs scènes populaires sont exécutés par des responsables de la hiérarchie des temples et des sociétés où ils ont été initiés. De même, bien que leurs créations hybrides s’éloignent généralement fortement des structures musicales des chants de bwiti, certains enregistrements de harpes inclus dans des albums du groupe sont exécutés par des harpistes consacrés et habilités en la matière. S’ils ne sont pas des initiés de haut grade et ne prétendent généralement pas détenir la légitimité à en divulguer des secrets, ces artistes n’en travaillent pas moins avec des acteurs habilités, et ils s’attachent à respecter la hiérarchie initiatique.

  • 17 « On est tous pygmées », réalisé par Hélène Charpentier, 2017, 26 minutes.

33Finalement, il est intéressant d’observer comment autour de ce groupe, naissent des collaborations témoignant des rencontres entre les nouveaux acteurs de la transnationalisation du bwiti. En 2018, une conférence de presse annonçait à Libreville la création d’un label intitulé « Disumba records », qui réunissait des rappeurs proches de Movaizhaleine, plusieurs musiciens s’avérant être des initiés reconnus dans la hiérarchie initiatique (du bwiti fang de Libreville et du bwiti disumba du sud du Gabon) et des Occidentaux installés à Libreville, adeptes du bwiti et désireux d’en faire sa promotion. Cette collaboration de différents acteurs investis dans la promotion du bwiti a donné naissance à un album mêlant le rap aux chants liturgiques, mais aussi à un film documentaire. Réalisé par une cinéaste française initiée au Gabon, proche amie de Movaizhaleine, le film retrace le parcours d’un rappeur lié au groupe Movaizhaleine, son combat pour la préservation du bwiti et de l’ « identité gabonaise »17. Produit dans des circulations entre la France et le Gabon, accompagné d’enregistrements de cérémonies de bwiti et de morceaux en studio ajoutés après coup (dont ceux du groupe Movaizhaleine), ce documentaire représente l’un des résultats des rencontres entre ces acteurs œuvrant à la transnationalisation du bwiti par le creuset du musical.

34Quoiqu’ils partagent des trajectoires et des projets idéologiques parfois différents, rappeurs et acteurs du tourisme mystico-spirituel se réunissent ainsi désormais autour de certains supports, discours et projets de valorisation du bwiti au-delà des frontières du Gabon. De même qu’elle fut le dénominateur commun entre des branches et des sectes dissidentes à l’intérieur du Gabon, la musique connecte ces différents usages et regards portés sur le bwiti dans le monde, et elle accompagne les mouvements transnationaux de fragments du rituel, réimaginés en dehors de leurs frontières religieuses et territoriales.

Conclusion : vers une communauté transnationale bwitiste ?

35La parution de l’album de harpes de Lord Ekomy Ndong abordée en introduction de cet article constitue l’une des manifestations d’un processus de déplacement des musiques rituelles gabonaises hors de leurs frontières religieuses et territoriales, que cet article s’est attaché à examiner. Les musiques initiatiques issues des temples de bwiti du Gabon voyagent depuis plusieurs décennies dans des champs transnationaux, via la Toile du Net, via des enregistrements analogiques (cassettes) ou numériques (cartes SD ou téléphones portables) en circulation à Libreville, dans les provinces du Gabon ou à l’étranger, ou via les créations de musiciens qui incorporent les instruments initiatiques dans leurs créations. Cet article a décrit plusieurs circuits de déplacement de sonorités initiatiques gabonaises sur une scène transnationale, en retraçant les routes translocales et les échanges interethniques qui les ont précédés. Il a ainsi examiné comment, à partir des années 1990, de nouvelles routes de diffusion et d’utilisation des musiques initiatiques se sont dessinées dans des réseaux transnationaux, en lien avec l’essor des technologies de diffusion et d’enregistrement musical, l’apparition de nouveaux genres musicaux et le développement des circulations diasporiques ou touristiques. En décrivant en détail les œuvres de certains artistes hip-hop, nous avons vu que la transnationalisation du bwiti est bien loin de se dérouler en suivant un parcours unidirectionnel de simple « sortie » du rite en dehors du Gabon. A l’inverse, ce sont des allers et retours intriqués entre des territoires réels et des espaces originels imaginaires, entre des inscriptions cosmopolites et des démarches identitaires de « retour aux sources » africaines, entre l’universalisation et l’affirmation de localité du bwiti, qui nourrissent la perméabilité des routes de circulation des sonorités du bwiti, là où le rituel lui-même reste fermement territorialisé.

36Ce faisant, ce texte montre l’importance de distinctions conceptuelles entre les idées de globalisation et celles de transnationalisation, dans le registre musical comme sur le plan religieux. A l’inverse de genres musicaux « globalisés » comme la salsa ou le hip-hop, dont les appropriations localisées ont pu être observées sur les cinq continents, les musiques du bwiti sont loin d’avoir été appropriées à l’échelle globale. Si quelques rares artistes gabonais ont accédé aux scènes dites « World-Music », la musique gabonaise n’a pas – à l’instar du mbalax sénégalais ou des musiques sud-africaines – accédé à ces arènes internationales. À défaut d’une « globalisation », ces musiques n’en ont pas moins rencontré une transnationalisation : elles circulent désormais en dehors des frontières territoriales du Gabon, par le canal de réseaux d’individus et d’associations se situant en dehors des sphères étatiques, qui partagent une même identification ou une histoire commune avec le Gabon et avec ses musiques initiatiques. Le fait de penser en termes de réseaux transnationaux et de trajectoires d’acteurs permet de s’écarter des approches « globalisantes », pour mieux comprendre les espaces et les champs sociaux particuliers où circulent ces musiques, et pour mieux éclairer l’historicité de leur transnationalisation.

37Comme le formulait déjà André Mary en 2005 (p. 102), diverses frontières (légales notamment) empêchent toujours la transposition du rituel en dehors du Gabon et l’accomplissement d’une véritable transnationalisation des sociétés initiatiques gabonaises, à l’inverse d’autres pratiques religieuses extra-occidentales. Toutefois, ces observations montrent comment les musiques sont depuis plusieurs décennies le support de modes parallèles de mises en circulation dans le global de fragments du religieux initiatique. Cette mise à disposition d’éléments religieux dans des réseaux dépassant les frontières nationales repose sur différents principes caractérisant le domaine musical : le caractère fondamentalement transnational des mondes de l’art et de la musique (Suzanne 2009), la (trans)portabilité de la musique elle-même et des supports qui l’accompagnent à l’ère du numérique, son pouvoir de convocation du sentiment communautaire – dans la diaspora notamment (Shelemay 2011) –, et la dimension cosmopolite des parcours des musiciens eux-mêmes, « acteurs nœuds » (Argyriadis 2012) qui s’adaptent à différents systèmes de sens et représentations des objets rituels au gré de leurs circulations. A défaut d’en avoir fait une religion globalisée, la musique et les musiciens participent à l’émergence d’une communauté transnationale d’initiés ou d’adeptes du bwiti dans le monde, qui ne partagent pas la même pratique rituelle ou les mêmes projections identitaires, mais se rejoignent autour d’expériences musicales communes.

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Notes

1 Voir en ligne : <https://ekomyndong.com/category/actualites/>

2 Le terme bwiti (également dit bwete dans certaines régions) est employé au Gabon pour désigner, selon les contextes, une société initiatique masculine, un culte aux ancêtres ou une divinité.

3 <https://www.youtube.com/watch ?v =5fkwPmUjpdI>

4 Ce terme réunit une nébuleuse de mouvements spirituels apparus depuis les années 1960, relevant tantôt du néo-chamanisme, du néo-paganisme, du retour à la nature, du yoga, du développement personnel, etc. Conjuguant souvent la focalisation sur l’individu avec l’invocation d’une nouvelle ère mondiale, ces mouvements ont en commun de faire usage de notions abstraites et généralistes pour prôner leur spiritualité alternative – comme les idées d’« énergie », de « pouvoir personnel » ou ici de « vérité » (Ghasarian 2002 : 159). Ils affirment une esthétique basée sur la « juxtaposition idiosyncrasique et inattendue d’éléments hétéroclites » (Houseman 2016 : 214), et puisent souvent leurs inspirations dans les religions extra-occidentales, support de thérapies alternatives et de nouvelles spiritualités.

5 D’autres rites initiatiques ou thérapeutiques existent chez les groupes ethniques gabonais, notamment des rites féminins ou mixtes.

6 Cet article n’entend pas dresser une bibliographie exhaustive des travaux effectués sur le bwiti et sur les rites initiatiques gabonais, cette dernière ayant déjà été retracée dans diverses études sur la question (voir notamment Bonhomme 2005). Nous nous contentons de rappeler les repères essentiels et les travaux récents à propos de l’objet discuté dans ce texte.

7 Ces remarques découlent d’une analyse des vidéos, des profils et des commentaires laissés sur les chaînes individuelles qui proposent du contenu audiovisuel relatif au bwiti. Le mot-clé « bwiti » fournit sur You Tube 9.130 résultats, des vidéos ayant trait principalement aux étapes de l’initiation. La première page de résultats obtenus propose 7 documentaires sur le bwiti et 9 vidéos de harpistes s’exécutant dans le cadre cérémoniel.

8 Le centre Ebando (<http://ebando.org/>) initie au bwiti jusqu’à 25 personnes par an. Communication d’Hugues Poitevin avec Rémy Jadinon, 13/07/2017.

9 Gilbert Rouget parvenait déjà à ces conclusions en affirmant qu’il existe différents types de transes qui peuvent être provoquées par la répétition d’un phrasé mélodico-rythmique rapide sans que celui-ci ne soit mécanique (Rouget 1990).

10 Voir < http://www.ibogainetreatment.consulting/>

11 L’utilisation d’enregistrements en alternative au manque de musiciens traditionnels ne constitue pas une innovation en soi : au sud du Gabon, lors de veillées de danses curatives des cérémonies féminines d’ombudi, il peut arriver qu’un poste radio se substitue aux harpistes de cérémonies, sans que cela ne diminue l’efficacité symbolique des chants et des danses (Jadinon 2017). Dans le bwiti, même si la présence des musiciens est requise dans la phase principale du rite et de l’initiation, des enregistrements peuvent également être utilisés à certains moments du rituel, ou dans les séquences para-rituelles (recherche de plantes en forêt, préparation des tiges de roseaux, etc.).

12 Ce terme désigne un sous-genre du rap, qui se caractérise par des textes porteurs d’une visée éducative ou d’un engagement critique en termes sociaux, politiques ou culturels. Initialement rattachée à une frange du mouvement rap américain, la catégorie de « rap conscient » s’est diffusée dans de nombreux pays où le mouvement hip-hop a été approprié.

13 Hormis son usage politique et idéologique durant les indépendances, par Amilcar Cabral notamment, cette notion de « réafricanisation » a été réinvestie par des chercheurs en sciences sociales pour analyser des phénomènes culturels observés dans les sociétés afro-américaines, principalement dans l’étude de la transnationalisation des religions (Capone 1999 ; Guedj 2004).

14 Movaizhaleine, « La communauté de la harpe », On détient la harpe sacrée Tome 2, Zorbam Produxions, 2007. Pour écouter ce morceau : <https://www.youtube.com/watch ?v =UlWOr38F1U8>

15 Ibidem

16 C’est d’ailleurs ce titre que Maât Seigneur Lion a choisi pour son album paru en 2016 (Le Ngozé, Zorbam Produxions).

17 « On est tous pygmées », réalisé par Hélène Charpentier, 2017, 26 minutes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alice Aterianus-Owanga et Rémy Jadinon, « Du bwiti en clips et en cassettes : la transnationalisation des musiques initiatiques du Gabon »Civilisations, 67 | 2018, 57-75.

Référence électronique

Alice Aterianus-Owanga et Rémy Jadinon, « Du bwiti en clips et en cassettes : la transnationalisation des musiques initiatiques du Gabon »Civilisations [En ligne], 67 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/civilisations/4865 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/civilisations.4865

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Auteurs

Alice Aterianus-Owanga

Alice Aterianus-Owanga est docteure en anthropologie et chercheure post-doctorante du Fonds national suisse à l’Université de Lausanne, après avoir été post-doctorante du Labex CAP (Paris) et de l’IFAS (Johannesburg). Spécialiste du hip-hop et de l’histoire des musiques urbaines au Gabon, elle travaille désormais sur les réseaux développés autour de l’enseignement des danses sénégalaises en France et en Suisse. Son livre Le rap, ça vient d’ici ! Musiques, pouvoir et identités dans le Gabon contemporain (Editions de la MSH, 2017) a reçu le Prix « coup de coeur » de l’Académie Charles Cros en 2018 | Université de Lausanne, Institut de sciences sociales des religions (ISSR), Anthropole, CH-1015 Lausanne, Suisse | aliceaterianus[at]yahoo.fr

Rémy Jadinon

Rémy Jadinon est docteur en sciences sociales de l’Université libre de Bruxelles. Sa thèse de doctorat portait sur la popularisation et la circulation numérique des répertoires religieux des populations tsogo de la province de la Ngoumié au Gabon. Il travaille au service Cultures & Société de l’Africa Museum de Tervuren (Belgique) où il documente les collections musicologiques. Ses recherches portent actuellement sur les festivals de musiques traditionnelles en République démocratique du Congo et sur l’électronisation des patrimoines musicaux en Ouganda. | Africa Museum, Leuvensesteenweg 13, 3080 Tervuren, Belgique | remy.jadinon[at]africamuseum.be

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Droits d’auteur

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