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Dossier

« Pourquoi serait-on Indiens maintenant ? »

Mouvement indianiste et résistance villageoise dans le nord-ouest argentin
Maïté Boullosa-Joly
p. 109-130

Résumés

De nombreux villages des Andes du Nord-Ouest argentin revendiquent aujourd’hui le nom de « communauté indienne ». Ce statut donne la possibilité d’avoir recours à un cadre juridique spécifique permettant de réclamer des droits sur le territoire que les habitants, en prise avec des conflits agraires, occupent depuis des générations. Des militants sont à la tête de ces mouvements et participent activement au processus d’ethnicisation des demandes sociales qui se généralisent dans la région. Nous verrons cependant que l’identification des paysans andins aux Indiens n’est pas si simple dans un pays où ces derniers ont toujours été invisibilisés et dénigrés. Il s’agira de comprendre comment les militants que nous avons nommés les « passeurs culturels » ont réussi à inverser ce stigmate et à revendiquer cette descendance avec fierté. Ils participent ainsi à lutter contre des rapports de domination locaux et à établir, un tant soit peu, une certaine justice sociale. Nous verrons cependant la façon dont leurs discours, qui ont du succès dans les médias, sont interprétés et vécus par les habitants qui ne sont pas tous disposés à se reconnaitre en un ancêtre considéré comme barbare et non-christianisé. Il s’agira ici de mettre en lumière différentes représentations de l’Indien qui cohabitent et souvent s’entrechoquent dans la société argentine, compliquant ainsi le mouvement d’émancipation initié par les organisations indiennes.

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Texte intégral

Introduction

1En 2002, un conflit violent éclate à Quilmes, village des Andes du Nord-Ouest argentin, entre un paysan et un grand propriétaire terrien. Le premier réclame davantage d’eau pour irriguer ses cultures et donner à boire à son troupeau de chèvres, ce que l’autre lui refuse. Les habitants vivant sur ses terres sont ses « arrenderos » (métayers) : ils doivent le plus souvent payer un tribut en nature, soit une partie importante des récoltes ou du bétail. Ils ne peuvent pas toujours avoir accès à l’eau, ne sont pas libres de cultiver ce que bon leur semble sans l’en informer et le propriétaire peut les chasser de ses terres sans qu’aucune loi ne les protège. De telles règles de propriété induisent un lourd rapport de domination contre lequel luttent les militants de l’organisation indienne locale. Ce sont eux qui sont venus prendre la défense du paysan ce jour-là. Ils ont obtenu gain de cause auprès des instances judiciaires provinciales au nom de la défense des droits indiens. C’est un fait relativement nouveau dans un pays qui se considérait jusque-là sans autochtones.

2Parler d’Indiens en Argentine relève en effet d’un cas à part en Amérique latine. Une boutade racontée par les Argentins eux-mêmes dit que les Mexicains descendraient des Aztèques, les Péruviens des Incas et les Argentins d’un bateau… Cette idée très généralisée d’un pays sans Indien est due en partie à l’identité nationale argentine construite sur les décombres des « conquêtes du désert ». Ce sont les expéditions menées au 19ème siècle où les populations originaires de la pampa, les terres fertiles au sud de Buenos Aires, furent décimées au nom du triomphe de la « civilisation » sur la « barbarie » (Quijada 2003). Suite à ces massacres et aux grandes vagues migratoires européennes qui eurent lieu dès la fin du 19ème siècle dans ce que l’on appelait alors le « grenier du monde », l’existence des Indiens fut vouée à une invisibilité sociale. Elle fut reléguée dans les représentations collectives au passé archéologique d’un pays identifié comme « civilisé », blanc et européen.

3Cependant de nombreuses organisations indiennes sont nées en Argentine depuis ce que l’on a appelé la « marche de la paix » en 1946, quand le peuple Kolla de la province de Salta est arrivé à Buenos Aires pour réclamer la propriété de ses terres. Il faudra toutefois attendre les années 1970 pour que s’engage dans les cercles intellectuels, en Argentine comme sur la scène internationale, toute une réflexion critique sur la place des Indiens dans la société nationale. En 1985, une première loi est votée donnant des droits aux autochtones en matière d’accès à la propriété de la terre. En 1994, l’Argentine modifie sa constitution et reconnaît aux indiens leur « préexistence » à la construction nationale.

4Ce processus n’est pas propre à l’Argentine. Il s’inscrit dans un contexte continental où de nombreux pays latino-américains en voie de démocratisation ont opéré, dans les années 1990, des réformes constitutionnelles similaires qui leur donnent aujourd’hui le statut de pays pluriculturels et multiethniques. Ces changements ont été encouragés également par les organisations internationales comme les Nations Unies qui ont incité les Etats à reconnaître le droit à la différence et à adopter des politiques multiculturelles en vue d’une démocratisation, d’une décentralisation politique et sans doute aussi d’un désengagement de l’Etat dans un contexte idéologique néolibéral (Gros 2003, Boccara 2010).

5C’est à partir des années 1970 que dans les Andes argentines, au nord-ouest du pays dans la province de Tucuman, les militants du village de Quilmes et ceux du village voisin d’Amaicha, ont commencé à formuler des revendications territoriales en termes identitaires. Le cadre juridique des années 1980 a donné plus de légitimité à ces demandes et le phénomène d’auto-affirmation ethnique s’est ensuite généralisé dans la région. La ratification de la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail a eu une grande importance dans ce processus. Cette convention dénonce les discriminations subies par les « peuples indigènes et tribaux » dans diverses parties du monde et souligne leur contribution particulière à la diversité culturelle et à « l’harmonie sociale et écologique de l’humanité » ; elle stipule que « les terres qu’ils occupent traditionnellement doivent être reconnues aux peuples intéressés ». Dès son enregistrement à Genève en 2001 pour l’Argentine, cette convention internationale est devenue le cheval de bataille des communautés indiennes qui se sont organisées par la suite. Lors de mon premier terrain dans la région en 2000, seuls Amaicha et Quilmes réclamaient le statut de « communauté indienne ». A mon retour en 2002, plusieurs villages alentour revendiquaient également une identité jusqu’alors passée sous silence.

  • 1 Ces représentations opposées ne sont pas sans rappeler les images dualistes qui sont représentées d (...)

6Mais se reconnaître Indien n’est pas sans poser de problèmes aux habitants de cette région. Sur le continent américain, les représentations de l’« indigène » diffèrent largement selon chaque situation nationale (Friedman 2009), et à l’intérieur même de chaque pays (cf. Briones 2005 pour l’Argentine). En Argentine, les représentations de l’indianité oscillent ainsi entre deux pôles1. Le premier, qui est très anciennement ancré dans les représentations collectives argentines, associe l’Indien à la sauvagerie et à l’arriération. L’autre, qui a émergé plus récemment, tend au contraire à le valoriser et à l’associer à des valeurs spirituelles et collectives particulières dont la sauvegarde contribuerait, comme le stipule la convention 169 de l’OIT, à « l’harmonie sociale et écologique de l’humanité ». Dans les zones qui se revendiquent indiennes aujourd’hui, tout le monde n’assume donc pas de la même manière cette identité.

  • 2 Le terme « ethnicisation » se rapporte ici à un processus récent en partie impulsé depuis l’extérie (...)
  • 3 Cette notion a été associée aux personnes qui favorisèrent les transferts entre l’Europe méditerran (...)

7Je propose dans cet article de revenir brièvement sur la trajectoire des militants qui jouent un rôle central dans le phénomène d’« ethnicisation »2 observé. Ils ont un rôle de « passeurs culturels »3 en servant d’intermédiaires entre les niveaux national et international, où ils œuvrent pour la reconnaissance de leurs droits collectifs, et le niveau local, où ils aident les habitants à se les réapproprier. Dans un deuxième temps, et à la différence de nombreux travaux sur la production des identités, je centrerai mon attention sur la réception de ces discours et sur leur appropriation – ou non – par les villageois. Il s’agira ainsi de mettre en lumière les décalages entre les différentes représentations de l’Indien et de montrer la complexité du processus revendicatif dans un pays dont l’identité nationale a été construite sans composante indienne.

Etre Indien à Amaicha et Quilmes

Deux villages, deux situations contrastées

8Même si Amaicha et Quilmes sont des villages voisins, distants seulement de vingt kilomètres, les processus de revendications ethniques s’y enracinent dans des contextes distincts. Il est donc nécessaire de décrire sommairement ces villages, leurs points communs et leurs différences, afin de comprendre les enjeux particuliers des demandes territoriales qui s’y développent.

  • 4 Cette croyance en une divinité de la fertilité d’origine préhispanique a perduré parallèlement et c (...)

9L’un et l’autre sont situés dans les vallées Calchaquies, à 2000 mètres d’altitude, et sont entourés de sommets pouvant atteindre 5000 mètres, sur les versants desquels les bergers pratiquent la transhumance. Le climat est semi-désertique et diffère largement des zones fertiles connues en Argentine au sud de Buenos Aires. C’est une région montagneuse frontalière avec le Chili et la Bolivie qui a des traits communs aux autres parties des Andes. Sur le plan économique, malgré une certaine diversité des activités (commerciales, touristiques, artisanales, emplois communaux, revenus des migrants partis de manière temporaire ou définitive), il y existe toujours une pratique agro-pastorale et ce que John Murra a nommé pour les Andes précolombiennes une « exploitation verticale des ressources » (Murra 1975, Lorandi et De Hoyos 1995). Elle consiste en relations d’échanges et de réciprocité entre parents (directs ou par alliance) qui occupent différents étages écologiques. La région partage aussi avec les zones andines la production artisanale (tissage, céramique), les spécialités culinaires à base de maïs et la dévotion à la Pachamama4, la mère terre. Sur le plan linguistique, la langue parlée est l’espagnol. Le kakano, que l’on parlait avant la conquête dans les vallées Calchaquies, s’est en effet perdu durant les premiers temps de la colonisation au 17ème siècle et il n’en reste que peu de traces dans les archives coloniales (Giudicelli 2010). Cela constitue un problème pour les leaders indianistes locaux, le critère de la langue étant souvent retenu afin de définir une unité culturelle (Poutignat et Streiff Feinart 1995).

10Amaicha et Quilmes diffèrent néanmoins entre eux tant du point de vue de l’organisation de l’espace que de leur régime juridique. Amaicha est une commune rurale importante de 5000 habitants, avec un centre, la villa, pourvu de nombreux petits commerces autour de la place centrale. Plusieurs grands hameaux dispersés à différentes altitudes dépendent de ce centre sur 1000 km². Quilmes, quant à lui, est un petit village de 200 habitants. Mais la « Communauté Indienne Quilmes » à laquelle il sera fait référence dans cet article est une organisation qui rassemble quatorze hameaux et villages, répartis sur 600 km² et comprenant 2000 habitants.

Photos 1 et 2 :

Photos 1 et 2 :

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Amaicha et Quilmes.
La haute montagne aux périodes estivales de transhumance (de janvier à avril) Doña Mira son petit-fils devant la maison en pierre. Ils furent ma famille d’accueil lors de mes séjours dans ces hauteurs.

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Photos 3 et 4 :

Photos 3 et 4 :

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Amaicha et Quilmes.
Les deux photos ont été prises lors d’une fête pascale à Quilmes. On peut voir un carrosse tiré par un âne et les prouesses de Gauchos, experts en dressage bovin et représentatifs de la culture argentine (Amaicha compte à elle seule trois associations).

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Photo 5 :

Photo 5 :

Panneau sur la place d’Amaicha à l’intention des touristes :
« 5000 habitants – 1997 mètres d’altitude – 360 jours de soleil par an »

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Photo 6 :

Photo 6 :

Panneau Quilmes :
succession de petits hameaux à plusieurs kilomètres de distance, où les maisons de briques en terre crue se confondent souvent avec le paysage semi-désertique.

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

  • 5 Le statut de Cacique était héréditaire jusque dans les 1960, date à laquelle le fils de Don Agapito (...)

11L’histoire d’Amaicha et de Quilmes et leur rapport au territoire sont aussi très différents. Amaicha gère communautairement ses terres depuis le 18ème siècle. C’est en effet une des rares communautés indiennes en Argentine à avoir bénéficié d’une Cedula Real (Cédule royale) par laquelle la couronne espagnole lui a permis à partir de 1716 de disposer collectivement de son territoire. Les raisons de ce privilège restent obscures. Il s’agirait du rôle que ce groupe aurait eu dans la guerre coloniale très longue dans cette région et de sa capacité de négociation avec les colonisateurs. C’est un cas tout à fait à part dans ce contexte national et chaque comunero (membre de la communauté, statut s’obtenant par hérédité ou par alliance) a droit à une parcelle de terre. Cette gestion collective du territoire dirigée par un Cacique5 (chef indien) est très importante dans la conscience d’appartenance des villageois à une même « communauté ». Etre comunero, en plus d’une identité locale amaicheña pour se distinguer de l’autre, implique des formes d’organisation particulières : le maintien d’un gouvernement propre (le cacicazgo, parallèlement à celui de la « commune rurale » gérée par un intendant) et un mécanisme particulier d’accès et de distribution de la terre (Isla 2002). Même si les comuneros ont toujours pu disposer de leur territoire, il appartenait à l’Etat. A partir de 1994, date du changement constitutionnel et de la valorisation des droits territoriaux en faveur des « populations autochtones », la revendication des leaders locaux consistait à en avoir le titre de possession officiel, ce qu’ils ont obtenu en 1997.

  • 6 Cette déportation donna le nom de la ville de Quilmes située à la périphérie de la capitale. Le sit (...)

12A Quilmes, et dans le reste de la région en général, la situation est très différente. A l’époque de la Conquête, les conquistadores se sont approprié les terres des communautés indiennes après avoir procédé à des déplacements massifs de populations. D’après un recensement de 1799 de la région du Tucumán, la plupart des terres appartenaient aux familles espagnoles et plus de la moitié des populations rurales n’avaient pas de droits sur les terres qu’elles occupaient et qu’elles travaillaient (López de Albornoz 1997). Une fois expropriés, les habitants ont eu le statut d’arrenderos (locataires) et ont dû satisfaire aux besoins de main-d’œuvre des exploitations (Campi 1993). Comme dans de nombreux villages de la région, les paysans ont un statut de métayer et nombreux sont les conflits agraires restés sans solution depuis des décennies. C’est dans ce contexte que s’est formée la « Communauté Indienne Quilmes » (CIQ) dans les années 1970 (Pierini 2011). Les militants, tous en lutte contre les trois grands propriétaires terriens de la zone (les terratenientes ou patrones), se sont unis pour la récupération des terres en une seule et même « communauté », portant le nom de Quilmes. Cette dénomination fait référence aux Indiens du 16ème siècle qui ont lutté près de 130 ans, jusqu’en 1664, pour la défense de leur territoire avant d’être déportés massivement à pied jusque Buenos Aires6. La « Communauté Indienne Quilmes » (CIQ) est donc une organisation récente, bien qu’elle fasse aujourd’hui figure de pionnière dans le paysage ethnique de la région où de nombreux villages commencent à s’organiser en « communauté indienne » pour les mêmes raisons.

13A Amaicha et à Quilmes, malgré des contextes revendicatifs différents, les leaders locaux doivent donc mettre en avant leurs origines indiennes pour faire valoir leurs droits sur le territoire qu’ils occupent. Mais que signifie être Indien en Argentine, dans un pays où l’histoire officielle l’a effacé ?

De la difficulté de se reconnaître Indien

14Bien que dans le Nord-Ouest argentin le mode de vie ait des points communs avec celui que l’on peut observer dans les régions andines et que les Indiens soient très présents dans les récits de tradition orale où l’on y fait référence en tant qu’« ancêtres », le terme « Indien » sur la scène sociale argentine actuelle est stigmatisant et insultant. Andrew Canessa fait ce même constat dans les Andes Boliviennes, un pays où l’on pourrait penser l’identification aux Indiens moins complexe. Depuis l’élection d’Evo Morales en 2005, le terme « indigena » est plus valorisant et l’auto-reconnaissance en tant qu’indigène y est massive mais Canessa montre que cela ne va pas de soi pour les habitants de son village d’étude, Pocabaya. Dans ce lieu reculé où les habitants montreraient le plus de caractéristiques attribuées aux indigènes (langue aymara, coutumes,...), ceux-ci ne se reconnaissent pas en tant que tels. Dans leurs représentations, les Indiens sont ceux qui vivent presque nus dans la forêt à l’état sauvage (Canessa 2007). Etre Indien, dans les représentations collectives que partage l’Argentine avec beaucoup d’autres pays latino-américains, évoque spontanément la pauvreté et une position de dominé (Lavaud et Lestage 2005).

15La valorisation de l’Indien dépend cependant du capital culturel de ceux qui emploient ce terme : l’Indien est valorisé aujourd’hui en Argentine dans les univers à capital culturel élevé, comme les groupes intellectuels ou artistiques, où il incarne le représentant d’une culture millénaire aux traces prestigieuses. Par contre, il est dénigré dans les autres milieux où il est resté le barbare non christianisé au plus bas de l’échelle sociale. Dans la région du Nord-Ouest argentin, notamment dans les milieux populaires, c’est cette deuxième représentation disqualifiante qui prédomine. C’est la raison pour laquelle les militants indianistes évitent souvent le terme « Indio » et lui préfèrent « Indigena », « Originario », « Autoctono » ou « aborigene ».

16Les militants de Quilmes ont cependant choisi de nommer leur organisation, fondée dans les années 1980 dans le cadre de conflits agraires, « Communauté indienne Quilmes » (communidad India Quilmes – CIQ) et non « comunidad ‘indigena’ Quilmes ». Selon le témoignage de plusieurs militants, el Indio auquel ils font référence s’inspire davantage de l’Indien d’Amérique du Nord, un modèle plus valorisant et plus en accord pour eux avec la lutte qu’ils mènent pour le droit aux titres des terres, que de l’ « Indio » de la scène nationale, censé avoir disparu, et dont le nom est réduit à une forme péjorative de disqualification sociale.

Une trajectoire propice à l’engagement militant

17Alors que pour la plupart des habitants de cette région, s’identifier aux Indiens revient à s’infliger un stigmate, certains individus, souvent leaders des organisations indiennes locales, assument cette identité et la revendiquent. Ils ne forment pas un groupe homogène et cohérent : il s’agit davantage de personnes indépendantes les unes des autres, qui, dans leur diversité, possèdent des caractéristiques communes de « passeurs culturels ».

  • 7 En 2002, Amaicha et Quilmes étaient les destinataires de projets initiés par la Banque Mondiale où (...)

18Ils ont généralement entre trente et cinquante-cinq ans et jouent le rôle de représentants de leur village vis-à-vis de l’extérieur. Ils sont en contact avec l’INAI (Institut des Affaires Indiennes argentin) et parfois avec des représentants des organisations internationales dans le cadre de projets de développement7. Certains sont même intégrés au sein des groupes de réflexion à l’ONU pour l’élaboration des droits autochtones. Ce fut le cas de Miguel Pastrana en 1998, cacique d’Amaicha à cette époque, ou encore de Pablo Nora, actuel cacique d’Amaicha. Ce dernier, originaire du village, est un de ceux à avoir connu une réussite universitaire et sociale des plus significatives en étant devenu avocat. Il s’est spécialisé dans le droit indianiste et a obtenu dans sa jeunesse des bourses pour étudier aux Etats-Unis afin de participer à l’élaboration des droits autochtones à Washington ainsi qu’à Genève aux Nations Unies. Très sollicité sur la scène internationale et nationale, il avait son cabinet à Buenos Aires en 2002 tout en étant très investi sur la scène locale. Il est devenu cacique du village en 2008 après s’y être installé pour des raisons de santé. Ces passeurs font donc le pont entre différents univers : les scènes locale, nationale et internationale. Ils évoluent pour beaucoup dans des champs « ethno-politiques » et « ethno-bureaucratiques » qui se développent avec les politiques multiculturelles (Boccara et Bolados 2008).

  • 8 Cela rejoint les analyses sur le militantisme autochtone (Bosa et Wittersheim 2009, Guyon 2009).

19Il existe une grande diversité parmi ces porte-paroles mais l’analyse de leurs trajectoires permet de repérer des points communs qui les distinguent d’autres villageois souvent plus en retrait par rapport aux revendications indiennes. Pour la plupart, ils ont réussi à acquérir un capital scolaire supérieur à la moyenne locale si on le compare à celui des habitants de leur génération qui, restés au village, n’ont pas accédé à l’enseignement au-delà de l’école élémentaire8. Ces acquis sont décisifs afin de remplir leur rôle de porte-parole. Ils transposent en effet avec plus de facilité leur expérience en propos politique et savent formuler des discours compréhensibles à la fois sur la scène locale mais aussi sur la scène régionale, nationale voire internationale. Ces compétences scolaires sont un levier d’acquisition d’un « capital militant » (Matonti et Poupeau 2004) : elles facilitent l’apprentissage de savoir-faire importants comme la technique d’écriture de compte-rendu de réunions, la lecture de la presse militante, la prise de notes, l’assimilation de connaissances juridiques, la constitution de dossiers, etc.

20La plupart des porte-paroles ont également connu une expérience urbaine, souvent longue, qui a été déterminante dans leur parcours. Ils ont, pour beaucoup, vécu de nombreuses années à Buenos Aires avant de revenir par choix ou par obligation dans leur village d’origine. Il ressort en effet de l’analyse des témoignages des passeurs que leur « conscience ethnique » s’est développée dans l’univers urbain. Certains ont été socialisés dans les milieux militants lors de leur cursus universitaire, d’autres ont rencontré des groupes mobilisés pour la reconnaissance des droits indiens par d’autres réseaux engagés dans les luttes agraires. C’est là que s’est opérée leur prise de conscience identitaire – que n’avaient pas leurs parents – et qu’est né le sentiment d’appartenir à un groupe ayant des droits spécifiques. Ils ont identifié les discriminations subies collectivement et intégré les nouvelles représentations valorisantes de l’Indien incarnant la lutte pour le droit à la différence et le combat pour la récupération des territoires usurpés lors de la colonisation.

21Cette longue expérience loin de leur village leur donne plus de facilité pour développer ensuite la mobilité nécessaire à la diffusion de leurs revendications. Ils interviennent régulièrement dans les médias régionaux, voir nationaux, sur les canaux de radio et de télévision. Leur audience est de première importance pour la défense de leur cause et la légitimité de leur mouvement. La capacité des passeurs à communiquer avec l’extérieur incite les villageois à diriger vers eux les étrangers qui veulent s’informer sur les Indiens. C’est ainsi que j’ai réalisé a posteriori que lors de mon premier terrain en 2000, c’étaient essentiellement ces porte-paroles que j’avais côtoyés, comme la plupart des documentaristes et journalistes qui veulent en savoir plus sur la région. Mais j’ai pu me rendre compte que leur seule fréquentation ne permettait pas d’appréhender la complexité de leur combat.

22Connaître le regard des villageois non impliqués ou moins impliqués dans cette lutte m’a en effet permis de comprendre les réelles difficultés que pouvaient rencontrer les militants sur la scène locale. Au fur et à mesure du temps passé sur le terrain, j’ai eu accès à une vision du monde moins manichéenne. Dans les premiers mois de mon enquête, les antagonismes me paraissaient simples : ils m’étaient présentés sous la forme d’oppositions ethniques et sociales, entre les villageois et les propriétaires terriens, dans un contexte national où les premiers avaient toujours été discriminés. J’étais loin de me douter de l’importance des conflits internes aux villages et des crispations que les discours ethnicistes pouvaient susciter. Les entretiens étaient cependant beaucoup moins faciles à réaliser hors de ces associations militantes et mon intégration fut beaucoup plus progressive et moins « spontanée » (Boullosa-Joly 2013).

23Les discours des militants ont pour but « de convaincre en vue d’une action politique ou du règlement de problèmes d’ordre pratique » (Bourdieu 1982). Mais la communication satisfaisante que les passeurs culturels réussissent à établir avec les personnes extérieures n’est pas aussi harmonieuse avec les locaux. En effet, ces derniers ne se reconnaissent pas toujours dans leurs discours, ni dans cette « identité exhibée » (MacCannel 1973), et pas davantage dans l’image qui est donnée de leur village.

Une identification complexe sur la scène locale

Pourquoi serait-on redevenus Indiens maintenant ?

24Les discours identitaires visent à homogénéiser les groupes et les territoires, souvent sur un mode stéréotypé. Mais les sentiments d’appartenance des villageois sont souvent plus nuancés, voire parfois contradictoires avec ce discours qui peut être perçu comme imposé (Avanza et Laferté 2005). Nous pouvons citer par exemple un des points récurrents de la rhétorique des militants indianistes : la dénonciation des méfaits de la colonisation et de l’évangélisation. Ce thème, qui remporte un vif succès à l’extérieur, n’est pas toujours bien reçu sur la scène locale. L’exemple de Balbín, le président de la fondation Amauta destinée à valoriser la culturel locale, est représentatif de cet écart. Pour promouvoir son principe d’« école culturelle », il disait dans la presse qu’à l’école, on lui avait toujours enseigné une culture étrangère à partir de livres étrangers. Il s’est ainsi mis à dos les instituteurs du village qui se sont sentis injustement accusés. Il en va de même de sa remise en cause de l’Eglise. A l’origine, le groupe de jeunes dont faisait partie Balbin était très investi dans la paroisse, mais au moment de la création de l’école culturelle, ils se sont approprié le discours indianiste et ont rompu avec l’Eglise. Balbin a adopté alors des discours anticléricaux très virulents en dénonçant les méfaits de l’évangélisation. Le prêtre du village, qui a une grande audience sur la scène locale, a très mal réagi à cette attaque. Cela a contribué à marginaliser quelque peu la fondation dès sa création. Cet exemple montre bien le décalage qui existe entre le discours indianiste et une vision villageoise qui n’adhère pas toujours à ses principes.

25Il est également compliqué pour les militants de faire exister au présent des ancêtres censés avoir disparu dans les représentations collectives. Quand je posais des questions aux locaux à propos des Indiens, beaucoup me répondaient qu’ils avaient appris à l’école élémentaire qu’il n’y en avait plus en Argentine. La scolarisation massive et les manuels scolaires ont en effet largement participé à la construction de cette image d’un pays sans Indien. Jusque dans les années 1990, il y était encore présenté comme le primitif en opposition à l’identité nationale synonyme de civilisation (Braslawski 1993). Les témoignages des villageois se référant aux Indiens sont donc souvent ambigus et l’idée générale est que la descendance se serait interrompue. D’ailleurs, le seul moyen de délier les langues si je voulais qu’ils me parlent des Indiens en général était de leur poser des questions sur ceux « d’avant ». Faire référence au passé leur permettait de parler des ancêtres (antepasados) sans être obligés de s’y identifier pour autant. Ainsi doña Andréa (83 ans) évoque-t-elle les petits Indiens Diaguita avec leurs urnes, faisant ainsi référence aux nombreux vestiges archéologiques trouvés dans la région. Dans son récit, ils ont disparu pour différentes causes : déluge, massacre, déportation. Ces Indiens disparus auraient quand même laissé une descendance mais cette dernière serait en train de se terminer. Ses représentations sont construites sur un mode d’opposition entre le « temps d’avant » par rapport à un présent dont ils sont évincés. L’Indien reste ainsi présent comme ancêtre mythique dans les récits de tradition orale mais s’y référer pour qualifier quelqu’un au présent est source de disqualification sociale. Il est le vaincu de l’Histoire, au plus bas de l’échelle sociale.

26Les passeurs rencontrent donc des difficultés à mobiliser les habitants autour d’une identité que ces derniers jugent stigmatisante. Dans les mouvements sociaux en général, la participation au collectif offre à l’individu la possibilité de revendiquer l’appartenance à un groupe. L’une des causes de non-mobilisation peut provenir de la difficulté de se doter d’une identité valorisante, socialement acceptable (Neveu 2002). Alors que je demandais à doña Dimelia, une habitante de Quilmes de 85 ans, si elle se sentait ou non descendante des Indiens, sa réponse fut sans détour :

Non ! Pourquoi on serait Indien ?!!! Ces gens [allusion aux militants de la CIQ] disent que nous sommes Indiens, mais non !!! Nous sommes de la zone des Indiens… mais pourquoi on serait Indien maintenant ? Les gens n’ont plus d’Indien, la descendance s’est terminée… il n’en reste plus… Ils nous emmerdent, ils nous emmerdent avec les Indiens…». (juin 2002)

27Ma question a mis doña Dimelia hors d’elle. Si son discours, assez radical envers la CIQ, n’est pas généralisable à l’ensemble des villageois, il montre cependant la violence symbolique que peut représenter, pour les locaux, une éventuelle identification aux Indiens. Cela est dû en partie à l’idée qu’ils seraient ainsi des êtres non-civilisés relevant d’un temps aujourd’hui révolu. Les propos de Filimón Lara, comunero d’Amaicha de 78 ans, faisant la transhumance chaque année dans la haute montagne, sont explicites :

Maïté : Et vous, que savez-vous des Indiens ?

Filimón : Eh bien… Ceux que j’ai connus, tous ces petits vieux qui appartenaient aux Indiens étaient bien parce qu’ils étaient déjà tous civilisés. J’ai connu deux Indiens à Jujuy [province du nord], ils avaient les cheveux longs comme ça et un bouton posé qu’ils mettaient là [il me montre son front], bleu ou rouge. Là-bas j’ai vu des Indiens mais ici, non, quand je suis arrivé moi, non, tout le monde était déjà civilisé, bien sûr que beaucoup ne savaient pas lire mais ils se rendaient compte. Quoi d’autre ?  (novembre 2002)

28Filimon Lara, face à mon insistance sur ce qu’il saurait des Indiens, fait ici référence à des Indiens d’Inde qu’il aurait croisés vers Jujuy, excluant ainsi la présence d’Indiens « autochtones » dans la région. Dans ses représentations, ces derniers sont non civilisés, et incultes, mettant ainsi en avant l’aspect disqualifiant et insultant que peut avoir ce terme, notamment pour une personne de sa génération. Mais cette connotation insultante persiste aussi pour les personnes plus jeunes comme pour Maria, 50 ans, épicière de Quilmes, qui me disait en riant qu’elle n’aimerait pas qu’on la « traite » d’Indienne. On imagine alors la difficulté que peuvent rencontrer les passeurs culturels dans la mobilisation des villageois autour de cette figure taboue relevant de l’insulte. Il y a ici un conflit de représentations de l’Indien où les villageois, n’ayant pas intégré celles valorisantes de la scène internationale, ne comprennent pas la fierté des passeurs à exhiber une identité à leurs yeux discriminante.

Une mobilisation collective dans des contextes conflictuels

29Les passeurs culturels et leur discours, qui enthousiasment la société urbaine, ne remportent donc pas toujours la même adhésion sur la scène locale et peuvent même être sujets à controverses. Cependant, j’ai constaté qu’une mobilisation collective était possible autour des organisations indianistes afin de s’opposer à un rapport de domination dont les locaux voulaient s’émanciper. A Quilmes, durant mon séjour en 2002, de nombreux villageois se sont ralliés à la CIQ à la suite de l’affrontement violent mentionné en introduction entre un paysan réclamant de l’eau et un terrateniente. Les militants de la CIQ étaient venus à son secours et, grâce à eux, ce paysan avait obtenu gain de cause devant la justice. Les trois principaux propriétaires terriens de la zone ne sont pas aussi puissants que dans d’autres régions beaucoup plus fertiles de la province où des meurtres ont été commis en toute impunité. Ils sont, de plus, questionnés sur le titre de leurs possessions car ils n’ont pas payé les impôts sur les terres auxquels ils étaient normalement soumis. Les terratenientes contestent cependant les revendications des leaders indianistes en prenant comme argument l’histoire de la déportation des Quilmes au moment de la conquête afin de délégitimer toute revendication à une appartenance indienne vectrice de droits spécifiques. Depuis vingt ans, les rapports de force ont beaucoup évolué et la CIQ, à force de mobilisation et de médiatisation de ses revendications, a réussi à gagner en autorité. Dans les cas particulièrement conflictuels, les locaux mécontents se rassemblent donc aujourd’hui autour des organisations indiennes qui sont les seules à même de pouvoir les défendre. C’est dans ces circonstances que certains villageois s’engagent aux côtés des militants et acceptent de passer par l’apprentissage des représentations de l’Indien tel qu’il est défini dans le cadre juridique qui leur est réservé afin d’acquérir le vocabulaire adéquat pour revendiquer des droits.

30C’est pourquoi les passeurs culturels ont recours à des « ateliers d’identité ». Pablo Nora, l’avocat indianiste originaire d’Amaicha, est très sollicité et particulièrement respecté pour son statut et son savoir-faire en matière de lutte pour les droits indiens. Il apportait en 2002 une formation intensive aux personnes ayant intégré les organisations indiennes de la région. En réalité, ses « ateliers d’identité » étaient plutôt des « cours d’identité » puisque les informations étaient dispensées de façon unilatérale. C’était lui qui expliquait aux paysans locaux quelle était leur identité, et non l’inverse. Pablo Nora détaillait à toutes les personnes présentes ce que signifiait être Indien aujourd’hui, ce qu’ils devaient dire, faire, penser, et ce en quoi ils devaient croire. Il reprenait pour cela les traits généraux du discours des passeurs culturels et tentait d’inculquer aux locaux le vocabulaire des organisations internationales à leur endroit. Mais la dimension pédagogique y était plus prononcée, car les locaux étaient plus difficiles à convaincre que les médias, les ONG, les anthropologues ou les touristes qui ont, pour la plupart, intégré les représentations valorisantes de l’Indien. L’objectif de Pablo Nora, durant ces séances, était principalement d’inculquer aux locaux comment se défendre dans les différents cas d’oppression qu’ils vivaient face aux terratenientes. Sa mission était également de valoriser l’Indien et de générer chez les villageois une identification nécessaire à leurs revendications.

Les « ateliers d’identité »

  • 9 Equivalent en France au CM1.

31Pablo Nora dispensait des « ateliers d’identité » dans des situations de conflits agraires, mais aussi à Amaicha lorsqu’il a fondé le « Conseil des Anciens » afin de créer un contre-pouvoir à Pastrana, le cacique, accusé de corruption. Lors de l’une de ces réunions, il a demandé à l’un des anciens d’ouvrir la séance et celui-ci, tout intimidé, a répondu : « Vous, les jeunes, vous devez nous aider parce que nous, nous ne sommes pas allés à l’école. Moi je suis allé que jusqu’au troisième degré »9. Pablo Nora demandait donc aux participants de prendre la parole en public, une position qui en impressionnait plusieurs, les paysans locaux ne se sentant pas toujours légitimes dans ces nouvelles fonctions. C’est alors que le jeune formateur prenait un ton d’autant plus ferme : « Vous devez être forts et avoir conscience de votre identité » ; « Donnez-vous de la valeur, grandissez-vous » ; « Cessez de demander la permission, vous êtes l’autorité suprême, pensez aux grands qui ont lutté, à Juan Calchaqui ». C’est ainsi qu’il retraçait l’histoire de ce grand cacique héroïque auquel il fallait s’identifier. Pablo Nora, par ces injonctions, tentait d’établir ce groupe de personnes dans ses nouvelles positions militantes et, paradoxalement, leur ordonnait de ne plus être dans un rapport de soumission.

  • 10 Nom donné aux Indiens de la région par les conquistadores au moment de la conquête. D’une catégorie (...)

32Pablo Nora expliquait à toutes les personnes présentes ce que signifiait être Indien aujourd’hui. Il tentait d’inculquer une autre version de l’histoire aux locaux que celle qu’ils avaient apprise à l’école. On leur avait menti, on ne leur avait pas enseigné la vraie histoire. L’Indien était loin d’être le barbare qu’on leur avait décrit et il suffisait pour cela de se rappeler qu’ils étaient à l’image de Juan Calchaquí. Pablo Nora reprenait souvent cette figure afin d’expliquer aux paysans locaux qu’ils étaient eux-mêmes des Diaguita Calchaquí10 et qu’ils devaient être fiers de l’être.

33Il leur rappelait l’importance de la Pachamama et leur expliquait que la religion catholique leur avait été imposée par les Espagnols, qu’ils devaient donc valoriser leurs croyances propres, originelles. Il leur enseignait aussi le vocabulaire des organisations internationales en leur expliquant qu’ils « faisaient partie de la biodiversité » car ils avaient su respecter la mère terre. Il précisait que la biodiversité était leur or, « l’or des peuples indigènes » et qu’il fallait qu’ils se battent pour elle. Il essayait ainsi de faire adopter un langage écologiste aux villageois afin qu’ils comprennent le rôle de gardien de la nature qui leur était aujourd’hui imparti. Pour ce qui est des terres, ce jeune avocat insistait sur le fait qu’ils devaient « penser collectif », et non en terme de propriété privée afin d’être en accord avec la pensée des peuples indigènes et la « cosmovision » indienne. Les lois qui octroient leurs terres aux Indiens sont effectivement élaborées sur un modèle collectif, les pratiques « collectives et traditionnelles » des peuples autochtones étant privilégiées. C’est ainsi que Pablo Nora expliquait aux villageois qu’il fallait qu’ils parlent de « territoire », qu’il ne leur fallait pas réclamer les terres mais « le territoire diaguita », et qu’ils avaient toute la légitimité pour le faire.

Une identification ambiguë

34Pablo Nora n’était pas le seul à dispenser ces « ateliers d’identité » : d’autres activistes indianistes, au courant des procédures juridiques, venaient aider, parfois de façon rémunérée, les habitants d’autres villages de la région en prise avec des conflits agraires. Ce mouvement est récent et l’identification aux Indiens ne se réalise pas de manière évidente. En effet, pour beaucoup de locaux, les Indiens sont ceux qui viennent les former et leur donner des cours d’identité. Une femme vivant dans un village voisin m’a parlé d’eux en les appelant les « Indiens des droits de l’homme » (los Indios de los derechos humanos). Ils venaient défendre ceux qui vivaient sur « les terres des patrons » et qui voulaient les en déloger. Même si les habitants de ces villages adhèrent à un mouvement indianiste, cette identité est souvent mise à distance : les Indiens sont généralement les autres. Cela montre la complexité du processus d’auto-reconnaissance par lequel doivent passer les villageois afin de revendiquer des droits.

35Les propos de Rufino, un militant d’un village voisin de haute montagne, témoignent encore des réticences que peuvent éprouver les locaux face à cette nouvelle identification pourtant nécessaire. Lorsque je lui demande s’il se sent lui-même indien, il répond :

Rufino : Et bon ici… comme ils disent… ce sont des terres indigènes, comme vous voyez, il y a des vestiges comme si c’était des cimetières d’Indiens. On a déterré une quantité de choses d’Indiens, des urnes, des os…

Maïté : Mais les gens d’ici se sentent indigènes ? Ou non ?

Rufino : Et bon, d’après les commentaires… nous sommes Indigènes, on ne va pas dire autre chose… Diaguita on va dire, bien sûr ». (Septembre 2002)

36Cette fois, ce ne sont pas les formateurs qui sont Indiens, ce sont les terres. Rufino légitime les droits des villageois par la présence de vestiges archéologiques prouvant que ce sont des « terres indiennes ». Il ne répond donc toujours pas à ma question de savoir si eux-mêmes le sont. Je dois insister plusieurs fois, et il finit par répondre, après un moment de réflexion, que d’ « après les commentaires », ils sont Indiens. Il reprend là les paroles de personnes extérieures, montrant ainsi que ce n’est pas une identité personnelle. Sa phrase « on ne va pas dire autre chose » révèle que dans ce contexte, il n’a pas le choix, c’est une identité qu’il doit assumer même s’il n’en est pas convaincu. Pour reprendre la distinction élaborée par Goffman, le fait d’être Indien serait donc aujourd’hui devenu une « identité sociale » afin de pouvoir revendiquer des droits, mais celle-ci, souvent vue comme disqualifiante par les locaux, n’est pas vécue comme une « identité sentie » (Goffman 1975).

« Nous sommes catholiques »

  • 11 Sur ce thème voir l’ouvrage de Cynthia Alejandra Pizarro réalisé sur la province voisine, le titre (...)

37J’ai compris progressivement que les raisons de ce rejet étaient d’ordre social, les locaux ne voulant pas assumer cette identité à leurs yeux discriminante, mais aussi d’ordre religieux. Selon eux, se reconnaitre Indien revient à s’identifier à des ancêtres non évangélisés et ils s’imaginent, pour beaucoup, être obligés de renoncer à la religion catholique, ce qui leur semble une aberration11.

38Cette réticence à se reconnaitre Indien en fidélité au catholicisme n’est pas uniquement le fait de personnes âgées d’origine rurale. Rosana est une jeune femme de trente ans qui a grandi à Buenos Aires. Ses parents sont originaires d’Amaicha, où elle venait chaque été passer ses vacances. Elle est allée au lycée, n’a pas poursuivi ses études et s’est mariée très jeune à un Amaicheño dont elle a eu trois enfants. Au moment de l’entretien, en 2002, cela faisait deux ans qu’elle était venue s’installer à Amaicha et qu’elle participait activement au Conseil des Anciens instauré par Pablo Nora au sein du village. Elle montre ici ce que veut dire être Indien à ses yeux et dans quelle mesure elle se reconnaît dans cette identité :

Photos 7 et 8 :

Photos 7 et 8 :

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Le catholicisme est considéré comme la religion.
La croyance en la Pachamama, la mère terre, est toujours très importante mais elle n’est pas considérée par les locaux comme une appartenance religieuse.

© Maïté Boullosa Joly, 2002.

Etre Indien ? Si nous parlons des indigènes, eux ne croient pas en Dieu, si tu dois être indigène vraiment, tu dois oublier ta religion, le catholicisme. Tu as vu comment est l’histoire ? Quand ils sont venus ici évangéliser, qu’ils ont tué les Indiens… parce que l’Indien a d’autres croyances, d’autres moyens de se soigner, donc… Moi, revenir à ce point là, non. Moi j’ai ma religion, moi je crois en Dieu, je crois en la Vierge, je crois dans les Saints et… Je sais que s’ils te font choisir entre être Indigène bien comme avant, moi je ne choisis pas d’être indigène à nouveau. Si, quelques coutumes, certaines choses, mais pas totalement au point de dire « j’abandonne mes croyances et je dois croire en ça », non, non, comme ça non, tant que ça, non. Mais… Respecter les gens âgés, oui, respecter les conditions dans lesquelles ils vivaient eux, et les terres, ils ne les vendaient pas, l’eau appartenait aux gens, qu’elle ne soit pas être privatisée par de grandes entreprises… qu’ils imposent des lois que les indigènes n’avaient pas avant, Nous ne les connaissons pas toutes bien… mais… que les grands pouvoirs, que l’argent ne détruise pas les coutumes qu’avaient les indigènes, les gens d’avant, et… bon, mais ça on va l’apprendre petit à petit. (novembre 2002)

39Rosana insiste sur le fait que les Indiens ne croient pas en Dieu, et qu’il s’agirait alors de renier sa religion si l’on tenait à être comme eux. L’évangélisation a joué un rôle important dans ce processus de dénigrement, associant l’Indien au barbare dont elle a diabolisé les croyances (Gruzinsky 1998). L’Indien de référence est donc celui d’avant la conquête et non un Indien qui existerait dans le paysage social contemporain. Sa phrase « Quand ils sont venus ici évangéliser, qu’ils ont tué les Indiens » est explicite, elle montre que les Indiens n’existent plus, ils sont ou catholiques ou morts. On en revient donc à l’Indien mythique, non civilisé et disparu que l’on retrouve dans les récits locaux de tradition orale. Rosana, malgré tous les cours d’identité auxquels elle a assisté en deux ans d’investissement au sein du Conseil des Anciens, n’adhère toujours pas aux représentations internationales de l’indianité. Comme beaucoup des villageois, elle fait de la résistance et refuse une identification totale à ces ancêtres qu’elle envisagerait comme une trahison par rapport à ses propres croyances. Elle accepte cependant une identification partielle s’il s’agit de revendiquer des droits, d’avoir accès à une plus grande justice sociale et de reprendre les valeurs prônées par Pablo Nora qu’elle a jugées positives, comme le respect pour les anciens ou la propriété collective des terres. Les principes inculqués sont donc triés par Rosana qui précise, dans la phrase « bon, mais ça on va l’apprendre petit à petit », que sa connaissance à leur sujet relève d’un savoir exogène et d’un apprentissage progressif.

Conclusion

  • 12 C’est ainsi qu’est qualifié Amaicha dans le guide de voyage que j’avais acheté en France avant de p (...)

40A l’analyse de leurs trajectoires, on peut se rendre compte que les passeurs culturels ne sont pas toujours représentatifs des villageois qu’ils défendent. C’est leur capital scolaire et leur expérience duale, à la fois au sein de leur communauté et dans le monde urbain, qui leur a permis de prendre des distances face aux rapports de domination locaux et de revendiquer des droits. En interprétant en termes ethniques les rapports de domination auxquels ils sont soumis, ils élaborent un discours identitaire et des rituels très novateurs. Les médias participent largement à ce processus en reprenant leurs discours, voire en les amplifiant, répondant ainsi aux fantasmes de la société urbaine à propos d’une identité originelle retrouvée. Ces discours et ces mises en scène visent à repeupler les Vallées Calchaqui d’Indiens qui n’auraient pas changé depuis l’époque préhispanique et certains passeurs, à Amaicha comme à Quilmes, ont commencé à développer le concept de « tourisme ethnique » dans lequel ils voient un moyen d’affirmation identitaire et de développement économique pour leur village (Boullosa-Joly 2010). Cette production de discours identitaires et la façon dont ils sont repris par les médias et l’industrie touristique montrent l’importance de la rhétorique dans la « production de l’ethnicité » (Mac Cannel 1973). Le statut juridique de « communauté indienne », réclamé de haute lutte par les militants afin d’avoir accès à des droits sociaux et territoriaux, participe à leur catégorisation à des « villages indiens », à des « bourgades indiennes »12 pour reprendre les descriptions de certains prospectus touristiques qui s’y réfèrent.

41Cependant il est important de distinguer les processus de catégorisation qui sont des attributions identitaires extérieures s’exerçant sur un individu ou sur un lieu, généré par des nécessités de classification, de l’identification par les groupes eux-mêmes (Avanza et Laferté 2005). La mobilisation collective sur la scène locale autour de cette identité ne va effectivement pas de soi. Ce sont les décalages entre les différentes représentations de l’Indien qui rendent difficile l’adhésion générale à ce mouvement. En effet, l’idéalisation qui est faite des Indiens dans les cadres juridiques que véhicule la rhétorique des organismes internationaux (ONU, PNUD, BM, etc.) où l’Indien est associé à une tradition ancestrale, à des valeurs spirituelles et collectives particulières dont la sauvegarde contribuerait à « l’harmonie sociale et écologique de l’humanité », n’est pas en phase avec la représentation que les locaux s’en font. L’Indien tel qu’il est représenté sur la scène internationale est en effet davantage une construction occidentale exotisante reprenant le mythe très ancré d’un Indien originel élaboré en opposition à un certain modèle de société (occidentale, moderne, urbaine) (Bensa 2006, De l’Estoile 2007). Ce cadre juridique a cependant permis de nombreuses avancées pour une frange de la population longtemps marginalisée et cantonnée à l’invisibilité. Les propos de Gustavo, un des jeunes militants de la CIQ, le démontrent :

Quant aux changements qu’il y a eu, les gens n’ont plus peur de dire « je ne veux pas arranger ma maison parce qu’un de ces jours le patron va venir et il va me chasser de chez moi ». Aujourd’hui ce n’est plus comme ça, pour les gens, le patron et l’arrendero [métayer] n’existent plus, ça c’est du passé. Aujourd’hui les gens ont envie de travailler et de faire des choses, autant dans leur maison que dans leur ferme, ils veulent construire des puits pour pouvoir produire [...]. Oui, comme dirigeant je me sens bien parce qu’on arrive à faire des choses qu’avant on ne pouvait pas faire parce que c’était impossible. C’était impossible parce qu’il n’y avait pas de loi pour l’Indien ».

42Certes les « lois indigènes » permettent rarement de trouver des solutions légales à des conflits agraires. Elles sont non contraignantes et les Etats n’étant pas tenus de les imposer, elles n’ont que peu d’applications pratiques, notamment en cas de conflits avec des propriétaires fonciers. Mais c’est grâce à elles que les villageois, aidés des passeurs, ont pu s’organiser collectivement, défendre des droits et dépasser des rapports de domination installés depuis des siècles dans certains secteurs de la société argentine. Ces mouvements revendicatifs ethniques ne sont donc pas à analyser sous un angle essentialiste, mais plutôt comme des mouvements sociaux luttant contre des rapports de pouvoir dans des contextes postcoloniaux où des discriminations subsistent (Abercrombie 1990, Canessa 2007, Bosa et Wittersheim 2009).

43Cependant les contraintes d’identification aux Indiens qu’elles imposent sont particulièrement complexes dans le contexte national. Pour la plupart des locaux, les Indiens sont toujours les ancêtres non christianisés dont le nom renvoie à une forme insultante de disqualification sociale. Devoir s’identifier aux Indiens pour avoir accès à des droits est ainsi vécu comme une violence symbolique extrême pour beaucoup de villageois qui ne se rallient qu’en cas de conflit insoluble aux côtés des passeurs. L’image des Indiens véhiculée auparavant dans l’histoire officielle par le biais de l’institution scolaire y est pour beaucoup. On réalise ici l’importance de l’Etat, de ses institutions et de l’école dans les possibilités de construction d’une identité partagée. Anne-Marie Thiesse montre, dans son ouvrage Ils apprenaient la France, que les discours sur l’identité régionale n’ont pas été adoptés « magiquement » par les supposés « Normands » ou « Bretons », et que les institutions d’encadrement se sont chargées de les diffuser et de les leur prescrire (Thiesse 1997). Avec l’importance accordée aujourd’hui à la dimension multiculturelle dans l’enseignement dans notre région d’étude, les jeunes générations auront certainement une représentation de l’Indien très différente de celle de leurs ainés. Peut-être alors une identification à ces ancêtres sera-t-elle plus aisée.

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Notes

1 Ces représentations opposées ne sont pas sans rappeler les images dualistes qui sont représentées dans les récits de voyages du 15ème au 18ème siècle. Jean-Paul Duviols montre que le « sauvage » a été jugé « bon » lorsque son personnage permettait une distanciation originale et exotique, et « mauvais » lorsque les Européens ont voulu justifier leur œuvre « civilisatrice » (Duviols 1985).

2 Le terme « ethnicisation » se rapporte ici à un processus récent en partie impulsé depuis l’extérieur, mais pris en main et construit par des représentants locaux (Boccara 2010).

3 Cette notion a été associée aux personnes qui favorisèrent les transferts entre l’Europe méditerranéenne, l’Amérique et l’Asie du 16ème au 19ème siècles (Benat Tachot et Grusinski 2001). Elle a été reprise pour caractériser les leaders indianistes afin de signifier la situation d’hybridation culturelle qui s’opère par leur intermédiaire dans leurs villages d’origines (Martinez Mauri 2003).

4 Cette croyance en une divinité de la fertilité d’origine préhispanique a perduré parallèlement et conjointement à la religion catholique, très présente dans la région.

5 Le statut de Cacique était héréditaire jusque dans les 1960, date à laquelle le fils de Don Agapito Mamani, que certains nomment « le dernier Cacique », a refusé cette fonction. Depuis les années 1990, la charge de Cacique est soumise au vote.

6 Cette déportation donna le nom de la ville de Quilmes située à la périphérie de la capitale. Le site archéologique de Quilmes est aujourd’hui très visité et représente un symbole national de la résistance indienne à l’envahisseur.

7 En 2002, Amaicha et Quilmes étaient les destinataires de projets initiés par la Banque Mondiale où cinq communautés indiennes argentines devaient bénéficier chacune de 75 000 dollars à investir dans des projets de développement durable.

8 Cela rejoint les analyses sur le militantisme autochtone (Bosa et Wittersheim 2009, Guyon 2009).

9 Equivalent en France au CM1.

10 Nom donné aux Indiens de la région par les conquistadores au moment de la conquête. D’une catégorie de contrôle, elle est érigée en ethnonyme au 19ème siècle par des chercheurs soucieux de faire entrer ces populations dans une grille évolutionniste. Cet ethnonyme est repris aujourd’hui par les militants locaux afin de revendiquer leur autochtonie (Boullosa-Joly et Giudicelli 2005).

11 Sur ce thème voir l’ouvrage de Cynthia Alejandra Pizarro réalisé sur la province voisine, le titre est évocateur « Ahora ya somos civilizados » – la invisibilidad de la identidad indigena en un aera rural dela valle de Catamarca, (« Maintenant nous sommes déjà civilisés – l’invisibilité de l’identité indigène dans une zone rurale de la province de Catamarca ») (Pizarro 2006).

12 C’est ainsi qu’est qualifié Amaicha dans le guide de voyage que j’avais acheté en France avant de partir la première fois en Argentine en 2000. Le Grand guide de l’Argentine, Gallimard. 1995. 319 p.

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Table des illustrations

Titre Photos 1 et 2 :
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Légende Amaicha et Quilmes. La haute montagne aux périodes estivales de transhumance (de janvier à avril) Doña Mira son petit-fils devant la maison en pierre. Ils furent ma famille d’accueil lors de mes séjours dans ces hauteurs.
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Titre Photos 3 et 4 :
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Légende Amaicha et Quilmes. Les deux photos ont été prises lors d’une fête pascale à Quilmes. On peut voir un carrosse tiré par un âne et les prouesses de Gauchos, experts en dressage bovin et représentatifs de la culture argentine (Amaicha compte à elle seule trois associations).
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Titre Photo 5 :
Légende Panneau sur la place d’Amaicha à l’intention des touristes : « 5000 habitants – 1997 mètres d’altitude – 360 jours de soleil par an »
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Titre Photo 6 :
Légende Panneau Quilmes : succession de petits hameaux à plusieurs kilomètres de distance, où les maisons de briques en terre crue se confondent souvent avec le paysage semi-désertique.
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Titre Photos 7 et 8 :
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Légende Le catholicisme est considéré comme la religion. La croyance en la Pachamama, la mère terre, est toujours très importante mais elle n’est pas considérée par les locaux comme une appartenance religieuse.
Crédits © Maïté Boullosa Joly, 2002.
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Pour citer cet article

Référence papier

Maïté Boullosa-Joly, « « Pourquoi serait-on Indiens maintenant ? » »Civilisations, 62 | 2013, 109-130.

Référence électronique

Maïté Boullosa-Joly, « « Pourquoi serait-on Indiens maintenant ? » »Civilisations [En ligne], 62 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/civilisations/3364 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/civilisations.3364

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Auteur

Maïté Boullosa-Joly

est anthropologue, maitre de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne (Amiens), chercheuse au CURAPP-ESS (UNR 7319, CNRS) et chercheuse associée au MASCIPO (EHESS). Elle a soutenu sa thèse à l’EHESS en 2006 sur le thème des revendications indiennes en Argentine. Elle poursuit ses recherches dans le champ de l’anthropologie politique, sur les mouvements identitaires et les politiques multiculturelles en Amérique latine. Elle travaille aussi sur le tourisme, la scène touristique étant devenue centrale dans un contexte de politisation des identités et de la culture.
[Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS UMR 7319, CNRS/CERMA-EHESS, Campus UPJV, chemin du Thil, 80 000 Amiens – Maite.boullosa@wanadoo.fr]

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Droits d’auteur

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