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AccueilNuméros44L'Afrique équatorialeLa forêt et ses gendres

L'Afrique équatoriale

La forêt et ses gendres

Témoignage d'un habitant de la réserve de faune du Dja [sud-Cameroun]
Alphonse Mandjio Médébé
p. 104-107

Texte intégral

  • 1  Programme de Conservation et d'Utilisation Rationnelle des Écosystèmes forestiers en Afrique Centr (...)
  • 2  Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

1La Réserve du DJA est située à l'Est et au Sud du Cameroun. Elle a une superficie de 500.000 hectares dont 400.000 hectares à l'Est et 100.000 hectares au Sud. Depuis 1952, cette région est en projet pour la création de la réserve de la biosphère et depuis un certain temps, on parle du patrimoine mondial sous la direction du Gouvernement camerounais et gérée par trois organisations, je cite : « l'UNESCO, l'ECOFAC1 et l'UICN2 ». La Boucle du DjA s'étend du quai de Somalomo jusqu'au quai de Bodjouo sur une distance de 58 Km, peuplée de 6.800 habitants. Autrefois, nos ancêtres habitaient éparpillés dans la forêt. Dès l'arrivée des Européens, ceux-ci décident de relier Kribi de Moloundou par Lomié et Yokadouma ; ils ont tracé cette route et nous ont aidés à nous installer, c'est-à-dire que nos ancêtres et nous-mêmes y sommes depuis des millénaires. Nos traditions sont les mêmes : famille unie et solidaire, respect de la parenté, du mariage, sans oublier le règlement des affaires qui repose sur la décision des aînés. La parenté s'étend jusqu'au 6e degré.

2Nous vivons particulièrement de pêche, de chasse et de culture. Parmi ces cultures, il faut distinguer les cultures pour la consommation locale : banane, manioc, macabo, arachide, etc., et les cultures d'exportation : cacao, café. Pendant la saison sèche, nous pêchons, pour chasser ensuite, pendant la saison des pluies. De surcroît, la forêt dans laquelle nous vivons est une pharmacie et reste notre seul hôpital. Quant à la gestion de la forêt de la Réserve du Dja, nous continuons à considérer, comme nos ancêtres, le droit du feu, c'est-à-dire que là où quelqu'un a fait ses cultures pérennes et a construit des maisons, des plantations, tout cela constitue son droit foncier jusqu'à la génération future. Le reste du terrain est au Gouvernement jusqu'au sous-sol. Pour ce qui concerne la préservation de la Réserve du Dja, cela nécessite beaucoup de mesures appropriées pour mettre fin au braconnage et supprimer la chasse et la pêche. Autrefois, l'homme de la Boucle du Dja ne chassait et ne pêchait qu'une petite quantité pour la consommation familiale. À partir du moment où les produits de base (cacao, café) ont baissé, quelques gigots sont vendus pour se ravitailler en savon, pétrole, sel et pouvoir envoyer les enfants à l'école.

3Nous avons beaucoup souhaité qu'ECOFAC s'installe au sein de la Réserve afin d'étudier ensemble la ligne de conduite à suivre mais pour le moment, nous demandons à l'ECOFAC : la construction d'un dispensaire pour subvenir aux besoins de son personnel et aider les populations à payer les médicaments à des prix raisonnables ; l'ouverture d'un économat pour le personnel aussi bien qu'au profit des populations. Avec la réussite de ces propositions, la préservation de la forêt pourra voir le jour. Nos difficultés résident dans les domaines suivants : la vente très tardive des produits d'exportation (conséquence de notre enclavement), le manque d'hôpitaux (pas de traitements médicaux), la sous-information, ainsi que le manque de produits de première nécessité (savon, pétrole, sel, outillage agricole, etc...). Nos doléances suivant l'importance sont : l'ouverture de la route Somalomo-Ekom, la construction d'un pont au quai de Somalomo (entrée principale de la Réserve), l'aménagement du quai de Bodjouo, l'équipement du centre de santé d'Ekom, la construction d'un dispensaire à Malène et l'amélioration des conditions de vie du villageois en favorisant l'obtention de produits de première nécessité (matériaux de construction, outillage agricole).

4Après l'installation de nos parents sur la route, seuls les Pygmées sont restés dans la grande forêt pour ne vivre que de la chasse. Mais à partir d'un certain temps, la plupart des Pygmées ont été intégrés dans les villages. Il y a des campements partout – tels que Biffolone, le Bosquet de Lomié et bien d'autres sur la route Yokadouma-Moloundou. Tous les Pygmées en général connaissent mieux la forêt que l'homme villageois. Ils se soignent avec les écorces d'arbres durant toute leur vie et sont très costauds.

5Il est aussi à noter que pour priver de viande l'homme de la forêt, c'est comme on peut sevrer un enfant prématurément sans d'abord connaître ce qu'il pourra manger après. Pour bannir la chasse et la pêche, on doit trouver les vrais moyens d'oublier.

6Pour l'appellation du nom « indigène », Anta Diop, historien égyptologue, archéologue, a réussi à démontrer que la première civilisation mondiale était égyptienne. Il a été également démontré qu'à ce moment, l'Égypte était habitée par les Noirs. Dans l'esprit du colonisateur, l'homme noir se confond à l'indigène qui, en réalité, est une appellation péjorative qui tentait de traduire la supériorité de l'homme blanc sur l'homme noir à l'époque coloniale. Pour vous convaincre, c'est une appellation désuète déjà à l'époque coloniale. La loi-cadre Deffere est venue supprimer l'indigénat en 1957, en permettant aux Noirs de siéger au Parlement français. C'est également cette loi qui a donné l'autonomie à beaucoup de colonies françaises. Aujourd'hui après les indépendances et surtout avec l'avènement de la démocratie en Afrique noire, le mot indigène devrait disparaître du dictionnaire français.

Conclusion

7La Boucle du Dja est donc considérée comme un père qui a plusieurs filles qui sont : les animaux, les poissons, les arbres, les oiseaux, les serpents et il faut ajouter à cela le sous-sol qui cache ses multiples richesses. Nous attendons d'accueillir à bras ouverts, tout gendre qui viendra épouser une de nos filles et cela en accord avec notre Gouvernement camerounais.

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Notes

1  Programme de Conservation et d'Utilisation Rationnelle des Écosystèmes forestiers en Afrique Centrale.

2  Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alphonse Mandjio Médébé, « La forêt et ses gendres »Civilisations, 44 | 1997, 104-107.

Référence électronique

Alphonse Mandjio Médébé, « La forêt et ses gendres »Civilisations [En ligne], 44 | 1997, mis en ligne le 29 juin 2009, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/civilisations/1614 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/civilisations.1614

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Auteur

Alphonse Mandjio Médébé

Représentant de l'administration camerounaise, Chef de Groupement d'Ekom (Messamena), dans le sud du Cameroun.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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