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Comptes rendus

Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France XIXe-XXe siècles / Marie Vogel et Jean-Marc Berlière, Police, État et société en France (1930-1960)

Bruxelles, Éditions Complexe, 1996, 275 pp., ISBN 2 87027 641 9 (Collection « Le monde de... ») / Les cahiers de l'IHTP, 1997, 36, 143 pp., ISSN 0247-0101
René Lévy
p. 137-139
Référence(s) :

Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996, 275 pp., ISBN 2 87027 641 9 (Collection « Le monde de... »).

Marie Vogel et Jean-Marc Berlière, Police, État et société en France (1930-1960), Les cahiers de l'IHTP, 1997, 36, 143 pp., ISSN 0247-0101.

Texte intégral

  • 1  Notamment : La police des mœurs sous la IIIe République, Paris, Seuil, 1992 ; Le préfet Lépine, ve (...)

1Publié sous un titre peu attrayant, dû à l'intitulé de la collection où il paraît, l'ouvrage de Jean-Marc Berlière représente un véritable tour de force. Son auteur - que sa monumentale thèse et ses nombreuses publications ont révélé comme le principal historien de la police contemporaine en France1 - nous présente ici la première synthèse historique sérieuse sur cette question pour la période allant de la IIIe République à la Libération.

2En dix chapitres, complétés par près de 400 notes souvent substantielles, une bibliographie très complète et un index onomastique, l'auteur dresse un panorama très complet et nuancé des différents aspects de cette institution si longtemps et profondément négligée par les historiens (le tout en seulement 275 pages).

3L'ouvrage se compose de deux parties. La première, la plus longue, est consacrée à la IIIe République, et l'auteur y examine successivement les différentes facettes de la police et la manière dont elles ont évolué au cours des 70 années du régime: la complexité de l'organisation initiale et son unification progressive; la différenciation de la police judiciaire ; le recrutement et la formation des policiers ; les avatars de la police politique ; le maintien de l'ordre public ; le cas particulier de la Préfecture de police de Paris, véritable État dans l'État.

4La seconde est consacrée à la rupture décisive qu'occasionne à cette institution la Deuxième Guerre mondiale, avec la mise en place, en France occupée, d'un régime de collaboration qui provoque l'étatisation des polices, et la nécessité de reconstruire la police à la Libération. A chaque fois, de manière nuancée, mais sans dissimuler son point de vue personnel, l'auteur s'efforce de mettre en lumière les politiques et les débats qu'elles suscitent, mais aussi les représentations des policiers eux-mêmes, leurs motivations, leurs dilemmes et leurs pratiques.

5L'un des leitmotivs de l'ouvrage est l'ambivalence des républicains, tout au long de la période: d'un côté, ils sont soucieux de concilier démocratie et défense des libertés avec la défense de l'ordre et d'un régime longtemps fragile. Ayant rapidement renoncé à abolir la Préfecture de police de Paris, tout comme les services de police politique, qu'ils vouaient aux gémonies sous l'Empire, ils n'hésitèrent pas à utiliser ces instruments contre leurs adversaires, d'extrême-droite comme d'extrême-gauche. D'un autre côté, leurs velléités réformatrices étaient constamment bridées par le souci d'épargner les deniers publics, de sorte que c'est généralement sous la pression des circonstances que se produisaient les changements.

6La Troisième République, et c'est le premier mérite de l'ouvrage que de le montrer, conserva donc un système policier composite, source de multiples contradictions, concurrences et conflits, où coexistent au plan national la gendarmerie et une police d'Etat très peu développée - la Sûreté générale (puis, après 1934, « nationale ») - longtemps réduite à une police politique, avant de s'étoffer d'un embryon de police judiciaire (les fameuses brigades mobiles créées en 1907). Localement, on trouve tantôt des polices purement municipales, souvent faibles, tantôt des polices municipales étatisées au coup par coup pour répondre à des situations particulières, à l'exception de Paris, de tous temps placée sous l'autorité directe de l'État (mais sans aucun lien avec la Sûreté). Cette situation assez chaotique ne trouvera son épilogue qu'avec la guerre et l'Occupation, le régime de Vichy réalisant, dans ce domaine comme dans d'autres, la « modernisation » des structures dont beaucoup affirmait la nécessité depuis la première avant-guerre. En ce sens, « Vichy prolonge et achève l'œuvre de la IIIe République » (p. 164), mais sans remettre en cause l'existence de la Préfecture de police de Paris (qui ne fut intégrée à la Police nationale qu'en 1966, tout en conservant son organisation spécifique).

7Pour qui connaissait déjà les travaux de Jean-Marc Berlière, les chapitres consacrés à la Deuxième Guerre et à la Libération sont les plus neufs et constituent une mise au point bienvenue. Jean-Marc Berlière y montre clairement à la fois comment Vichy a su satisfaire les aspirations des policiers et comment il les a enfermées dans un piège: celui d'une collaboration avec le nazisme, cautionnée par l'apparence de légitimité du régime (et le passé républicain de beaucoup de responsables) et renforcée par la volonté de celui-ci d'affirmer sa souveraineté en se chargeant, en lieu et place de l'occupant, des sales besognes dont celui-ci n'était que trop content de se décharger sur la police française. Période qui révèle aussi, pour le pire, l'extrême professionnalisation et compétence des policiers aguerris sous la République, et les méfaits d'une « culture de l'obéissance » dont « on avait fait leur unique préoccupation, le critère professionnel idéal, la borne de leur horizon mental » (p. 196) et avec laquelle seul un petit nombre de policiers sont parvenus à rompre dès le début, avant d'être progressivement rejoints par d'autres à mesure que s'affirmait la perspective d'une défaite allemande.

8Jean-Marc Berlière montre également que l'épuration qui s'ensuivit fut plus profonde qu'on a tendance à le penser aujourd'hui, mais qu'elle fut peu soucieuse de hiérarchiser les responsabilités et peu sensible à la question de la collaboration de la police au génocide des Juifs. Surtout, elle s'est d'emblée inscrite dans une sourde rivalité politique entre un de Gaulle soucieux de restaurer au plus vite l'autorité de l'État - fût-ce au prix d'un pieux mensonge sur la participation de la police à la Résistance - et le PCF, qui voyait dans l'épuration le moyen à la fois de mettre hors d'état de nuire quelques-uns de ses plus efficaces adversaires et de prendre pied dans une institution qui lui était jusqu'alors fermée. Il n'en reste pas moins que l'épuration, même rapidement atténuée par des amnisties successives, a constitué, pour la police, « un véritable révolution culturelle » (p. 217), dans laquelle l'obéissance et le zèle passés étaient subitement taxés de trahison, tandis que la désobéissance, l'attentisme ou la passivité se virent décerner un brevet de patriotisme. En ce sens, elle marque une véritable rupture par rapport aux précédentes transitions politiques - de l'Empire à la République, puis de celle-ci à l'État français - dont les nouveaux dirigeants s'assurèrent la fidélité de la police du régime précédent en lui épargnant, précisément, la purge. Révolution lourde de conséquences, qui introduisant l'exigence déontologique et éthique au cœur de l'appareil d'État, « rompt le pacte qui liait les policiers au pouvoir » (p. 218), ce dont la IVe République - héritière de l'organisation policière mise en place par Vichy et dans l'ensemble conservée après la guerre - fera les frais.

9Bien d'autres aspects mériteraient d'être soulignés; disons donc simplement qu'il s'agit d'un ouvrage écrit dans une langue parfaitement accessible au profane et qui devrait figurer dans la bibliothèque de tous les spécialistes.

  • 2  Elle-même auteur d'une thèse qui a renouvelé nos connaissances sur les polices municipales sous la (...)

10Il devrait y être rejoint par un petit instrument de travail fort utile, réalisé par Marie Vogel2 et Jean-Marc Berlière: il s'agit d'une bibliographie d'un millier de titres, complétée par plusieurs index et comprenant, il faut le noter, aussi bien des travaux historiques que de sociologie ou de science politique.

11En résumé, voici donc deux ouvrages qui témoignent de l'importance croissante qu'a pris le domaine des recherches sur la police en France, depuis quelques années et qui augurent bien de son développement futur.

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Notes

1  Notamment : La police des mœurs sous la IIIe République, Paris, Seuil, 1992 ; Le préfet Lépine, vers la naissance de la police moderne, Paris, Denoël, 1993.

2  Elle-même auteur d'une thèse qui a renouvelé nos connaissances sur les polices municipales sous la IIIe République : Vogel (M.), La police des villes entre local et national. L'administration des polices urbaines sous la IIIe République, Grenoble, Université de Grenoble II- Institut d'études politiques 1993.

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Pour citer cet article

Référence papier

René Lévy, « Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France XIXe-XXe siècles / Marie Vogel et Jean-Marc Berlière, Police, État et société en France (1930-1960) »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 3, n°1 | 1999, 137-139.

Référence électronique

René Lévy, « Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France XIXe-XXe siècles / Marie Vogel et Jean-Marc Berlière, Police, État et société en France (1930-1960) »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 3, n°1 | 1999, mis en ligne le 03 avril 2009, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/952 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.952

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Auteur

René Lévy

CESDIP-CNRS, France, rlevy@ext.jussieu.fr

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