Véronique Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge
Véronique Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge, Avant-propos de Claude Gauvard, Paris, Publications de la Sorbonne, Histoire ancienne et médiévale, n° 84, 383 pp., 2006, ISBN 2 85944547 1.
Full text
1Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat menée sous la direction de l’historienne de la justice médiévale Claude Gauvard, revendique une démarche à l’origine plus proche de l’histoire sociale et culturelle de la religion que de l’histoire de la justice. C’est que son objet se situe très précisément à l’intersection des deux champs. L’excommunication, c’est d’abord une mesure religieuse. Privation des sacrements – la communion en particulier –, de la sépulture et des suffrages communs de l’Église, elle exerce sur le chrétien une pression spirituelle en lui ôtant l’un des instruments du salut. Elle veut ainsi l’amener à demander le pardon pour son péché et à se réconcilier avec l’Église. Elle s’inscrit donc, au moins initialement, à l’intérieur d’une démarche pénitentielle. Elle est, dès lors, plutôt conçue comme un remède – une « médecine » – que comme une véritable sanction.
2Pourtant, cette censure ecclésiastique fait également office de peine et elle poursuit également des fins coercitives. Elle n’est pas seulement spirituelle, mais aussi sociale, puisqu’en privant de la messe (non de la prédication), elle écarte l’excommunié du rituel par le biais duquel l’Église prend corps. Exclu en principe des relations sociales, atteint dans sa renommée, l’excommunié est marqué par une forme d’infamie qui a par exemple pour conséquence qu’il n’est plus autorisé à témoigner en justice ou à prêter serment. Enfin, cette peine est prononcée par une instance – le tribunal de l’official jugeant au nom de l’évêque – qui, pour être ecclésiastique, suit une procédure très étroitement encadrée par le droit canonique. Aussi son histoire s’appréhende-t-elle par le biais d’archives qui sont de nature juridique.
3Au cœur de cette recherche réside donc une tension, qui est le reflet des ambiguïtés mêmes de l’excommunication. À la fois religieuse et juridique, relevant aussi bien du for interne que du for externe, elle fait ici l’objet d’une enquête qui part de préoccupations liées à l’histoire religieuse mais vire en direction d’une histoire des normes et du contrôle social qui est bien dans la tradition de l’historiographie de la justice. Ce parcours, de la religion à la justice, résulte aussi de l’évolution historique de l’excommunication. Entre le XIIIe et le XVIe siècle, du concile de Latran (1215) au concile de Trente (1545-1563), son lien initial avec la pénitence s’atténue; elle se mue toujours plus en une peine de nature judiciaire, sa part spirituelle devenant dans le même temps toujours plus difficilement lisible.
4Retraçant cette évolution, Véronique Beaulande commence par analyser le cadre juridique dans lequel s’inscrit la fulmination de l’excommunication. Si elle se défend de construire une histoire du droit canon, elle entame néanmoins son ouvrage par une étude précise des dispositions conciliaires et plus particulièrement des statuts synodaux édictés dans les différents diocèses de la province de Reims, qui constitue le terrain de son enquête. La définition des délits sanctionnés par l’excommunication montre que cette peine est d’abord utilisée par l’Église pour défendre ses « droits et liberté » (notamment sa juridiction contre les empiètements des justices séculières), pour discipliner le clergé et pour encadrer les engagements matrimoniaux des fidèles. Les documents normatifs de l’Église laissent ainsi entrevoir une répartition relative des tâches entre, d’une part, l’excommunication qui sert d’abord à la défense des intérêts et de la dignité de l’Église et au contrôle matrimonial et, d’autre part, le tribunal de la pénitence, qui assume des fonctions davantage religieuses. Participant initialement de la même démarche, excommunication et pénitence s’autonomisent ainsi l’un par rapport à l’autre au cours de la période.
5L’ouvrage se poursuit par l’examen de la pratique des officialités de la province de Reims en matière d’excommunication. Ici, l’enquête présente un certain nombre de difficultés. Si les textes normatifs révèlent une doctrine juridique relativement cohérente, les réalités de la pratique se caractérisent en revanche par une telle disparité que la synthèse en devient très aléatoire. L’arbitraire des juges introduit dans les juridictions ecclésiastiques – comme d’ailleurs dans les juridictions civiles – d’importants écarts dans l’application des normes et par conséquent dans les pratiques d’un tribunal à l’autre. La relative autonomie des diocèses en matière de censures ecclésiastiques accentue le phénomène, conduisant l’historien à des conclusions contradictoires selon qu’il examine une officialité ou l’autre. Dans ces conditions, les généralisations sont extrêmement délicates et Véronique Beaulande avance avec beaucoup de prudence, se contentant le plus souvent de conclusions ne prétendant à validité que pour le fonds d’archives étudié.
6Évaluer quantitativement le poids réel que l’excommunication, en tant que sanction, exerce sur les fidèles, semble par exemple peine perdue. Au mieux, il semble que l’on puisse conclure que l’usage de cette peine recule avec la fin du Moyen Âge. Identifier les délits qu’elle sanctionne ne paraît guère plus aisé. De manière générale, on peut cependant avancer que « violence et mariage sont les deux principaux champs d’application de l’excommunication ». Si elle réprime surtout la violence contre les clercs et contribue ainsi à maintenir le caractère sacré du clergé, elle punit également la violence entre laïcs. Elle apparaît aussi comme un dispositif de lutte contre le mariage clandestin. Dès lors, utilisée en tant que peine, il semble qu’elle constitue essentiellement un instrument de régulation sociale destiné à la préservation de la paix et de la stabilité sociale. Cette fonction se renforce au début du XVIe siècle. Au vu de l’importance statistique des excommunications fulminées en tant que peine sanctionnant des délits, il demeure toutefois difficile de considérer cette censure ecclésiastique comme un instrument influent de contrôle social. Pour ne prendre qu’un seul exemple, à Châlons, entre 1471 et 1528, elle n’apparaît dans les registres de l’officialité que dans soixante-neuf cas et seulement dans cinq affaires n’impliquant que des laïcs.
7Les délits religieux – manquements aux obligations de la pratique religieuse ou déviances en matière de foi – ne sont également punis que très rarement par l’excommunication. Sur ce point, les données que Véronique Beaulande a à sa disposition, n’autorisent donc pas de généralisation. L’analyse des usages de l’excommunication par les officialités de la fin du Moyen Âge ne paraît ainsi pas offrir davantage la matière d’une histoire du contrôle social que celle d’une histoire religieuse : les croyances et les formes de la piété n’y sont en effet documentées que de manière finalement assez marginale. Seules les infractions aux sentences d’excommunication, comme la participation à la messe malgré l’interdiction (souvent d’ailleurs avec l’aide du curé), permettent de révéler l’attachement au sacrement, à la fois comme rite communautaire et comme instrument de salut. Là encore cependant, les cas relativement nombreux d’indifférence vis-à-vis des sacrements limite les possibilités de généralisation.
8De l’ouvrage, il ressort en revanche plus nettement le développement, en particulier à partir du XVe siècle, d’une « excommunication de procédure », à distinguer de celle qui est prononcée en tant que peine, qui recule à la fin du Moyen Âge. « Étape de procédure taxée comme les autres », elle intervient notamment, à la suite de trois avertissements ou « monitions », pour contraindre un débiteur à rembourser sa dette. À ce titre, elle devient rapidement, comme Lucien Febvre l’avait déjà observé, une importante source de revenus des officialités. Sur le plan quantitatif, l’endettement – phénomène qui prend de l’ampleur à la fin du Moyen Âge – forme « sans doute la cause la plus fréquente d’excommunication ». C’est cette excommunication de procédure qui a le plus marqué les esprits des contemporains et qui a été très tôt dénoncée comme un « abus ». L’évolution qui se dessine à la fin de la période étudiée par l’auteur montre que les justices ecclésiastiques et civiles travaillent toujours plus conjointement à ce que Claude Gauvard appelle, dans l’avant-propos, la « criminalisation de l’endettement ». Les institutions judiciaires de l’Église et de l’État partagent alors le souci de « faire respecter l’engagement des contrats » pour reprendre encore les termes de Claude Gauvard.
9Cette évolution, qui peut apparaître comme une sorte de perversion du sens de l’excommunication, s’inscrit en réalité dans une tendance de longue durée qui a été soulignée et que l’ouvrage contribue à attester : la séparation des fonctions de la pénitence et de l’excommunication qui a conduit à décharger progressivement la seconde de son sens religieux et à la rendre ainsi disponible pour d’autres usages, alors même que la pénitence se spécialisait davantage dans ses fonctions religieuses. On peut regretter à cet égard que Véronique Beaulande n’ait pas tenu compte des travaux récents qui ont analysé la tournure que prend à la fin de l’Ancien Régime l’excommunication de procédure. Les études menées en particulier par Éric Wenzel (Le monitoire à fin de révélations sous l’Ancien Régime : normes juridiques, débats doctrinaux et pratiques judicaires dans le diocèse d’Autun (1670-1790), Villeneuve, Septentrion, 2001) permettent en effet de montrer que la tendance à la sécularisation des usages de l’excommunication, qui se dessine à la fin du Moyen Âge, se confirme dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime. La menace d’excommunication représente alors un élément central de la première phase de la procédure judiciaire, définie par l’ordonnance criminelle de 1670. Dans cette phase de recherche de l’information, le « monitoire » contraint, sous peine d’excommunication, les éventuels témoins d’un délit à révéler les informations qu’ils détiennent. Cet élément de procédure se met en place exactement à l’époque où l’excommunication de procédure commence à dominer statistiquement dans les sources examinées par Véronique Beaulande. La pratique des officialités est en bonne partie responsable de la réinterprétation d’une étape du parcours pénitentiel en un instrument de procédure récupérable par les justices séculières. Elles ont ainsi préparé une évolution au terme de laquelle le monitoire a pour l’essentiel échappé au contrôle de l’Église au profit de la justice royale.
References
Bibliographical reference
Christian Grosse, “Véronique Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge”, Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 12, n°1 | 2008, 125-127.
Electronic reference
Christian Grosse, “Véronique Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge”, Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [Online], Vol. 12, n°1 | 2008, Online since 14 January 2009, connection on 09 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/83; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.83
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