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AccueilNumérosVol. 20, n°2Comptes rendusFrédéric Chauvaud, Pierre Prétou ...

Comptes rendus

Frédéric Chauvaud, Pierre Prétou (dir.), L’arrestation. Interpellations, prises de corps et captures depuis le Moyen Âge, Rennes : PUR, 2015, 367 p., ISBN 978-2-7535-4256-3.

Jonas Campion
p. 367

Texte intégral

1L’actualité a remis la pratique de l’arrestation au cœur des discours médiatiques, politiques et judiciaires. En effet, les attentats de Paris, les enquêtes qui les suivent mais surtout la menace terroriste omniprésente interrogent ce «  moment » du travail policier et judiciaire selon deux angles particuliers  : d’une part, celui de la multiplication des arrestations et coups de filets dans les milieux extrémistes (en l’occurrence islamistes), mobilisant souvent au sein de la police d’importants moyens humains et matériels. D’autre part, du fait de l’idéologie des terroristes, l’apparition d’une nouvelle équation, largement inédite dans le processus répressif. Il s’agit de l’impossibilité-même d’envisager des arrestations, puisque les criminels sont prêts à mourir pour leur cause, obligeant autorités, police et justice à repenser les logiques de leurs interventions. On le voit au prisme de ce retour à l’avant-plan, la notion d’arrestation constitue un objet pluriel, difficile à appréhender. Tant ses modalités pratiques que le sens qui lui est attaché sont des réalités inscrites dans le temps et l’espace. Bien qu’omniprésente dans les sources, l’imaginaire collectif, la littérature ou les arts, la «  prise de corps » n’a pourtant été que peu étudiée pour elle-même et dans ses particularités par la recherche en sciences humaines et sociales.

2Réunissant près de 16 contributions sous la direction conjointe de Frédéric Chauvaud et de Pierre Prétou, ce livre ambitionne d’être une des premières synthèses historiques consacrées exclusivement à l’arrestation. Il offre en effet un parcours nuancé pour définir à travers le temps, l’acte d’appréhender un individu pour le priver de liberté. Les perspectives adoptées pour étudier ce phénomène sont multiples. Sans être exhaustifs, les quelques exemples ci-dessous en démontrent les richesses. Les sujets abordés par les contributeurs vont de l’analyse de représentations graphiques du Moyen Âge, relatives notamment à l’arrestation du Christ (contribution d’Anne Lafran) ou à celle de Charles de Navarre par Jean Le Bon en 1356 à Rouen (contribution de Xavier Pindard)  ; à des analyses de dessins de presse de la Belle-Époque (contribution de Laurent Bihl) ou à l’observation des arrestations dans des bande-dessinées de la seconde moitié du XXe siècle (contribution de Frédéric Chauvaud). Marco Cicchini réfléchit quant à lui aux relations entre police et justice pour penser l’arrestation au tournant du XVIIIe siècle, alors que plusieurs études de cas, basées sur des faits divers, mettent en lumière petites et grandes affaires criminelles de la France des XIXe et XXe siècles (affaire Violette Nozière par Anne-Emmanuelle Demartini, ou affaire du «  vampire du Bois-du-Chêne » par Laurent Lopez).

3Cette variété de perspectives et de méthodes historiennes répond en fait à trois axes principaux de réflexions, constituant le plan de ce travail collectif et lui donnant sa cohérence  : penser et imaginer l’arrestation  ; figures puis pratiques de l’arrestation. Dit autrement, les textes envisagent d’abord la définition et la codification d’une pratique, ils en éclairent ensuite certains acteurs ou affaires «  matricielles » d’une période ou d’une dynamique, avant d’envisager le déroulement, avec ses heurts et malheurs, de l’acte d’appréhender un individu. Le caractère construit du livre vient également de la stimulante contribution introductive, et de chacune des introductions de parties qui resituent brièvement mais efficacement les grandes problématiques abordées.

4On l’aura compris, les apports au débat historique du livre coordonnée par Chauvaud et Prétou sont réels. Le volume interroge avec finesse les multiples sens et débats autour de l’arrestation, à la fois aboutissement et commencement de l’action de punir. D’une action relativement rare et parfois honteuse sous l’Ancien Régime, elle se transforme progressivement en acte certes courant, mais garantissant largement les droits et la sûreté individuelle après le Siècle des Lumières. L’arrestation est en effet progressivement largement codifiée. Avec les auteurs, on s’interroge sur les conditions de son succès. L’importance de sa médiatisation prend ici toute sa pertinence, dans le chef d’une volonté de légitimation de l’action publique. Surtout, on s’interroge sur son sens au sein de nos sociétés. Le vocabulaire utilisé en est un révélateur parfait  : arrestation, interpellation, capture ou prise de corps témoignent d’autant de nuances quant à ses fondements. À la fois acte technique – nécessitant méthodes, pratiques et objets dédiés – et acte de politique criminelle, l’arrestation se lit comme participant au monopole étatique de la violence étatique et se fait donc reflet de son processus de construction ou d’affirmation au sein de l’espace public  : le débat sur les acteurs de l’arrestation, civils, agents de la force publique ou de l’État, qui traverse les contributions est à particulièrement pertinent à cet égard. Également, comme le montre la contribution de Jean-Marie Augustin consacrée aux arrestations de Juifs, résistants et réfractaires au STO dans le département de la Vienne entre 1940 et 1944, la logique individuelle ou collective des cibles de l’arrestation permet de penser plus en avant ce processus.

5Le résultat donne un ensemble riche, pionnier à bien des égards. Sans aucun doute, s’il ne constitue pas la synthèse définitive sur l’arrestation (et ce n’était pas son intention), le livre pose les jalons pour souvent en initier, ou plus rarement en renouveler, l’étude par les historiens. Cet appel à des recherches complémentaires nous permet de souligner deux regrets mineurs face aux choix opérés.

6D’une part, celui du terminus chronologique envisagé. Mis à part la contribution déjà citée sur la bande-dessinée, aucun texte n’envisage de période plus récente que la Seconde Guerre mondiale. Or, sans aucun doute, le second vingtième siècle offre de nouveaux terrains d’observations stimulants, si l’on envisage à la fois la transformation sociale, la complexification du droit, et le processus de démocratisation qui y a cours. L’on peut s’interroger sur les continuités et ruptures autour de l’arrestation, après l’exceptionnelle crise de la Seconde Guerre mondiale, où celle-ci a connu une extension sans précédent en nombre, en populations cibles, et dans ses atteintes au droit. Dans quelle mesure et de quelle manière observe-t-on une normalisation de l’interpellation après le conflit  ? Plus récemment, face aux discours sécuritaires et à la crise de l’insécurité, quels sens peut-on donner aux pratiques et aux fondements idéologiques de l’arrestation  ? La recherche pourrait s’intéresser à des lieux inédits (comme les banlieues), des méthodes nouvelles (la spécialisation des unités de police), mais aussi des moments particuliers (comme les manifestations, par exemple) pour comprendre les logiques contemporaines de l’arrestation.

7D’autre part, il est frustrant de constater que le livre se concentre uniquement sur l’espace français, à l’exception de l’article de Marco Cicchini, qui envisage pour partie le cas genevois. L’on aurait aimé d’autres perspectives géographiques, qu’elles soient européennes (vers des sociétés marquées ou non par les conquêtes de la France révolutionnaire) ou extra-marines. A cet égard, le terrain colonial représenterait un vis-à-vis fascinant en termes de différentiations, de transferts et de circulations des pratiques et conceptions de l’arrestation.

8Ces limites, loin d’être rédhibitoires, constituent au contraire un appel à approfondir le champ. Il faut espérer, dans la continuité des études de cas rassemblées dans ce volume pionnier, voir se multiplier plus en avant ces approches riches car multiples – parfois presqu’ethnographiques – des actes et moments constitutifs du droit du punir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jonas Campion, « Frédéric Chauvaud, Pierre Prétou (dir.), L’arrestation. Interpellations, prises de corps et captures depuis le Moyen Âge, Rennes : PUR, 2015, 367 p., ISBN 978-2-7535-4256-3. »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 20, n°2 | 2016, 367.

Référence électronique

Jonas Campion, « Frédéric Chauvaud, Pierre Prétou (dir.), L’arrestation. Interpellations, prises de corps et captures depuis le Moyen Âge, Rennes : PUR, 2015, 367 p., ISBN 978-2-7535-4256-3. »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 20, n°2 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/1687 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.1687

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Jonas Campion

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