Emanuele Pagano, « Questa turba infame a comun danno unita ». Delinquenti, marginali, magistrati nel Mantovano asburgico (1750-1800), Milano, Franco Angeli, 2014, 216 p. ISBN 9 788820 484873.
Texte intégral
1Si les dommages irréparables commis par la Deuxième Guerre mondiale ont détruit les registres criminels du territoire milanais sous domination autrichienne au XVIIIe siècle, ceux de la province de Mantoue ont été préservés du séisme. Avec les édits impériaux et les avis imprimés, ils constituent le corpus de la présente monographie consacrée à la criminalité et à la répression dans l’ancien duché des Gonzague occupé par les Autrichiens dès 1707. Modelée par les réformes déployées par la maison des Habsbourg dans l’ensemble de ses provinces italiennes (Lombardie et Toscane), dès les années 1740 d’une part et par l’invasion napoléonienne d’autre part, la périodisation de la recherche s’inscrit dans un territoire mantouan encore agricole où le gouvernement étranger désire activer une politique pénale visant à mieux contrôler une population estimée à plus de 200 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle.
2Organisée en cinq chapitres et comportant un appendice de tableaux statistiques, la monographie insiste sur les pratiques pénales de la province de Mantoue marquée par les réformes de l’impératrice Marie-Thérèse – dont un des principes généraux vise à séparer l’organisation administrative de l’État de celle de ses pouvoirs juridictionnels (1749) – qui instituent en 1750 le Supremo Consiglio di giustizia. Selon Emanuele Pagano, ce nouvel organe judiciaire formé des représentants des familles patriciennes du territoire mantouan semble davantage porté à une modération pénale que son homologue milanais où la caste sénatoriale cherche à conserver ses prérogatives judiciaires : de 1750 à 1767, le Supremo Consiglio di giustizia de Mantoue prononcera 31 sentences de mort alors que pour la même période le Sénat milanais en émettra 240, soit 7,7 fois plus alors que la population milanaise ne représente que 5,5 fois celle du duché de Mantoue. La suppression des galères vénitiennes, en 1771, contribue à accélérer la construction de la première prison de Mantoue, entre 1783 et 1784, érigée sur les fondations de l’ancien hospice de San Leonardo. Conjointement aux personnes condamnées aux travaux de fortifications de la citadelle et au nettoyage des lacs, l’établissement pénitentiaire semble servir surtout de solution aux problèmes du vagabondage, terreau favorable à la constitution de bandes organisées dont les crimes perturbent l’ordre public (« Questa turba infame a comun danno unita », p. 139), comme le rappelle dans un réquisitoire (6 septembre 1791) le magistrat Catanei di Momo devant le tribunal d’appel de Mantoue. Cependant, la nouvelle prison atteint rapidement sa capacité maximale contraignant les autorités austro-lombardes à trouver une autre solution. L’ouverture de la prison militaire de Pizzighettone (Crémone) regroupera l’emprisonnement dans les provinces lombardes des Habsbourg et, dès 1785, allègera les geôles mantouanes qui ne constituent plus qu’un appendice à la prison centrale crémonèse de la Lombardie autrichienne. La désarticulation progressive des structures traditionnelles d’assistance (hospices, hôpitaux) considérées par les souverains autrichiens comme incapables d’assumer le flux croissant des personnes pauvres emblématiques d’une province frontalière (avec la République de Venise) accroît le sentiment de précarité. Cette situation préoccupante pour les autorités autrichiennes peut se lire dans les nombreux rapports qui dénoncent l’augmentation des étrangers et des vagabonds, « l’impuissance des gens d’armes peu fiables et en nombre trop infime, la perméabilité des frontières entre États ou encore les connivences ou les manœuvres d’intimidation locales » (p. 139, nous traduisons). La création du concours organisé par l’Accademia Virgiliana de Mantoue, en 1773, constitue un moment clé de la réflexion observée par les autorités austro-lombardes sur l’analyse des causes de la criminalité. Plusieurs cas rapportés illustrent dans l’avant-dernier chapitre la qualification pénale des comportements criminels. Comment sont-ils jugés dans un contexte judiciaire où l’abolition de la torture est décidée en 1776 – dont l’application effective dans les provinces italiennes est reportée en 1786 – et face à une multiplication de normes nouvelles relatives à la mendicité, au vagabondage ou encore aux déserteurs ? La première tentative de réponse est donnée en 1771 déjà par Marie-Thérèse qui édicte un renforcement du Supremo Consiglio di Giustizia et confère des pouvoirs étendus au Capitaine de justice de Mantoue. Sous l’empereur Joseph II, cette organisation est renforcée jusqu’en 1786 date à laquelle l’ancienne cité des Gonzague perd son statut de province et devient une circonscription administrative intégrée dans la Lombardie autrichienne : un Tribunal d’appel supplantera le Supremo Consiglio di giustizia et il sera désormais subordonné au seul Supremo Tribunale de Milan. Enfin, les magistrats issus jusque-là des familles patriciennes, désormais recrutés pour leurs seuls mérites et solidement formés aux réformes habsbourgeoises, assureront le fonctionnement de la nouvelle machine judiciaire du territoire mantouan. Toutefois, bien que la promulgation par Joseph II de la Norma interinale del processo criminale per la Lombardia Austriaca – code de procédure pénale édicté en 1786, basé sur le principe de la légalité des peines et qui prévoit l’abolition de la torture dans le territoire austro-lombard – comprime sensiblement l’arbitraire traditionnel du juge, le maintien de la procédure inquisitoire conserve cependant au magistrat l’initiative sur le sort de la personne accusée. Dans le dernier chapitre, Emanuele Pagano compare la pratique criminelle de Mantoue à celle de quelques territoires européens (République des Provinces-Unies, Pays-Bas autrichiens) et aux autres États italiens pour constater les similitudes répressives issues de la mise en place de la Norma interinale del processo penale. Le renforcement de la chaîne des contrôles allant du Supremo Tribunale milanese à la Cour de Justice rurale semble améliorer l’efficacité de la justice austro-lombarde qui limite le pouvoir des juges locaux ; elle est aussi orientée à protéger l’État et la propriété et à maintenir la morale chrétienne. Selon Emanuele Pagano, l’organisation de politiques pénales incluant des normes anciennes et influencées par les réformes judiciaires autrichiennes (abolition de la torture et de la peine de mort, émergence la prison et des travaux forcés), semble se traduire par un processus de criminalisation des couches les plus fragiles de la société dont la répression se durcit favorisant la formation de milieux criminogènes nouveaux à Mantoue (marchands ambulants, chanteurs, aubergistes).
3Publiée dans la belle collection Storia/Studi e ricerche des éditions Franco Angeli dirigées par Giuseppe Berta, Carlo Capra et Giorgio Chittolini, cette étude contribue à éclairer l’histoire sociale et politique des Antichi Stati italiani et propose aux chercheurs l’exploration d’un corpus inédit pour étudier les pratiques judiciaires à la fin de l’Epoque moderne.
Pour citer cet article
Référence papier
Elisabeth Salvi, « Emanuele Pagano, « Questa turba infame a comun danno unita ». Delinquenti, marginali, magistrati nel Mantovano asburgico (1750-1800), Milano, Franco Angeli, 2014, 216 p. ISBN 9 788820 484873. », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 20, n°1 | 2016, 216.
Référence électronique
Elisabeth Salvi, « Emanuele Pagano, « Questa turba infame a comun danno unita ». Delinquenti, marginali, magistrati nel Mantovano asburgico (1750-1800), Milano, Franco Angeli, 2014, 216 p. ISBN 9 788820 484873. », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 20, n°1 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/1653 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.1653
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