Chris Williams, Police Control Systems in Britain 1775-1975. From parish constable to national computer, Manchester, Manchester University Press, 2014, 242 p., ISBN 978-0-7190-8429-4.
Texte intégral
1Les perspectives adoptées par Chris Williams dans son nouveau livre sont particulièrement novatrices : inscrites dans les développements récents de l’historiographie policière, elles en dépassent largement les cadres traditionnels. Car, s’il s’intéresse bien à une histoire sociale des pratiques et fonctions de police, Chris Williams met surtout l’accent sur différentes logiques qui les encadrent. Principalement, à partir de la situation anglaise (en réalité, essentiellement basée sur le cas londonien), il concentre son propos sur la notion de « contrôle » des institutions de police. Il interroge ainsi le processus d’accompagnement, de supervision, de tutelle et de communication qui existe entre les policiers, leurs supérieurs hiérarchiques et leurs autorités tutélaires. Entre légitimité, légalité, efficacité, rentabilité de l’action policière, il interroge les objectifs multiples qui guident cette nécessité. À partir de ce questionnement fondamental puisqu’il éclaire la place des agents de l’ordre dans la vie sociale mais également l’autonomie dont ils disposent dans leurs missions, l’auteur propose un récit au croisement de l’histoire du contrôle social, de sa matérialité (notamment par le biais des moyens de communication nécessaires à la supervision hiérarchique), des logiques administratives et bureaucratiques marquées notamment par la mise par écrit des événements survenus. L’auteur s’inscrit aussi dans une réflexion sur l’histoire du savoir, en interrogeant la réalité de l’instruction, des compétences, de la formation ou du niveau social des policiers. Des multiples formes de contrôle aux logiques administratives qui les fondent, c’est à un parcours stimulant entre Foucault et Weber que le lecteur est convié. Celui-ci met en lumière les modalités que prend la « mise sous surveillance » des policiers, mais surtout les transitions qui s’y observent.
2L’intérêt de la démarche est qu’elle analyse cet objet dans la longue durée, de la fin du XVIIIe siècle au début de la révolution informatique du XXe siècle (1975). L’auteur ose ainsi s’aventurer vers des perspectives contemporaines trop souvent absentes des approches historiques. Ce faisant, ce livre représente une histoire politique et sociale du fonctionnement et de l’exercice des fonctions de l’État, mettant l’accent sur les continuités et ruptures qui le traversent. L’articulation se fait jour entre transformations de l’État, transformations des logiques administratives ou institutionnelles et dynamiques policières. On le sait, le Royaume-Uni constitue à cet égard un terrain d’études particulièrement important au plan européen, tant les autorités du pays mettent en avant à la fois les qualités et l’impact de la new police, organisée à Londres en 1829 sous l’influence de Robert Peel. Si, au sein de cette police moderne, le contrôle des effectifs en mission est, à côté d’une sélection initiale de ceux-ci, condition d’efficacité et de légitimité des fonctions exercées, Williams a le mérite d’historiciser le constat. En amont, il en démontre déjà la pertinence même lorsque les fonctions de police étaient exercées, au sein des communautés locales, par des Constables. En aval, il éclaire la transformation des logiques de l’action policière et les paradoxes qui en découlent. Alors que les personnels sont mieux formés, normalement plus à même de gérer les situations problématiques de manière indépendante, la nouvelle donne issue de moyens de contrôle et de communication « innovants » – inscrite dans le direct et l’immédiateté – tend à gommer l’autonomie des agents au profit d’une logique centralisatrice et uniformisatrice de l’action policière.
3Cette question est abordée tout au long du travail par la mise en avant de l’évolution des conditions sociales des policiers qui, de personnes vivant grâce aux amendes récoltées, deviennent des employés puis des fonctionnaires dans un processus de « prolétarisation » du cadre. Dans cette logique, l’autorité hiérarchique prend alors une place nouvelle. Par l’analyse fine de ce processus, Chris Williams offre d’intéressantes perspectives sur la notion de « profession », notamment dans ses perspectives identitaires et culturelles mais aussi quant aux évolutions d’un « corps de métier ». S’il s’intéresse aux individus, l’auteur n’hésite pas à changer d’échelles en analysant également les questions budgétaires et économiques (coûts, investissements, bénéfices) sous-jacentes aux changements survenus dans les modes d’exercice des tâches policières et de leur contrôle. Enfin, la qualité de la monographie tient également à la mobilisation de cette perspective chronologique ambitieuse pour comprendre les évolutions d’autres compétences et organes régaliens liés à la police, comme l’exercice de la Justice. La pertinence de cette approche à la fois sociale, relationnelle et fonctionnelle, considérée dans la longue durée, offre au final le cadre à des réflexions très convaincantes sur l’articulation des relations entre l’État, ses agents et les populations.
- 1 (dir.), Les Mémoires policiers (1750-1850). Écritures et pratiques policières du Siècle des Lumière (...)
4Un second point remarquable de cette étude tient à la richesse des réflexions sur le cadre matériel (compris au sens large) de la formation et de l’exercice des fonctions de police. Comme l’avaient déjà démontré des recherches sur les mémoires policiers1, Chris Williams souligne d’abord combien l’exercice d’une « bonne police » est une priorité à la fois ancienne et polysémique. Elle donne par exemple lieu à une large production écrite destinée à en définir les cadres, à en souligner les priorités et à guider les acteurs dans leurs pratiques. Avant la réforme de 1829, alors que les questions policières sont largement locales, Chris Williams montre comment ces écrits participent déjà à une forme de contrôle de l’appareil policier, même si celui-ci reste relativement lâche. Suite à l’apparition de la new police, les transformations des pratiques induisent également un renouvellement des logiques matérielles et documentaires : la bureaucratisation donne naissance à de nouveaux cycles de l’information, caractérisés par le développement d’archives nouvelles et l’apparition d’outils spécifiques, tels les registres d’activités ou les carnets individuels de correspondance.
5Plus tard encore, la révolution des télécommunications puis celle de l’informatique changent également la manière de travailler des policiers. Ces révolutions technologiques redessinent les modalités de la supervision des agents de la loi et la manière, ainsi que la temporalité des comptes à rendre. Williams illustre à suffisance comment les logiques de rationalisation du travail policier marquent également les logiques visant à enregistrer, évaluer ou rendre compte de ce dernier. Dans les années 1970, la nécessité, de coder les types d’intervention et les crimes recensés pour en dresser des statistiques, induite par l’adoption d’un système informatique centralisé est à cet égard révélatrice de l’influence du technologique et du technocratique sur la mise en œuvre de politique de sécurité.
6Le travail discute également le processus de réformes autour de la police anglaise. L’analyse de l’historien en montre d’abord les difficultés. Mais il s’intéresse également aux origines et sources d’influence de la transformation des institutions de contrôle social. Entre innovation et acculturation, c’est un processus pluriel. Dans ce cas précis, deux sources majeures sont mises en lumière par l’auteur : d’une part, au XIXe siècle, le mouvement de recrutement d’anciens militaires participe à la diffusion d’un niveau de compétences spécifiques au sein de l’appareil policier. Au fil des années, le monde militaire est également une source d’innovations en termes de technologies, ou de procédures adoptées par le monde policier. Dans la seconde moitié du vingtième siècle, ce sont à la fois les enjeux de la privatisation relative de tâches de sécurité et des dynamiques internationales nouvelles – quant aux enjeux et réponses sécuritaires offertes par ces nouveaux acteurs économiques – qui jouent un rôle majeur dans l’évolution du fonctionnement et du contrôle de l’action policière.
- 2 Vincent Milliot, Dans le prolongement de Yves Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationa (...)
7Enfin, le troisième point fort que nous soulignons se rapporte à l’étude des interactions qui se tissent autour des policiers. L’historiographie avait déjà longuement analysé les relations entre policiers et administrés. Chris Williams complexifie le schéma en sortant de l’ombre des acteurs méconnus. Outre les relations tissées avec le supérieur direct, en charge de la supervision immédiate du policier, interrogeant de facto la définition de la notion d’autorité2, il éclaire aussi des relations plus collectives et moins individualisées. Avec l’instauration de salles de contrôle centralisées, c’est un contrôle particulier car à la fois immédiat, à distance et collectif qui se met en place entre policiers de terrain et le back-office. Il en est de même avec l’apparition de personnels civils en charge de la mise en œuvre de certaines technologies. Avec l’apparition d’entreprises privées intervenant dans le processus de prise de décisions quant à l’action policière, ce sont des cadres nouveaux qui se mettent en place, accentuant le brouillage des frontières quant aux limites de l’action de l’État.
8Sans aucun doute, cette publication offre des perspectives novatrices pour l’étude des réalités policières. Tant en termes de d’objets d’études, de croisement de perspectives historiographiques (histoire des polices, histoire du savoir, histoire des administrations, histoire des technologies), que de choix méthodologiques posés (cadre chronologique, sources mobilisées), elle constitue une voie stimulante pour tout chercheur s’intéressant aux évolutions du fonctionnement de l’État et de ses organes, et à la compréhension des logiques sous-jacentes à celui-ci. La problématique de l’auteur est à cet égard fondamentale pour comprendre ce qu’est la police, ce que fait la police, mais surtout, comment elle peut, sait et doit le faire. Son intérêt est de porter un regard critique et ancré dans le temps d’une question restant actuellement au cœur de la logique de travail des policiers. L’analyse de la situation anglaise, à la fois emblématique et spécifique à bien des égards, doit être une invitation à des réflexions plus larges sur la question du « contrôle policier » et les objectifs qui le fondent. Comment, dans d’autres modèles de société – qu’ils soient démocratiques ou non – d’une part, et d’autres systèmes policiers d’autre part, se met en œuvre l’articulation entre autonomie des agents de l’ordre et supervision de ceux-ci par leurs hiérarchies internes et externes ? Le chantier est ouvert, espérons que d’autres auteurs s’y joindront rapidement.
Notes
1 (dir.), Les Mémoires policiers (1750-1850). Écritures et pratiques policières du Siècle des Lumières au Second Empire, Rennes, PUR, 2006, 411 p.
2 Vincent Milliot, Dans le prolongement de Yves Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013, 871 p.
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Référence papier
Jonas Campion, « Chris Williams, Police Control Systems in Britain 1775-1975. From parish constable to national computer, Manchester, Manchester University Press, 2014, 242 p., ISBN 978-0-7190-8429-4. », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 20, n°1 | 2016, 242.
Référence électronique
Jonas Campion, « Chris Williams, Police Control Systems in Britain 1775-1975. From parish constable to national computer, Manchester, Manchester University Press, 2014, 242 p., ISBN 978-0-7190-8429-4. », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 20, n°1 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/1648 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.1648
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