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Police et Ordre public en France et en Angleterre (1750-1850). Les perspectives de l'historiographie contemporaine

Police et ordre public dans les rues du Paris révolutionnaire : les sections des Arcis et du Louvre en 1791

Vincent Denis

Résumés

Cet article revient sur le fonctionnement de la police de Paris en 1791, une période relativement mal connue. Il a pour observatoire le travail des commissaires de police dans deux sections du centre de la capitale, les sections du Louvre et des Arcis. L’article examine le nouveau cadre institutionnel, politique et social dans lesquels évoluent désormais les commissaires de police des sections, alors que les institutions policières de la monarchie d’ancien régime ont enfin disparu. La présentation des différents acteurs qui contribuent au maintien de l’ordre à leurs côtés montre un rapprochement effectif entre la police et la communauté locale, plus étroitement associée à leur activité. Cependant, les contestations de l’autorité des commissaires sont constantes, et ceux-ci doivent sans cesse réaffirmer leurs prérogatives, dans une situation qui reste instable. Les nouveaux commissaires ont perdu le prestige et les pouvoirs des commissaires au Châtelet d’avant 1789 mais ils savent utiliser leurs pouvoirs limités. La crise politique du printemps et de l’été 1791 révèle la fracture au sein du maintien de l’ordre, entre les commissaires et la Garde nationale. À l’interprétation politique de cette fracture, on peut ajouter une interprétation en termes de structures policières, celle d’un écart entre le « community policing » des commissaires et la transformation de la Garde nationale en force militaire centralisée.

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Texte intégral

  • 1 Rousseau et al. (2005) ; Allen (2005) ; Berger (2010.)
  • 2 Cobb (1970) ; Emsley (1983) ; Monnier (1985) ; Clifford (1990) ; Andress (1996) ; Andress (2000) ; (...)
  • 3 Sur les implications idéologiques de la police, on renvoie à Kaplan (1976), chapitre ?I, et du même (...)
  • 4 Sur la professionnalisation précoce de la police parisienne, voir Berlière et al., (2008) ; Milliot (...)

1Si la justice issue de la Révolution française a suscité depuis le Bicentenaire la curiosité des historiens, la police reste bien moins explorée1. Sans doute l’attention portée au militantisme et aux mouvements populaires, le caractère parfois insaisissable d’un objet devenu coextensif au gouvernement révolutionnaire, l’affolante succession des réformes, la légende noire comme les excès de la Terreur expliquent une focalisation ancienne sur la police politique et la prédominance d’une approche institutionnelle. La police de la capitale en particulier, en dépit de son caractère central dans l’historiographie de la Révolution, jusqu’à une époque récente, et malgré des études pionnières, reste bien moins exploitée que celle des lieutenants généraux de la monarchie ou des préfets de police du dix-neuvième siècle2. Le développement de l’histoire des polices sous l’Ancien Régime permet d’aborder sous un autre angle que celui de l’histoire politique de la Révolution française les structures policières de la capitale. Définie parfois comme une « science du bonheur » ou encore « l’art de faire du bien aux hommes » par ses théoriciens, la police était un art de gouverner, destiné à maintenir un ordre hiérarchique strict dans une société holiste et corporative, fondée sur l’inégalité de statut et le privilège3. La destruction, en 1789, de l’ordre politique et social qu’elle soutenait crée un gouffre que doivent alors combler les législateurs révolutionnaires. À l’enjeu de la construction d’un ordre nouveau, s’ajoutent l’instabilité même et la récurrence des crises politiques qui viennent mettre à l’épreuve ou reconfigurer des structures policières à peine nées. Paris est de ce point de vue un observatoire privilégié. En juin 1790, la Constituante met fin au régime provisoire d’administration de Paris issu des journées de 1789 en établissant 48 sections, rétablissant pour chacune un commissaire de police unique. L’analyse de l’année 1791 permet d’observer le fonctionnement de ce nouvel agent, puis sa mise à l’épreuve dans le contexte de la reprise des troubles politiques et sociaux au printemps et à l’été 1791, culminant avec la crise de juin-juillet, déclenchée par la tentative de fuite de la famille royale puis relancée par la fusillade du Champ de Mars le 17 juillet. Les bouleversements politiques de 1789 et 1790 introduisent des ruptures apparemment fortes dans l’ordre policier issu de l’Ancien Régime, substituant au régime d’une police professionnalisée et sous le contrôle étroit et exclusif du gouvernement royal, celui d’une police municipale dont les commissaires sont élus par les citoyens des sections et choisis parmi eux4. À quels hommes les Parisiens ont-ils confié la tâche de maintenir l’ordre dans leurs sections ? Comment ces derniers utilisent leurs pouvoirs ? Comment les rapports entre police et population ont-ils évolué ? Enfin, comment les commissaires traversent-ils la crise politique de 1791 ? Voici quelques-unes des questions auxquelles on voudrait répondre ici, à partir d’une étude encore partielle des commissaires de police de la capitale, en prenant pour observatoire deux sections du centre de Paris, celle des Arcis et du Louvre.

Une nouvelle police pour les sections

  • 5 Napoli (2003).
  • 6 Mellié (1987) ; Genty (1987).
  • 7 Décret du 21 ?mai 1790, Archives parlementaires de ?1787 à ?1860, première série, tome ?XV, p 619-6 (...)

2Un des objectifs de l’Assemblée est de construire une police proche des communautés locales et de confier les pouvoirs de police aux nouvelles municipalités. Ainsi, la police de Paris est-elle dévolue à la Mairie et à son Département de Police. Certaines fonctions de la police d’avant 1789 sont également confiées à d’autres départements municipaux, comme celui des Travaux Publics et celui des Subsistances et de l’Approvisionnement. À cet égard, même si l’administration révolutionnaire reprend à son compte l’ensemble (ou presque) des tâches de la police de l’Ancien Régime, la définition de la police paraît se contracter, en se resserrant sur l’ordre public. Cependant, cette évolution est seulement temporaire, car on voit le champ d’intervention de la police se dilater à partir de 1792 et plus encore de 1793, au point peut-être d’englober toute l’administration locale5. Du lendemain des événements de juillet 1789 à l’été 1790, la police quotidienne était exercée par des comités locaux de citoyens élus dans les 60 districts, sous la responsabilité de l’Hôtel de Ville. La nouvelle organisation municipale établie pour la capitale en 1790 crée un nouveau cadre permanent pour la police : un commissaire de police unique est rétabli dans chacune des 48 sections, les nouvelles divisions administratives et politiques locales qui remplacent les districts6. Le poste de commissaire de police est l’une des charges nouvelles créées le 21 mai 1790 par l’Assemblée pour l’administration de la capitale. Ainsi, à Paris, les citoyens actifs élisent le commissaire de police de leur section7.

  • 8 Sur les juges de paix, voir Métairie (1998), et Andrews (1971).
  • 9 Seligmann (1913).
  • 10 Andrews (1971).

3Celui-ci est secondé par un secrétaire-greffier, également élu et théoriquement partagé avec les douze commissaires civils : il a pour tâche est de s’assurer que les documents sont établis dans une forme légale. Le commissaire reçoit les plaintes et peut signaler les crimes et délits. À la différence du juge de paix, qui règle les différends entre citoyens de la section, l’essentiel de son travail consiste à s’occuper des fauteurs de troubles, puisqu’il a le pouvoir d’arrêter en flagrant délit, mais surtout de déterminer si un individu arrêté doit être envoyé en prison, avant de comparaître devant un juge8. Toutefois, les pouvoirs du commissaire de police dépendent de la qualité de l’individu arrêté. Si ce dernier a un domicile dans la ville, a fortiori dans la section, le commissaire doit obtenir l’accord du comité civil pour l’emprisonner. Une autre limitation introduite en 1789, puis mise en sommeil à partir d’octobre 1790, est la présence d’un ou deux notables adjoints, destinés à être témoins des perquisitions ou des interrogatoires criminels effectués par le commissaire9. Toutes ces dispositions visent à encadrer et à empêcher tout abus de pouvoir de la part des commissaires, un arbitraire souvent associé auparavant à leurs prédécesseurs, les commissaires au Châtelet. Par la suite, après la crise de l’été 1791, les commissaires de police perdent une partie de leurs pouvoirs de police, au profit des juges de paix. Ces derniers décident de l’envoi ou non d’un commissaire, ce qui en fait les maîtres du travail de la police de janvier 1792 jusqu’au 10 août 1792. Malgré cette perte d’autonomie, les commissaires reçoivent aussi le droit d’autoriser le recours à la force contre un attroupement10.

  • 11 Voir Garrioch (1996), « ?The Revolution in local politics ?» ; ainsi, dans la section de la rue de (...)
  • 12 Sur la professionnalisation des policiers dès l’Ancien Régime, voir Berlière et al. (2008). Les tra (...)
  • 13 Sur la transformation du statut du commissaire, voir Saint-Germain (1964) ; Kaplan (1981) ; Milliot (...)
  • 14 Cf. Andrews (1971).
  • 15 Voir sur les premières années de la Révolution : Shapiro (1993) ; David Andress (2000).

4Avant août 1792, seulement une fraction des citoyens sont autorisés à participer aux élections des commissaires, et une partie seulement se déplace effectivement pour voter – en général entre une centaine et deux cents électeurs, selon la taille des sections, d’après les sources existantes11. Le principe de l’élection introduit une rupture dans la tradition de police professionnelle à Paris, qui s’était développée depuis la création de la charge de lieutenant de police en 166712. Le commissaire issu de la Révolution n’est plus l’officier d’Ancien Régime, propriétaire d’une charge vénale13. Titulaire d’une fonction élective, le commissaire de police est considéré comme un agent administratif, séparé des fonctions politiques de la section. Mais cette distinction est avant tout théorique, et peut-être anachronique, car les acteurs ne semblent pas la faire. Le commissaire est de fait très largement lié au comité civil. Il doit faire rapport à ses membres, en principe chaque jour, et peut être assisté voire remplacé par des commissaires civils en cas d’empêchement. Dans cette collaboration obligée, il y a un risque potentiel de conflit ou de blocage si le comité et le commissaire sont en désaccord. La fonction s’est également politisée, à l’instar de ce qu’on observe alors pour les juges de paix14. Les questions d’ordre public sont devenues depuis l’été 1789 des problèmes politiques, puisque les individus et les groupes politiques variés divergent sans cesse sur la définition du « bon » ordre public et de la légitimité de l’action des divers acteurs du maintien de l’ordre, sans compter celle des acteurs populaires15. Le phénomène est particulièrement patent pendant l’été 1791, à la suite de la tentative de fuite du Roi.

  • 16 Dans les sections du Temple, des Gravilliers et du Faubourg Saint-Denis, le comité, la caserne et l (...)
  • 17 Sur les locaux des sections, voir Mellié (1898).
  • 18 Sigismond Lacroix, Actes, 2e série, II, p 181, 20 ?janvier 1791.
  • 19 Voir sur ces points Emsley (1987) ; Kalifa & Karila-Cohen (2008).

5L’élection des commissaires n’a pas bouleversé une pratique de l’Ancien Régime, celle de l’exercice du métier au domicile. Comme la majorité des commissaires au Châtelet à la veille de la Révolution, les commissaires de police reçoivent chez eux. Cependant, dans 9 sections, le commissaire de police dispose d’une pièce dans le local du comité ou dans la caserne du bataillon de la Garde nationale16. En dehors de ces rares cas de local « public » - une modeste pièce dans un bâtiment - il ne paraît pas y avoir encore de bureau occupé tour-à-tour par les commissaires de police. Les difficultés financières des sections, qui peinent elles-mêmes à disposer de locaux adéquats, expliquent le maintien de l’activité à domicile, d’autant que la rémunération du commissaire (3 000 livres annuelles) lui permet de se loger décemment17. Généralement variable à chaque changement du titulaire du poste, la localisation du commissaire de police reste donc incertaine et somme toute précaire. Cette incertitude n’est pas sans rapport avec les difficultés que rencontrent parfois les Parisiens pour trouver un commissaire de police dans les quartiers qu’ils ne connaissent pas, malgré des efforts pour les rendre plus visibles, comme la permission d’installer les réverbères qui désignaient les hôtels des commissaires au Châtelet, autorisées par la municipalité en janvier 179118. La Révolution inaugure plusieurs décades d’instabilité des adresses des commissaires19.

  • 20 Cf. Garrioch (1996).
  • 21 Il s’agit des commissaires Prestat, Boin, Beauvallet, Lucotte, Simoneau, Gueulette et Lebas. Il fau (...)

6Autre rupture avec la tradition connue de l’Ancien Régime, l’élection ouvre la fonction à tout citoyen légalement éligible, sans compétence technique particulière. Celle-ci a deux conséquences majeures : tout d’abord ouvrir en quelque sorte le « jeu » des places, en faisant sauter l’obstacle de la vénalité et de la qualification, ensuite créer une relation nouvelle entre le commissaire et les citoyens de la section, dont il est issu et devant lesquels il est responsable. Bien que le poste de juge de paix soit plus prestigieux, la charge de commissaire se révèle particulièrement prisée par les membres des professions juridiques des sections. Malgré l’absence de qualification exigée, sur 32 commissaires dont les fonctions antérieures ont pu être identifiées, 22 appartenaient aux métiers du droit. Pour beaucoup de ces hommes, qui ont alors perdu leur place dans la réforme judiciaire radicale entamée par l’Assemblée, cette fonction a pu servir de refuge, voire être un moyen de poursuivre leur carrière, ou d’être la première étape pour accéder à des fonctions électives plus importantes, comme juge ou administrateur. Le nouveau jeu politique électoral favorise également ces juristes, maîtres de la plume et souvent du verbe, connus dans leur voisinage et pourvus – pour les procureurs, les huissiers et les notaires en particulier – d’une clientèle au sein de l’élite locale, celle justement qui participait aux élections20. Ce facteur joue aussi en faveur des marchands en gros qui approvisionnent les détaillants plus modestes et qui figurent parmi les élus. Les autres professions sont notoirement absentes ou sous-représentées, en particulier les milieux de l’artisanat. Cette ouverture relative du recrutement n’a donc pas gommé les continuités avec l’Ancien Régime dans l’encadrement policier. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de compter 6 anciens commissaires au Châtelet parmi les nouveaux élus à l’automne 179021.

  • 22 Pour une introduction détaillée du quartier du Louvre à la fin de l’Ancien Régime, voir Berlière (2 (...)
  • 23 Notons que la police recrutait des informateurs parmi les tenanciers de loterie, ce qui peut laisse (...)

7Ce sentiment de forte continuité est sensible dans la section du Louvre, dont les citoyens ont choisi comme commissaire Gabriel Lucotte de Champenont, âgé de 40 ans en 1790, qui exerçait sa charge de commissaire au Châtelet depuis quelques années au même endroit. La section du Louvre se distingue par ses boutiques et ses artisans nombreux, ainsi que la proximité d’institutions comme le Châtelet et le Parlement, sur l’île de la Cité, qui a déterminé de nombreux membres des professions judiciaires à s’y installer22. La section voisine des Arcis, plus « populaire », se distingue par un recrutement un peu différent. Elle présente une physionomie particulière, pleine de garnis plutôt pauvres, qui s’entassent dans les étages supérieurs de maisons qui abritent de très nombreux cabarets et marchands de vin, dans un des secteurs les plus densément peuplés de la capitale. Elle abrite également des activités de boucherie, autour de la vieille place aux veaux, dont les déchets n’ajoutent pas à l’agrément du quartier, qui est un des principaux théâtres de la prostitution de rue parisienne de surcroît. L’élection des commissaires est à l’image du contraste qui existe entre les deux sections. Dans celle du Louvre, Gabriel Lucotte a fait partie du comité du district alors même qu’il était encore commissaire du Châtelet, dès 1789, puis récompensé par son élection au poste de commissaire de police à l’automne 1790. Il a pourtant démissionné moins d’un an plus tard, à la fin du mois de juin 1791, sans explication officielle. Le contexte politique particulièrement agité a pu le dissuader de rester en poste. Il est immédiatement remplacé par un homme au profil proche, Nicolas Chépy, ancien avocat au Parlement et membre distingué des professions judiciaires. À l’inverse, dans la section des Arcis, les habitants se tournent vers un homme au profil plus modeste, Eustache Deneux. À la tête d’un « bureau de loterie », sans formation juridique, il est peut-être jugé plus approprié pour s’occuper de la population plus turbulente d’une section où par ailleurs les professions judiciaires semblent peu représentées23. Tels sont les hommes que les citoyens des deux sections ont choisis pour maintenir le « bon ordre ».

La toile de la police

  • 24 On suit ici des travaux récents sur les polices urbaines qui insistent sur la construction permanen (...)

8Les relations entre les commissaires et les populations sont fluides et jamais figées définitivement. L’ordre que les commissaires de police tentent d’établir est le résultat d’un processus permanent et, de fait, il est toujours temporaire et précaire24. Pour comprendre la construction de cet ordre, il nous faut replacer les policiers dans leur situation ordinaire et déterminer dans quel cadre ils travaillaient.

  • 25 Au XVIIIe ?siècle, la présence des commissaires du Châtelet dans les rues de leur quartier est un m (...)
  • 26 Pour Deneux, en 1791, seulement 48 « ?transports ?», sur plus de 466 actes conservés.

9En premier lieu, dans les premières années de la Révolution, le commissaire de police est une figure statique, un homme de cabinet, bien davantage que l’ancien commissaire du Châtelet, familier des rues de son quartier25. En temps ordinaire, il quitte rarement son bureau26. Les affaires qui motivent ses « transports » sont essentiellement des accidents de la circulation, des morts violentes ainsi que des vols avec effraction. La plupart du temps, le commissaire est un personnage chez qui on se rend, ou chez lequel on est conduit. Dans la section des Arcis, l’activité du commissaire se partage à parts égales entre les visites volontaires de ceux qui désirent déposer une plainte ou une déclaration, et les cas d’individus remis par la Garde Nationale. Dans ce dernier cas, le plus souvent, l’individu arrêté est aussi accompagné par les particuliers qui ont requis son arrestation par la Garde. Ainsi le commissaire reçoit-il un grand nombre de visites de particuliers, bien que les hommes de la Garde soient collectivement ses plus fréquents visiteurs.

  • 27 Chiffres tirés de l’Almanach de la Garde Nationale parisienne pour 1791, Paris, 1790 ; AN, AD VI 51 (...)

10En effet, les miliciens et les soldats qui composent cette force sont un filtre important pour les « affaires » rapportées au commissaire. Ce sont en effet eux à qui revient la charge de policer et de surveiller les rues. Ils sont les yeux des autorités dans tous les espaces publics de la ville. Avec plus de 30 000 hommes au début de l’année 1791, 59 casernes et 117 postes de garde (sans compter ceux de la cavalerie), la Garde nationale exerce un quadrillage de l’espace urbain bien plus serré que celui des unités militaires qui gardaient Paris avant la Révolution27. La troupe ne comprend pas que des citoyens astreints au service – en principe depuis le décret du 12 mai 1790, l’inscription est obligatoire pour les seuls citoyens actifs – mais aussi les 10 000 hommes de la Garde nationale parisienne soldée, des professionnels issus de diverses unités militaires, distribués dans chaque bataillon dans la compagnie dite du centre. Cette force a cependant changé depuis 1789, tendant à s’éloigner de l’idéal d’une milice citoyenne. En 1789-1790, l’organisation de la Garde était calquée sur celle des structures du pouvoir local, chaque district ayant sa propre administration et son bataillon, placé toutefois sous l’autorité de l’état-major. Malgré le remplacement des districts par les sections à l’automne 1790, on conserve une organisation de la Garde en 60 bataillons – correspondant aux anciens districts – et donc découplés à dessein des nouvelles cellules de base de l’administration civile de la capitale. La Garde nationale voit donc se brouiller le lien avec la communauté politique locale, en étant soumise à un commandement plus centralisé. Ces changements en cours ne sont pas sans importance dans l’évolution de ses rapports avec les Parisiens.

  • 28 Sur cet aspect, pour les sergents de ville et les gardiens de la paix, voir Deluermoz (2012).

11La majorité de ses interventions ont lieu à partir des postes fixes où les gardes sont stationnés ainsi que lors des patrouilles diurnes ou nocturnes. Des gardes en uniforme, simples passants ou spectateurs, sans être en service, mais se sentant investis d’une dignité particulière conférée par leur uniforme, se saisissent parfois de particuliers pour les conduire chez le commissaire. Leur uniforme crée une certaine ambiguïté, car ils semblent alors investis d’une forme d’autorité, sans être en fonction28. Leur présence suscite aussi des phénomènes contradictoires en poussant des particuliers à les appeler à l’aide ou au contraire en suscitant des manifestations d’hostilité. Malgré la rotation des unités de service dans Paris, la Garde nationale a une dimension locale encore forte : dans la section des Arcis, près de la moitié (119 sur 279) des interventions recensées est ainsi le fait du seul bataillon de Saint-Jean-en-Grève, où servent les volontaires de la section. Mais la majorité des arrestations sont dorénavant le fait d’autres bataillons qui viennent à tour de rôle maintenir l’ordre dans un quartier dont ils ne sont pas les habitants.

  • 29 Entre le 10 et le 17 ?mai 1791, une aubergiste nommée Duval et une repasseuse, Danjou, parviennent (...)

12Omniprésents dans les rues du centre de la capitale, les gardes nationaux sont de loin les premiers pourvoyeurs de « clients » pour les commissaires des sections du Louvre et des Arcis. La Garde nationale a un rôle proactif et choisit les affaires qu’elle apporte aux commissaires, mais son activité est relativement limitée dans la journée. En effet, souvent, l’arrestation est faite à la demande de particuliers ou même parfois effectuée par eux. Dans beaucoup de cas, les victimes de vol arrêtent des malfaiteurs en flagrant délit, voire même après avoir mené leurs propres recherches, mus par l’espoir de retrouver les biens dérobés29.

  • 30 Voir Benabou (1987) ; Kushner (2014) ; Plumauzille (2013).
  • 31 Sur les « ?nuits ?» révolutionnaires, voir Bourdin (2013) ; sur la police nocturne pour la période (...)

13L’activité de la Garde est très différente la nuit tombée, quand ses hommes patrouillent et surveillent les activités illégales ou suspectes. Les comportements anormaux pendant la nuit (ou jugés comme tels par les gardes) incluent le port des paquets encombrants, le stationnement devant une porte d’immeuble (en particulier après 11 heures du soir) ou le fait de dormir dans la rue. Pour les femmes, il est mal vu d’être seule dans la rue ou à l’inverse de converser avec des hommes, ce qui signale immanquablement la « raccrocheuse »30. Tous ces comportements sont considérés comme « suspects », comme des ruptures dans la vie nocturne normale de la rue31.

  • 32 Pour une présentation des inspecteurs de police et de leurs tâches, voir Williams (1979) ; Piasenza (...)
  • 33 Un nommé Guyot, dans la section du Roi de Sicile dans le Marais, et dans la section du Louvre,Mallo (...)
  • 34 APP, AA 192, Louvre, 23 ?février 1791, Leclerc, 12 ?mars 1791, S. ?Girard, 17 ?avril 1791, Lagoutte (...)
  • 35 APP, AA 56, Arcis, 20 ?décembre 1791, Détention de 22 particuliers comme sans aveu et suspects ; 21 (...)
  • 36 APP, AA 56, Arcis, 22 ?décembre 1791, Détention de 10 particuliers comme suspects et dépôt de 3 dén (...)
  • 37 APP, AA 192, Louvre, 20 ?janvier 1791, Le Villain.

14Les commissaires de police peuvent également s’appuyer sur différents auxiliaires, qui ont pour responsabilité de signaler les activités ou les individus suspects à la police. Après juillet 1789, les inspecteurs de police disséminés jusque-là dans la population de Paris, avec leurs réseaux de mouches et leurs hommes de main appointés, ont disparu brutalement, probablement trop associés aux aspects les plus sombres de la police de Paris32. En leur absence, et jusqu’à la création d’officiers de paix chargés de la police de sûreté en septembre 1791, les commissaires de police ont parfois recours à divers individus qu’ils salarient pour les aider à faire la chasse aux délinquants33. Ce sont avant tout de petits voleurs, officiellement investis et salariés et parfois logés par la section (comme Mallot qui loge à la Samaritaine, au siège du comité) pour retrouver des individus recherchés et recueillir des informations sur les milieux criminels. La police renoue avec une pratique bien établie par les lieutenants généraux de police dès le XVIIIe siècle en recourant à des criminels pour infiltrer les bas-fonds. Dans la section du Louvre, Alexis Doublet se révèle un chasseur de voleurs efficace, travaillant de concert avec sa femme, dénonçant, identifiant ou arrêtant plusieurs délinquants pendant l’année 179134. D’autres collaborateurs de la police plus irréguliers apparaissent ici et là, comme ces trois jeunes garçons qui aident le commissaire de la section du Louvre à mettre sous les verrous pas moins de trente personnes en deux jours en décembre 179135. Une telle collaboration n’est pas sans risque pour ses auteurs. Les enfants doivent être enfermés dans une autre prison, la police craignant pour leur sécurité36. Quant à la femme de Doublet, elle se plaint d’un voleur qui l’a menacée « de lui couper le cou si elle était là pour les vendre »37.

  • 38 Le commissaire au Châtelet Chénon encourageait les revendeuses du marché à la brocante près du Louv (...)
  • 39 APP, AA 56, Arcis, 1er ?mai 1791, déclaration de deux couverts.

15Il n’est pas douteux que certains commerçants aident activement le commissaire de manière habituelle, en signalant les transactions suspectes. Une telle collaboration existait dans ce quartier précisément avant la Révolution38. Orfèvres et revendeurs d’occasion signalent toujours avec diligence les transactions ou les offres suspectes, participant parfois à la préparation de pièges pour attraper ceux qui tentent de leur proposer des biens volés. Les revendeurs d’occasion, qui ont toujours leur marché sur le quai de la ferraille et le Pont-Neuf, sont sous la surveillance d’un officier de la Garde Nationale, spécialement désigné par le commissaire de police de la section des Arcis39. Sa tâche consiste à distribuer les revendeurs sur le marché ainsi qu’à maintenir le « bon ordre ». Mais il peut évidemment exercer une forme de pression sur les marchands pour obtenir des informations, en menaçant de les exclure du marché.

  • 40 Jean André, « ?chargé par M. Perron de l’inspection du quartier du Palais Royal demeurant aux Jacob (...)
  • 41 Sur la défiance traditionnelle des Parisiens envers les « ?mouchards ?», voir Piasenza (1990) ; Far (...)

16Enfin, le Département de Police a ses propres agents secrets, « ?en bourgeois ?», qui travaillent directement pour un des administrateurs de l’Hôtel de Ville, Perron. Mais ils apparaissent rarement dans les archives des commissaires, sauf sous l’aspect de fauteurs de troubles. Impliqués dans des incidents, ils utilisent leur qualité de « préposé à la police » pour se faire libérer40. Incarnant la résurgence des pratiques les plus contestées de la police d’avant 1789, ils paraissent aussi détestés et méprisés que les mouches de l’Ancien Régime par les Parisiens comme par les commissaires41.

17Les juges de paix n’apparaissent presque pas dans les procès-verbaux des commissaires, bien que présents également dans chaque section. Tout au plus voit-on le commissaire ouvrir des portes sur une lettre du juge de paix que présente le propriétaire ou le principal locataire. Quelques citoyens viennent également après l’échec d’une tentative de conciliation, pour se plaindre de ce que la partie adverse a recommencé ses mauvais agissements. Dans un autre cas, c’est le juge qui a renvoyé un propriétaire porter plainte contre une locataire qui refuse de vider les lieux, malgré un congé donné depuis trois mois, et qui ne répond pas à ses convocations. L’absence des juges de paix dans les procès-verbaux de police paraît témoigner de l’existence de deux sphères d’activité bien distinctes, l’une tournée vers la médiation, l’autre vers la répression.

18De tout cela, il ressort que la communauté locale s’est donné les moyens d’assurer elle-même le travail de la police, à travers la Garde nationale, l’élection des commissaires et leur contrôle par les comités de section, qui prolongent des formes plus traditionnelles de collaboration des citoyens avec la police. Le commissaire a lui-même des pouvoirs somme toute limités et doit compter avec la Garde nationale comme avec le comité civil.

L’art de policer

19Pourtant, l’art d’être commissaire de police consiste à manipuler ces pouvoirs limités et à choisir une ligne de conduite appropriée pour résoudre un problème. La valeur la plus révérée est la prudence, dont le nom revient avec insistance dans les correspondances du Département de Police et la justification de leurs décisions par les commissaires eux-mêmes. La prudence n’est pas synonyme de pusillanimité ou de soin excessif, mais de la capacité à exercer une action réfléchie, calculée et raisonnable, adaptée et proportionnée aux circonstances. Les commissaires les plus habiles sont capables d’utiliser toute la variété des instruments à leur disposition, dans une subtile gradation.

20La prise de décision se fait après la comparution devant le commissaire. Les particuliers peuvent déposer leur plainte ou faire une déclaration, que le secrétaire-greffier met par écrit, ou parfois un commis anonyme. Le commissaire est censé être présent en personne et écouter, mais il est clair que de nombreuses déclarations sont faites devant le secrétaire-greffier seul, sans la signature du commissaire. Il faut sans doute un certain temps pour remettre en ordre les propos confus de personnes qui ont été volées, victimes d’escrocs, insultées ou qui viennent se plaindre contre leurs voisins ou leurs proches, ou encore impliquées dans une dispute dans un cabaret. Lorsqu’un individu est envoyé devant le commissaire, celui-ci écoute d’abord ceux qui l’ont arrêté, puis les témoins, et enfin la personne arrêtée, en dernier. Si celle-ci est un citoyen « ?domicilié ?», il envoie chercher le commissaire civil de service, qui écoute à nouveau les différents témoins et l’individu appréhendé. Alors seulement intervient une décision finale, apparemment après que le commissaire de police ait conféré avec le commissaire civil. En cas de désaccord, et bien que la décision effective soit celle du commissaire civil, le commissaire de police fait figurer son propre avis sur le procès-verbal.

21L’interaction durant l’audition est souvent cruciale dans le processus qui conduit au résultat final. Dans le cas de délits majeurs, lorsque des voleurs sont pris sur le fait, les procédures sont relativement simples et le suspect envoyé en prison. L’aveu scelle également le sort du voleur. L’absence de preuves solides (pas de témoin sauf le plaignant, pas d’objet volé retrouvé sur le voleur présumé) n’empêche pas le commissaire d’emprisonner l’accusé la plupart du temps, comme « véhémentement suspect ». Le magistrat est rarement satisfait des réponses qu’il reçoit dans ses interrogatoires. Ici, des facteurs comme le statut social, l’âge, l’apparence et le domicile sont probablement cruciaux dans sa décision et dans ce qui constitue un suspect à ses yeux.

22Au sein de la « clientèle » des prévenus – 259 individus pour la section des Arcis – dominent les jeunes gens, âgés de 19 à 20 ans, le plus souvent étrangers à Paris (97 contre 35 natifs de la capitale, lorsque le lieu de naissance est connu). Les activités déclarées soulignent le poids des secteurs touchés par la crise économique – l’habillement et le cuir, les métiers du luxe et de la décoration, la construction – et les petits métiers et occupations ciblés par la police parce qu’ils occupent la rue : commerçants ambulants, transporteurs et rouliers, gagne-deniers mais aussi prostituées.

  • 42 APP AA 56, 12 ?avril 1791.

23Pour les contraventions mineures et les désordres, le commissaire jouit d’une bien plus grande latitude, car les troubles à l’ordre public sont réellement son domaine. Les incidents qui impliquent des violences entre personnes sont plus complexes parce que la police doit distinguer l’agresseur et la victime, une opération loin d’être simple. La situation est parfois évidente, dans de rares cas d’agression soudaine, délibérée et inégale (les « voies de fait »). Mais la plupart des cas sont constitués par des bagarres et des querelles violentes entre des adversaires qui échangent des coups et sont fréquemment ivres. Ces rixes impliquent parfois plus de deux adversaires, en particulier lorsqu’elles ont pour théâtre les cabarets, où plusieurs parties peuvent avoir une dispute, et des clients peuvent prendre parti à leur tour pour s’y joindre. La tâche du commissaire est de démêler patiemment des histoires complexes d’honneur, de virilité et de fierté – surtout lorsque des femmes sont impliquées – alors que les parties rechignent à formuler à voix haute les véritables raisons de la querelle. L’art du commissaire consiste à déterminer les responsabilités individuelles et à décider de sanctions appropriées42.

24Le commissaire Eustache Deneux, de la section des Arcis, se révèle très inventif tout en restant dans les limites étroites de ses pouvoirs, en étant capable d’utiliser une grande variété de sanctions subtilement différentes et de les ajuster selon les histoires et le statut de ses « clients ». Ainsi Deneux fait-il un usage raisonné de l’incarcération à la prison de l’hôtel de la Force. Les suspects y sont interrogés par un administrateur de la Police, qui décide de les relâcher immédiatement ou après quelques jours, ou encore de les garder en détention avant de les déférer devant l’accusateur public. Être envoyé là est synonyme d’ennuis et de honte, et il s’agit de la décision la plus sévère que le commissaire puisse prendre. Deneux la réserve aux cas qu’il considère comme les plus graves : les voleurs, ceux qui sont coupables d’agressions physiques et qu’il estime « dangereux » pour les autres, les fauteurs de troubles qui sont souvent des étrangers à la section, les prostituées et les individus qui insultent la Garde nationale ou, pire encore, le commissaire lui-même. Pour tous ceux-là, la qualité de « domicilié », la capacité à trouver un « répondant » domicilié qui puisse les réclamer, l’avis du comité civil, sont cruciaux pour échapper à la prison ou aux juges.

  • 43 Sur la nature disciplinaire des cadres du travail à Paris jusqu’en 1789, voir Kaplan (1979).

25Une punition plus légère consiste à envoyer au violon, une simple cellule installée dans le poste de la Garde nationale, où les particuliers peuvent être détenus quelques heures à la volonté du commissaire jusqu’au soir ou jusqu’au matin pour ceux qui y échouent aux heures agitées de la nuit. Cette peine est utilisée comme une « correction » légère et un moyen de discipliner les jeunes gens arrêtés en train de se livrer à des jeux de hasard illégaux sur les quais et la place de Grève. À travers ce délit mineur, on peut saisir les différences qu’établit le commissaire entre les nombreux joueurs capturés par les patrouilles. Le commissaire Deneux fait une distinction claire entre ceux qui peuvent être envoyés à la Force et les particuliers à qui il convient d’épargner ce châtiment, parce que l’incarcération leur serait « préjudiciable ». Le « violon » est alors réservé à ceux qui peuvent être libérés sur la déclaration d’un garant ou répondant qui est lui-même domicilié, souvent un parent plus âgé ou un employeur. Dans ce système, hérité de l’Ancien Régime, le commissaire considère ces individus arrêtés comme des dépendants et presque des mineurs, sujets à la tutelle de leurs maîtres et de leurs parents, dans une société dans laquelle les structures de la famille et du travail sont encore considérées comme des institutions « naturelles » pour « contenir » les jeunes gens43.

  • 44 Freundlich (1995).
  • 45 APP AA 56, 10 ?juin 1791, détention de Dupont joueur.

26L’incarcération n’est pas la seule ressource à la disposition du commissaire. Dans le cas des parieurs, Deneux est confronté à un nombre exponentiel de cas entre avril et juin 1791, le chômage et peut-être le beau temps favorisant de concert la floraison des loteries et de divers « jeux » sur les quais, les ports et surtout sur la place de Grève. Des douzaines de personnes peuvent y jouer simultanément, d’après les rapports de la Garde nationale qui essaie de les harceler. Quelques jeux relèvent véritablement des jeux de hasard illégaux, comme « la parfaite égalité », et sont généralement pratiqués par des escrocs. Mais l’activité la plus populaire sans conteste s’intitule la « petite loterie », que pratiquent les colporteurs et des marchands ambulants. En échange de quelques pièces, on peut jouer pour gagner un petit objet, comme un éventail ou un verre. C’est une pratique ambiguë qui mêle le commerce de détail légal et la loterie, un mélange qui explique probablement son succès, vendeurs et « joueurs » prétendant les uns et les autres ne rien faire d’illégal. Selon le commissaire Deneux, cette activité tombe cependant sous le coup des ordonnances contre les « jeux illicites » et doit être réprimée44. La répression est justifiée non seulement par des motifs moraux (l’oisiveté), mais aussi au nom de l’ordre public, car les foules de joueurs créent des incidents quand des disputes et des vols s’y produisent. Enfin – last, but not least – l’autorité de la nouvelle municipalité est en jeu, puisqu’elle se révèle impuissante à faire respecter ses propres règlements juste devant l’Hôtel de Ville, le siège du pouvoir municipal dans Paris. Le commissaire utilise différentes stratégies pour se débarrasser des petites loteries. Dans les premières semaines, il envoie à la Force les hommes qu’il identifie comme « sans aveu et sans état », ceux qui sont en pratique sans travail et sans ressources dans la ville. Par la suite, à mesure qu’il découvre que les mêmes individus récidivent après quelques jours de prison et une amende modeste, il décide de ne plus les envoyer en prison. À la place, il se contente de confisquer les sommes qu’ils ont sur eux ainsi que leur matériel et les marchandises des colporteurs. Ses agissements lui valent une passe d’armes avec le Département de Police qui juge illégales les confiscations. Deneux justifie ses décisions en montrant que la perte de l’argent est une peine bien plus lourde pour les délinquants que quelques jours à la Force45. Le commissaire ne frappe pas indistinctement et se montre indulgent pour ceux qui font preuve de contrition et d’humilité devant lui, et qui sont capables de le convaincre qu’il ne les y reprendra plus.

En quête de respect : autorité et résistance dans le travail policier

  • 46 Sur la dynamique de l’interaction entre la population et les policiers en uniforme au XIXe ?siècle, (...)

27Le cas des joueurs souligne à quel point le passage devant le commissaire est important. Les individus qui comparaissent le savent bien, lorsqu’ils nient ou minimisent considérablement les propos séditieux ou les insultes qu’ils ont proférés devant les Gardes nationaux qui les conduisent, en tentant de se distancier de telles accusations. La zone grise des « jeux » est un bon observatoire pour comprendre les pouvoirs et les décisions des commissaires, parce que la latitude dont ils disposent est grande et les comportements des « contrevenants » extrêmement variés. Les attitudes provocantes ou irrespectueuses envers la Garde et le commissaire sont strictement condamnées. Implorer le pardon ou la pitié du commissaire, avec la promesse de ne pas récidiver est récompensé par une libération immédiate et une sévère admonestation. Le magistrat fonde sa décision sur de nombreux facteurs, de ses propres perceptions du problème à des indices comme les mots ou le ton employés par le suspect. Ainsi le commissaire peut-il ajuster sa sentence selon le comportement du délinquant durant son interrogatoire. D’une certaine manière, le règlement peut ainsi être parfois négocié si l’individu appréhendé adopte l’attitude adéquate, exprime son humilité et reconnaît l’omnipotence du commissaire. Cette reconnaissance de l’autorité se révèle cruciale dans l’interaction avec le commissaire, et de manière générale, avec toute personne investie de pouvoirs de police46.

  • 47 APP AA 57, 19 ?août 1791.

28À l’occasion d’un accident causé par une voiture qui a endommagé la vitrine d’un magasin situé rue de la Planche Mibray, à l’entrée du Pont au Change, un des lieux les plus passants de la section, le conducteur est venu chez le commissaire avec le commerçant pour conclure un « arrangement » et l’indemniser. Les accidents de voitures, y compris ceux qui impliquent des blessés graves, sont toujours traités de cette manière – le conducteur ou son maître paye une indemnité à la victime. Dans ce cas précis, qui implique un élégant « Monsieur » et seulement des dégâts matériels, le règlement aurait dû intervenir sans problème, mais c’était sans compter l’attitude du riche conducteur de la voiture envers le commissaire. Tout d’abord, l’homme ne donne pas son nom et ne se présente pas. Choqué par l’absence de manières de la part d’un homme qui a toutes les apparences d’en avoir, le commissaire se sent grandement offensé. Bien qu’aucune menace ou insulte n’ait été proférée, le commissaire signale le cas au procureur et porte plainte pour outrage47. La dynamique de l’interaction montre que l’autorité du commissaire peut être mise en question, symboliquement mais parfois ouvertement. Elle est ainsi réaffirmée de manière répétée, par des mesures punitives comme par des pratiques rituelles et symboliques.

  • 48 Pétition de Salliort, commissaire de police de la place Louis XIV, 10 ?juin 1791, AN D IV 49 n° 141 (...)
  • 49 Archives parlementaires, Laurent et Mavidal (éd.), 1ère série, tome ?XXVII, séance du 20 ?juin 1791 (...)

29Le magistrat lui-même n’est muni d’aucune marque distinctive, dans le décret de 1790. Les commissaires se plaignent des difficultés rencontrées, dans le cas où ils doivent s’affronter à une foule qui ne les connaît pas personnellement, ainsi lors de la surveillance des spectacles48. En juin 1791, l’Assemblée adopte le port d’un « chaperon qui pend des deux côtés », rendant visible le commissaire par-devant et par-derrière, sous les rires des députés49. Il n’est pas certain que ce couvre-chef ait renforcé l’autorité des commissaires.

  • 50 Pas moins de sept affaires impliquent des injures envers Deneux, entre avril et aout 1791.
  • 51 Voir les remarques de David Garrioch sur les commissaires au Châtelet : Garrioch (2012).

30La nature précaire de l’autorité symbolique du commissaire et son exigence constante de reconnaissance sont mises en évidence dans les cas de contestation. Bien que le commissaire puisse être aidé par une partie des citoyens et jouisse probablement de quelque respect auprès d’eux, les cas de provocation, d’irrespect et de résistance sont nombreux. L’autorité qu’il incarne n’est jamais totalement acceptée par le public. Si on laisse de côté les incidents avec la Garde nationale (qui mériteraient une étude détaillée à eux seuls), le commissaire est périodiquement défié, même dans son propre bureau, y compris par des femmes50. Bien entendu, certains hommes (en général ivres, mais pas toujours), l’insultent et s’adressent à lui dans un langage coloré. Les injures sont communément associées à la résistance physique, l’individu s’agitant violemment et menaçant alors le commissaire et les gardes qui l’entourent. Le commissaire ou l’officier commandant le détachement doit souvent demander aux soldats de ligoter le prisonnier pour le contenir, une forme de coercition qui implique aussi une humiliation physique, puisque le prisonnier aux jambes attachées ne peut plus se tenir debout. Outre un comportement agressif ou violent, une pratique courante consiste à refuser de répondre aux questions, ou à cesser de le faire après avoir seulement donné son nom. Parfois, les individus interrogés donnent des réponses dérisoires (« mon nom est le même que celui de mon père », en guise d’état-civil, ou « choisissez un nom »), signifiant par là leur absence d’intérêt pour les questions posées et le sujet de leur audition. Un ton léger, ironique ou sarcastique peut servir à miner l’autorité du commissaire. Les prostituées, qui sont harcelées par les gardes nationaux dans les rues (et apparemment molestées à quelques occasions) ont des attitudes spécifiques envers la police et les autres officiers du pouvoir judiciaire, en exprimant leur mépris envers ceux qui sont présents dans la pièce. Elles recourent à un langage cru et aux expressions sexuelles les plus explicites (« qu’elle se f… notre procès-verbal au c…, qu’elle se f… de nous et qu’elle signerait avec son c… ou l’instrument de son ami »), parfois joignant le geste à la parole et exposant leur postérieur ou leurs parties génitales au commissaire. Associant le plus « bas » et le plus « élevé » (en proposant de « signer avec son cul » le procès-verbal avec le magistrat), elles inversent l’ordre incarné par le commissaire et ses assistants, le dégradant symboliquement. Elles retournent aussi comme des armes symboliques contre la police et son autorité très masculine les parties du corps dont elles usent pour gagner leur vie et pour lesquelles elles sont tout autant stigmatisées que désirées51.

  • 52 Cf. Kushner (2014).

31Le commissaire note soigneusement les insultes finales qu’on lui lance à la fin de l’entrevue, lorsqu’il a annoncé sa décision et que les individus tentent d’atténuer symboliquement sa victoire. Dans le cas des prostituées, la situation semble si chargée à cause des arrestations à répétition que Deneux, à un certain moment, ne prend même plus la peine de les interroger, s’évitant la lutte symbolique et qu’il juge autant éprouvante qu’inutile que ces femmes (qui n’ont pas peur des hommes) semblent particulièrement apprécier, puisque leur sort est déjà scellé. Elles sont donc envoyées à la Force avec un bref rapport détaillant leurs noms et leurs lieux de résidence, l’arrestation comme prostituée étant considérée comme une preuve suffisante52. C’est un des rares moments où l’on peut sentir de la lassitude dans le comportement de Deneux, qui semble infatigable.

  • 53 APP AA 57, 19 ?août 1791.

32Autrement, le commissaire prend toujours en compte l’attitude insolente ou irrespectueuse que les individus tiennent envers lui, ajoutant dans son rapport une recommandation pour une peine sévère à l’intention de l’administrateur de police ou du procureur, comme une détention de six mois à Bicêtre, une institution disciplinaire encore active. Quand les agresseurs ne peuvent pas être emprisonnés, en raison de leur statut ou de la nature de l’incident, le commissaire dépose formellement une plainte auprès du Département de Police et demande l’intervention du procureur, invoquant la nécessité de défendre l’autorité de la Nation et de la « chose publique » qui a été dégradée à travers sa personne53.

  • 54 Castel (1995).
  • 55 « ? il nous a repondu qu’il savait bien ce que c’était qu’un Commissaire, que nous nous depechions (...)

33Un dernier genre d’insultes peut être identifié à travers les commentaires qui assimilent le commissaire à un fonctionnaire. Ils viennent exclusivement d’individus qui jouissent d’un statut social un peu relevé, ainsi d’une femme significativement appelée « la dame Goy », marchande de vin et principale locataire de sa maison. Dans ces cas, ces hommes et ces femmes semblent signaler qu’ils payent le salaire du commissaire, lui rappelant à la fois sa condition de dépendance (« qu’elle nous payait pour ça ») et de serviteur de la communauté, un fait aggravé par l’élection de Deneux par ses concitoyens. Le commissaire de police n’est ni propriétaire de sa charge comme l’étaient les commissaires au Châtelet, pas plus qu’un juge – la présence du juge de paix dans la section le rappelle cruellement – mais davantage un employé salarié par la section. Le stigmate de « l’indigne salariat54 » semble toujours prévalent. Le cas Desmousseau, qui implique un homme d’un statut social élevé, n’est pas clair, en ce que les traces écrites ne restituent qu’imparfaitement l’attitude, les gestes, le ton, le regard et les paroles employés dans le face-à-face entre l’homme et Deneux. Il semble avoir fait comprendre qu’il n’était pas ici pour recevoir des leçons du commissaire et que des affaires importantes l’attendaient55. On reconnaît ici une rhétorique typique des individus qui se présentent eux-mêmes. comme des soutiens respectables et obéissants de l’autorité publique et des lois, tout en exprimant leur hostilité et leur mépris quand ils sont pris en faute par des agents de la force publique subalternes.

34Ces mises en question répétées posent le problème du statut du commissaire aux yeux de la population de la section. D’une certaine manière, les oppositions particulières auxquels il fait face sont en partie des projections de conflit à propos des usages de l’espace public dans sa section. Les insultes et les atteintes à son autorité sont presque toujours précédées par des attaques similaires contre la Garde nationale. Il y a une forte corrélation entre les deux phénomènes, et de tels incidents mettent en lumière une géographie de « ?points chauds ?» particuliers dans l’espace du quartier, autant de lieux apparemment disputés entre l’autorité de la Municipalité, incarnée par les gardes, et les habitants. Parmi ces « points chauds », les places publiques occupent une importance considérable. Ce sont des lieux populaires et très fréquentés par les foules oisives, les joueurs, les marchands ambulants et les promeneurs. On peut y rattacher le quai pelletier (où Deneux avait son domicile et son bureau), le pont au change et surtout la place de Grève, sur laquelle les incidents sont particulièrement fréquents avec des groupes de gardes nationaux qui prennent un soin personnel à « policer » ces populations, ou qui se sentent provoqués par elles. Les rues de la Tannerie et de la Vannerie constituent un autre point sensible. Ces deux boyaux étroits et sinueux qui s’enfoncent au c ?ur du labyrinthe de petites rues qui constituent la section des Arcis, abritent de très nombreux garnis pour les travailleurs pauvres et les prostituées, ainsi qu’une extraordinaire variété de débits de boissons (limonadiers, marchands de vin et cafés), où la Garde nationale ne se risque pas sans y être dûment invitée par les tenanciers en cas de bagarre ou de clients refusant de payer. Le commissaire s’en remet aux marchands de vin et leurs « garçons » pour faire la police des cabarets, tandis qu’un officier de la Garde nationale surveille sur place le bal du samedi soir. Il convient de mentionner un troisième type de lieu : les berges de la rivière, autour des arches des ponts et le port Saint Nicolas. Tout à la fois espaces de travail et de loisir, ces zones abritent des populations qui ne tolèrent pas non plus facilement la police. Cependant, les incidents avec la Garde ne sont pas nécessairement suivis par des démonstrations d’irrespect et d’hostilité envers le commissaire. Une distinction claire entre ces deux entités – les « habits bleus » et le commissaire – est faite par la majorité de la population. C’est une chose que d’insulter dans la rue un autre citoyen qui se distingue par le port d’un costume militaire, et une autre que d’injurier un officiel élu par la section dans son bureau, avec le pouvoir d’envoyer en prison ou de condamner à l’amende. Cette disjonction se révèle importante dans le contexte de la crise politique du printemps et de l’été 1791.

Policer en révolution. Les continuités structurelles avec l’Ancien Régime

  • 56 Sur la spécificité de la police urbaine dans le contexte des débuts de la Révolution voir Scott (19 (...)
  • 57 Voir à ce sujet Godineau (2012).
  • 58 Voir pour le Directoire Davidson (2007).
  • 59 Voir Farge & Foucault (1982) ; Farge (1988).
  • 60 AA 57, 2 ?août 1791, M. ?de St Simon. En vertu de la Déclaration royale pour la police des Noirs du (...)

35Jusqu’à présent n’ont été mentionnés que très peu d’éléments caractéristiques de la police directement liés au contexte politique de la Révolution. Les structures de la vie ordinaire de la section n’ont probablement pas profondément évolué, par comparaison avec la situation antérieure. Le changement principal concerne l’organisation de la police elle-même depuis juillet 1789. Le commissaire est lui-même un produit de la Révolution. La nature des tâches de police reste en revanche largement la même, bien que le contexte révolutionnaire ait déjà introduit des facteurs d’érosion des piliers de l’autorité56. Cependant, en 1791, beaucoup de traits de l’Ancien Régime prévalent encore dans les vies ordinaires des artisans et des boutiquiers qui peuplent ces quartiers. Les individus adressent toujours les demandes traditionnelles au « nouveau » commissaire de police, y compris des demandes d’arbitrage pour de petits litiges financiers (normalement dévolus aux juges de paix), de protection et de réparation pour les épouses battues et les filles enceintes, de déclarations à propos d’injures ou de disputes avec leurs voisins ou leurs proches. Bien que les lettres de cachet aient été abolies, des particuliers demandent parfois la « correction » d’un fils tapageur ou fugueur, ou d’une fille qui s’est enfuie pour vivre avec son ami. Nul doute que le climat de changement et le démantèlement des institutions traditionnelles en cours aient commencé à transformer les vies ordinaires et les aspirations des individus57. Mais mesurer ces changements ici paraît difficile, à ce moment et si tôt dans la Révolution58. La transformation la plus visible est institutionnelle et dans la réponse institutionnelle au désordre et à la demande sociale. Il est encore courant pour des pères de demander au commissaire de police la « correction » de leur enfant, c’est-à-dire d’arrêter un fugitif et de l’envoyer à la Force avant de lui permettre de retourner au domicile paternel. Toutefois, ces « enfants » âgés de 15 à 23 ans sont tous mineurs. Il n’y plus de demande pour la « correction » d’un majeur, alors qu’il s’agissait d’une pratique courante jusqu’à la fin de l’Ancien Régime59. Pour les mineurs, la police accepte volontiers les demandes de correction, et les adolescents capturés sont envoyés par Deneux à la Force. D’une manière analogue, des propriétaires d’esclaves en fuite dans la capitale viennent demander l’aide du commissaire et du Département de police, dans la veine de la « police des Noirs » apparue dans les années 177060. Les mécanismes institutionnels ont beau avoir changé, ils continuent à produire les mêmes effets. Qu’il s’agisse d’adolescents, de domestiques, d’ouvriers ou d’esclaves, les piliers de l’autorité commencent à être ébranlés par la Révolution, tandis que les individus continuent à adresser leurs demandes d’ordre aux magistrats de police.

Crise politique ou crise du maintien de l’ordre ?

  • 61 Deux ouvrages récents sont venus relire cet événement et ses conséquences politiques : Tackett (200 (...)
  • 62 Sur les interprétations alors divergentes de cet événement et de ses causes, voir Andress (2000).
  • 63 Cf Andress (2000). p 64-71.
  • 64 Cf. Carrot (1979), p 49 ; Andress (2000) p 48-49.
  • 65 APP AA 56, 23 ?avril 1791.

36L’irruption la plus fracassante du contexte politique dans les problèmes de police est représentée par la crise politique déclenchée par la fuite du Roi le 20 juin 1791, puis par son retour à Paris et ses conséquences. Celles-ci sont dévastatrices pour l’autorité de la municipalité parisienne et en particulier pour le maire Bailly et le général La Fayette, commandant en chef de la Garde nationale parisienne, lui-même favorable à une monarchie constitutionnelle, fût-ce au prix du sauvetage politique d’un roi discrédité. Lorsque l’Assemblée nationale lave Louis XIV de toute responsabilité, le club des Cordeliers organise un rassemblement sur le Champ de Mars pour déposer une pétition pour révoquer le roi et le faire passer en jugement le 17 juillet 179161. En application de la loi martiale, et dans un contexte assez confus de défiance réciproque entre manifestants et gardes nationaux, la force publique tire sur la foule et tue sans doute plusieurs douzaines de personnes, tandis qu’un débat ardent s’engage sur les responsabilités du « massacre » et la légitimité de la répression62. La situation politique est tendue depuis le début de l’année 1791, en raison des divisions politiques et de la suspicion croissante envers la Municipalité et La Fayette. Dans les sections des Arcis et du Louvre, ces événements de juin et de juillet ont de nombreuses conséquences sur la police. Avant même que le Roi prenne la fuite du palais des Tuileries tout proche, le nombre des incidents avec la Garde Nationale va croissant, avec la réitération des mêmes insultes. La Garde nationale parisienne est traversée par une crise multiforme et des divisions internes de plus en plus fortes, dont les causes paraissent multiples : la politisation de son encadrement, l’attitude remuante des hommes de la garde soldée, l’arbitraire de ses officiers mal vécu par les Parisiens, l’incompétence de la troupe, la volonté de l’Assemblée nationale comme de l’état-major de La Fayette d’en faire un strict instrument d’exécution soumis à la discipline militaire et les tensions que cette politique engendre63. Les incidents se multiplient entre janvier et avril 1791, à travers lesquels la Garde nationale révèle sa nature versatile et son inefficacité64. S’y ajoutent des soupçons plus politiques : les gardes, commandés par un état-major de jeunes officiers choisis par La Fayette, sont vus de plus en plus comme les supporters politiques du général, plutôt que comme la force publique qu’ils prétendent composer. Les bataillons doivent en effet prêter un serment personnel d’allégeance à leur commandant en chef à l’Hôtel de Ville. C’est d’ailleurs durant une de ces cérémonies publiques que des officiers irrités viennent conduire chez Deneux, à quelques dizaines de mètres de là, un individu qui s’est permis d’ajouter au serment que prononçaient les soldats jurant fidélité à La Fayette l’apostrophe additionnelle : « seulement s’il commande bien »65. Deneux écarte les incriminations possibles d’insulte à La Fayette et considère le comportement de l’impertinent comme « inconséquent » en cette matière. En revanche, il l’accuse d’avoir collectivement insulté les hommes du bataillon et troublé l’ordre public, puis il envoie ce domestique sans condition à la Force. La menace la plus importante pour Deneux n’est donc pas l’attaque politique, mais le manque de respect pour la force publique et les désordres potentiels.

  • 66 APP AA 57, 8 ?août 1791, plainte S. Allard contre S. Brayer chasseur soldé pour un coup de bayonnet (...)
  • 67 APP AA 56, 20 ?août 1791.

37Après la fuite du Roi et l’épisode de la fusillade du Champ de Mars le 17 ?juillet, les incidents avec la Garde nationale empirent. À présent, leurs adversaires déclarent communément qu’ils veulent déféquer sur les gardes (« ch… sur les habits bleus »). Autre menace récurrente, plus inquiétante celle-là : les jeter tous à la Seine. La qualité des individus qui tiennent ces propos a également changé. Les agressions ne proviennent plus exclusivement de buveurs ivres, de jeunes gens, de joueurs ou de prostituées, mais de groupes qui conversent dans les cafés et de passants dans les rues. Dans ce climat d’hostilité croissante, les gardes sont tendus et réagissent brutalement lorsqu’ils se sentent provoqués. Le 9 août, sur le quai pelletier, à quelques mètres du bureau du commissaire, un homme qui regardait passer un bataillon a la joue froidement lacérée par la baïonnette d’un fusilier66. Deneux prend l’affaire très au sérieux, enregistrant les dépositions des nombreux témoins et demande la poursuite du fusilier, en vain. Un autre incident inquiétant se produit à l’occasion du transfert d’un prisonnier à pied dans Paris, sous la surveillance d’un garde. Ce dernier vient se plaindre qu’un conducteur de voiture a cherché à le séparer de son prisonnier et a incité ce dernier à s’enfuir, lui disant : « Vas-y ! Tu n’as rien à perdre ! »67. Deneux se contente de l’admonester pour ses insultes envers la Garde et l’homme est libéré sur l’intervention de son épouse. Le commissaire choisit de traiter l’incident comme une simple affaire de « mauvais propos » contre un soldat, en mode mineur. Force est de constater les efforts croissants depuis le mois d’avril de la part du commissaire Deneux pour se distancier de la Garde nationale, de plus en plus discréditée aux yeux de la population, illustrant une fracture considérable au sein même de ceux chargés de faire respecter l’ordre dans la capitale.

  • 68 APP AA 192, 24 ?juin 1791, Le S. Leger.
  • 69 Le lien très fort qui existait en 1789-1790 entre la Garde et la communauté locale, visible à trave (...)
  • 70 APP, AA 56, 12 ?août 1791, Arrestation de Mollier lecteur public.

38Mais la situation s’aggrave encore. Après le 21 juin, lorsque la nouvelle de la fuite du Roi est connue des Parisiens, la Garde arrête des individus qui distribuent de la propagande des Cordeliers. À cette occasion, une patrouille appréhende un jeune homme de seize ans, conduit le 24 juin devant le commissaire Chépy, alors qu’il a été trouvé en train de recopier des extraits d’une affiche des Cordeliers placardée dans la rue68. Le garçon, nommé Léger, fils d’un libraire et lui-même membre d’un club politique, la Société Fraternelle, confesse assister à des assemblées politiques le dimanche quand il ne travaille pas. Il s’engage alors dans une paisible conversation avec le commissaire qui roule sur les problèmes politiques, au terme de laquelle il explique qu’il n’adhère pas forcément à la propagande qu’il lit. Le commissaire se satisfait de cette explication et le fait réclamer par son père, clôturant l’incident. Le 27 juillet, la Municipalité réagit à l’inflation des attaques enflammées contre La Fayette en décrétant l’interdiction de toute la propagande radicale, et lance des raids de la Garde Nationale, commandés par de jeunes officiers de l’état-major dévoués au général, contre les imprimeries69. Dans la section du Louvre, Chépy proteste contre ces menées et tente de s’interposer lors d’une descente des gardes nationaux, demandant à voir leur ordre et déclarant l’acte illégal puisqu’effectué dans la section sans son concours. Les officiers l’écoutent à peine et ferment l’imprimerie. Plus tard, dans la section des Arcis, un détachement commandé par un des aides de camp de La Fayette arrête un jeune vendeur de journaux au motif qu’il lit à voix haute les titres, ce qui serait interdit70. Deneux s’oppose avec succès à son emprisonnement, qu’exige l’officier, arguant que le journal est légal et qu’un pouvoir aussi arbitraire est trop important pour être exercé en vertu de simples règlements de police seulement, au lieu d’une loi. Le commissaire use ainsi de son pouvoir discrétionnaire pour libérer le vendeur, se contentant de confisquer ses exemplaires restants pour donner un semblant de satisfaction à la Garde Nationale.

  • 71 D’une manière similaire, Deneux refuse de décider lui-même du sort d’individus arrêtés pour avoir t (...)

39Cette décision illustre un mode d’action caractéristique de l’activité des commissaires de police, tout particulièrement dans les épisodes de crise politique : une capacité à adopter une ligne de conduite qui plaise à la majorité de leur section, mais qui soit déguisée sous une apparence acceptable pour les autorités. Dans ce cas, Deneux montre clairement qu’il est du côté du vendeur de journaux, contre ce qu’il considère comme un acte illégal et arbitraire émanant d’une autorité discréditée. Mais en confisquant les journaux, il désamorce quelque peu le contentieux potentiel avec l’état-major de La Fayette71. Cette façon d’agir est appelée à prospérer dans les années suivantes, à mesure que les citoyens augmentent la pression sur les commissaires, dans un contexte chaotique dans lequel ils sont censés maintenir l’ordre public. Parmi les talents du commissaire de police, il faut désormais compter sur la capacité à gérer ces crises politiques afin d’y survivre.

40Au total, en 1791, les changements institutionnels et les nouvelles règles du jeu électoral ont certes modifié le recrutement, les fonctions et les conditions d’exercice du métier de commissaire de police dans la capitale. À travers l’assise locale des nouveaux commissaires, désormais élus, l’omniprésence des hommes de la Garde nationale, majoritairement issus du voisinage, les nouvelles structures assurent un large pouvoir à la communauté locale dont sont issus les commissaires pour assurer sa propre police, un des objectifs majeurs de la révolution parisienne de l’été 1789. Il est frappant de voir cette communauté se réapproprier les pratiques policières héritées de l’Ancien Régime, y compris les plus décriées. La reconduction apparente des formes de policing ne doit pas masquer une rupture majeure, le retour du pouvoir policier sous le contrôle de la population locale et de ses représentants. Aussi la crise de 1791 peut être relue d’une manière neuve. Le divorce qu’on observe entre la Garde nationale d’une part, et la population et certains commissaires d’autre part, ne s’explique pas uniquement pour des raisons politiques, liées à l’association de la force publique au jeu personnel de son commandant-en-chef. Avec la dissociation entre structures militaires et civiques depuis le remplacement des districts par les sections à l’automne 1790, le renforcement progressif des compagnies du centre, la rotation des unités à travers la capitale, la centralisation du commandement entre les mains de l’état-major professionnel nommé par La Fayette, la Garde nationale voit s’éroder sa dimension locale et milicienne, au profit de ses éléments militaires et professionnels, tendant aussi à échapper au contrôle de la communauté du quartier et de la section. Ainsi peuvent s’expliquer la crise du maintien de l’ordre en 1791 et les réactions hostiles face à ce qui est perçu comme une force étrangère et militaire de la part des Parisiens, comme les prises de distance et les oppositions des commissaires de police, dépendants désormais de la communauté locale.

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Bibliographie

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Notes

1 Rousseau et al. (2005) ; Allen (2005) ; Berger (2010.)

2 Cobb (1970) ; Emsley (1983) ; Monnier (1985) ; Clifford (1990) ; Andress (1996) ; Andress (2000) ; (2006).

3 Sur les implications idéologiques de la police, on renvoie à Kaplan (1976), chapitre ?I, et du même auteur La fin des corporations, Paris, 2001.

4 Sur la professionnalisation précoce de la police parisienne, voir Berlière et al., (2008) ; Milliot (2011).

5 Napoli (2003).

6 Mellié (1987) ; Genty (1987).

7 Décret du 21 ?mai 1790, Archives parlementaires de ?1787 à ?1860, première série, tome ?XV, p 619-620.

8 Sur les juges de paix, voir Métairie (1998), et Andrews (1971).

9 Seligmann (1913).

10 Andrews (1971).

11 Voir Garrioch (1996), « ?The Revolution in local politics ?» ; ainsi, dans la section de la rue de Montreuil, Marc-Antoine Dumont est-il élu avec 91 voix sur 160 présents. Cf. Lacroix (ed) (1889) ; Soboul (1958).

12 Sur la professionnalisation des policiers dès l’Ancien Régime, voir Berlière et al. (2008). Les travaux récents de Vincent Milliot et de ses élèves sont venus renouveler la connaissance de cette organisation complexe : Milliot (2011 ; Berlière (2012) ; Couture (2013).

13 Sur la transformation du statut du commissaire, voir Saint-Germain (1964) ; Kaplan (1981) ; Milliot (2003).

14 Cf. Andrews (1971).

15 Voir sur les premières années de la Révolution : Shapiro (1993) ; David Andress (2000).

16 Dans les sections du Temple, des Gravilliers et du Faubourg Saint-Denis, le comité, la caserne et le ommissaire de police sont installés dans le même local (Almanach royal pour 1791).

17 Sur les locaux des sections, voir Mellié (1898).

18 Sigismond Lacroix, Actes, 2e série, II, p 181, 20 ?janvier 1791.

19 Voir sur ces points Emsley (1987) ; Kalifa & Karila-Cohen (2008).

20 Cf. Garrioch (1996).

21 Il s’agit des commissaires Prestat, Boin, Beauvallet, Lucotte, Simoneau, Gueulette et Lebas. Il faudrait en outre mentionner les commissaires du Châtelet élus juges de paix ou assesseurs de tribunaux de paix, qui sont au moins aussi nombreux.

22 Pour une introduction détaillée du quartier du Louvre à la fin de l’Ancien Régime, voir Berlière (2012).

23 Notons que la police recrutait des informateurs parmi les tenanciers de loterie, ce qui peut laisser supposer que Deneux ait pu être un collaborateur ou un employé de police.

24 On suit ici des travaux récents sur les polices urbaines qui insistent sur la construction permanente de l’ordre public et toute la fécondité de cette approche : Deluermoz (2012) ; Cicchini (2012).

25 Au XVIIIe ?siècle, la présence des commissaires du Châtelet dans les rues de leur quartier est un moyen essentiel d’accroître leur influence et leur autorité. Cf. Colin (1992) ; Berlière (2012).

26 Pour Deneux, en 1791, seulement 48 « ?transports ?», sur plus de 466 actes conservés.

27 Chiffres tirés de l’Almanach de la Garde Nationale parisienne pour 1791, Paris, 1790 ; AN, AD VI 51 ; sur les forces de l’ordre à Paris en 1789, voir Chagniot (1985). Sur l’organisation de la Garde nationale, voir Carrot (1979) ; Dupuy (2010).

28 Sur cet aspect, pour les sergents de ville et les gardiens de la paix, voir Deluermoz (2012).

29 Entre le 10 et le 17 ?mai 1791, une aubergiste nommée Duval et une repasseuse, Danjou, parviennent à retrouver et à arrêter elles-mêmes les quatre hommes qui leur ont volé leur linge (APP, AA 91, Arcis, 10 ?mai 1791, détention Rotry et voleurs).

30 Voir Benabou (1987) ; Kushner (2014) ; Plumauzille (2013).

31 Sur les « ?nuits ?» révolutionnaires, voir Bourdin (2013) ; sur la police nocturne pour la période ultérieure, voir Delattre (2000).

32 Pour une présentation des inspecteurs de police et de leurs tâches, voir Williams (1979) ; Piasenza, (1990) ; Couture (2013).

33 Un nommé Guyot, dans la section du Roi de Sicile dans le Marais, et dans la section du Louvre,Mallot et Alexis Doublet, ce dernier présenté comme « ? employé à la Sûreté de la Section ? » (APP, AA 56, Arcis, 13 ?mai 1791, détention de Bidot et Delahaye pour voies de fait ; APP, AA 192, Louvre, 3 ?janvier 1791, Mallau ; APP, AA 192, Louvre, 5 ?janvier 1791, F.e Rapin Martin). Voir aussi sur Doublet et l’usage des espions de police, Andress (2000) p. ?74-79.

34 APP, AA 192, Louvre, 23 ?février 1791, Leclerc, 12 ?mars 1791, S. ?Girard, 17 ?avril 1791, Lagoutte, Doublet, 17 ?juin 1791, Jean Paul.

35 APP, AA 56, Arcis, 20 ?décembre 1791, Détention de 22 particuliers comme sans aveu et suspects ; 21 ?décembre 1791, Détention de Scel et Mauclair comme sans aveu et suspects ; 22 ?décembre 1791, Détention de 10 particuliers comme suspects et dépôt de 3 dénonciateurs.

36 APP, AA 56, Arcis, 22 ?décembre 1791, Détention de 10 particuliers comme suspects et dépôt de 3 dénonciateurs.

37 APP, AA 192, Louvre, 20 ?janvier 1791, Le Villain.

38 Le commissaire au Châtelet Chénon encourageait les revendeuses du marché à la brocante près du Louvre à lui signaler les objets volés et leurs vendeurs. Leur zèle était récompensé par leur convocation au tribunal comme témoins, une prestation pour laquelle elles étaient rémunérées légalement. Cf. Berlière (2012).

39 APP, AA 56, Arcis, 1er ?mai 1791, déclaration de deux couverts.

40 Jean André, « ?chargé par M. Perron de l’inspection du quartier du Palais Royal demeurant aux Jacobins n° ?6 ?», est arrêté par le commissaire Deneux dans un cabaret pour « ?tapage ?» (APP, AA 57, 4 ?août 1791). Perron est un des quatre administrateurs de la police parisienne. Sur ces agents secrets, dévolus à la surveillance politique, voir Andress (2000).

41 Sur la défiance traditionnelle des Parisiens envers les « ?mouchards ?», voir Piasenza (1990) ; Farge & Revel (1990) ; Andress (2000).

42 APP AA 56, 12 ?avril 1791.

43 Sur la nature disciplinaire des cadres du travail à Paris jusqu’en 1789, voir Kaplan (1979).

44 Freundlich (1995).

45 APP AA 56, 10 ?juin 1791, détention de Dupont joueur.

46 Sur la dynamique de l’interaction entre la population et les policiers en uniforme au XIXe ?siècle, voir Deluermoz (2012).

47 APP AA 57, 19 ?août 1791.

48 Pétition de Salliort, commissaire de police de la place Louis XIV, 10 ?juin 1791, AN D IV 49 n° 1417.

49 Archives parlementaires, Laurent et Mavidal (éd.), 1ère série, tome ?XXVII, séance du 20 ?juin 1791, p 344.

50 Pas moins de sept affaires impliquent des injures envers Deneux, entre avril et aout 1791.

51 Voir les remarques de David Garrioch sur les commissaires au Châtelet : Garrioch (2012).

52 Cf. Kushner (2014).

53 APP AA 57, 19 ?août 1791.

54 Castel (1995).

55 « ? il nous a repondu qu’il savait bien ce que c’était qu’un Commissaire, que nous nous depechions parce que pendant le tems qu’il était en notre bureau, les affaire publiques periclitaient ? » (APP AA 57, 19 ?août 1791).

56 Sur la spécificité de la police urbaine dans le contexte des débuts de la Révolution voir Scott (1975) ; Denis & Gainot (2009) ; sur les révolutions de ?1848 et ?1871 à Paris, voir Deluermoz (2012).

57 Voir à ce sujet Godineau (2012).

58 Voir pour le Directoire Davidson (2007).

59 Voir Farge & Foucault (1982) ; Farge (1988).

60 AA 57, 2 ?août 1791, M. ?de St Simon. En vertu de la Déclaration royale pour la police des Noirs du 9 ?août 1777, un habitant des Antilles pouvait embarquer pour la France avec seulement un esclave comme domestique, et contre le dépôt d’une caution de 1 000 ?livres. En théorie l’immigration des domestiques noirs était interdite en France, mais de nombreuses dérogations existaient et le système paraissait assez laxiste après 1789, avec une chute dramatique des déclarations : Peabody (1996) p. ?121-136 ; Boulle (2007) p. ?101 & 125-139.

61 Deux ouvrages récents sont venus relire cet événement et ses conséquences politiques : Tackett (2007) ; Ozouf (2010). Sur le contexte et les conséquences parisiennes de la fusillade du Champ de Mars, voir Andress (2000).

62 Sur les interprétations alors divergentes de cet événement et de ses causes, voir Andress (2000).

63 Cf Andress (2000). p 64-71.

64 Cf. Carrot (1979), p 49 ; Andress (2000) p 48-49.

65 APP AA 56, 23 ?avril 1791.

66 APP AA 57, 8 ?août 1791, plainte S. Allard contre S. Brayer chasseur soldé pour un coup de bayonnette.

67 APP AA 56, 20 ?août 1791.

68 APP AA 192, 24 ?juin 1791, Le S. Leger.

69 Le lien très fort qui existait en 1789-1790 entre la Garde et la communauté locale, visible à travers la composition effective des bataillons, a été finement analysé par Dale L. Clifford, Cliffortd (1990).

70 APP, AA 56, 12 ?août 1791, Arrestation de Mollier lecteur public.

71 D’une manière similaire, Deneux refuse de décider lui-même du sort d’individus arrêtés pour avoir tenu des mauvais propos contre La Fayette et le maire Bailly, les renvoyant devant la Municipalité et parfois le maire Bailly en personne.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Denis, « Police et ordre public dans les rues du Paris révolutionnaire : les sections des Arcis et du Louvre en 1791 »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 20, n°1 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/1640 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.1640

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Auteur

Vincent Denis

Maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur à l’Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine (CNRS-ENS-Paris 1). Il est membre de l’Institut Universitaire de France depuis 2012. Il dirige actuellement le programme de recherche de l’ANR « SYSPOE - European Police Systems, 18th-19th century » (ANR BSHS-2012). Ses travaux portent sur les pratiques d’identification à l’époque moderne et au XIXe siècle, ainsi que sur la police en France. Il a publié Une histoire de l’identité. France, 1715-1815 (Champvallon, 2008), Histoire de l’identification des personnes du Moyen Âge à nos jours (La Découverte, 2010, en collaboration avec Ilsen About). Il a également dirigé Ordre public et révolution (S.E.R., 2010, en collaboration avec Bernard Gainot) et Polices d’Empires : les polices coloniales, XVIIIe-XIXe siècles (Presses Universitaires de Rennes, 2011, en collaboration avec Catherine Denys). Il prépare une histoire des policiers de Paris de 1789 à 1799. Vincent.Denis@univ-paris1.fr

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