Révoltes carcérales, maintien de l’ordre et transition démocratique en Afrique du Sud (1976-1994)
Résumés
La transition démocratique sud-africaine a été marquée par des mobilisations importantes en prison, qui ont culminé lors de deux vagues de révoltes en 1994. Ces insurrections étaient caractérisées par des formes de solidarité transcendant les catégories habituelles. Cet article retrace, depuis les années 1970, les processus de criminalisation et de subjectivation politique des prisonniers de droit commun ainsi que l’évolution des techniques de répression déployées par les forces de l’ordre, qui ont mené aux révoltes. Celles-ci ont révélé de quelle façon les mécanismes de maintien de l’ordre et de contrôle social avaient façonné la société de l’apartheid, et pourquoi ils devaient faire l’objet d’une véritable refonte en vue de construire une société post-transition.
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- 1 Rubio (2013, p. 130) ; sur la création de subjectivités et les processus de subjectivation, voir F (...)
1En 1994, les premières élections démocratiques multiraciales de l’Afrique du Sud ont marqué de manière définitive la chute du régime d’apartheid. Pendant presque cinquante ans, le Parti national (National Party) au pouvoir avait mis en place un système de ségrégation largement fondé sur la répression des populations désignées comme « non-blanches ». Suite à une tumultueuse transition démocratique lors de la première moitié des années 1990, deux vagues de révoltes ont ébranlé les prisons du pays en 1994, dans une tentative de placer le contrôle social et l’enfermement au centre du débat sur la construction d’une nouvelle société sud-africaine. Les revendications des prisonniers étaient nombreuses. Elles concernaient les conditions de détention, la lutte contre la ségrégation raciale persistante, la transformation du système judiciaire, la réforme des mécanismes de libération conditionnelle ainsi que l’accord du droit de vote lors des élections d’avril 1994. Comme dans d’autres sociétés traversant une transition démocratique ou de profonds bouleversements politiques et sociaux, les prisonniers attendaient avec espoir une série d’amnisties, qui reconnaîtraient le caractère criminel du régime précédent et les conditions sociales, économiques et politiques ayant provoqué leur incarcération. À l’égal des mouvements d’insurrection carcérale des années 1970 en Europe – la France avec le Groupe Information Prison (GIP), l’Espagne avec la Coordination des Prisonniers en Lutte (COPEL), l’Italie avec les Noyaux Armés Prolétaires (NAP) –, les révoltes carcérales de la transition démocratique sud-africaine ont révélé la formulation, par des prisonniers de droit commun majoritairement, d’une nouvelle subjectivité politique1.
- 2 Sur l’historiographie des révoltes carcérales et du rôle joué par les prisons lors des transitions, (...)
- 3 Voir notamment Dubow (1995), Brewer (1994), Foster, Haupt et De Beer (2005), Fourchard (2011), Hays (...)
- 4 À l’exception de Steinberg (2004a) pour les prisonniers de droit commun. Les mobilisations collecti (...)
- 5 Par respect pour les personnes interviewées et en accord avec le règlement du Département des servi (...)
- 6 Parmi les autobiographies de prisonniers politiques utilisées pour cette recherche, voir notamment (...)
2L’historiographie sur les révoltes carcérales au niveau international permet de mettre à jour plusieurs aspects qui caractérisent les passages de régimes autoritaires fondés sur le contrôle des populations par la peur et la violence étatique à des régimes où souvent, les méthodes de contrôle ont reproduit les schémas hérités du passé2. Tout en voulant contribuer à la littérature internationale sur le sujet, cet article cherche à attirer l’attention sur les révoltes de prisonniers de droit commun en Afrique du Sud. Alors que les recherches sur les formes de contrôle policier, au cours de l’apartheid, des déviances politiques et de droit commun et sur les modalités de résistance qui s’y sont opposées sont toujours plus nombreuses3, l’étude des modalités de survie, de collaboration et de résistance des prisonniers de droit commun a été largement négligée dans l’historiographie de la résistance anti-apartheid et des bouleversements liés à la transition démocratique4. En se fondant sur l’analyse d’archives écrites et orales variées, cet article cherche à combler cette lacune en explorant ce que les révoltes dévoilent quant aux techniques de maintien de l’ordre et de résistance depuis la marge, notamment dans des contextes marqués par une forte répression sociale, raciale et de genre. Les documents issus des archives de la prison de Pollsmoor ainsi que de diverses organisations de soutien avec lesquelles communiquaient les prisonniers de droit commun de manière souvent clandestine ont ainsi rendu possible la reconstruction des divers mécanismes de répression en prison, tout en permettant de retracer le façonnement changeant des subjectivités à l’intérieur d’une institution fermée tout au long de l’apartheid. Les commissions d’enquête, les rapports statistiques et autres publications gouvernementales, analysés au prisme de leurs modalités de production, ont également permis de rendre visible les discours élaborés autour des différents rôles joués par la prison dans le maintien de l’ordre en Afrique du Sud à la fin de l’apartheid et lors de la transition démocratique. L’analyse de la réaction de nombreux journaux face aux amnisties et aux révoltes de prisonniers de la première moitié des années 1990 met en évidence les contradictions et l’évolution des débats dans l’espace public quant à la fonction de la prison et des mécanismes de contrôle social lors de la transition démocratique et dans la construction d’une nouvelle organisation sociale. Enfin, cette recherche se fonde également sur la réalisation de nombreux entretiens semi-directifs dans diverses sections de la prison de Pollsmoor en 2008 et 2011, au cours desquels des gardiens et des détenus de droit commun qui se trouvaient déjà en prison lors de la transition démocratique ont exprimé leurs points de vue sur l’évolution des conditions de détention, des techniques de répression et des modalités de survie depuis les dernières années de l’apartheid5. Quelques entretiens avec d’anciens prisonniers politiques ayant été incarcérés dans les années 1970 et 1980 à Pollsmoor ont également été réalisés dans le but de compléter les informations tirées d’autobiographies écrites par d’ex-prisonniers politiques sud-africains6.
Révoltes, subjectivités et techniques de maintien de l’ordre
- 7 L’évolution de la police sud-africaine pendant l’apartheid est retracée dans Brewer (1994).
3Lors des révoltes de 1994, des groupes de prisonniers et prisonnières de droit commun ont cherché à ce que soient repensés les pratiques et les discours liés aux notions de contrôle policier, d’enfermement et de châtiment. En Afrique du Sud comme ailleurs, cette volonté des prisonniers de droit commun de faire comprendre le caractère crucial d’une telle réflexion pour poser les bases d’une nouvelle société s’est heurtée à un refus de prendre en compte le véritable rôle de la prison dans ces époques de transition. Les mouvements carcéraux de protestation sud-africains ont émergé à un moment charnière, censé symboliser la fin d’un régime fondé sur l’incarcération massive et sur une répression policière sanglante. En 1948, le Parti national nouvellement élu avait instauré un système d’apartheid en Afrique du Sud, renforçant les mécanismes de colonialisme interne qui perduraient depuis le XIXe siècle. Se fondant sur une myriade de lois visant à contrôler, criminaliser et réprimer les moindres gestes de la population noire, le régime d’apartheid avait accordé un rôle primordial aux institutions carcérales et policières. En 1960, suite au soulèvement de Sharpeville et à l’arrestation des leaders des mouvements de résistance tels que le Congrès national africain (African National Congress, ANC) et le Congrès panafricain (Pan Africanist Congress, PAC), la police sud-africaine a commencé à focaliser son action sur le contrôle politique, délaissant son rôle traditionnel de maintien de l’ordre civil7. Au cours des années 1960 et 1970, malgré le calme relatif qui régnait dans les townships et les campagnes sud-africaines, l’institution policière a subi une réorganisation de ses forces en vue de se préparer pour une future « guerre contre-révolutionnaire ». Progressivement, la criminalisation toucha les moindres aspects de la vie quotidienne des populations noires, et notamment la propriété des terres et des habitations, les déplacements et les droits de résidence dans les villes ou encore la représentation politique et syndicale. Nécessaires au maintien du système d’apartheid, ces lois ont été accompagnées d’un phénomène d’incarcération massive nécessitant la création de prisons supplémentaires, phénomène renforcé par l’apparition de nouvelles formes d’économie souterraine et de pratiques illégales visant à contourner les normes de vie imposées par le régime.
- 8 Le Mouvement de la conscience noire, inspiré notamment par les écrits de Frantz Fanon et d’Aimé Cés (...)
4À la fin des années 1970, les mibilisations populaires, influencées cette fois par le Mouvement de la conscience noire (Black Consciousness Movement, BCM), ont repris avec une intensité accrue8. Les années 1980, caractérisées par la mise en place d’états d’urgence successifs (1985-1986, 1986-1990), ont vu la police adopter de nouvelles stratégies de répression sociale et politique. À l’intérieur des prisons surpeuplées, la brutalité des relations entre gardiens et prisonniers faisait écho à la recrudescence de violence à l’extérieur. Juste avant que ne débute la transition démocratique sud-africaine, un syndicat de policiers et de gardiens ainsi qu’une association de prisonniers cherchant à porter la voix des détenus sur la scène publique ont été créés, en 1988 et 1989 respectivement. L’émergence de ces nouveaux acteurs historiques a remodelé les lignes de division qui opposaient jusqu’alors la police et les gardiens d’un côté et les mouvements de mobilisation populaire et les prisonniers de l’autre, signe avant-coureur des nouvelles formes de solidarité qui allaient se développer lors des révoltes carcérales de la transition démocratique.
- 9 Kriegler et al. (1995).
5De février à avril 1994, peu de temps avant que ne prenne fin la transition démocratique, une première série de révoltes carcérales embrase les prisons sud-africaines. Au même moment, des gardiens et des policiers organisent des grèves, des sit-in et des manifestations pour protester contre la hiérarchie militaire et raciale de leurs institutions respectives. En juin, le feu reprend dans les prisons, visant, cette fois-ci, le nouveau régime démocratique. Selon les sources officielles, le mouvement carcéral s’est propagé dans 53 prisons différentes. Tandis que prises d’otages, évasions et incendies se succédaient, 750 prisonniers et 145 surveillants ont été blessés, 37 prisonniers ont trouvé la mort9. Une des particularités des révoltes carcérales de 1994, outre leur ampleur, a résidé dans l’apparition de formes de solidarité transcendant, souvent brièvement, les frontières entre les catégories divisant ceux dont la vie dépendait de l’administration pénitentiaire. C’est dans ce contexte que se sont manifestés de nouveaux rapports entre surveillants noirs et prisonniers de droit commun, entre détenus politiques et de droit commun ou entre prisonniers et prisonnières. Loin d’être anachronique, ce développement historique s’inscrivait de plain-pied dans la transition démocratique et reflétait son mélange de réforme et de répression, d’espoir et de frustration, brouillant les lignes de division héritées du colonialisme.
- 10 Archives de Pollsmoor (PA), 1/4/2/9. Lettre d’un prisonnier à un lieutenant, 08/11/1994 ; entretie (...)
6Une analyse des révoltes carcérales sud-africaines recontextualisées au prisme de l’évolution des dynamiques de contrôle et de résistance, de création et de répression met à jour plusieurs spécificités des prisons de l’apartheid ainsi que certains traits se retrouvant dans les prisons de la nouvelle Rainbow Nation. Ainsi, l’étude de ces révoltes permet de s’éloigner d’une représentation de l’institution carcérale comme un lieu terrible où le quotidien était compartimenté selon des catégories aux frontières nettes et incontestables. Tout au long de l’apartheid, les frontières construites sur la base du genre, de la race, du comportement violent ou psychiatrisé et du statut politique ont été tour à tour remises en cause, renforcées, mimées et distordues à l’intérieur des prisons, révélant de nombreux interstices où se sont développées de nouvelles subjectivités. Depuis les surveillants « coloureds » considérés comme des Blancs et se retrouvant hors des cercles de solidarité habituels jusqu’aux prisonniers homosexuels tour à tour imaginés comme résistants ou collaborateurs, depuis les femmes reproduisant les structures de domination masculine des gangs jusqu’aux prisonnières politiques et de droit commun s’offrant un soutien mutuel, les relations nouées en prison et ayant permis l’émergence des mobilisations collectives de grande ampleur lors de la transition démocratique ont souvent su déjouer les mécanismes de catégorisation, de différenciation et de contrôle mis en place par l’administration pénitentiaire10.
7Dans le but de retracer les raisons et les lignes historiques sous-jacentes aux révoltes des prisonniers sud-africains et à l’insoumission des gardiens et policiers pendant la transition démocratique, il est nécessaire de revenir sur le maintien de l’ordre carcéral pendant l’apartheid et la manière dont il se nouait au système de gestion des populations tel qu’il était plus généralement appliqué dans la société sud-africaine. L’analyse de la prison de Pollsmoor, véritable complexe carcéral situé à quarante kilomètres au sud-est de la ville du Cap, offre un double regard sur les modalités de survie, de résistance et de répression à l’intérieur d’une prison et sur les transferts de répertoires d’actions avec l’extérieur rendus possibles par la perméabilité de l’institution. Ni microsociété ni simple miroir, la prison a fonctionné comme un prisme, reflet des impératifs sociaux d’une époque donnée et de leur évolution, de la construction performative de la déviance et du crime ainsi que d’un maintien de l’ordre fondé sur une perception militaire et coloniale du contrôle social.
Apartheid et incarcération massive
- 11 Publications gouvernementales (GP), Rapport du directeur des prisons, 1963-1966.
- 12 GP, Rapport du Département de justice, 1985-1986 ; Cooper et al. (1987).
- 13 Loi n° 13 de 1911 ; Gillespie (2007, p. 15). Pour une analyse de la notion de capitalisme racial, (...)
- 14 La surpopulation jouerait un rôle important dans la diffusion des révoltes qui allaient ponctuer la (...)
- 15 Le régime d’apartheid institua quatre catégories raciales : « Européens » ou « Blancs », « Afric (...)
8La prison de Pollsmoor fut inaugurée en 1964, en réponse aux nouvelles lois raciales (race laws) mises en place dans les années 1950. Ces lois régulaient les mouvements de la population noire au travers du système des laissez-passer (pass laws) et criminalisaient une série d’actes tels que les relations sexuelles entre différentes catégories raciales, la consommation et la production d’alcool ou la propriété immobilière pour les Noirs. Elles ont déclenché un phénomène d’incarcération massive visant principalement les Noirs, qui constituaient, en 1966, 96 % de la population carcérale au niveau national11. Vingt ans plus tard, à la fin de l’apartheid, pour 95 151 Noirs, 4 491 Blancs étaient incarcérés dans les prisons sud-africaines, soit 4,5 % de la population carcérale, alors que la population blanche représentait 14,8 % de la population nationale12. À l’égal du reste de la société, et depuis 1911, date à laquelle le rôle de la prison dans la mise en place d’un « capitalisme racial » – pour reprendre le terme utilisé par le Mouvement de la conscience noire – était devenu flagrant, la structure carcérale reposait sur les concepts de ségrégation et de non-contamination13. À Pollsmoor, la surpopulation était chronique et le nombre de prisonniers incarcérés à un moment donné atteignait régulièrement le double des places prévues par l’administration14. Un bâtiment bas de briques rouges, Medium B, abritait les cellules pour prisonniers blancs, tandis que les « Africains », « Coloureds » et « Indiens » – pour reprendre la terminologie d’apartheid15 – étaient enfermés ensemble dans d’autres bâtiments, mais recevaient des régimes alimentaires différenciés. Une prisonnière résumait ainsi les conditions de vie à l’intérieur de Pollsmoor à la fin des années 1980 :
- 16 Entretien avec la prisonnière Mme Tillis.
La nourriture était un désastre, vraiment répugnante, nous étions en surpopulation, nous étions 88 pour une cellule qui avait été construite pour 44 personnes. Et donc nous avions un toilette, et une douche que nous devions partager16.
- 17 Historical Papers, Witwatersrand (HPW), AG3199. Mémorandum du Centre de ressources légales (LRC), (...)
9À cela s’ajoutaient le froid et l’humidité qui imprégnaient les cellules, les uniformes élimés, l’absence même parfois de chaussures et de couvertures, les épidémies et l’accès illimité aux traitements médicaux, ainsi que les conditions d’exploitation, notamment dans les ateliers de travail17.
- 18 Cette idée d’équilibre carcéral a été étudiée pour le cas de la France par Chauvenet (1998, p. 81).
- 19 Cape Times, 07/07/1983.
- 20 Nelson Mandela fut condamné à une peine d’emprisonnement à vie en 1964, en tant que leader de l’Umk (...)
- 21 GP, Rapport annuel du directeur des prisons, 1975-1976 ; GP, Rapport annuel du département de just (...)
10Les surveillants de Pollsmoor s’appuyaient sur une série de lignes de catégorisation supplémentaires pour assurer le fragile équilibre des forces permettant la perpétuation de l’ordre carcéral et racial au quotidien18. Les femmes et les mineurs – à l’exception des mineurs en attente de jugement – étaient placés dans des prisons indépendantes à l’intérieur de Pollsmoor. Toute la population était classifiée selon un système de privilèges indexé sur le comportement et la violence putative. Les prisonniers jugés les plus dangereux étaient ainsi dépourvus de tout privilège et enfermés 23 heures par jour dans une des cellules collectives de la prison de sécurité maximale19. Les prisonniers politiques incarcérés à Pollsmoor étaient soit regroupés dans les mêmes cellules au sein de la section des détenus en préventive, soit, pour les plus célèbres comme Nelson Mandela et Ahmed Kathradra, strictement maintenus à l’écart dans des cellules sur le toit de la prison de sécurité maximale20. En mettant en place ce cloisonnement, l’administration pénitentiaire tentait de contrecarrer la menace de « contamination », qui concernait autant les idées politiques – contamination entre les détenus – que les dynamiques raciales. Des surveillants blancs étaient seuls autorisés à travailler avec les prisonniers politiques, de peur que des surveillants noirs, qui représentaient entre 45 % et 53 % du personnel dans les années 1970 et 1980, ne se laissent influencer par des idées jugées communistes et révolutionnaires21. Les mobilisations collectives de prisonniers qui allaient marquer la transition démocratique et qui s’inspiraient en partie des luttes menées par les prisonniers politiques seraient la preuve que cette tentative de stricte séparation avait largement échoué.
- 22 Rueedi (2013, p. 9).
- 23 Pour une comparaison des perceptions coloniales liées au châtiment corporel en Afrique du Sud et au (...)
- 24 HPW, AK2442. Manuel du prisonnier, 1983 ; Buntman (2003).
- 25 PA, 1/3/2/3. Circulaire, 24/05/1988 ; PA, 1/3/6. Lettre écrite par des avocats au directeur de Pol (...)
- 26 PA, 1/3/6. Lettre d’un avocat à Pollsmoor. Enquête du South African Medical and Dental Council sur (...)
11Le phénomène d’incarcération massive des années 1960 et 1970 était une conséquence de l’émergence de nouvelles techniques de répression des foules et de contrôle du territoire. Dans l’ensemble du pays, la terreur se propageait progressivement, prenant plus d’ampleur après chaque grande répression policière (comme lors du soulèvement de Soweto en 1976, du Vaal Triangle en 1984 ou lors de la commémoration du massacre de Sharpeville en mars 1985) pour atteindre son paroxysme à partir de juillet 1985. L’incertitude et l’arbitraire du moment où la violence et la mort allaient s’abattre sur un township ou une zone rurale sous la forme de raids, d’occupation militaire ou de déplacements forcés amplifiaient encore la terreur22. Sous ses formes plus discrètes, elle était nourrie par la menace de la prison, de la détention illimitée et secrète et de la torture, la prison et la cellule de police jouant ainsi un rôle crucial dans la diffusion de la peur au sein de la société. À l’intérieur des prisons, la violence était inextricablement liée au sens même de la peine, perpétuant la conception coloniale du « barbare » uniquement apte à comprendre la brutalité du châtiment corporel23. Le système de châtiments/privilèges mis en place par l’administration carcérale et qui régulait le nombre de visites, de lettres et d’heures d’exercice a évolué au cours de la période, reflet dans une large mesure des luttes menées par les prisonniers, et notamment par les prisonniers politiques24. Les gardiens avaient en outre plusieurs procédés à leur disposition pour punir ce qui était considéré comme des déviances comportementales. Les peines d’isolement accompagnées d’un régime alimentaire réduit étaient particulièrement fréquentes. À l’isolement pouvait également s’ajouter des méthodes visant à briser le détenu. Il pouvait être enfermé nu dans une cellule disciplinaire, ses mouvements entravés par des chaînes ou être immobilisé dans une camisole de force25. Cette dernière pratique était plus particulièrement réservée aux femmes et a entraîné la mort de plusieurs détenues au cours des années 1980 et 199026. Les transferts de prisonniers, vers d’autres prisons ou d’autres institutions fermées comme les hôpitaux psychiatriques, permettaient à l’administration de détruire les liens de solidarité que les prisonniers établissaient entre eux. La menace de ces transferts était également brandie dans le but de s’assurer de l’obéissance de certains prisonniers cherchant à éviter l’éloignement familial.
Forces de sécurité et violences étatiques
- 27 Cook (1982, p. 52).
- 28 Entretien avec le surveillant M. Walter, prison de Medium B, Pollsmoor, 26/02/2008.
- 29 Entretien avec la surveillante Mme. Allen, prison pour femmes de Pollsmoor, 31/03/2011.
- 30 Entretien avec le surveillant M. Barends, prison de Medium B, Pollsmoor, 25/02/2008.
- 31 Prisons Act n° 8 de 1959.
12Sous l’apartheid, l’administration pénitentiaire, tout comme la police, était militarisée et racialisée27. Les gardiens suivaient une formation de six mois, qui consistait en un entraînement militaire visant à « forger leur caractère »28. À Pollsmoor, chaque matin, les membres du personnel devaient former deux parades, l’une regroupant les Blancs, l’autre les « non-Blancs ». La ségrégation façonnait tous les aspects du quotidien, des consignes lues jusqu’aux toilettes et tasses de café. Ceux dont le physique ne cadrait pas avec les catégories raciales instituées par le régime devaient constamment sortir leur carte d’identité, sur laquelle était inscrite leur « race officielle », pour prouver leur appartenance à tel ou tel groupe29. La ségrégation affectait également les tâches qui leur étaient attribuées. Jusqu’à la fin des années 1980, les postes de commandement étaient en règle générale réservés aux Blancs, les emplois à l’intérieur des sections aux « Coloureds » tandis que les « Africains » devaient effectuer des rondes nocturnes pour contrôler le périmètre de sécurité30. La loi sur les prisons (Prisons Act) de 1959 assurait aux surveillants une grande impunité quant à la violence à laquelle ils pouvaient avoir recours dans le cadre de leur travail, et interdisait la diffusion dans la sphère publique de toute information jugée diffamatoire31.
- 32 Brewer (1994, p. 16-17).
- 33 Fourchard (2011, p. 527).
13Des mesures similaires protégeaient l’action de la police. L’idéologie de cette dernière répondait à une logique de guerre. Ses liens avec l’armée avaient été renforcés en 1960, ainsi que les pouvoirs exceptionnels qui lui étaient attribués. L’institution était caractérisée par l’entraînement militaire destiné aux policiers en formation, par sa hiérarchie racialisée, ainsi que par la modernisation et la professionnalisation limitées de son fonctionnement depuis 1913, date à laquelle elle avait été créée sur le modèle de la Police royale irlandaise et des premières polices afrikaners32. La police sud-africaine est donc restée, tout au long de l’apartheid, une force répressive reproduisant des méthodes coloniales dans le but d’assurer la perpétuation du système d’apartheid. Jusqu’au milieu des années 1980, la loyauté des forces de sécurité envers l’État était assurée par l’influence du discours criminologique élaboré par les Afrikaners nationalistes sur les membres de ces forces armées. Selon ce discours, la « détribalisation » des Noirs, combinée à l’industrialisation et à la prolétarisation, permettait d’expliquer le caractère fondamentalement criminel, dangereux et infantile des « non-Blancs »33. Sous couvert de légitimité scientifique, cette théorie justifiait les violences les plus extrêmes contre un ennemi diabolisé et bestialisé, répondant à l’archétype des représentations coloniales. Elle formait également la base justifiant la politique de développement séparé visant à regrouper les différentes populations noires dans des réserves – qui constituaient 13 % du territoire national – où elles auraient leur propre gouvernement, ainsi que leurs propres prisons et police.
- 34 Brewer (1994, p. 121).
- 35 Entretien avec le surveillant M. Barends ; Biko (1978, p. 120).
- 36 Brewer (1994, p. 61, 208 et 239).
- 37 GP, Rapport annuel du directeur des prisons, 1975-1976.
14Face à un tel discours, le rôle et la position des gardiens et des policiers noirs travaillant pour le régime d’apartheid était équivoque. D’une part, ils étaient discriminés au sein de leurs institutions, recevant des salaires moins élevés que les Blancs et n’ayant accès qu’à des promotions limitées. Ce n’est qu’en 1952, par exemple, qu’une école de formation a été ouverte pour les policiers noirs34, car l’idée de leur offrir un entraînement militaire était jusqu’alors jugée dangereuse. D’autre part, la population noire contemplait les gardiens et policiers noirs avec méfiance, voire hostilité, et les considérait souvent comme faisant partie des oppresseurs35. En 1957, il y avait 11 250 policiers blancs dans le pays, pour 10 889 policiers noirs. En 1975, malgré le nombre grandissant de policiers, du fait de la croissance démographique en Afrique du Sud, le ratio de policiers pour 1 000 habitants était de 1.27, à peine supérieur à celui de 1915 (1.23)36. En 1976, il y avait 7 671 surveillants blancs dans les prisons, pour 6 331 noirs37. Ces chiffres officiels, cependant, ne prennent pas en compte les autres forces de sécurité, comme la police du Bureau pour le travail indigène ou celle du Département des affaires indigènes, ou les forces exclusivement noires créées à partir de la deuxième moitié de l’apartheid pour renforcer la présence armée de l’État dans les townships.
- 38 Glaser (2005, p. 122).
- 39 Olivier et Marks (2006, p. 203).
- 40 Rauch et Storey (1998).
- 41 Anderson et Killingray (1991, p. 10).
- 42 HPW, A2084. Zyl Smit, D.V., Facts From Prison Figures : The Case of Influx Control, 1985.
- 43 Fourchard (2012).
15Le 21 mars 1960, lors de ce qui serait appelé le massacre de Sharpeville, la police tira sur une foule de plusieurs milliers de manifestants pacifiques protestant contre les laissez-passer, faisant 69 morts et 180 blessés. Suite à ce soulèvement, les forces de l’ordre subirent une réorientation idéologique, reflétée par la création d’une police antiémeute en 1962, de la Branche Spéciale (Special Branch ou Security Branch) en 1963 et d’une unité contre-révolutionnaire à la fin de la décennie38. En réponse aux révoltes toujours plus nombreuses à partir de la deuxième moitié des années 1970 et à l’intensification des attaques par les branches armées des mouvements de résistance, la police s’est graduellement rapprochée d’un style paramilitaire39. À partir de 1974, le service de conscrits blancs auprès de la police a souligné le développement croissant d’une stratégie contre-révolutionnaire dans une perspective de « guerre de basse intensité »40. La police sud-africaine concentrait son action de protection civile dans les quartiers blancs, le contrôle social étant réservé aux townships où elle effectuait des raids réguliers, arrêtant arbitrairement ceux qu’elle percevait comme des leaders politiques et des gangsters, tout en appliquant les lois sur la production d’alcool et la régulation du flux des travailleurs noirs (influx control)41. Ainsi, entre 1978 et 1979, 40,2 % des Noirs condamnés à une peine de prison avaient été accusés d’avoir enfreint les lois sur les laissez-passer42. Cette spécificité du contrôle policier étatique dans les quartiers noirs constituait un des éléments expliquant l’apparition d’organisations populaires coercitives, tour à tour soutenues par les habitants et la police selon l’époque, comme les groupes de vigilantes qui joueraient un rôle ambivalent lors de la transition démocratique43.
- 44 Pour une analyse de l’impunité dont bénéficiait la police sud-africaine pendant l’apartheid, voir F (...)
- 45 Dubow (1995, p. 159).
- 46 Steve Biko était le fondateur et leader du Mouvement de la conscience noire. Il mourut en 1977, apr (...)
- 47 Entretien avec le prisonnier M. Urbosch, prison de Medium B, Pollsmoor, 28/02/2008.
- 48 Van Dam Committee, Report of the Committee of Inquiry into Events at the Barberton Maximum Security (...)
16Dans ce contexte, où la souveraineté et l’obéissance au régime d’apartheid étaient assurées par des forces armées formées dans une perspective de guerre intérieure et protégées par le système judiciaire44, les violences étatiques se sont multipliées. À l’intérieur des prisons comme à l’extérieur, la perception des Noirs en tant que swart gevaar (péril noir), en tant que foule menaçante prête à envahir, attaquer et contaminer la communauté blanche minoritaire a formé le cadre rendant possible – voire légitime – un grand nombre d’exactions et de massacres. L’intervention croissante des discours psychiatriques et criminologiques dans le champ judiciaire permettait également la définition de la déviance en termes de différences culturelles. Le remplacement de la référence à la race par celle de culture permettait à la fois d’adapter à la seconde moitié du XXe siècle un imaginaire profondément colonial et de réconcilier, comme l’a affirmé Saul Dubow, les adeptes du paternalisme civilisateur et ceux d’une répression justifiée par un racisme scientifique45. Diffusée dans les systèmes judiciaire, policier et pénal, cette conception du swart gevaar est un des déterminants de massacres policiers tels ceux de Soweto en 1976, du Cap Ouest en 1980, du Vaal Triangle en 1984 ou encore de Uitenhage en 1985, ainsi que de nombreux actes de torture et morts suspectes dans les cellules de police, comme l’assassinat de Steve Biko en 197746. À l’intérieur des prisons, les meurtres maquillés, la disparition des corps, les tabassages collectifs et la torture psychologique constituaient également la norme47. Ainsi, en 1983, le massacre de la prison de Barberton, pendant lequel cinq prisonniers furent tués par des surveillants, a révélé au grand jour certaines pratiques particulièrement humiliantes, comme la « cérémonie d’initiation » réservée par les gardiens et certains prisonniers aux nouveaux arrivants, qui consistait à fouetter ces derniers jusqu’au sang, alors qu’ils couraient en cercle, nus, dans une cour intérieure48.
17Ces techniques de maintien de l’ordre ne peuvent cependant pas être comprises sans les diverses formes de résistance qui les ont accompagnées. Alors qu’à partir de 1985, le gouvernement répondait à la propagation de l’insurrection dans le pays par la déclaration d’états d’urgence successifs permettant l’occupation des townships par l’armée, dans l’enceinte de Pollsmoor, de nouvelles alliances se formaient, annonçant l’escalade de violence qui allait caractériser la transition démocratique.
Entre réforme et répression, résistance et collaboration
- 49 PA, 1/4/1/4/1. Lettre des services carcéraux au commissaire provincial du Cap Ouest, 02/02/1989.
- 50 Entretien avec le prisonnier M. Bashophu, prison de sécurité maximale de Pollsmoor, 29/03/2011.
18Dans les années 1980, le Parti national au pouvoir a tenté de contrecarrer, par une répression accrue, le mot d’ordre du mouvement de résistance de l’ANC qui visait à rendre le pays ingouvernable. Au même moment, le gouvernement initiait une série de réformes, en une ultime tentative pour retrouver une certaine légitimité aux yeux de la population noire. En réponse à l’instauration d’un parlement tricaméral en 1983, qui accordait une représentativité limitée aux « Coloureds » et aux « Indiens » tout en excluant les « Africains », de nombreux boycotts ont été organisés, révélant les limites du nouveau programme gouvernemental. À Pollsmoor, ce paradoxe politique apparent a pris la forme d’améliorations matérielles sans véritable changement quant à l’environnement autoritaire. Alors que l’administration pénitentiaire commençait à remplacer les paillasses par des lits, à fournir des habits chauds pour l’hiver ou à distribuer plus de savon et de dentifrice49, les détenus devaient toujours marcher trois mètres derrière les gardiens, sans pouvoir parler avant d’être questionnés, et ne disposaient que de très peu de moyens légaux pour porter plainte50. Cependant, la vie quotidienne des détenus de Pollsmoor ne se réduisait pas à une simple soumission à des pratiques mortifères. Comme dans les autres prisons d’Afrique du Sud, de nombreux prisonniers de Pollsmoor avaient décidé de s’organiser collectivement contre l’administration en adoptant un système de maintien de l’ordre parallèle à celui de l’administration pénitentiaire.
- 51 L’histoire de la mythologie du Nombre a été retracée en détail dans Van Onselen (1984).
- 52 Pour un récit sur les pratiques du Nombre à l’intérieur de Pollsmoor, voir Steinberg (2004a).
- 53 Entretien avec le prisonnier M. Hendricks, prison de sécurité maximale de Pollsmoor, 29/02/2008.
- 54 Bhabha (1994).
- 55 Steinberg (2004b).
- 56 Darke (2013b, p. 278).
- 57 De nombreuses autobiographies écrites par d’anciens prisonniers politiques attestent d’une telle at (...)
19Pendant les années 1980, les trois gangs frères du Nombre (The Number), les 26, 27 et 28 (the 26s, 27s and 28s) représentaient la force de dissidence majeure à l’intérieur de prisons telles Pollsmoor. Fondés au début du XXe siècle, ces gangs ont développé, sur la base d’une mythologie évoquant la résistance aux conditions d’exploitation dans les mines de la fin du XIXe siècle51, une hiérarchie militaire, symboliquement tatouée sur le corps des détenus, un système de justice, un langage propre – le sabela – ainsi qu’un code de conduite strict. Cette structure sociale se calquait sur l’organisation des armées colonisatrices du XIXe siècle et avait également incorporé certains rôles judiciaires. Elle ancrait son fonctionnement dans la violence, tout autant externe qu’interne. Sa perpétuation au fil des ans s’expliquait par le caractère flexible de son mythe fondateur, constamment réinventé selon la variation des impératifs sociaux. Pour les soldats de la ligne d’or du gang des 28, la procédure d’initiation incluait le fait de poignarder un surveillant ou un prisonnier ayant brisé les règles du Nombre52. Une fois sorti de la cellule d’isolement, où il avait été roué de coups, le nouveau membre pouvait prendre connaissance du mythe du Nombre et faire partie de cette structure de solidarité qui permettait aux détenus de s’organiser contre l’administration pénitentiaire53. La violence interne formait le ciment de cette organisation. Dans une opération de « mimétisme colonial54 », chaque membre déviant des normes du Nombre passait devant un « magistrat », qui prononçait des sanctions allant de la nécessité de refaire ses preuves à la peine de mort55. De façon semblable aux gangs actuellement présents dans les prisons brésiliennes, tel le Primeiro Comando do Capital (PCC), le Nombre, s’opposant souvent et négociant parfois avec les surveillants, avait mis en place un code de conduite et des méthodes d’auto-organisation permettant la survie des prisonniers de droit commun dans des conditions légèrement plus supportables56. Bien que la grande majorité des prisonniers politiques considérait les membres du Nombre avec un mépris teinté d’horreur57, ces derniers se percevaient comme les frères d’armes des résistants anti-apartheid. Cette revendication, liée au cheminement d’une subjectivation politique spécifique pour les prisonniers de droit commun, allait former une des bases des révoltes carcérales de 1994.
- 58 Ellis (1998, p. 275).
20La structure interne et les relations entre les mouvements de résistance n’étaient d’ailleurs pas dépourvues de violence. Cette caractéristique s’est accélérée à partir des années 1980, avec l’apparition de nouveaux acteurs et modes de résistance. La diffusion du Mouvement de la conscience noire dans les années 1970, alors que les principaux partis de la résistance se trouvaient à l’étranger pour organiser la lutte armée, a profondément changé les répertoires d’action et le type de personnes s’engageant dans les mobilisations collectives. Les soulèvements d’étudiants comme celui de Soweto en 1976 se sont multipliés, créant des modes de résistance plus divers dans les townships comme dans les zones rurales. L’adoption d’une stratégie contre-révolutionnaire totale par le gouvernement à la fin des années 1970, en réponse à la perception de la menace d’un assaut généralisé (total onslaught) de la minorité blanche par des forces communistes étrangères et nationales, a également changé le paysage de la répression. Parallèlement au discours sur les réformes des gouvernements Viljoen et Botha, dans les années 1980, les forces armées du pays ont planifié une série d’attaques contre les trains, d’assassinats ciblés et de massacres en vue de déstabiliser le pays et tenter de prouver que l’influence grandissante de l’ANC n’entraînait que chaos et violence58.
- 59 Klopp et Zuern (2007, p. 135).
- 60 Dlamini (2014).
- 61 Haysom (1989, p. 189).
21L’efficacité de cette « Troisième Force », dont les instigateurs étaient encore méconnus à l’époque, reposait sur l’instrumentalisation d’un certain nombre d’acteurs par la police et l’armée. Ainsi, en 1986, des membres de l’Inkatha Freedom Party (IFP), le parti nationaliste zoulou, ont été entraînés par l’armée sud-africaine avant d’être déployés en tant que forces paramilitaires pour attaquer des groupes de l’ANC59. Au moment de la transition démocratique, le conflit entre l’IFP et l’ANC avait pris de l’ampleur, générant une série d’attaques sanglantes entre les deux mouvements, et permettant au président De Klerk d’évoquer la violence « tribale » comme preuve de l’incapacité des Noirs à se gouverner. Les askaris, anciens membres de mouvements de résistance regroupés en unités – comme le tristement célèbre centre de Vlakplaas – travaillant sous le commandement de la police, ont été à l’origine d’un grand nombre d’assassinats politiques lors de la transition démocratique60. Enfin, des groupes de vigilantes – structures d’autodéfense populaire – conservateurs appuyés par la police ont contribué au déchaînement de violence dans les townships au moment où débutaient les négociations entre le Parti national et les mouvements de la résistance61.
- 62 Ellis (1998, p. 279).
- 63 Pour une étude historique de l’émergence de cours populaires dans la région du Transkei dans les an (...)
- 64 Buur et Jensen (2004, p. 142).
22L’utilisation des gangs pour des questions de collaboration, de protection et d’accès aux armes par la police et par les mouvements de la résistance s’est également renforcée à la fin des années 198062. Pendant la deuxième moitié de l’apartheid, alors que la justice était graduellement devenue criminelle aux yeux de la majorité de la population sud-africaine, les gangs s’étaient impliqués dans les conflits politiques locaux et les passages en prison avaient été perçus comme le résultat d’une violence structurelle oppressive et de la répression policière. La délégitimation d’un système judiciaire voué à appliquer les lois raciales du pays avait également donné naissance à des cours populaires de justice et des comités de rue dès l’instauration de l’apartheid63. Dans la région du Cap Ouest comme dans celle de Witwatersrand, à la fin des années 1980, l’amplification des conflits politiques au niveau local et la confusion croissante entre les règlements de compte personnels et les tensions politiques ont transformé ces cours populaires de justice. Le « supplice du collier » (necklacing), cette pratique consistant à placer un pneu autour du condamné – souvent accusé d’avoir collaboré avec la police – et à l’arroser d’essence avant d’y mettre feu, est devenu le symbole de ces cours populaires souvent affiliées à l’ANC mais peu enclines à obéir à son commandement64.
De nouveaux acteurs historiques
- 65 South African History Archives (SAHA), AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
23Ces alliances changeantes, ces coalitions secrètes, l’entremêlement croissant des motifs politiques et criminels, les incendies, toutes ces nouvelles formes de lutte, de résistance, de collaboration et de survie, dont la violence exacerbée constituait un des points communs, ont eu une profonde influence sur les mouvements au sein des prisons. À la fin des années 1980, l’ouverture relative de l’institution due aux réformes graduelles a permis la création de nouvelles alliances visant à protéger les droits des prisonniers et ceux des gardiens. En 1988, les détenus politiques et de droit commun de la prison de Modderbee, l’une des institutions où les révoltes de 1994 allaient être les plus importantes, ont formé l’Organisation des prisonniers sud-africains pour les droits de l’homme (South African Prisoners’ Organisation for Human Rights, SAPOHR). L’administration pénitentiaire a rapidement mis en place des techniques de répression spécifiques contre « la voix des prisonniers d’apartheid65 » et contre le Mouvement démocratique des prisonniers (Prisoners’ Democratic Movement, PDM) établi en 1990 à la prison de Saint Albans. Malgré la répression, l’ouverture d’un bureau national de SAPOHR par l’ex-prisonnier Golden Miles Bhudu en 1992 a prouvé la solidité de cette organisation, qui définissait ses premiers objectifs ainsi :
- 66 Ibid.
Transformer et démocratiser les ‘Services correctionnels’ et la ‘Justice pénale’ de l’Afrique du Sud.
Lutter contre les violations des droits de l’homme dans les prisons sud-africaines, provoquées par le système d’apartheid, et promouvoir les droits humains et civils des suspects, prisonniers, détenus, ex-prisonniers et des familles.
Devenir la voix des suspects, détenus, prisonniers, ex-prisonniers et familles, pour attirer l’attention sur leur condition et pour répondre aux besoins de réforme, de justice, d’éducation et de formation quant à la réintégration et la recherche d’emploi66.
- 67 Holston (2009, p. 17).
24La manière de formuler ces objectifs prouvait l’influence grandissante d’un discours centré sur les droits de l’homme à l’intérieur des prisons et notamment repris par les membres des gangs. Comme au Brésil à la fin des années 1980, les bouleversements sociaux et politiques en Afrique du Sud ont provoqué un débat profond sur les notions d’appartenance et d’exclusion liées aux concepts de citoyenneté et de démocratie67. Les membres des gangs ont voulu participer à cette refonte de notions élémentaires, s’appuyant sur leur rôle dans les mobilisations collectives aux marges de la société pour élaborer leur discours. Ce bureau national, dont les affirmations sur la criminalité du système judiciaire d’apartheid étaient largement partagées par la population carcérale, allait rendre possible l’établissement d’un véritable rapport de force avec l’administration pénitentiaire, permettant à SAPOHR de jouer un rôle clé dans la coordination et la légitimation des révoltes de 1994.
- 68 HPW, AG3221. ‘Justice for All’, chronologie de POPCRU, 1989.
- 69 The Citizen, 12/08/1989 ; entretien avec le lieutenant M. Rorke, prison de Medium B de Pollsmoor, (...)
25En 1989, suite aux déclarations publiques du lieutenant de police Gregory Rockman, selon lesquelles les membres de la police antiémeute de la région du Cap Ouest se comportaient comme « une meute de chiens enragés », des gardiens noirs et « coloureds » de Pollsmoor ont contacté le lieutenant68. En novembre, ils créaient ensemble le Syndicat des droits civiques pour la police et la prison (Police and Prisons Civil Rights Union, POPCRU) afin de protester contre la hiérarchie militaire et raciale de ces deux forces armées69. La multiplication des boycotts et des manifestations par ce syndicat, rapidement devenu national et considéré comme illégal par le gouvernement et les institutions carcérales et policières, allait également constituer un élément crucial expliquant la diffusion de révoltes carcérales d’une telle ampleur en 1994. Comme dans le reste de la société, le mélange de répression accrue et de réformes caractérisant la transition démocratique sud-africaine allait créer les conditions permettant l’éclosion de larges mouvements de protestation. La dissolution graduelle de la hiérarchie militaire des gardiens et l’émergence d’une voix publique pour les prisonniers sous la forme de SAPOHR ont brisé l’équilibre fragile qui permettait le maintien d’une situation de paix relative à l’intérieur des prisons et ont laissé apparaître les premières failles d’où allaient surgir les révoltes des prisonniers lors de la transition démocratique.
Amnisties, boycotts et grèves de la faim
- 70 Mphahlele (2002, p. 202).
- 71 MAR, BC1210. Déclaration d’intention des prisonniers de Robben Island, 1990.
26En février 1990, la libération de Nelson Mandela et la légalisation des mouvements de résistance ont symbolisé le début des négociations officielles entre le Parti national au gouvernement et les différents groupes anti-apartheid. Ces négociations ont été tumultueuses, marquées par de fréquentes ruptures et ont pris place dans un contexte de violences croissantes. L’amnistie des prisonniers politiques et l’abandon de la lutte armée ont été deux des raisons principales entraînant de forts contentieux entre les divers acteurs engagés dans les négociations. Si l’ANC a accepté de mettre en suspens toute action armée lors des accords du 6 août 1990 (Pretoria Minute), d’autres mouvements, comme le Congrès panafricain (PAC), ont refusé de rendre les armes70. La question des amnisties a été difficile à régler et a provoqué de nombreux mouvements de protestation à l’intérieur des prisons. En mars 1990, à Robben Island, plusieurs centaines de prisonniers politiques ont entamé une grève de la faim, débutant ainsi une longue série de luttes carcérales. Ils revendiquaient l’amnistie générale de « toutes les personnes incarcérées qui s’étaient engagées de différentes façons contre le système d’apartheid, ses structures diverses et les forces réactionnaires dont le rôle est de maintenir et perpétuer le système d’apartheid71 ».
- 72 Pour un retour sur les différentes définitions du « délit politique » élaborées lors de la transit (...)
- 73 Cape Times, 30/09/1992.
- 74 New Nation, 7/11/1991.
- 75 Cape Times, 15/01/1994 ; entretien avec l’ex-prisonnier du PAC M. Khumalo, Le Cap, 05/04/2011.
27Cette conception de l’amnistie générale, qui faisait écho aux discours de Nelson Mandela sur la libération du pays, a été un élément fondateur qui allait déclencher les révoltes carcérales de 1994. En 1991 et 1992, alors que les prisonniers politiques multipliaient les grèves de la faim et que les prisonniers de droit commun s’impliquaient dans de nombreuses actions collectives, les accords de négociation successifs tardaient à trouver une définition exacte de ce qui constituait un délit politique72. Cette hésitation s’est vue reflétée dans la réaction de la presse et de l’opinion publique, parfois favorables aux amnisties politiques mais largement hostiles aux diminutions de peine généralisées. L’amnistie de certains prisonniers politiques, plus particulièrement ceux condamnés pour des assassinats, et la libération de prisonniers perçus comme des criminels par l’opinion publique73 ainsi que d’anciens policiers du régime d’apartheid condamnés pour des délits de droit commun74, ont été à l’origine de plusieurs scandales. Au même moment, l’emprisonnement en tant que détenus de droit commun de membres de partis politiques ayant commis des actes violents dans le but d’empêcher le déroulement des négociations, tels le PAC ou le Mouvement de Résistance Afrikaner (Afrikaner Weerstandsbeweging, AWB), n’a rendu que plus floue la délimitation entre délit politique et de droit commun75. En 1991, le Black Sash, une organisation de soutien aux prisonniers victimes des mesures répressives de l’apartheid, critiquait ainsi les mesures de libération mises en place par le gouvernement nationaliste :
- 76 UCT, MAR. Communiqué du Black Sash envoyé au gouvernement nationaliste, 30/08/1991.
Bien que les négociations entre le gouvernement et l’ANC sur les mesures de libération aient été rendues publiques, il n’est toujours pas sûr que ces accords soient applicables à d’autres partis politiques. Certains groupes d’extrême droite sont-ils, par exemple, parvenus à des accords avec le gouvernement ? Les prisonniers d’extrême droite ont-ils été libérés parce qu’ils avaient fait une demande officielle d’amnistie, et dans ce cas ces amnisties ont-elles été accordées, ou ont-ils été libérés de façon unilatérale ? […] Les diminutions de peine généralisées qui ont été déclarées depuis décembre dernier n’ont fait qu’aggraver une situation déjà confuse. Bien qu’elles aient pu permettre la libération d’un certain nombre de délinquants primaires, elles n’ont pas aidé les véritables prisonniers politiques qui ne font pas partie de cette catégorie. Ces amnisties ont provoqué la colère et la frustration d’un grand pourcentage de la population carcérale, tandis que l’absence de préparation concernant la libération de milliers de prisonniers de droit commun a eu pour conséquence l’apparition d’énormes problèmes à la fois pour les prisonniers eux-mêmes, pour leur famille et pour la société. De plus, ces mesures ont mis en doute la crédibilité du système judiciaire, et l’idée que les criminels ont une dette envers la société76.
- 77 Entretien avec M. Holler.
28Cette tentative de réaffirmer la distinction nécessaire entre prisonnier politique et de droit commun et la légitimité du système judiciaire illustrait le fait que la question des amnisties était ancrée dans le contexte plus général de la transition démocratique, moment de doute quant au besoin de transformer plus profondément les mécanismes de contrôle social et de repenser la définition de la déviance. Un tel discours reflétait également une conception du délit politique qui ne prenait pas en compte les mécanismes de criminalisation légaux mis en place par le régime d’apartheid. Cette conception était aussi visible dans les critères établis par les comités d’indemnité et justifiant l’accord d’une amnistie. Ces critères excluaient de fait la grande majorité des prisonniers qui ne bénéficiaient pas de l’aide d’un avocat pour remplir les formulaires nécessaires77. Au commencement de la transition démocratique, l’hésitation autour de la définition du prisonnier politique, l’escalade de violence mêlant police, cours populaires, vigilantes, partis politiques et gangs, ainsi que la libération de membres des forces de sécurité d’apartheid et de partis d’extrême droite en contrepartie de l’amnistie des prisonniers politiques de l’ANC ont suscité une frustration grandissante au sein des prisons. Les discours de Nelson Mandela et les textes d’appels des prisonniers politiques ainsi que l’idéologie de résistance du Nombre ont augmenté le désarroi.
- 78 The Citizen, 2/07/1991.
- 79 Pour une analyse du rôle de la grève de la faim en prison, voir Bourgoin (2011) et Roux (1997).
- 80 Cape Times, 15/08/1991.
29À Pollsmoor, de 1991 à la fin de l’année 1993, les revendications d’amnistie générale pour tous les prisonniers ont donc motivé une grande partie des mouvements de protestation. Malgré les déclarations de diminutions de peines généralisées, telle la rémission d’un tiers de la peine pour les non-récidivistes le 1er juillet 199178, l’agitation s’est intensifiée à Pollsmoor, comme dans de nombreuses autres prisons sud-africaines. Les modes de protestation privilégiés incluaient les grèves de la faim, une des conduites auto-agressives les plus répandues parmi les prisonniers79 ; les boycotts des ateliers et autres lieux de travail, qui étaient jusque-là obligatoires ; et les sit-in collectifs avec refus de remonter en cellule. Les incendies ont également fait leur apparition. Ainsi, en août 1991, tandis que 700 prisonniers de Pollsmoor étaient en grève du travail pour protester contre la discrimination raciale et l’absence d’amnistie généralisée, les prisonniers de Leeuwkop, près de Johannesburg, incendiaient leur literie pour s’opposer aux amnisties réservées aux non-récidivistes80.
- 81 Entretien avec la surveillante Mme. Mhlabeni, prison de Medium B de Pollsmoor, 25/02/2008.
- 82 The Star, 14/03/1990 ; New Nation, 11/05/1990.
- 83 The Star, 17/03/1990.
- 84 City Press, 3/12/1989.
- 85 L’UDF fut créé en 1983 dans le but de rassembler les différentes associations et partis luttant con (...)
- 86 The Citizen, 27/03/1990.
30Les vagues de protestation qui traversaient les prisons n’étaient pas le seul fait des détenus. Pendant la première moitié de la transition démocratique, les manifestations et sit-in des gardiens et policiers se sont amplifiés. De nombreux membres de POPCRU ont été suspendus de leurs fonctions ou arrêtés par les policiers qui ne récusaient pas les ordres de leur hiérarchie. La répression a été telle qu’une quinzaine d’années plus tard, quand les entretiens pour cette recherche ont été réalisés à Pollsmoor, certains surveillants refusaient encore de parler de leur engagement à l’époque81. Dans un renversement soudain, des gardiens et policiers membres de POPCRU furent attaqués par les chiens de la police, soumis aux coups et aux gaz lacrymogènes, arrêtés et traînés dans des cellules de détention préventive82. Cette répression pouvait avoir lieu sous les yeux des prisonniers ou de la population de villes comme Le Cap, Durban et Pretoria. Les revendications de POPCRU étaient multiples. Elles concernaient principalement la hausse et l’égalité des salaires ainsi que l’abolition du racisme des institutions policières et carcérales. POPCRU dénonçait le fait que les familles des policiers noirs n’avaient pas accès à l’assurance médicale prévue par le gouvernement, que les surveillantes noires mariées, à l’inverse des Blanches, étaient obligées de travailler de nuit et que les gardiens et policiers noirs et « coloureds » n’avaient pas accès aux mêmes promotions que les Blancs83. Le syndicat alertait également l’opinion publique sur les conditions de vie des prisonniers, révélant par exemple à la presse que de nombreux enfants étaient incarcérés à Pollsmoor et affirmant que l’apartheid à l’intérieur des prisons était « bien pire » qu’à l’extérieur84. Au cours des années 1990-1992, POPCRU a reçu le soutien officiel du Front démocratique uni (United Democratic Front, UDF85), de l’ANC et de la branche armée du PAC, cette dernière ayant promis de ne pas inclure les membres de POPCRU dans ses attaques contre les forces armées du pays. Pour les mouvements de résistance, POPCRU représentait en effet la promesse d’une « police populaire pour la nouvelle Afrique du Sud démocratique ».86
Les prisons en révolte
- 87 SAHA, AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
- 88 PA, 1/4/5/14. Fax du directeur de Pollsmoor au commissaire régional, 14/04/1994 ; PA,1/4/5/14. Fax (...)
31Au début de l’année 1994, le problème du droit de vote aux élections s’est ajouté aux conflits sur la définition du délit politique, attisant les frustrations des prisonniers de droit commun. Les refus répétés de la part du Comité exécutif transitionnel et du Parti national d’accorder le droit de vote aux prisonniers ont aggravé les tensions déjà présentes au sein des prisons et renforcé SAPOHR, dont le nombre de membres s’élevait désormais à 10 000, dans son rôle de porte-parole de l’ensemble des prisonniers du pays87. Alors que les élections étaient prévues pour le 27 avril 1994, en mars, les différents groupes faisant partie de la Convention pour une Afrique du Sud Démocratique (CODESA) ne s’étaient toujours pas mis d’accord sur l’octroi du droit de vote. L’incertitude se propageait dans les prisons. L’administration pénitentiaire restait indécise, ne sachant pas s’il était nécessaire de produire des cartes d’identité temporaires et d’organiser des ateliers de formation au vote88. SAPOHR a prévenu que « le silence effrayant et le manque d’action » autour des « institutions d’apartheid » ne pouvaient plus cacher que la situation dans les prisons était devenue explosive, ajoutant que :
- 89 SAHA, AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
32Le grand nombre de morts et les graves violations des droits de l’homme au cours des dernières semaines et des derniers mois ont révélé que le présent Département des services correctionnels n’est pas capable et refuse de respecter les droits et le bien-être des prisonniers. Les questions de l’opinion publique quant aux violations, au racisme et à la corruption se voient systématiquement confrontées au déni et à l’occultation89.
- 90 Kriegler & al. (1995).
- 91 Entretien avec l’ancien chef d’unité M. Goedhals, prison de Medium B de Pollsmoor, 26/02/2008.
- 92 Kriegler & al.(1995).
33Le rôle de la rumeur, toujours important dans des lieux où la privation d’information participe des mécanismes de gestion de la population, devint prépondérant. Les messages contradictoires sur quelles catégories de prisonniers allaient pouvoir voter circulaient dans les prisons, laissant tour à tour les prisonniers politiques n’ayant pas bénéficié d’amnisties, les membres des gangs du Nombre, les prisonnières et les détenus en préventive mécontents. Le 18 mars, un jour après l’ultimatum lancé par SAPOHR revendiquant le droit de vote pour tous les prisonniers, les premières révoltes ont éclaté dans les prisons de Medium A et de sécurité maximale de Pollsmoor90. Alors que SAPOHR appelait seulement à un mouvement massif de grèves de la faim et du travail, l’insurrection qui s’est répandue dans des dizaines de prisons a attesté de la colère des détenus. À Pollsmoor, Medium A puis la prison de sécurité maximale et la prison pour femmes ont été prises d’assaut par les détenus, qui ont arraché les portes, attaqué des gardiens et tenté de détruire les bâtiments à l’aide de tout ce qu’ils avaient sous la main91. Après une accalmie relative, le mouvement s’est ravivé début avril. Le 12, les détenues de Pollsmoor, sans coordination préalable avec les autres sections, ont incendié une partie de la prison pour femmes92. Seul l’accord du droit de vote pour la majorité des prisonniers juste avant les élections a mis fin à cette vague d’insurrection.
- 93 The Star, 31/03/1994 ; Business Day, 15/06/1994.
- 94 The Eastern Province Herald, 11/02/1994.
- 95 The Star, 30/09/1992 ; Business Day, 29/10/1993.
- 96 Cape Times, 21/031994 ; The Eastern Province Herald, 21/03/1994.
- 97 New Nation, 6/05/1994 ; The Eastern Province Herald, 15/06/1994.
34La reprise des sit-in, boycotts et incendies début juin 1994, pour exiger l’amnistie générale de tous les prisonniers, a révélé que les deux vagues d’insurrection n’étaient pas uniquement liées à des revendications politiques ponctuelles. Pour chaque prison touchée par les révoltes, l’éclosion des soulèvements était déterminée par des conditions locales relatives à la violence exercée par les surveillants, à la discrimination raciale, à l’influence du Nombre et aux contentieux entre les gardiens. À Pollsmoor, des centaines de surveillants ont participé aux manifestations et sit-in organisés par POPCRU93. Suite à ces mouvements, l’arrestation de nombreux membres du syndicat, légalisé au début de l’année 1994 sans que son droit de grève ne soit reconnu, a clairsemé les rangs des surveillants censés être à leurs postes lors des révoltes carcérales94. Tout au long de la transition démocratique et jusqu’en 1994, il n’était pas exceptionnel de voir les membres de POPCRU manifester en portant les couleurs de l’ANC ou les détenus encourager depuis leurs cellules les gardiens en grève95. Ces nouvelles alliances renversèrent en partie les perceptions jusqu’alors largement partagées selon lesquelles les policiers et gardiens noirs étaient de simples collaborateurs. De plus, en 1994, les surveillants affiliés à POPCRU ont laissé filtrer à la presse des informations concernant les tabassages et assassinats de prisonniers par les forces d’intervention spéciale et par certains gardiens blancs96. Alors que la tension qui allait déboucher sur les révoltes carcérales s’aggravait, ils avaient à de nombreuses reprises demandé à leurs supérieurs de pouvoir parler avec les détenus dans le but d’entamer un dialogue et de trouver une solution à leurs revendications, demandes que les autorités avaient systématiquement refusées97.
Conclusion : subjectivité politique et répression
- 98 The Star, 28/02/1985.
- 99 PA, 1/3/14. ‘Les meurtres en prison : pourquoi ?’ Rapport de l’Institut national pour la préventi (...)
- 100 Entretien avec le surveillant M. Butshingi, prison de Medium B de Pollsmoor, 25/02/2008.
35En 1994, les détenus ont réussi à organiser des mobilisations collectives de grande ampleur en utilisant plusieurs structures, celles des gangs du Nombre, particulièrement puissants à Pollsmoor, celles de SAPOHR, ou encore les structures politiques des mouvements de résistance qui venaient d’être légalisés. Ils ont associé les revendications de subjectivité politique – les prisonniers cherchant à redéfinir les frontières délimitant quels sujets politiques auraient le droit de participer à la construction de la nouvelle société sud-africaine – à leur idéologie de résistance contre l’apartheid symbolisé par le système pénitentiaire. Le recours aux grèves de la faim, aux attaques entre prisonniers et aux incendies de cellule a témoigné d’une volonté d’attirer l’attention de la sphère publique par tous les moyens possibles, y compris la mise en danger de la vie des insurgés. Les rixes entre détenus étaient une méthode utilisée par le Nombre depuis les années 1970. Elles permettaient un accès aux médias, qui relayaient, parmi les descriptions sensationnalistes de la « sauvagerie » des membres des gangs, les problématiques liées aux conditions de détention des prisonniers98. En cas de morts, les rixes constituaient également un moyen de parvenir à l’arène publique que représentait la Cour de Justice où les prisonniers pouvaient s’exprimer face au reste de la société, même si leurs voix étaient systématiquement décrédibilisées99. Lors des révoltes de 1994, en déclenchant des rixes entre détenus ou en mettant le feu aux literies, prenant le risque que les portes des cellules se dilatent et empêchent les surveillants de les ouvrir pour étouffer le feu, les prisonniers tentaient de prouver le caractère mortifère de leur incarcération et de leur isolement au moment où le reste de la société redéfinissait les limites de la citoyenneté, du politique et du crime100.
- 101 Entretien avec le surveillant M. Muller, membre de l’unité spéciale d’intervention, prison pour fem (...)
- 102 New Nation, 06/05/1994 ; City Press, 13/11/1994 ; MAR, BC1020. Rapport de la Commission des servi (...)
- 103 PA, 1/8/1. Lettres variées écrites par des prisonniers, concernant des demandes d’amnistie, 11/1994
- 104 Entretien avec le surveillant M. Bartram.
36Les négociations avec le gouvernement nationaliste puis celui de l’ANC ont débouché sur l’accord du droit de vote à une majorité des prisonniers en avril ainsi que sur l’octroi d’une diminution de peine générale de six mois en juin et ont aidé à l’essoufflement des mouvements de protestation. Toutefois, la répression brutale qui s’est abattue sur les prisons lors des révoltes a joué un rôle plus important dans la disparition relative des actions collectives. Lors des révoltes, les Équipes de renfort d’urgence (Emergency Support Teams), connues également sous le nom d’Unités spéciales d’intervention (task forces), assistées de membres de la police tout aussi lourdement armés, ont roué de coups, gazé et lâché leurs chiens sur les prisonniers et prisonnières101. Les représailles subies par ces derniers de la part de l’administration pénitentiaire, qui incluaient des transferts, des peines supplémentaires, des envois à l’isolement et des régimes alimentaires réduits, ont également accéléré la disparition graduelle, à la fin de l’année 1994, des actions de protestation collectives102. Les répertoires d’action se sont alors transformés, les grèves de la faim individuelles ou rassemblant une dizaine de détenus et les plaintes contre l’administration se substituant aux incendies et aux sit-in103. Cette retombée graduelle des protestations a été accompagnée d’un mouvement similaire chez les gardiens et des policiers. La promotion de nombreux membres de POPCRU à des postes supérieurs et les liens entretenus avec l’ANC, désormais au pouvoir, ont eu un impact sur la combativité du syndicat, dont le fonctionnement s’est peu à peu réduit à celui, plus classique, d’un simple syndicat corporatiste104.
37Comme dans d’autres contextes historiques, les révoltes ont révélé l’importance du rôle joué par la prison lors des transitions démocratiques. À travers leurs mobilisations collectives, les prisonniers ont d’abord rappelé l’histoire de leur incarcération, profondément liée aux lois raciales de l’apartheid, aux impératifs d’incarcération massive et au développement de techniques de maintien de l’ordre. Ils ont également réussi à montrer au reste de la société, ne serait-ce que pour un bref moment, que face aux violences étatiques sévissant à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, de nombreuses formes de survie, de solidarité et de collaboration avaient été élaborées au cours de l’apartheid, révélant l’ébauche de nouvelles subjectivités politiques. La création d’une association de prisonniers et d’un syndicat de gardiens au moment de la mise en place de réformes à la fin de l’apartheid a brisé l’équilibre instable qui caractérisait jusque-là les relations entre administration pénitentiaire et détenus. Les mouvements de protestation se sont accélérés pour culminer en 1994, révélant le processus de subjectivation politique qu’avaient vécu les prisonniers de l’apartheid. Les révoltes ont permis, pendant quelques mois, de ne plus pouvoir nier qu’il était nécessaire de prendre en compte la place de la prison et des techniques de maintien de l’ordre dans la reconstruction des structures politiques, économiques et sociales de la nouvelle démocratie sud-africaine.
- 105 Blanchard, Deluermoz et Glasman (2011, p. 47). Voir également Rigouste (2009).
- 106 Voir Foucault (1997).
38L’histoire sud-africaine, particulièrement sous le régime d’apartheid, est souvent considérée comme étant exceptionnelle. Il est vrai que certains aspects, comme la perpétuation d’une ségrégation officielle jusque dans les années 1990 et la difficulté à établir une rupture coloniale/postcoloniale, rendent le contexte sud-africain spécifique. Cependant, l’étude des mécanismes de maintien de l’ordre à l’intérieur et à l’extérieur des prisons des années 1970 à la transition démocratique dévoile des logiques qui se retrouvent dans d’autres contextes coloniaux ou dans les répertoires d’action, qui unissent « le centre et la périphérie de l’empire », des forces de l’ordre européennes105. Ainsi, le lien entre biopouvoir, peine de mort et racisme institutionnalisé106 ; l’inscription de la police et des surveillants pénitentiaires dans un contexte de stratégie contre-révolutionnaire et de guerre civile de basse intensité ; la frontière fluctuante entre déviance politique et de droit commun ainsi que l’influence des mouvements d’insoumission des gardiens et des policiers sur les possibilités de révoltes carcérales apparaissent de manière plus visible dans le contexte de l’apartheid tout en trouvant écho dans d’autres cadres historiques. De manière encore plus frappante, le cas sud-africain est un exemple supplémentaire du fait que le rôle de la prison est rarement repensé en profondeur lors des transitions démocratiques et des bouleversements politiques. Cette caractéristique explique, en partie, les difficultés récurrentes des nouveaux régimes à rompre avec des techniques de maintien de l’ordre héritées du passé.
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Notes
1 Rubio (2013, p. 130) ; sur la création de subjectivités et les processus de subjectivation, voir Foucault (1982).
2 Sur l’historiographie des révoltes carcérales et du rôle joué par les prisons lors des transitions, voir entre autres Wicker (1976) pour la révolte d’Attica, Carrabine (2004) pour celle de Strangeways, Rubio (2013) pour les révoltes de la transition espagnole, Buntman et Huang (2000) pour les transitions sud-africaine et taïwanaise, Shaw (2002) pour la transition sud-africaine, Anderson (2004) pour les révoltes turques, Darke (2013a) pour le massacre de Carandiru au Brésil, ou encore Artières, Lascoumes et Salle (2004) pour un cadre plus européen.
3 Voir notamment Dubow (1995), Brewer (1994), Foster, Haupt et De Beer (2005), Fourchard (2011), Haysom (1989) et Rueedi (2013).
4 À l’exception de Steinberg (2004a) pour les prisonniers de droit commun. Les mobilisations collectives de prisonniers politiques ont fait l’objet de recherches plus nombreuses, dont celle de Buntman (2003) sur la prison de Robben Island.
5 Par respect pour les personnes interviewées et en accord avec le règlement du Département des services correctionnels sud-africain, tous les patronymes des personnes interviewées ont été modifiés.
6 Parmi les autobiographies de prisonniers politiques utilisées pour cette recherche, voir notamment Dlamini (1984), Mandela (1994), Mphahlele (2002).
7 L’évolution de la police sud-africaine pendant l’apartheid est retracée dans Brewer (1994).
8 Le Mouvement de la conscience noire, inspiré notamment par les écrits de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire, fut créé dans les années 1960. Son but était de transformer les consciences afin que les Noirs s’organisent collectivement contre le régime d’apartheid.
9 Kriegler et al. (1995).
10 Archives de Pollsmoor (PA), 1/4/2/9. Lettre d’un prisonnier à un lieutenant, 08/11/1994 ; entretien avec la prisonnière Mme Tillis, prison pour femmes de Pollsmoor, 30/03/2011 ; Manuscript and Archives, Université du Cap (MAR), BC756. Retranscription d’un entretien avec une ancienne prisonnière politique, 1980.
11 Publications gouvernementales (GP), Rapport du directeur des prisons, 1963-1966.
12 GP, Rapport du Département de justice, 1985-1986 ; Cooper et al. (1987).
13 Loi n° 13 de 1911 ; Gillespie (2007, p. 15). Pour une analyse de la notion de capitalisme racial, voir Gibson (2008, p. 140)
14 La surpopulation jouerait un rôle important dans la diffusion des révoltes qui allaient ponctuer la transition démocratique. En juillet 1992, dans la prison de sécurité maximale de Pollsmoor, il y avait ainsi 3241 prisonniers pour 1619 places prévues. PA, 1/2/3. Rapport interne sur la surpopulation, 10/08/1992.
15 Le régime d’apartheid institua quatre catégories raciales : « Européens » ou « Blancs », « Africains », ou « Bantous », « Coloureds » et « Indiens » ou « Asiatiques ». Dans cet article, ces catégories ne seront utilisées que dans le but de refléter le discours du régime d’apartheid. Autrement, les termes « Noirs » et « Blancs » seront employés.
16 Entretien avec la prisonnière Mme Tillis.
17 Historical Papers, Witwatersrand (HPW), AG3199. Mémorandum du Centre de ressources légales (LRC), 3/01/1994 ; PA, 1/4/6/1. Lettre de Pollsmoor au Département des services correctionnels, 17/03/1992.
18 Cette idée d’équilibre carcéral a été étudiée pour le cas de la France par Chauvenet (1998, p. 81).
19 Cape Times, 07/07/1983.
20 Nelson Mandela fut condamné à une peine d’emprisonnement à vie en 1964, en tant que leader de l’Umkhonto we Siswe (MK), la branche armée de l’ANC. Il fut d’abord incarcéré dans la prison de Robben Island, puis il fut transféré, en compagnie de plusieurs dirigeants de mouvements de la résistance, à Pollsmoor en 1982, où il resta jusqu’en 1988. Son autobiographie (1994) retrace notamment son séjour à Pollsmoor. Ahmed Kathrada fut incarcéré en 1964, suite au même procès, alors qu’il dirigeait le Transvaal Indian Youth Congress et qu’il travaillait en coordination avec l’ANC. Une sélection de lettres écrites alors qu’il était à Robben Island puis à Pollsmoor a été publiée. Voir Kathrada (2000).
21 GP, Rapport annuel du directeur des prisons, 1975-1976 ; GP, Rapport annuel du département de justice, 1982-1983 ; entretien avec le surveillant M. Bartram, prison de sécurité maximale de Pollsmoor, 28/03/11.
22 Rueedi (2013, p. 9).
23 Pour une comparaison des perceptions coloniales liées au châtiment corporel en Afrique du Sud et au Kenya, voir Anderson (2011).
24 HPW, AK2442. Manuel du prisonnier, 1983 ; Buntman (2003).
25 PA, 1/3/2/3. Circulaire, 24/05/1988 ; PA, 1/3/6. Lettre écrite par des avocats au directeur de Pollsmoor, 11/04/1994.
26 PA, 1/3/6. Lettre d’un avocat à Pollsmoor. Enquête du South African Medical and Dental Council sur la mort de la prisonnière Carole Meyers et sur le docteur Fischer, 11/04/1994 ; entretien avec la prisonnière Mme Tillis.
27 Cook (1982, p. 52).
28 Entretien avec le surveillant M. Walter, prison de Medium B, Pollsmoor, 26/02/2008.
29 Entretien avec la surveillante Mme. Allen, prison pour femmes de Pollsmoor, 31/03/2011.
30 Entretien avec le surveillant M. Barends, prison de Medium B, Pollsmoor, 25/02/2008.
31 Prisons Act n° 8 de 1959.
32 Brewer (1994, p. 16-17).
33 Fourchard (2011, p. 527).
34 Brewer (1994, p. 121).
35 Entretien avec le surveillant M. Barends ; Biko (1978, p. 120).
36 Brewer (1994, p. 61, 208 et 239).
37 GP, Rapport annuel du directeur des prisons, 1975-1976.
38 Glaser (2005, p. 122).
39 Olivier et Marks (2006, p. 203).
40 Rauch et Storey (1998).
41 Anderson et Killingray (1991, p. 10).
42 HPW, A2084. Zyl Smit, D.V., Facts From Prison Figures : The Case of Influx Control, 1985.
43 Fourchard (2012).
44 Pour une analyse de l’impunité dont bénéficiait la police sud-africaine pendant l’apartheid, voir Foster et Luyt (1986).
45 Dubow (1995, p. 159).
46 Steve Biko était le fondateur et leader du Mouvement de la conscience noire. Il mourut en 1977, après avoir été torturé par la police de Port Elizabeth. Ce meurtre a été mis en évidence lors de la Commission vérité et réconciliation (Truth and Reconciliation Commission, TRC). Voir TRC (1997).
47 Entretien avec le prisonnier M. Urbosch, prison de Medium B, Pollsmoor, 28/02/2008.
48 Van Dam Committee, Report of the Committee of Inquiry into Events at the Barberton Maximum Security Prison on 20 and 30 September 1983 and Related Matters, Mai 1984 ; Cape Times, 18/05/1984.
49 PA, 1/4/1/4/1. Lettre des services carcéraux au commissaire provincial du Cap Ouest, 02/02/1989.
50 Entretien avec le prisonnier M. Bashophu, prison de sécurité maximale de Pollsmoor, 29/03/2011.
51 L’histoire de la mythologie du Nombre a été retracée en détail dans Van Onselen (1984).
52 Pour un récit sur les pratiques du Nombre à l’intérieur de Pollsmoor, voir Steinberg (2004a).
53 Entretien avec le prisonnier M. Hendricks, prison de sécurité maximale de Pollsmoor, 29/02/2008.
54 Bhabha (1994).
55 Steinberg (2004b).
56 Darke (2013b, p. 278).
57 De nombreuses autobiographies écrites par d’anciens prisonniers politiques attestent d’une telle attitude. Voir, par exemple, Breytenbach (1984) ; Dlamini (1984).
58 Ellis (1998, p. 275).
59 Klopp et Zuern (2007, p. 135).
60 Dlamini (2014).
61 Haysom (1989, p. 189).
62 Ellis (1998, p. 279).
63 Pour une étude historique de l’émergence de cours populaires dans la région du Transkei dans les années 1959 et 1960, voir Crais (1998).
64 Buur et Jensen (2004, p. 142).
65 South African History Archives (SAHA), AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
66 Ibid.
67 Holston (2009, p. 17).
68 HPW, AG3221. ‘Justice for All’, chronologie de POPCRU, 1989.
69 The Citizen, 12/08/1989 ; entretien avec le lieutenant M. Rorke, prison de Medium B de Pollsmoor, 27/02/2008.
70 Mphahlele (2002, p. 202).
71 MAR, BC1210. Déclaration d’intention des prisonniers de Robben Island, 1990.
72 Pour un retour sur les différentes définitions du « délit politique » élaborées lors de la transition démocratique, voir Vanny (2008).
73 Cape Times, 30/09/1992.
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76 UCT, MAR. Communiqué du Black Sash envoyé au gouvernement nationaliste, 30/08/1991.
77 Entretien avec M. Holler.
78 The Citizen, 2/07/1991.
79 Pour une analyse du rôle de la grève de la faim en prison, voir Bourgoin (2011) et Roux (1997).
80 Cape Times, 15/08/1991.
81 Entretien avec la surveillante Mme. Mhlabeni, prison de Medium B de Pollsmoor, 25/02/2008.
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84 City Press, 3/12/1989.
85 L’UDF fut créé en 1983 dans le but de rassembler les différentes associations et partis luttant contre le système d’apartheid, et notamment contre la mise en place d’un parlement tricaméral. Il était étroitement lié à l’ANC, encore interdit à l’époque.
86 The Citizen, 27/03/1990.
87 SAHA, AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
88 PA, 1/4/5/14. Fax du directeur de Pollsmoor au commissaire régional, 14/04/1994 ; PA,1/4/5/14. Fax de la Commission électorale indépendante aux directeurs des prisons de Helderstroom, Pollsmoor et Worcester, 08/04/1994.
89 SAHA, AL2604. SAPOHR, Projet de Constitution, 1994.
90 Kriegler & al. (1995).
91 Entretien avec l’ancien chef d’unité M. Goedhals, prison de Medium B de Pollsmoor, 26/02/2008.
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96 Cape Times, 21/031994 ; The Eastern Province Herald, 21/03/1994.
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100 Entretien avec le surveillant M. Butshingi, prison de Medium B de Pollsmoor, 25/02/2008.
101 Entretien avec le surveillant M. Muller, membre de l’unité spéciale d’intervention, prison pour femmes de Pollsmoor, 31/03/2011.
102 New Nation, 06/05/1994 ; City Press, 13/11/1994 ; MAR, BC1020. Rapport de la Commission des services correctionnels à la Commission Kriegler.
103 PA, 1/8/1. Lettres variées écrites par des prisonniers, concernant des demandes d’amnistie, 11/1994.
104 Entretien avec le surveillant M. Bartram.
105 Blanchard, Deluermoz et Glasman (2011, p. 47). Voir également Rigouste (2009).
106 Voir Foucault (1997).
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Référence électronique
Natacha Filippi, « Révoltes carcérales, maintien de l’ordre et transition démocratique en Afrique du Sud (1976-1994) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 20, n°1 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/1634 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.1634
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