Jean-Claude Vimont (dir.), Jeunes, déviances et identités (XVIIIe-XXe siècles)
Jean-Claude Vimont (dir.), Jeunes, déviances et identités (XVIIIe-XXe siècles), Rouen, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2005, 157 pp., ISBN 2-87775-394-8
Texte intégral
1Produit par le Groupe de Recherche en Histoire de l’Université de Rouen, cet ouvrage rassemble les textes des communications présentées dans le cadre d’une journée d’études portant sur les relations entre la construction identitaire et la construction de catégories sociales chez les jeunes déviants. Les coordonnateurs de cette journée (Jean-Pierre Jessenne, Anne-Marie Sohn et Jean-Claude Vimont) ont également commandé des articles à d’éminents chercheurs de l’histoire pénale ainsi qu’à de jeunes chercheurs spécialistes de la question « pour offrir des jalons qui s’inscrivent dans la longue durée et qui témoignent de processus d’identification distincts » (8). Ce mode de collaboration étudiants/chercheurs vise à enrichir la réflexion sur la question des identités élaborées autour du thème de la déviance.
2La présentation des textes respecte la logique chronologique. Benoît Garnot montre d’abord comment s’est constitué le groupe des « grands garçons » dans les villages et quartiers de France au XVIIIe siècle. La jeunesse masculine y est perçue comme un groupe d’âge bien défini, qui s’affirme par des attitudes délinquantes afin de s’imposer au monde des adultes. Ces comportements sont également observés dans l’étude de Jean-Claude Farcy qui porte sur les rixes villageoises durant la première moitié du XIXe siècle. Les deux auteurs constatent la fonction identitaire des bagarres, alors que le rôle social des garçons consiste à préserver les filles du village contre la convoitise des villageois voisins. Ces violences s’estompent toutefois à partir du Second Empire, lorsque les liens communautaires disparaissent et que les villages commencent à être désenclavés (10).
3Le directeur de l’ouvrage, Jean-Claude Vimont, signe ensuite un texte sur l’identité du mineur délinquant au XIXe siècle. Remettant en question la périodisation proposée par Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et Éric Pierre dans l’ouvrage Enfance et justice au XIXe siècle, il avance que les représentations qui accompagnent les jeunes délinquants ont déterminé, bien plus que le droit, le mode de répression judiciaire ainsi que le choix d’éducation correctionnelle qui leur fut appliqué (35). La nécessité de la défense sociale entraîne en effet rapidement les acteurs locaux à différencier les enfants vicieux des enfants ayant besoin de protection. Il y aurait donc eu un décalage entre les catégories fixées par la législation et les manières d’identifier les jeunes délinquants par les agents locaux de l’administration et par les philanthropes provinciaux qui s’efforçaient de leur venir en aide (47). L’hypothèse est intéressante, mais rappelons que l’ouvrage dirigé par Dupont-Bouchat et Pierre avait d’abord pour but de souligner la synchronie avec laquelle diverses politiques de l’enfance délinquante et en danger ont émergé dans plusieurs pays, tant en Europe qu’en Amérique du Nord (au Québec). En ce sens, une étude comparative qui se pencherait sur l’hypothèse de Jean-Claude Vimont pourrait s’avérer pertinente pour l’avancement de la recherche.
4L’étude de Marina Daniel sur l’identité des jeunes femmes infanticides porte aussi sur le XIXe siècle. Comme pour les rixes masculines, ce crime doit être mis en relation avec l’organisation et l’attitude de la communauté, enracinée autour de certaines valeurs comme l’honneur et la réputation (64). Les accusées, provenant majoritairement des classes laborieuses rurales, étaient de jeunes femmes seules éloignées de leur famille en raison d’une mobilité géographique causée par la révolution industrielle. Le contrôle social des proches étant relâché, celles-ci se seraient laissées plus facilement séduire. L’infanticide serait donc avant tout une réponse des femmes des classes laborieuses à la pression sociale, ce qui expliquerait pourquoi la répression de ce crime était loin de répondre aux attentes de la justice. Les jurés étaient souvent indulgents à l’égard des jeunes femmes, préférant leur éviter des sentences disproportionnées.
5Les trois textes qui suivent portent sur le tournant des XIXe et XXe siècles. Christophe Israël dresse le portrait des jeunes indisciplinés d’un quartier correctionnel de la prison rouennaise Bonne Nouvelle à la fin du XIXe siècle en se basant notamment sur les registres d’écrou de l’établissement. Medhi Hussein se penche sur les jeunes récidivistes envoyés au combat en Afrique du Nord – les Bat’ d’Af’ – à la veille de la Grande Guerre. Les listes nominatives fournies par les bureaux de recrutement à la préfecture montrent comment la bourgeoisie se représentait ces jeunes au parcours familial difficile. Considérés comme de fortes têtes par la société militariste de l’époque, la discipline imposée dans les bataillons d’infanterie s’est rapidement imposée aux yeux des élites comme une réponse aux problèmes de la délinquance. Enfin, un texte de Valérie Cordier décrit l’identité des arriérés anormaux perfectibles admis à l’asile-dépôt de Grugny en Seine-Maritime. La création d’une telle école en 1910 constitue une innovation qui annonce l’un des traits majeurs du traitement des déviances au XXe siècle, soit la médicalisation de ceux qui enfreignent les normes.
6La période de la Seconde Guerre mondiale est abordée dans l’étude de Sophie Victorien sur les J3, du nom des tickets de rationnement réservés aux adolescents provenant de familles affectées par l’Occupation. Faute d’une situation familiale stable, ces jeunes qui se regroupent pour survivre souffrent de l’image négative dont ils sont l’objet. Stigmatisés par la presse, ils suscitent de véritables interrogations quant à leur identité et aux causes de leur délinquance. S’ensuit un véritable mouvement de lutte contre la délinquance juvénile qui tente de répondre à l’urgence de réinsertion sociale. La nouvelle philosophie de l’éducation surveillée à partir de 1945 tend ainsi à favoriser la rééducation plutôt que la répression. Dans cette optique, la personnalité des J3 est soumise à l’observation au sein des nouvelles structures qui les accueillent. La plupart d’entre eux aspirent à la réinsertion sociale, et certains parviennent à se reconstruire une identité.
7L’auteure du dernier texte, Gwénola Ricordeau, prépare présentement une thèse en sociologie. Elle se penche sur une problématique plus actuelle, soit celle de l’identité des « casseurs », ces jeunes qui commettent des délits lors de manifestations dont ils ne partagent pas le projet revendicatif. S’appuyant sur des entretiens avec des jeunes qui s’identifient à ce groupe, elle constate qu’ils sont marqués par des expériences difficiles (immigration, travail précaire, problèmes familiaux) et qu’ils cherchent leur identité par le biais de l’appartenance territoriale de leur cité. « Malgré un degré de frustration élevé, ces jeunes ne prônent pas une inversion radicale des valeurs. Ils ne sont pas asociaux, puisque, justement, ils recherchent dans la participation à ce mouvement collectif un substitut à l’identité collective. Le discours sécuritaire actuel, se méprenant sur le sens du phénomène, enferme ces jeunes dans l’idée que la violence est leur unique moyen d’expression » (142).
8Les textes regroupés dans l’ouvrage font voir la diversité des processus d’identification des jeunes déviants. Comme Jean-Claude Vimont le souligne dans son introduction, le mode de collaboration chercheurs-étudiants enrichit la réflexion autour du thème des identités et de la déviance, mais il comporte aussi quelques imperfections. En se limitant à des analyses statistiques brutes, certains textes ne rencontrent pas l’objectif de l’ouvrage qui « vise un questionnement sur les processus d’identification, sur leur fluidité et leur complexité » (10). Dans l’ensemble, l’ouvrage ouvre des pistes de recherche intéressantes qui gagneraient toutefois à sortir des frontières de la France.
Pour citer cet article
Référence papier
Sylvie Ménard, « Jean-Claude Vimont (dir.), Jeunes, déviances et identités (XVIIIe-XXe siècles) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 11, n°2 | 2007, 149-151.
Référence électronique
Sylvie Ménard, « Jean-Claude Vimont (dir.), Jeunes, déviances et identités (XVIIIe-XXe siècles) », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], Vol. 11, n°2 | 2007, mis en ligne le 19 janvier 2009, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chs/121 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chs.121
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