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DOSSIER

« Des pauvres toujours à nos côtés ? » Les guerres contre la pauvreté aux États-Unis au vingtième siècle.

Romain Huret
p. 65-79

Résumé

Cet article s’intéresse aux modalités de prise en charge de la pauvreté aux États-Unis au cours du vingtième siècle. Il démontre les mutations importantes dans le domaine de l’assistance sociale et s’intéresse aux acteurs dont le rôle a changé au cours du siècle. Des dispositifs d’assistances privés ont été provisoirement relayés par l’État fédéral avant que celui-ci n’entame un lent mais inéluctable désengagement.

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Entrées d’index

Géographie :

États-Unis

Chronologie :

XXe siècle
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Texte intégral

  • 1  Cité dans Carl Brauer, « Kennedy, Johnson and the War on Poverty », Journal of American History, 1 (...)

1« Les pauvres, comme dit la Bible, seront toujours à nos côtés », proclame de façon très fataliste en 1963 le diplomate George Kennan, lorsque l’administration du président John Fitzgerald Kennedy l’interroge sur la validité de lancer un vaste programme d’assistance des pauvres, fût-ce au détriment d’une baisse des crédits alloués à la conduite de la Guerre froide1. Aux États-Unis, tout au long du vingtième siècle, ce fatalisme ne fut pas toujours de mise. Certes, dans un pays traditionnellement hostile à l’intervention de l’État dans les domaines économiques et sociaux, la lutte contre la pauvreté à l’échelle nationale fut chaotique et balbutiante. Pour un observateur européen, cette spécificité américaine tient en partie à la nature particulière de l’État-providence américain. La création d’un système de santé national cristallisa parfaitement ces difficultés : véritable serpent de mer de la vie politique américaine, une telle mesure fut proposée par les présidents Harry Truman en 1946, Richard Nixon en 1974 et Bill Clinton en 1993. Mais en dépit de leur différence d’affiliation politique, tous échouèrent à implanter dans le paysage politique américain ce système si commun en Europe, à tel point que les États-Unis apparaissent comme une anomalie dans le paysage occidental avec un nombre d’Américains sans assurance maladie qui dépasse les quarante millions. En conséquence, alors que le pays connaît un enrichissement extraordinaire tout au long du siècle, la pauvreté aux États-Unis prend parfois une forme extrême.

  • 2  Jennifer Klein, For All These Rights. Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private (...)
  • 3  Ellen Lagemann, Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, India (...)

2Pour comprendre cette singularité américaine, il convient de garder à l’esprit qu’à l’inverse de nombreux pays européens, la prise en charge du bien-être (welfare) social de la population a été assurée par d’autres structures de régulation que l’État. Dans le domaine de la sécurité sociale, les entreprises ont toujours joué un rôle important de pourvoyeuses de systèmes d’assurance de santé et de retraite pour les employés dans le cadre de ce que les historiens nomment le welfare capitalism : en 2004, plus de quarante millions d’Américains comptent sur leurs entreprises pour leur fournir les subsides nécessaires au cours de leurs vieux jours2. De façon similaire, les fondations philanthropiques se sont attachées à créer un filet social pour des catégories spécifiques de la population américaine, notamment les jeunes enfants3. Pourtant, l’une des spécificités du vingtième siècle a été précisément la volonté de transformer l’État en centre névralgique de prise en charge sociale de la population américaine. Soutenue par les libéraux au pouvoir des années 1930 aux années 1970, cette politique d’élargissement progressif des sphères d’intervention dans le domaine social a été pensée pour colmater les brèches du système originel de sécurité sociale. De façon paradoxale, ce travail de colmatage a renforcé la spécificité et les limites de l’État-providence américain et par ricochet la nature de l’aide pour les populations les plus défavorisées.

Les efforts disparates contre la pauvreté (1900-1930)

  • 4  Laura Jensen, Patriots, Settlers and the Origins of American Social Policy, Cambridge, Cambridge U (...)

3A l’image des pays européens, et contrairement à une image longtemps véhiculée par les historiens américains, les États-Unis possèdent une tradition d’intervention dans le domaine social bien avant la structuration intellectuelle et politique du vingtième siècle. La lutte contre la pauvreté trouve son origine à l’époque coloniale. Dès cette période, il est frappant de constater la prévalence d’une logique catégorielle d’assistance sociale et le refus de toute forme de prise en charge universelle des populations pauvres4. La distinction entre les pauvres « méritants » (deserving poor) et les autres (undeserving poor)est extrêmement prégnante : si les femmes seules, les enfants et les personnes âgées se voient reconnaître un droit à l’assistance, on dénie en revanche ce droit aux hommes bien portants soupçonnés de refuser de travailler.Cette conception explique la difficulté à développer une aide sociale efficace dans le pays.

  • 5  Voir Gwedolyn Mink, The Wages of Motherhood : Inequality in the Welfare State 1890-1935, Ithaca, C (...)
  • 6  Linda Gordon, Pitied But Not Entitled : Single Mothers and the History of Welfare, 1890-1935, New (...)
  • 7  Ibid.
  • 8  Mimi Abramovitz, Regulating the Lives of Women : Social Welfare Policy from Colonial Times to the (...)
  • 9  Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of Social Policy, Cambridge (...)

4En effet, au début du vingtième siècle, ce sont principalement des structures privées et caritatives qui interviennent pour aider les pauvres. Dans la majorité des cas, à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays, ce sont essentiellement des associations fortement liées aux Églises protestantes (nombre d’entre elles furent d’ailleurs fondées au milieu du XIXème siècle pour militer contre l’esclavage ou l’alcoolisme)5. Mais l’absence de hiérarchie et d’Église officielle favorisa leur essor et leur regroupement en confédérations nationales (General Federation of Women’s Club créée en 1890, et National Congress of Women, fondé en 1897). Ces associations étaient dirigées pour l’essentiel par des femmes. Compte tenu de l’absence d’initiative des organisations ouvrières pour construire un État-providence servant les intérêts des ouvriers et de leurs familles, l’espace politique de lutte contre la pauvreté fut occupé par des femmes qui privilégièrent une politique sociale maternaliste. Leur mobilisation fut d’autant plus forte à une période où elles ne possédaient pas encore le droit de vote. Ces associations jouèrent un rôle décisif dans l’adoption par quarante États entre 1911 et 1920 de lois accordant des pensions pour les mères vivant seules. L’objectif poursuivi était de permettre à ces femmes d’élever leurs enfants, afin qu’ils ne soient pas placés en orphelinat. Ce système de pensions fut mis en place avec le soutien des réformatrices des maisons sociales et l’approbation plus ou moins active des politiciens réformistes. Certains États n’aidaient pas les veuves, d’autres toutes les femmes seules, y compris les femmes divorcées, ou celles dont les maris étaient en prison. Selon une étude de 1931, environ 45 800 familles recevaient des pensions en 1921 et 93 600 en 1931, soit plus de 250 000 enfants. L’aide était soumise à certains critères moraux : pas de mères alcooliques ou en union illégitime. De longs questionnaires devaient être remplis, des travailleurs sociaux faisaient des visites régulières, souvent à l’improviste. Dans les grands centres urbains, 40 à 60 % des récipiendaires étaient des immigrées, et on leur demandait parfois de devenir citoyennes américaines. Comme l’a brillamment montré l’historienne Linda Gordon, elles pouvaient être pénalisées lorsque leurs habitudes de vie ne correspondaient pas aux attentes des travailleurs sociaux6. On observe en outre une sous-représentation des familles des régions rurales, en particulier dans le Sud, ce qui explique partiellement la sous-représentation des familles noires (3 %). Enfin, les allocations variaient considérablement selon les États (de 4,3 dollars dans l’Arkansas à 69 dollars dans le Massachussets, la moyenne nationale étant de 21,8 dollars). Cette politique à l’échelle des États trouva un prolongement national au lendemain de la Première Guerre mondiale. En 1921, sous l’impulsion du Children’s Bureau, la loi Sheppard-Towner instaura un dispositif d’assistance pour les femmes seules à l’échelle nationale7. Le principe de la loi Sheppard-Towner était celui des matching funds : l’État fédéral contribuait à égalité de la contribution de l’État fédéré, afin d’informer (au moyen de programmes pédagogiques pour les futures mères et les jeunes mères visant les régions où le taux de mortalité infantile était le plus élevé) et de verser des subsides aux États créant des programmes de santé publique pour les mères et les enfants. Cet arsenal législatif a été diversement interprété. L’idée d’une domination de genre prévaut chez les historiennes des femmes. Mimi Abramowitz estime que ces programmes sociaux avaient pour but d’encourager les femmes à rester chez elles, à se marier et à procréer8. La politiste Theda Skocpol nuance ce propos. Ces veuves étaient dans une situation d’oppression bien plus patente avant le vote de ces lois, entre 1911 et 1920, dans la mesure où leurs enfants pouvaient leur être retirés9. En outre, ces pensions ont été votées à la suite du travail militant d’associations de femmes. Associations de femmes qu’Abramovitz dénigre en expliquant qu’il s’agissait de femmes de la classe moyenne. Linda Gordon estime même que ces femmes ont « oublié » leur condition féminine en créant des programmes patriarcaux !

5Quoi qu’il en soit, avant la crise de 1929, l’interventionnisme en faveur des pauvres demeura fortement limité et catégoriel. Il trouva une légitimité nouvelle non seulement en termes sociaux et politiques mais également intellectuels, avec la diffusion de la pensée keynésienne dans le pays.

L’institutionnalisation de la lutte et ses ambiguïtés (1935-1960)

  • 10  Jill Quadagno, The Color of Welfare : How Racism Undermined the War on Poverty, New York, Oxford U (...)
  • 11  Les chiffres proviennent de Gareth Davies, Martha Derthick, « Race and Social Welfare Policy : The (...)
  • 12  Mimi Abramovitz, Regulating the Lives of Women: Social Welfare Policy from Colonial Times to the P (...)

6Acte de naissance de l’État-providence au vingtième siècle, la loi de sécurité sociale de 1935 marque dans un premier temps l’arrivée de l’État fédéral comme centre névralgique de la prise en charge des populations en difficulté. Elle prolonge ensuite la tradition catégorielle en façonnant un système à deux vitesses : d’un côté, un volet d’assurance sociale comprenant principalement un système de pension de retraite et d’assurance chômage ; de l’autre, un volet d’assistance organisé principalement autour des pauvres « méritants » : les personnes âgées nécessiteuses, les aveugles et les enfants orphelins. Les deux principaux programmes établis par la loi, Old Age Assistance et Aid to Dependent Children, sont administrés par les États qui sont libres de fixer les conditions requises. Afin de permettre le vote de la loi, Roosevelt cède aux pressions des démocrates du Sud, soucieux d’enlever aux Afro-américains le droit de bénéficier d’une couverture sociale. En conséquence, le Congrès exclut du champ d’application de la loi les travailleurs agricoles et les domestiques10. Cette disposition touche particulièrement les Afro-américains puisqu’en 1930, 21,4 % de la population afro-américaine travaillait comme domestiques, notamment dans le Sud11. Cependant, il est quelque peu rapide de voir uniquement dans la loi un « compromis avec le racisme », comme la dénomme l’historienne Mimi Abramovitz12. Certes, la loi institutionnalise durablement une logique discriminante. Mais au-delà du cas singulier des Afro-américains, elle pénalise également les ouvriers blancs et de nombreuses femmes qui travaillent, à l’image des professions d’enseignantes, d’assistantes sociales et d’infirmières qui ne sont pas prises en charge. Ce n’est donc pas un hasard si, en 1935, seulement 15 % des ouvriers sont couverts contre le risque vieillesse.

  • 13  Daniel Rodgers, Atlantic Crossings : Social Policy in a Progressive Age, Cambridge, Harvard Univer (...)
  • 14  Daniel Hirshfield, The Lost Reform : The Campaign for Compulsory Health Insurance in the United St (...)
  • 15  Edward Berkowitz, Mr. Social Security: The Life of Wilbur J. Cohen, Lawrence, University of Kansas (...)
  • 16  Sanford Jacoby, Modern Manors : Welfare Capitalism since the New Deal, Princeton,Princeton Univers (...)

7Toutefois, pour les libéraux au pouvoir, il s’agit d’une première étape avant la mise en place d’un système plus universel. De façon révélatrice, pendant la Seconde Guerre mondiale, des élus soutiennent le principe d’une couverture médicale pour tous, dans la lignée du plan que William Beveridge a proposé pour la Grande-Bretagne en 194213. Mais en raison de l’opposition du Congrès, le texte de loi ne fut pas voté au lendemain de la guerre14. L’échec fragilise fortement l’Agence de sécurité sociale et met en péril la pérennité de l’État- providence. Le Congrès, à majorité républicaine après les élections de mi-mandat de 1946, souhaite démanteler le filet social du New Deal, de la même manière qu’il a modifié les lois régulant le monde du travail avec le vote de la loi Taft Hartley15. L’État-providence américain tombe alors dans une phase de déshérence. Les hommes politiques ne comprennent pas ce programme trop complexe dont les avantages sont difficiles à expliquer dans les circonscriptions électorales. Les années 1950 connaissent un essor des systèmes privés de prise en charge des frais médicaux16. Mais surtout dans un contexte de prospérité retrouvée on remet en cause la légitimité du volet d’assistance.

  • 17  Linda Gordon, Pitied but Not Entitled…, op. cit., p. 15-35 ; Theda Skocpol, Protecting Soldiers an (...)
  • 18  Cité dans Gilbert Steiner, Social Insecurity : The Politics of Welfare, 1969, p. 71.

8Au cœur de ces critiques, on trouve l’allocation pour les enfants dépendants (Aid to Dependent Children), l’un des piliers de l’assistance sociale de la loi de 193517. Gérée par le Bureau de l’assistance publique (BAP), elle fait néanmoins l’objet d’un intérêt croissant de la part des spécialistes et de l’opinion publique dans les années 1950. Son évolution cristallise le profond paradoxe de la pauvreté : le nombre de bénéficiaires ne cesse d’augmenter en dépit de la prospérité. En 1951, celui-ci atteint le chiffre de 2 041 000 et le total s’élève à 2 486 000 en 1958. Dès 1952, une étude conduite par l’Institut pour la recherche en sciences sociales de l’Université de Caroline du Nord pour le compte de l’American Public Welfare Association souligne les effets retors du programme qui conduit certaines familles à se désunir pour avoir droit à l’allocation. L’essor du programme contredit la thèse de la disparition progressive du volet d’assistance, véhiculée par les pères fondateurs du programme, notamment Arthur Altmeyer qui estimait le plus sérieusement du monde en 1948 que la pauvreté et l’assistance publique allaient disparaître de façon imminente. La contradiction latente irrite fortement le personnel politique. Winfield Denton, un élu démocrate de l’Indiana, interroge en 1957 les responsables du ministère de la Santé, de l’Éducation et du Welfare au sujet de l’accroissement du nombre de récipiendaires de cette allocation : « Pourquoi en 1951 votre ministère m’a-t-il affirmé que la fin de l’aide sociale était proche ?18 ».

  • 19  Blanche Coll, Safety Net : Welfare and Social Security 1929-1979, 1995, p. 176-204.
  • 20  Edgar May, The Wasted Americans : Cost on Welfare Dilemma, 1964.
  • 21  Cité dans Gilbert Steiner, Social Insecurity…, op. cit., p. 64.

9Cette hausse provoque de multiples polémiques sur les motivations des demandeurs et sur la possibilité de fraudes : l’idée d’un désordre dans l’assistance sociale (welfare mess), selon l’expression forgée alors, apparaît dans la sphère publique19. L’affaire « Newburgh » met brutalement à jour les contradictions et l’obsolescence du programme d’assistance sociale forgé dans les années 193020. Dès le mois de juillet 1960, l’État de Louisiane donne le ton en adoptant une nouvelle loi qui limite les conditions d’obtention de l’allocation pour les enfants : six cents familles et deux mille deux cents enfants se trouvent privés du versement de l’allocation. La loi prévoit sa suppression en cas de naissance d’un enfant d’une femme divorcée ou d’une femme vivant avec un concubin. L’année suivante, un rapport sénatorial commandité par Robert Byrd, un élu de Virginie occidentale, estime que 60 % des bénéficiaires à Washington D.C. usurpent leurs droits21. Dans ce contexte de suspicion généralisée à l’égard de l’aide sociale, Joseph Mitchell, le city manager de Newburgh, une ville située dans l’État de New York, décide en juin 1961 avec l’assentiment du conseil municipal de limiter l’application de l’obtention de l’aide sociale pour mettre un terme aux migrations de complaisance de populations. Selon les données fournies par la municipalité, celle-ci consacre un tiers de son budget total au paiement des subventions pour les 1 382 bénéficiaires, en complément de l’aide fédérale. Le conseil municipal adopte treize nouvelles règles pour réduire les conditions d’application de l’aide sociale et prévoit notamment de convertir les paiements monétaires en bons pour de la nourriture ou des vêtements. Les récipiendaires devront accepter toute proposition d’emploi, sinon l’allocation sera supprimée. Les femmes qui reçoivent l’aide n’ont plus le droit d’avoir des enfants en cas de divorce. Enfin, certaines aides catégorielles sont limitées dans le temps.

10Ces mesures s’attachent prioritairement à moraliser les pauvres en codifiant la notion de « mères seules » et en obligeant les hommes en bonne santé à travailler. Dans sa déclaration officielle du mois de juin, Mitchell ne cache pas sa volonté réformatrice et moralisatrice :

  • 22  “An Address by the City Manager of the City of Newburgh”, Folder Attack on Public Welfare, Box 1, (...)

« Tout notre programme est basé sur la notion de moralité et s’attache à réformer l’aide sociale pour laquelle la moralité est le concept clé. Nous ne pensons pas qu’il soit moral d’allouer des fonds pour financer le crime, les naissances illégitimes, la maladie et autres maux de la société »22.

  • 23  Meg Greenfield, « The Welfare Chiselers’ of Newburgh, N.Y.», Reporter, 17/08/1961, p. 37.
  • 24  A.H. Raskin, « Newburgh’s Lessons for the Nation », New York Times Magazine, 17/12/1961, p. 16-24 (...)

11Les mesures coercitives essaient de limiter la fraude et d’empêcher les gaspillages. L’action de Mitchell soulève une vaste enquête sur le degré de fraude des récipiendaires de l’aide sociale dans l’ensemble du pays23. L’illégalité des dispositions n’échappe à personne, notamment pour les catégories spécifiques (aveugles, handicapés et personnes âgées), pour lesquelles la conversion des allocations en bons est strictement illégale. Dans le courant du mois de juillet, le Département de l’aide sociale de New York ordonne au maire de Newburgh de retirer ce projet. La réaction provoque en retour un fort courant de soutien en faveur de Mitchell dans tout le pays, même au sein de la sphère bureaucratique. Estimant que l’exemple de Newburgh démontre la nécessité de remettre à plat le système d’aide sociale aux États-Unis, d’anonymes fonctionnaires du département de New York se désolidarisent publiquement de leurs collègues. Des centaines de lettres de soutien arrivent dans le bureau de Mitchell. Les dispositions votées par le conseil municipal transforment l’anonyme élu en figure éponyme de la lutte contre le gaspillage fédéral. Préparant le terrain pour l’investiture républicaine de 1964, Barry Goldwater soutient publiquement ce héraut de la lutte contre les pratiques dispendieuses du New Deal. L’affaire Newburgh devient une « cause célèbre », donnant naissance à de nombreux reportages sur la réalité de la fraude et des abus24. Le conservateur Wall Street Journal prend la défense de Mitchell :

  • 25  Wall Street Journal, 18/07/1961, p. 1.

« Il convient de s’interroger sur la moralité d’un pays lorsque les efforts d’une communauté pour corriger les abus flagrants de l’aide sociale sont déclarés illégaux à l’échelle locale et nationale. Le cas de Newburgh démontre une telle évolution. La petite ville, située à côté de New York, a annoncé un programme en treize points pour réduire le fardeau imposé par les tricheurs et les magouilleurs, dont nombre d’entre eux sont venus à dessein pour vivre de l’aide sociale, financée, rappelons-le, par l’argent durement gagné par d’honnêtes résidents »25.

  • 26  Norman Lourie, Will the Newburgh Plan Work in Your City ?, Pamphlet published by the National Asso (...)

12En dépit de ce soutien des forces conservatrices, la Cour suprême de l’État de New York enjoint (injunction) de renoncer à douze points jugés illégaux. Face à la polémique, Norman Lourie, président de l’Association Nationale des Travailleurs Sociaux, décide de publier une mise au point, Will the Newburgh Plan Work in Your City ?, destinée à servir d’argumentaire aux 30 000 travailleurs sociaux de l’association contre les treize points du projet défendu par le conseil municipal de Newburgh26. D’après l’enquête conduite par l’association professionnelle, les données fournies par Mitchell sont fausses : la ville ne consacre que 13 % de son budget en faveur de l’aide sociale, et pas 33 % comme il l’affirme. En 1960, un seul cas de fraude a été examiné mais l’accusé a été finalement acquitté par un tribunal local. L’aide sociale des populations immigrées ne représente que 205 000 dollars et se trouve totalement prise en charge par l’État. Si les mesures votées par le conseil municipal demeurent sans effet, la portée de celles-ci dépasse le cadre local pour les membres de la nébuleuse de la pauvreté.

13En raison de ses répercussions nationales, l’affaire Newburgh démontre la réalité de l’existence de la crise de légitimité du welfare. De nombreux États ont déjà adopté des mesures coercitives. L’allocation pour les enfants est particulièrement visée : la Californie a renforcé les mesures suspensives contre les mères seules qui refusent les offres d’emploi et l’État d’Oregon refuse l’aide sociale à toute personne ayant démissionné de son travail sans une raison jugée valable par une commission d’étude. Ce malaise démontre principalement que le système dual mis en place en 1935 doit être intégralement repensé, au risque de le voir disparaître. Dans le contexte de prospérité, tout le dispositif d’assistance est ébranlé dans ses fondements et un travail de reconstruction des représentations de la pauvreté s’opère pour donner une nouvelle légitimité à l’action sociale.

L’échec de l’État dans sa lutte contre la pauvreté (1950-1970)

14En 1972, le réalisateur Frédérick Wiseman pose sa caméra dans un centre d’aide sociale de New York. Son documentaire Welfare dépeint principalement l’incompréhension des pauvres face à la complexité du système, face à la juxtaposition des dispositifs d’assurance et d’assistance sociale. Les travailleurs sociaux doivent systématiquement expliquer la nature des allocations et rappeler aux visiteurs dans le besoin que l’assurance sociale ne relève pas du centre d’aide sociale. Le travail de Wiseman reflète parfaitement l’évolution de l’État- providence au lendemain de la crise d’après-guerre : le volet d’assurance est renforcé tandis que le volet d’assistance est progressivement abandonné pour des raisons politiques. La dichotomie législative des années 1930 s’enracine peu à peu dans une réalité politique et sociale.

  • 27  Sur cette logique graduelle, lire Martha Derthick, Policymaking for Social Security, Washington D. (...)
  • 28  Voir Edward Berkowitz, « History and Social Security Reform », dans Sheila Burke, Eric Kingson et (...)

15Incontestablement, un élargissement progressif du régime de retraite s’opère et démontre le succès de la logique graduelle d’expansion défendue par les architectes de la sécurité sociale27. A la fin des années 1950, 90 % des travailleurs sont désormais couverts par le dispositif d’assurance. Plus encore, de nouvelles mesures complètent cette évolution. Dans le cadre du projet de Grande Société défendu par le président démocrate Lyndon Johnson (1964-1968), la loi de 1935 est amendée pour permettre aux personnes âgées de bénéficier d’une assurance maladie. Le programme Medicare garantit à la fois le paiement des frais d’hospitalisation et des consultations médicales pour les retraités. Fortement soutenu par les élus du Congrès, tout heureux de satisfaire un électorat vieillissant, Medicare devient très populaire dans le pays. Ces succès importants dans le domaine de l’assurance ne doivent pas masquer des échecs récurrents. En 1968, l’idée d’étendre les garanties de Medicare aux enfants est envisagée pour poser les bases d’un système garantissant le bien-être du berceau à la tombe. Mais, en raison d’oppositions multiples, ce projet de « kiddie care » est rapidement délaissé. De façon similaire, les propositions de loi en faveur d’une assurance universelle ne passent pas le stade des commissions du Congrès sous les deux administrations du président Nixon (1968-1975)28.

  • 29  Linda Gordon, Pitied but Not Entitled…, op. cit., p. 15-35 ; Theda Skocpol, Protecting Soldiers an (...)

16Dans le cas de l’assistance sociale, la situation se détériore rapidement. A l’intérieur du pays, les programmes d’assistance deviennent de plus en plus impopulaires, notamment l’allocation Aid to Dependent Children (ADC), qui fait l’objet de très vives polémiques29. Au cours des années 1960, le gouvernement essaie de réformer l’allocation ADC en permettant aux familles, sous certaines conditions, de l’obtenir (Aid to Families with Dependent Children-AFDC). En 1962, l’administration de John Kennedy élargit ce droit aux pères au chômage en créant AFDC-UP (unemployed parents). Pour essayer de légitimer le principe d’une assistance pour les pauvres, l’administration du président Lyndon Johnson annonce en janvier 1964 le lancement d’une guerre contre la pauvreté qui se traduit concrètement par l’adoption de programmes d’action communautaire (Community Action Programs) : dans l’ensemble du pays, des structures sont créées pour accueillir les citoyens les plus défavorisés. En complément, l’administration Johnson fait voter le programme Medicaid qui prévoit la prise en charge d’une partie des frais médicaux des citoyens vivant en dessous du seuil de pauvreté. Pourtant, ces réformes s’avèrent insuffisantes et contribuent paradoxalement à renforcer l’impopularité des programmes d’assistance. De façon révélatrice, le Congrès vote en 1967 des amendements au programme de sécurité sociale qui durcissent les conditions d’obtention. L’idée d’une contrepartie au versement d’une allocation commence à voir le jour : les femmes bénéficiant d’une allocation sont invitées à travailler. Le malaise à l’égard de l’assistance trouve un prolongement dans la volonté du président Nixon de réformer en profondeur le système en instaurant un revenu minimum garanti de 1 600 dollars à la place des allocations existantes. En raison du refus des élus du Sud de soutenir le projet, ce plan d’aide aux familles (Family assistance plan) ne sera pas voté. A l’inverse, il est révélateur de constater qu’en 1972 le Congrès vote le Supplemental Security Income qui garantit le versement d’une allocation, versée par l’État fédéral à trois catégories de la population : les personnes âgées sans ressources, les handicapés et les aveugles. Pour les autres catégories, aucune réforme n’est prévue. En conséquence, alors que les conservateurs s’apprêtent à l’aube des années 1980 à remettre en cause les acquis économiques et sociaux du New Deal, c’est un système d’assistance traditionnelle qui se maintient, système notoirement impopulaire et inefficace.

Une lutte de plus en plus marginalisée (1980-2000)

  • 30  Co-écrit en 1994 avec Richard Herrnstein, son ouvrage The Bell Curve provoque une virulente polémi (...)
  • 31  Alice O’Connor, Poverty Knowledge : Social Science, Social Policy, and the Poor in Twentieth-Centu (...)
  • 32  Martin Gilens, Why Americans Hate Welfare : Race, Media, and the Politics of Antipoverty Policy, C (...)
  • 33  Michael Katz, The Price of Citizenship. Redefining the American Welfare State, New York, Henry Hol (...)
  • 34  Pascale Dufour, Gérald Boismenu, Alain Noël (dir.), L’aide au conditionnel. La contrepartie dans l (...)
  • 35  Charles Murray, Losing Ground : American Social Policy, New York, Basic Books, 1984.

17Lors de son dernier discours sur l’état de la Nation en janvier 1988, le président républicain Ronald Reagan regrette avec force de ne pas avoir réussi à démanteler les programmes sociaux mis en place dans les années 1930. « Depuis de nombreuses années, le gouvernement fédéral a déclaré une guerre contre la pauvreté, et la pauvreté l’a emporté », résume-t-il de manière lapidaire. Dès son arrivée au pouvoir, son administration s’est attelée à démontrer les effets pervers de la générosité libérale en amorçant par le biais de l’Omnibus Budget Reconciliation Act le désengagement de l’État fédéral. Le montant des allocations est fortement réduit : pour la seule allocation AFDC, le montant est diminué de 17 % entre 1980 et 1988. Le combat mené est idéologique : en dissociant l’obtention de revenus d’une activité salariée, la politique sociale conduite par les libéraux aurait paradoxalement contribué à renforcer la pauvreté dans le pays en favorisant l’émergence d’une catégorie de citoyens, condamnés à vivre de l’assistance sociale. En d’autres termes, la guerre contre la pauvreté a créé des « trappes de pauvreté » au lieu de favoriser la sortie de l’état de pauvreté. Au cours des années 1980 et 1990, le débat autour de l’inefficacité des programmes de lutte contre la pauvreté se concentre autour d’ouvrages polémiques écrits par des intellectuels néo-conservateurs. Figure de proue de la dénonciation du caractère contre-productif de l’aide sociale, Charles Murray met l’accent sur les facteurs héréditaires de l’intelligence pour démontrer la vacuité des programmes sociaux30. Peu à peu, on observe en effet une convergence des analyses conservatrices et libérales : les mots en « d » (d-words), comme dépendance, déviance et dysfonctionnement, envahissent les médias et la production des spécialistes des questions de pauvreté31. En 1984, Ronald Reagan dénonce publiquement les « reines de l’assistance » (welfare queens) et Newt Gingrich lui emboîte le pas quelques années plus tard pour vilipender ces « filles de douze ans ayant des bébés et celles de dix-sept mourant du sida ». Si cette rhétorique n’est absolument pas neuve, elle se banalise dans le discours public et politique tout au long des années 198032. Le consensus politique alimente l’idée d’une crise du welfare, alors que l’assistance sociale représente une part infime (4,4 % en 1995) des dépenses de l’État33. Toutefois, libéraux et conservateurs s’entendent sur la nécessité de mettre au point un dispositif de contrepartie en échange du versement de l’allocation : l’assistance est conçue comme un contrat, régi par le principe de responsabilité mutuelle34. Dans la lignée de Charles Murray, les conservateurs proposent une version dure : le workfare doit remplacer le welfare et contraindre les gens à travailler35. De leur côté, les libéraux prônent une version adoucie du système de contrepartie, favorisant la cohésion familiale et le retour à l’emploi. En 1988, le vote du Family Act marque une première étape dans l’instauration de ce mécanisme de contrepartie. Le texte instaure l’idée d’une réciprocité : en échange des allocations, les bénéficiaires sont invitées à intégrer des programmes de formation dans le cadre du programme Job Opportunities and Basic Skills Program, plus connu sous l’acronyme JOBS. La loi cible particulièrement les mères célibataires en leur offrant des stages spécifiques de formation ou en accueillant leurs enfants de plus de trois ans pour leur permettre de trouver un emploi. Elle crée également un dispositif permettant aux États de contacter les employeurs pour déduire automatiquement le montant de la pension alimentaire (child support) du salaire des pères absents. Pour les défenseurs du texte, notamment l’Association nationale des gouverneurs dirigée par Bill Clinton, l’objectif est d’encadrer le versement des allocations pour éviter les fraudes et responsabiliser les récipiendaires.

  • 36  Bill Clinton, Al Gore, Putting People First, New York, Time Life, 1992, p. 164-168 ; Mary Jo Bane (...)
  • 37  Jason DeParle, American Dream. Three Women, Ten Kids and A Nation’s Drive to End Welfare, New York (...)
  • 38  Welfare Reform Wrap-Up, Hearing before the Committee on Finance, United States Senate, One Hundred (...)

18Pendant la campagne présidentielle de 1992, c’est ce même Clinton qui appelle de tous ses vœux à une réforme de plus grande envergure du « welfare tel que nous l’avons connu ». Si la formule est sibylline, elle ne dissimule guère ses envies de poursuivre la réforme de l’assistance. En s’appuyant sur les travaux d’experts de la pauvreté, notamment David Ellwood et Mary Jo Bane, Clinton s’engage dans ce sens autour de quatre points principaux : favoriser le travail (make work pay) ; limiter dans le temps l’aide sociale (two years and you work) ; obliger plus fermement les pères à payer des pensions alimentaires (child support) et développer des programmes de prévention des grossesses36. Une fois élu, Clinton nomme Ellwood et Bane à des postes de direction au sein du ministère de la Santé et des Services Sociaux (Health and Social Services) qui gère les programmes d’assistance, depuis que l’Agence de sécurité sociale est devenue un ministère à part entière. Au cours de son mandat, les blocages du système d’assistance sociale occupent une place croissante dans les médias. De façon révélatrice, le journaliste du New York Times, Jason DeParle, multiplie les articles catastrophés sur la dégradation de l’aide sociale37. Cette rhétorique libérale alimente la dénonciation conservatrice. Pendant la campagne pour les élections de mi-mandat en 1994, un tract républicain en Californie, intitulé le « désordre dans l’aide sociale » (welfare mess), s’achève avec le slogan : « Si vous ne votez pas, ILS GAGNERONT ». Progressivement, le président se trouve prisonnier d’une polémique politicienne qu’il a lui-même alimentée. La victoire des républicains donne un tour imprévu à la réforme de l’assistance sociale qu’il préconisait. Parmi les dix nouvelles lois promises par le « Contrat avec l’Amérique » de New Gingrich, la troisième promet une refonte complète du welfare avec pour objectif de favoriser le travail et d’empêcher les couples d’avoir des enfants hors mariage. Le texte de loi est rapidement prêt. Voté le 24 mars 1995, il promeut le workfare dans sa version la plus conservatrice : l’AFDC est supprimée et remplacée par une allocation limitée dans le temps. L’assistance sociale est désormais envisagée comme un état transitoire : un citoyen ne pourra en bénéficier dans sa vie que durant une période limitée de 60 mois. Plus encore, la mise en activité ou en formation prônée par les républicains devient obligatoire. Cette dimension punitive du workfare explique les réticences de Clinton et de l’ensemble des démocrates : ses propositions durant la campagne électorale se voulaient plus respectueuses des personnes et privilégiaient les mesures d’encadrement et de formation. En conséquence, au mois de septembre, Clinton annonce son intention d’utiliser son droit de veto. Le texte repasse alors devant les commissions du Congrès. Au cours du mois de mai de l’année suivante, cette commission amende le texte voté par la Chambre, en refusant l’abandon du programme AFDC et les limitations dans le temps. Mais le sénateur démocrate Daniel Patrick Moynihan est l’une rares voix à s’opposer au texte pour défendre la paix sociale dans le pays. Jouant les Cassandre, il annonce de graves émeutes dans le pays si le texte de loi est voté : selon les estimations dont il dispose, 75 % des enfants bénéficiant de l’allocation AFDC la reçoivent depuis plus de cinq années. Pour une ville comme Détroit, où 67 % des enfants touchent l’allocation, les conséquences seraient désastreuses. Pourtant, en dépit des efforts de Moynihan et grâce aux bons soins de la Maison-Blanche, un compromis s’élabore entre les démocrates et les républicains : le maintien de certaines prestations sociales conduit la majorité d’entre eux à voter contre les propositions de Moynihan38. Ainsi en 1996, le Congrès vote une loi (Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act) qui élimine à la fois les programmes AFDC et JOBS et crée un programme d’assistance temporaire (Temporary Assistance for Needy families). Au-delà de la limitation dans le temps, les récipiendaires sont désormais dans l’obligation de trouver un emploi au bout de deux années. La loi entérine également la réduction massive du budget fédéral alloué au programme de coupons alimentaires (Food Stamps), leur accès étant limité à trois mois en trois ans pour les chômeurs sans enfants entre 18 ans et 50 ans. Elle supprime les droits à une prestation sociale pour les immigrants pendant leurs cinq premières années de résidence dans le pays. Enfin, le programme AFDC est supprimé. Au mois d’août 1996, et contrairement à ce qu’il avait promis quelques mois auparavant, Clinton signe le texte. Depuis son arrivée au pouvoir en 2001, le président républicain George Bush s’est attaché à renforcer ce nouveau dispositif. Le passage de l’ouragan Katrina en Louisiane a démontré l’ampleur de la déshérence de la lutte contre la pauvreté, laissée à l’initiative individuelle et à la charité des associations caritatives, comme à la fin du dix-neuvième siècle.

Conclusion

19Au cours du vingtième siècle, la lutte contre la pauvreté se caractérise principalement par l’incapacité de l’État de la prendre en charge de façon durable. Le contraste avec les pays européens est à ce titre particulièrement révélateur. Cet échec s’explique par la prégnance d’un double postulat : l’assistance sociale n’est pas un droit du citoyen et constitue, au mieux, une libéralité ; l’État assure en priorité le bien-être (welfare) des catégories sociales les plus méritantes, à commencer par les personnes âgées. Même si des amendements ont profondément modifié son contenu initial, c’est la loi de la sécurité sociale de 1935 qui a constitué un temps le pilier de la lutte contre la pauvreté. Mais contrairement à une lecture trop essentialiste qu’en font nombre d’historiens américains, c’est dans la pratique que la loi a progressivement dissocié le volet d’assurance, progressivement consolidé, légitimé, respecté, du volet d’assistance, rapidement fragilisé, délégitimé, tenu en suspicion. Aujourd’hui, et le tournant linguistique est révélateur, le terme de « sécurité sociale » ne désigne plus que le système d’assurance, réservé aux travailleurs américains. L’assistance sociale s’est réduite comme peau de chagrin en l’espace d’une cinquantaine d’années. Seule la croissance américaine des dernières décennies a permis de masquer l’inexistence d’un filet de sécurité pour ces millions de pauvres américains aidés par les associations caritatives ou religieuses qui font face bon an mal an au désistement quasi complet de l’État.

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Bibliographie

Bibliographie :

- Mimi Abramovitz, Regulating the Lives of Women : Social Welfare Policy from Colonial Times to the Present, Boston, South End Publishing, 1988.

- Martin Gilens, Why Americans Hate Welfare : Race, Media, and the Politics of Antipoverty Policy, Chicago, University of Chicago Press, 1999.

- Sanford Jacoby, Modern Manors : Welfare Capitalism since the New Deal, Princeton,Princeton University Press, 1997.

- Laura Jensen, Patriots, Settlers and the Origins of American Social Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

- Jennifer Klein, For All These Rights. Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private Welfare State, Princeton, Princeton University Press, 2003.

- Alice O’Connor, Poverty Knowledge : Social Science, Social Policy, and the Poor in Twentieth-Century, U.S. History, 2001.

- Jill Quadagno, The Color of Welfare : How Racism Undermined the War on Poverty, New York, Oxford University Press, 1994.

- Daniel Rodgers, Atlantic Crossings : Social Policy in a Progressive Age, 1998.

- Theda Stocpol, Boomerang. Clinton’s Health Reform and the Turn Against Government, New York, W.W. Norton, 1997.

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Notes

1  Cité dans Carl Brauer, « Kennedy, Johnson and the War on Poverty », Journal of American History, 1982, p. 112.

2  Jennifer Klein, For All These Rights. Business, Labor, and the Shaping of America’s Public-Private Welfare State. Princeton, Princeton University Press, 2003 ; Sanford Jacoby, Modern Manors : Welfare Capitalism since the New Deal, Princeton,Princeton University Press, 1997.

3  Ellen Lagemann, Philanthropic Foundations : New Scholarship, New Possibilities, Bloomington, Indiana University Press, 1999.

4  Laura Jensen, Patriots, Settlers and the Origins of American Social Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.

5  Voir Gwedolyn Mink, The Wages of Motherhood : Inequality in the Welfare State 1890-1935, Ithaca, Cornell University Press, 1995.

6  Linda Gordon, Pitied But Not Entitled : Single Mothers and the History of Welfare, 1890-1935, New York, The Free Press, 1994.

7  Ibid.

8  Mimi Abramovitz, Regulating the Lives of Women : Social Welfare Policy from Colonial Times to the Present, Boston, South End Publishing, 1988.

9  Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers : The Political Origins of Social Policy, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1992.

10  Jill Quadagno, The Color of Welfare : How Racism Undermined the War on Poverty, New York, Oxford University Press, 1994 ; Michael Brown, Race, Money and the American Welfare State, Ithaca, Cornell University Press, 1999.

11  Les chiffres proviennent de Gareth Davies, Martha Derthick, « Race and Social Welfare Policy : The Social Security Act of 1935 », Political Science Quarterly, vol. 112, n° 2, Summer 1997, p. 219.

12  Mimi Abramovitz, Regulating the Lives of Women: Social Welfare Policy from Colonial Times to the Present, Boston, South End Publishing, 1988.

13  Daniel Rodgers, Atlantic Crossings : Social Policy in a Progressive Age, Cambridge, Harvard University Press, 1998, p. 488-494.

14  Daniel Hirshfield, The Lost Reform : The Campaign for Compulsory Health Insurance in the United States from 1932 to 1943, 1970, p. 42-70.

15  Edward Berkowitz, Mr. Social Security: The Life of Wilbur J. Cohen, Lawrence, University of Kansas Press, 1995.

16  Sanford Jacoby, Modern Manors : Welfare Capitalism since the New Deal, Princeton,Princeton University Press, 1997.

17  Linda Gordon, Pitied but Not Entitled…, op. cit., p. 15-35 ; Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers…, op. cit., p. 535-536.

18  Cité dans Gilbert Steiner, Social Insecurity : The Politics of Welfare, 1969, p. 71.

19  Blanche Coll, Safety Net : Welfare and Social Security 1929-1979, 1995, p. 176-204.

20  Edgar May, The Wasted Americans : Cost on Welfare Dilemma, 1964.

21  Cité dans Gilbert Steiner, Social Insecurity…, op. cit., p. 64.

22  “An Address by the City Manager of the City of Newburgh”, Folder Attack on Public Welfare, Box 1, Elizabeth Wickenden Papers, p. 12.

23  Meg Greenfield, « The Welfare Chiselers’ of Newburgh, N.Y.», Reporter, 17/08/1961, p. 37.

24  A.H. Raskin, « Newburgh’s Lessons for the Nation », New York Times Magazine, 17/12/1961, p. 16-24 et Fletcher Knebel, « Welfare : Has It Become a Scandal ? », Look, n°25, 07/11/1961, p. 3-4.

25  Wall Street Journal, 18/07/1961, p. 1.

26  Norman Lourie, Will the Newburgh Plan Work in Your City ?, Pamphlet published by the National Association of Social Workers, Undated, Folder 15 Attack on Public Welfare, Box 1, EW Papers.

27  Sur cette logique graduelle, lire Martha Derthick, Policymaking for Social Security, Washington D.C., The Brookings Institution, 1979, p. 25-26.

28  Voir Edward Berkowitz, « History and Social Security Reform », dans Sheila Burke, Eric Kingson et Uwe Reinhardt (dir.), Social Security and Medicare : Individual Versus Collective Risk and Responsibility, Washington, National Academy of Social Insurance, 2000, p. 42-47.

29  Linda Gordon, Pitied but Not Entitled…, op. cit., p. 15-35 ; Theda Skocpol, Protecting Soldiers and Mothers…, op. cit., p. 535-536.

30  Co-écrit en 1994 avec Richard Herrnstein, son ouvrage The Bell Curve provoque une virulente polémique : The Bell Curve. Intelligence and Class Structure in American Life, New York, Free Press, 1994.

31  Alice O’Connor, Poverty Knowledge : Social Science, Social Policy, and the Poor in Twentieth-Century U.S. History, 2001.

32  Martin Gilens, Why Americans Hate Welfare : Race, Media, and the Politics of Antipoverty Policy, Chicago, University of Chicago Press, 1999.

33  Michael Katz, The Price of Citizenship. Redefining the American Welfare State, New York, Henry Holt, p. 10-12.

34  Pascale Dufour, Gérald Boismenu, Alain Noël (dir.), L’aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2003.

35  Charles Murray, Losing Ground : American Social Policy, New York, Basic Books, 1984.

36  Bill Clinton, Al Gore, Putting People First, New York, Time Life, 1992, p. 164-168 ; Mary Jo Bane et David Ellwood, Welfare realities : From Rhetoric to Reform, Cambridge, Harvard University Press, 1994.

37  Jason DeParle, American Dream. Three Women, Ten Kids and A Nation’s Drive to End Welfare, New York, Viking Books, 2004.

38  Welfare Reform Wrap-Up, Hearing before the Committee on Finance, United States Senate, One Hundred Fourth Congress, first session, April 27, 1995, Washington DC, U.S. Government Printing Office, 1995 [i.e. 1996].

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Pour citer cet article

Référence papier

Romain Huret, « « Des pauvres toujours à nos côtés ? » Les guerres contre la pauvreté aux États-Unis au vingtième siècle. »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 101 | 2007, 65-79.

Référence électronique

Romain Huret, « « Des pauvres toujours à nos côtés ? » Les guerres contre la pauvreté aux États-Unis au vingtième siècle. »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 101 | 2007, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/441 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chrhc.441

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Auteur

Romain Huret

Maître de conférences à l’Université Lyon II, membre du Centre d’études nord-américaines de l’EHESS

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