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LIVRES LUS
Lectures des homosexualités

Boehringer Sandra et Sébillotte-Cuchet Violaine (dir.), Hommes et femmes dans l’Antiquité. Le genre : méthodes et documents

Paris, Armand Colin, 2011, 192 p.
Adeline Grand-Clément
Référence(s) :

Boehringer Sandra et Sébillotte-Cuchet Violaine (dir.), Hommes et femmes dans l’Antiquité. Le genre : méthodes et documents, Paris, Armand Colin, 2011, 192 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif est le fruit d’une collaboration entre plus d’une vingtaine de spécialistes du monde gréco-romain, membres de l’actuelle équipe ANHIMA (Anthropologie et histoire des mondes antiques, UMR 8210) ou de l’atelier EFiGiES. La coordination de l’ensemble a été assurée par V. Sébillotte Cuchet et S. Boehringer, deux hellénistes qui ont largement contribué, dans le sillage de P. Schmitt Pantel, à développer une lecture genrée des sociétés grecques. Il s’agit d’un manuel destiné plus particulièrement aux étudiants de premier et deuxième cycles. Conçu comme « un vade mecum méthodologique et pratique » (p. 12), il invite à réexaminer les sources antiques à la lumière des problématiques liées à la construction des rapports de sexe. Son objectif est avant tout pédagogique : initier le lecteur à cet outil d’analyse qu’est le genre et montrer que la documentation antique recèle de nombreuses informations sur la façon dont les Grecs et les Romains concevaient les différences entre masculin et féminin. En proposant au lecteur une sélection de 50 documents commentés, l’ouvrage met en lumière le rôle joué par les rapports de sexe dans l’organisation des relations sociales, des hiérarchies politiques, des structures économiques ou encore des conceptions culturelles et religieuses. Mais l’intérêt du volume réside aussi dans la volonté affichée de ne pas surévaluer l’importance prise par le clivage hommes/femmes dans l’interprétation des réalités antiques et d’insister sur la fluidité des identités de genre.

2Une première partie (chapitre 1 : « Le genre, dans et pour l’Histoire »), d’une vingtaine de pages, introduit le corps de l’ouvrage. Elle aborde les notions générales de « différence des sexes », de « genre », de « régimes de genre » et propose une mise au point historiographique qui éclaire les principaux jalons de la recherche en sciences humaines et sociales autour des rapports masculin/féminin. Très didactique, la présentation est émaillée de citations d’auteur-e-s de référence, en particulier Simone de Beauvoir, Joan W. Scott, Françoise Thébaud ou Ève Kosofsk-Sedgwick, qui fournissent un cadre théorique et des définitions claires et accessibles. Des théories de Freud à l’histoire des sexualités initiée par Michel Foucault, des mouvements féministes aux genders Studies, de l’histoire des femmes aux subalternstudies, le lecteur voit se déployer les ramifications multiples d’un questionnement qui porte sur les relations établies entre les hommes et les femmes dans les sociétés modernes. L’accent est mis sur la nécessité de repérer – sans les surestimer – les processus de différenciation des sexes qui sont à l’œuvre et inter-agissent avec d’autres facteurs. Les auteurs soulignent ensuite l’intérêt de ces renouvellements historiographiques, susceptibles de fournir aux historiens de l’Antiquité des catégories heuristiques leur permettant d’interroger autrement leur propre documentation. Pour terminer, quelques exemples viennent illustrer le dynamisme des recherches sur le genre dans le monde gréco-romain depuis une trentaine d’années : le dossier des reines hellénistiques et des impératrices romaines, largement renouvelé par la prise en compte des données épigraphiques, le cas de Cléoboulê, la mère de Démosthène, dans l’Athènes classique, ou encore celui d’Artémis d’Halicarnasse, qui a combattu à Salamine du côté perse, et enfin, dans un autre registre, la figure mythique de l’amazone.

3Le chapitre 2, de loin le plus long, rassemble 50 fiches documentaires concernant la Grèce, Rome et l’Orient hellénistique. Choisis à dessein parmi l’ample réservoir de sources exploitables, les documents étudiés attestent la coexistence de différents « régimes de genre » tout au long de l’Antiquité (entre le viiie s. av. J.-C. et le ve s. apr. J.-C.). Il s’agit majoritairement de textes littéraires, issus de la tradition manuscrite, mais on y trouve également des inscriptions, un document papyrologique, quelques images (plusieurs peintures sur vase, un relief et une mosaïque), des monnaies et un plan issu de fouilles archéologiques. Dans chaque fiche, figurent quelques lignes d’introduction, puis le document lui-même et enfin l’analyse proprement dite. Cette dernière comporte une remise en contexte (notes sur l’auteur de la source, la nature de l’œuvre, la situation historique et géographique), une approche problématisée autour de quelques thèmes, un paragraphe de conclusion et quelques références bibliographiques utiles. La richesse et la diversité des dossiers présentés permettent ainsi d’éviter deux pièges : d’une part celui qui consisterait à surévaluer l’importance prise par les rapports de sexe dans les sociétés antiques ; d’autre part celui de la généralisation abusive, qui conduirait à uniformiser les points de vue et à nier la complexité des réalités sociales.

4Le lecteur s’étonnera peut-être de l’ordre de présentation adopté. Il ne s’agit ni d’un classement chronologique ou géographique, ni d’un classement en fonction de la nature de la source étudiée. Les fiches, numérotées de 1 à 50, sont rangées par ordre alphabétique, en fonction du nom de l’auteur du document. Quand l’auteur ne peut être identifié, notamment dans le cas d’un document épigraphique ou numismatique, c’est le lieu géographique qui a servi à répertorier la fiche (deux cartes, placées à la fin du volume, permettent de se repérer). Pourquoi un tel parti-pris, qui pourrait dérouter, car il privilégie un ordre totalement aléatoire ? Les auteures s’en expliquent brièvement : il s’agit d’adopter le classement le plus neutre qui soit, afin d’offrir une grande liberté d’approche au lecteur (p. 34).

5C’est donc le troisième et dernier chapitre, intitulé « Parcours de lecture », qui fournit les moyens d’appropriation personnelle et personnalisée du livre. Il suggère en effet plusieurs clefs de lecture et parcours possibles pour explorer au mieux, en fonction des intérêts et priorités de chacun, le corpus de documents rassemblé. L’ordre de lecture des fiches peut ainsi varier en fonction de différentes logiques : chronologique, géographique, documentaire, ou privilégier diverses approches thématiques (pouvoir, corps, sexualité, mariage, mythologie, etc.).À l’évidence, la pluralité des angles d’approche offerts au lecteur confère au manuel toute son originalité. La confrontation entre les documents témoigne de la diversité des points de vue et montre que la signification accordée à la différence des sexes varie suivant les contextes discursifs et historiques au cours de l’Antiquité. On peut ainsi comparer les témoignages de Justin et de Flavius Josèphe sur une même reine hellénistique, Cléopâtra Théa (fiches n° 15 et 23), ou encore la nature des informations livrées par un texte et une image quant au rôle du mariage dans l’Athènes du ve s. av. J.-C. (la loutrophore, n° 30, et l’extrait de Xénophon, n° 49). Sans doute, la présence d’un index général à la fin du volume aurait été bienvenue, afin de faciliter ce va-et-vient fécond entre les documents et de permettre au lecteur de repérer les principales notions grecques et romaines utilisées.

6L’ouvrage, sans équivalent à ce jour, constitue donc un excellent outil de travail et de réflexion qui invite à développer une approche genrée des sources anciennes. Le manuel atteint l’objectif affiché, à savoir sensibiliser les étudiants à une « histoire plurielle et polyphonique » (p. 10) et « mixte » (p. 13). Mais il s’adresse aussi aux spécialistes de l’histoire du genre, des femmes et des sexualités, qui connaissent peu le monde gréco-romain et souhaiteraient se familiariser avec la spécificité de la documentation antique. Les commentaires proposés ouvrent en effet des pistes d’analyse suggestives, que le lecteur peut ensuite prolonger en se référant à la bibliographie indicative rassemblée à la fin du volume.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adeline Grand-Clément, « Boehringer Sandra et Sébillotte-Cuchet Violaine (dir.), Hommes et femmes dans l’Antiquité. Le genre : méthodes et documents »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 119 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/2848 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chrhc.2848

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