Une émouvante soirée d’hommage à Missak Manouchian avant sa panthéonisation
Résumés
Le 5 février 2024, au siège du PCF, s’est tenue une importante soirée d’hommage au leader de la MOI, Missak Manouchian, à l’occasion du vernissage de l’exposition commémorative qui lui est consacrée et en vue de sa panthéonisation du 21 février 2024. Devant un public très nombreux et passionné, des personnalités ont prononcé des discours marquants et engagés, un film inédit a été projeté et l’exposition, présentée à l’intérieur de l’Espace Niemeyer et sur les grilles à l’extérieur, a été dévoilée. Tous ces éléments ont permis au public de mieux connaître l’histoire des résistants de la MOI et aux spécialistes d’en apprendre davantage grâce à l’exploitation récente de nouvelles archives.
Texte intégral
1Lors de cette soirée marquante, présentée par l’historien Guillaume Roubaud-Quashie et en présence de Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie, accueillant un public tellement nombreux que, les 300 places de la coupole étant pleines, les interventions ont été transmises également en direct sur grand écran dans deux autres grandes salles, pleines elles aussi. Fabien Roussel a pris la parole et affirmé l’importance politique de la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian dans le contexte actuel (loi immigration promulguée le 26 janvier 2024), où nous avons grand besoin d’affirmer notre solidarité avec les étrangers. Outre les militants politiques, des artistes comme Léo Ferré, puis plus récemment Didier Daeninckx et Robert Guédiguian, y ont contribué par leurs œuvres et leur soutien.
2Jean-Pierre Sakoun, fondateur et président de l’association Unité laïque, a retracé l’histoire du projet de panthéonisation, projet qui a connu des étapes et est passé par la mise en place d’un comité de parrainage, d’une campagne politique, donc un projet de longue haleine et acquis de haute lutte.
3Pierre Ouzoulias, sénateur communiste et vice-président du Sénat, a rappelé combien l’histoire de Manouchian lui est chère de par sa propre histoire familiale, son grand-père étant le colonel André, un des dirigeants de la Résistance à Paris et colonel des FTPF. Il a aussi relevé que Manouchian est une figure centrale de l’histoire du 20e siècle, car, par ses origines, son parcours et son profil, il fait le lien entre deux génocides du 20e siècle : le génocide arménien (1915) et le génocide juif (1941-1945).
4L’historien Denis Peschanski a ensuite pris la parole, évoquant comment, récemment, il a pu découvrir de nouvelles archives sur Manouchian, révélant comment ce dernier avait demandé à deux reprises sa naturalisation française, en 1933 et en janvier 1940 – cette dernière date s’expliquant par le fait qu’il était très désireux de partir au front, combattre, en tant que Français, pour défendre la France. Ses deux demandes de naturalisation ont été rejetées. D’autres archives illustrent comment sa traque par la police de Vichy s’est réalisée au fil de trois filatures policières qui s’enchaînent, en novembre 1943, jusqu’à la chute du réseau.
5Jean Vigreux, historien, a rappelé comment est née la « Main-d’œuvre étrangère » (MOE), sur l’impulsion du Komintern et de son Internationale syndicale rouge, ensuite adaptée au contexte français par la SFIC, lors de son congrès de Lille, puis devenant la « Main-d’œuvre immigrée », MOI, changement de nom dû au contexte de xénophobie du début des années 1930. Par le biais des « groupes de langue », il s’agissait d’œuvrer à l’intégration et à la cohésion des jeunes militants d’origine étrangère. Jean Vigreux relate comment, au sein de la MOI, voisinaient avec fraternité deux générations de militants : les militants « vieux » d’une trentaine d’années ayant connu la guerre d’Espagne, et les « jeunes », souvent des juifs venus d’Europe centrale, n’ayant que de 17 à 23 ans.
6Les orateurs ont aussi souligné à quel point le personnage de Missak Manouchian parle aux jeunes, aux élèves des écoles, collèges et lycée : en effet, lui-même était jeune, était un migrant, un militant, un poète, un sportif, un amant, donc un personnage éminemment humain, avec de multiples facettes.
7Pour finir le tour de table, Claudie Bassi-Lederman, fille de Charles Lederman, a pris la parole, présentant l’association qu’elle a créée en 2005, « Mémoire de la Résistance juive et MOI » (MRJ-MOI).
- 1 Film de Pierre Chassagnieux et Pauline Richard, Nous étions des combattants.
8Enfin, un film documentaire inédit portant sur l’histoire des FTP-MOI a été projeté1 et l’exposition a été dévoilée, comprenant plusieurs panneaux, consacrés à Missak, Mélinée Manouchian, mais aussi Rino Della Negra, Olga Bancic, ou encore Rosine Bet.
9Cette soirée, prélude à la panthéonisation du 21 février 2024, est ainsi très importante. Serge Wolikow observe que « cette entrée au Panthéon représente la fin d’un ostracisme injustifié » et rappelle :
« À partir de 1941, les jeunes communistes, les militants aguerris dans la guerre d’Espagne, mais aussi les militants ouvriers de la MOI vont constituer les combattants dont l’action inflige aux troupes allemandes des coups. Missak Manouchian prend sa place dans l’organisation des FTP, créés au printemps 1942. Dans la région parisienne, il va déployer avec ses camarades de la MOI de nombreuses actions d’éclat ».
10Serge Wolikow observe aussi « le télescopage » entre l’adoption de la loi immigration (janvier 2024) et cet hommage :
- 2 « Manouchian honoré, la fin d’un ostracisme », interview de Serge Wolikow par Pierre Chaillan, l’Hu (...)
« L’hommage rendu à Manouchian est frappant. Il donne paradoxalement encore plus de force à l’engagement même qui a été celui de Manouchian dans la période des années 1930, puis dans celle de l’Occupation où les étrangers ont été considérés comme des boucs émissaires et stigmatisés par les forces de droite et d’extrême droite. »2
11Guillaume Roubaud-Quashie, qui a œuvré à l’organisation de cette soirée, rappelle que
- 3 Interview de Guillaume Roubaud-Quashie par Chloé Maurel, 23 janvier 2024.
« le siège du Parti communiste français, par ses vastes espaces intérieurs comme par son emplacement et la visibilité qui est la sienne depuis la rue, se prête de bien des manières aux expositions. Depuis janvier, un très grand portrait de Missak Manouchian a été installé sur la façade. Ce 5 février, une exposition sur les grilles est installée, rappelant qui était le couple Manouchian et quel était le sens de son combat. Mais nous avons voulu aussi donner à voir la dimension collective dans laquelle cette panthéonisation s’inscrit : celle de la résistance communiste, celle de la MOI. En ce sens, outre la présentation de ces structures souvent mal connues du grand public, nous avons voulu montrer d’autres visages de ces étrangers engagés dans le combat pour la libération de la France : Rino Della Negra, Olga Bancic, mais aussi Rosine Bet (Toulouse) ou Henri Krasucki, car les FTP-MOI avaient une activité au-delà du seul cercle de ceux qui ont été “jugés” à l’hôtel Continental et fusillés le 21 février au Mont-Valérien. On a voulu rappeler cet ancrage qui dépasse la région parisienne et donner un peu de lumière à ces frères et sœurs de combat de Manouchian. »3
12Il analyse aussi que cette panthéonisation de Missak Manouchian vient réparer une « anomalie » :
« Les panthéonisations successives depuis Jean Moulin ont progressivement campé un portrait de la Résistance française. Jusqu’ici, la résistance communiste (dont nul ne peut contester l’importance fondamentale) était écartée de l’hommage national. C’était une mesquinerie injustifiable, une injustice évidente et la mise en scène d’une cécité sur l’histoire nationale qui ne pouvait se prolonger éternellement. Il y avait ensuite la nécessité de dire quelque chose de fort et de vrai sur l’histoire de la Résistance, sur la place des étrangers dans celle-ci. Oui, il est de salubrité publique de rappeler que des étrangers ont pris tous les risques pour arracher le drapeau de servitude qui flottait sur notre pays il n’y a pas si longtemps encore. Oui, il faut affirmer la conception républicaine et révolutionnaire de la nation française, à 1 000 lieues des conceptions ethnicistes et raciales qui régnaient justement quand Manouchian combattait et au nom desquelles aussi il a été massacré avec ses camarades. C’est dans cet esprit que le sénateur Pierre Ouzoulias, au sein d’un collectif très large (nommons notamment Jean-Pierre Sakoun, Didier Peschanski et la petite-nièce de Manouchian, Katia Guiragossian), a œuvré, des années durant, pour que Manouchian rejoigne le Panthéon, avec tout le sens politique pour le présent que revêt cet hommage national. »
13D’autres initiatives ont été organisées également durant ce mois de février 2024, par exemple le 9 février au Sénat : un après-midi d’étude organisé par la Fondation Gabriel-Péri, sous la présidence de Pierre Ouzoulias, et animé par Serge Wolikow, ayant pour thématique « L’Affiche rouge et les FTP-MOI » :
« Il s’agit, au cours de cette séance, de revenir sur l’histoire des Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) et du groupe Manouchian, de la traque de ces partisans par la police française, de leur procès et de leur exécution au Mont-Valérien ; comprendre la place de la lutte armée par ces groupes des FTP-MOI et leur intégration par le Parti communiste au sein de la société française. »4
- 5 Interview de Guillaume Roubaud-Quashie par Chloé Maurel, op. cit.
14Le 20 février 2024 a été organisée, avec le concours de la revue Europe, un événement à dimension plus culturelle, « autour de la publication des poèmes de Manouchian (Seuil, 2024), en présence du traducteur, avec également Didier Daeninckx ou Pascal Convert. Les historiens Astrig Atamian et Serge Wolikow [étaient] également présents, ainsi que Georges Duffau-Epstein, fils de Joseph Epstein et président de l’Association pour le souvenir des fusillés du Mont-Valérien5 ».
- 6 Emilio Meslet, « Manouchian au Panthéon, les coulisses », l’Humanité, 5 février 2024, p. 6.
15Le 21 février 2024, à 18 h 30, c’est le grand jour, celui de la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, avec un spectacle son et lumière au pied du Panthéon, un défilé de la garde républicaine, une oraison funèbre prononcée par le président Macron, et le cercueil placé au centre des 1 200 invités, devant plus de 150 journalistes et 600 élèves des écoles, collèges et lycées, en présence de nombreuses personnalités comme le cinéaste Robert Guédiguian et le Premier ministre de l’Arménie, Nikol Pachinian. La cérémonie est diffusée en direct à la télévision. Dans l’après-midi du même jour, un hommage populaire est coorganisé par le PCF et la CGT dans les rues de Paris, avec des prises de parole de Fabien Roussel et Sophie Binet6.
- 7 Cause Commune, n° 37, janvier-février 2024, <https://www.causecommune-larevue.fr/37>.
16En outre, signalons que le numéro de janvier-février 2024 de la revue Cause commune, éditée par le PCF, est largement consacré à la panthéonisation de Manouchian7.
17Ainsi, toutes ces initiatives à la fois culturelles et politiques autour de la panthéonisation de Missak Manouchian convergent pour manifester fermement l’importance cruciale, dans la France et dans l’Europe d’aujourd’hui, menacées par la résurgence du fascisme, des valeurs de solidarité et de fraternité, qui ont été si éminemment incarnées par les résistants, et notamment ceux de la MOI, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Notes
1 Film de Pierre Chassagnieux et Pauline Richard, Nous étions des combattants.
2 « Manouchian honoré, la fin d’un ostracisme », interview de Serge Wolikow par Pierre Chaillan, l’Humanité, 31 janvier 2024, p. 9.
3 Interview de Guillaume Roubaud-Quashie par Chloé Maurel, 23 janvier 2024.
4 <https://www.pcf.fr/manouchian>.
5 Interview de Guillaume Roubaud-Quashie par Chloé Maurel, op. cit.
6 Emilio Meslet, « Manouchian au Panthéon, les coulisses », l’Humanité, 5 février 2024, p. 6.
7 Cause Commune, n° 37, janvier-février 2024, <https://www.causecommune-larevue.fr/37>.
Haut de pageTable des illustrations
Légende | Affiches de l’exposition, dévoilées le 5 février 2024 au siège du PCF. |
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URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/docannexe/image/24167/img-1.png |
Fichier | image/png, 717k |
Pour citer cet article
Référence papier
Chloé Maurel, « Une émouvante soirée d’hommage à Missak Manouchian avant sa panthéonisation », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 160 | 2024, 143-148.
Référence électronique
Chloé Maurel, « Une émouvante soirée d’hommage à Missak Manouchian avant sa panthéonisation », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 160 | 2024, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/24167 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/122ej
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