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CHANTIERS

Le premier congrès international eugénique (Londres, 1912) : une communauté épistémique transnationale ?

Marius Bruneau
p. 111-125

Résumés

Cet article étudie les enjeux du premier congrès international eugénique, qui s’est tenu à Londres en juillet 1912. Après avoir rappelé les origines de l’eugénisme, il interroge la manière dont il est possible de qualifier ce rassemblement, en testant les concepts de « communauté épistémique » et de « champ transnational » à partir d’une triple perspective : d’abord une histoire des idées exprimées au congrès et de son organisation à différentes échelles ; une analyse sociale des congressistes ; une réflexion sur les effets du congrès eugénique à court, moyen et long termes. La thèse défendue est que le concept de « communauté épistémique », suggéré par divers historiens, s’applique mal au congrès de Londres, intellectuellement et socialement fragmenté, tandis que la piste du « champ transnational » paraît plus fructueuse.

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Texte intégral

  • 1 Motoko Rich et Makiko Inoue, « Japan to compensate forcibly sterilized patients, decades after the (...)
  • 2 University College London, « UCL makes Formal Public Apology for its Histories and Legacy of Eugeni (...)
  • 3 Michael Igoe, « Devex Newswire : Ford, Rockefeller, and a history of eugenics », Devex Newswire, 4  (...)

1Depuis la fin des années 2010, le legs des politiques eugénistes du 20e siècle dans les sociétés est de nouveau questionné : le gouvernement japonais a décidé en 2019 d’indemniser à hauteur de 3,2 millions de yens, soit environ 25 000 euros, 5 400 personnes identifiées comme victimes de la loi relative à la protection eugénique1. En Angleterre, le 7 janvier 2021, le University College de Londres présenta ses excuses publiques pour avoir « joué un rôle fondamental dans le développement, la diffusion et la légitimation de l’eugénisme » en hébergeant le premier laboratoire au monde consacré à la recherche en eugénique, le Galton Eugenics Laboratory2. Aux États-Unis, la fondation Rockefeller a lancé en octobre 2021 une enquête interne pour établir un bilan du passé eugéniste de l’institution3.

  • 4 Le mot « eugénisme » était très peu employé en France avant 1914, à l’inverse de « eugénique », adj (...)
  • 5 Arch. nat., F/17/3097/2, dossier « 1er Congrès international d’eugéniques, Londres, Juillet 1912 », (...)

2Dans ce contexte d’interrogation internationale sur l’héritage des politiques eugénistes, il est utile de revenir aux origines de ce mouvement et de son internationalisation amorcée en juillet 1912, dans les locaux de l’université de Londres, lors du premier congrès international eugénique4. Organisé par la Eugenics Education Society (EES), une association britannique créée en 1907 par le cousin de Charles Darwin, Francis Galton (1822-1911), et l’activiste sociale Sybil Neville-Rolfe (1885-1955), généralement désignée dans les sources sous le nom de « Mrs. Gotto », le congrès avait pour objectif officiel de faire connaître cette nouvelle « science », « l’eugénique », auprès du grand public, de discuter des dernières recherches en hérédité et des possibilités d’application législative et de fonder une organisation internationale eugénique5.

  • 6 La bibliographie en histoire de l’eugénisme est immense. Pour ne donner que quelques ouvrages de ré (...)

3Le congrès de 1912 constitue un objet idéal pour contribuer à une histoire transnationale de l’eugénique. L’historiographie de l’eugénisme a été, depuis au moins la fin des années 1960, une historiographie largement nationale et comparatiste, et l’histoire des réseaux eugénistes et des circulations transnationales d’idées eugénistes est une tendance très récente de l’historiographie6. Dans cet article il s’agira donc, après un retour sur l’histoire et l’historiographie de l’eugénisme, de restituer en détail l’organisation du congrès, entre nationalisme et internationalisme, pour saisir l’ensemble des raisons qui poussèrent les organisateurs à mettre en place un tel congrès en 1912, de comprendre comment qualifier la population congressiste rassemblée à Londres en 1912 et de saisir quelques effets du congrès sur la trajectoire du mouvement eugéniste international au 20e et au 21e siècle.

4Cet article s’appuie principalement sur l’ensemble des imprimés produits à l’occasion du congrès en 1912 et 1913 (actes, circulaires d’invitation, programme officiel et catalogue d’exposition), sur les archives de la EES conservées à la Wellcome Library à Londres, celles du théoricien de l’« hygiène raciale » Alfred Ploetz (1860-1940), en partie détenues par le Max-Planck Institut für Psychiatrie, à Münich, et sur la correspondance de l’eugéniste américain et organisateur du congrès, Charles Davenport (1866-1944), conservée à la bibliothèque de l’American Philosophical Society, à Philadelphie.

Généalogie intellectuelle de l’eugénisme

  • 7 Francis Galton, Inquiries into Human Faculty and its Development, Londres, Macmillan, 1883.
  • 8 . Daniel J. Kevles, Au nom de l’eugénisme : génétique et politique dans le monde anglo-saxon, Paris (...)
  • 9 . Pour une synthèse globale sur le sujet, voir Daniel Pick, Faces of Degeneration : an European Dis (...)

5Pour ses organisateurs, le congrès de Londres était l’occasion de rendre hommage à Francis Galton, décédé un an plus tôt. Ce dernier était non seulement l’un des fondateurs de la EES, mais aussi l’inventeur du mot « eugenics ». En 1883, il avait défini ce terme ainsi : « la science d’amélioration de la lignée7». Galton avait créé « eugenics » en combinant deux mots grecs : eu, qui signifie « beau » ou « bien », et genos, pour « naissance » ou « race ». Pour lui, l’industrialisation aboutit à la paupérisation de larges pans de la population urbaine vivant dans des conditions de vie parfois désastreuses. Or, dans la société industrielle, les plus « faibles », les « inaptes », selon la terminologie galtonienne, sont sauvés par le développement de politiques sociales et hygiénistes, alors qu’auparavant la sélection naturelle effectuait le « tri » dans la population entre les « inaptes » (« unfit ») et les « aptes » (« fit  »8). Galton constate en outre que les « inaptes » font bien plus d’enfants que les « aptes ». Selon lui, les États industrialisés sont donc menacés par un phénomène de « dégénérescence raciale », c’est-à-dire d’affaiblissement physique et mental de la population9. Le nombre de « faibles d’esprit » ne cesse en effet d’augmenter, alors que le taux de natalité des gens « bien nés » chute. Pour inverser la tendance, l’État devait donc, selon Galton, reprendre en main la destinée biologique de sa population par la mise en place de politiques de rationalisation de la reproduction humaine et de la vie sexuelle.

  • 10 Daniel J. Kevles, Au nom de l’eugénisme, op. cit., p. 2.

6Cependant, les historiens ont montré, depuis environ quarante ans, que réduire l’eugénisme à sa définition galtonienne était une erreur. D’abord, parce que la réflexion et l’intérêt pour les problématiques liées à l’hérédité et la reproduction ont commencé au moins dès le 18e siècle, comme en témoignent les travaux du prêtre anglican Thomas Malthus (1766-1834). Au début du 19e siècle, le naturaliste Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) défendait de son côté la thèse de l’héritabilité des adaptations physiques des organismes vivants selon leur environnement. En 1848, à Oneida, dans l’État de New York, le socialiste John Humphrey Noyes (1811-1886) avait fondé une communauté utopique organisant un contrôle strict de la reproduction de ses membres. En 1859, Charles Darwin publiait L’Origine des espèces. Galton lui-même, dès les années 1860, théorisait l’idée selon laquelle les capacités d’un individu, qu’elles soient physiques ou mentales, seraient majoritairement transmises non par l’éducation, scolaire ou familiale, mais biologiquement, même si les lois de l’hérédité étaient encore mal connues10.

  • 11 Stefan Kühl, For the Betterment of the Race, op. cit., p. 13.
  • 12 La théorie du « darwinisme social » a été popularisée par le sociologue britannique Herbert Spencer (...)
  • 13 Philippa Levine, Eugenics. A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 7.
  • 14 Voir par exemple Paul-André Rosental, « Migrations, souveraineté, droits sociaux. Protéger et expul (...)
  • 15 Marius Turda, Eugenics and Nation in Early 20th Century Hungary, Basingstoke, Palgrave McMillan, 20 (...)

7L’essor de l’eugénique s’explique aussi par un contexte international, et d’abord par l’industrialisation. Amorcée au 18e siècle au Royaume-Uni, puis étendue à l’Europe de l’Ouest et aux États-Unis au 19e siècle, elle avait eu pour conséquence sociale la paupérisation de segments entiers de la population urbaine, perçus par Galton comme des « inaptes11 ». L’eugénique, appuyée sur la diffusion transnationale de la théorie du « darwinisme social » et de son concept de « combat pour l’existence » à partir des années 1880, fournissait alors une explication et une justification biologique des inégalités sociales12. De plus, la confiance dans le progrès scientifique, encouragée par la naissance de la génétique à partir des travaux du zoologue August Weismann (1834-1914) et de la redécouverte en 1900 des travaux de Gregor Mendel (1822-1884), nourrissait à l’échelle internationale chez des savants, des politiques et des réformateurs sociaux l’espoir de fonder une nouvelle science permettant le contrôle de l’hérédité13. En outre, depuis le début du 19e siècle, les États accentuaient le contrôle de leur population, que ce soit de leur santé, de leur éducation, de leur sécurité ou de leur mobilité14. Or, le développement de l’eugénique était aussi lié à ce renforcement des appareils étatiques, aussi parce que les théories eugéniques ont pu servir de justification biologique à la construction d’États-nations « homogènes15 ».

  • 16 .Emily S. Rosenberg, « Introduction », dans Emily S. Rosenberg, (dir.), A World Connecting, 1870-19 (...)
  • 17 . Davide Rodogno, Bernhard Struck et Jakob Vogel, « Introduction », dans Davide Rodogno, Bernhard S (...)
  • 18 Sarah Walsh, The Religion of Life : Eugenics, Race, and Catholicism in Chile, Pittsburgh, Universit (...)

8À ce mouvement de nationalisation des sociétés s’articulait également celui d’une « première mondialisation » à la suite d’une révolution des communications, des transports, de la finance et du commerce, qui permettait l’accélération des flux de personnes, de biens et d’idées à partir des années 187016. En Europe se constituait une « sphère transnationale d’échanges, d’expériences et de rencontres » à l’intérieur de laquelle des experts affirmaient que le progrès scientifique et technologique pouvait résoudre les problèmes causés par l’industrialisation rapide de l’Europe et les bouleversements sociaux qui en découlaient17. Ce contexte international ne doit toutefois pas faire oublier l’existence de spécificités locales et nationales propres aux divers mouvements eugénistes, comme l’a récemment démontré par exemple Sarah Walsh pour le cas du Chili18. Dans cette perspective, le développement d’un mouvement international eugénique à partir du début du 20e siècle trouve moins son origine dans une diffusion des idées galtoniennes depuis l’Angleterre vers le reste du monde que dans l’émergence de pôles locaux et nationaux concurrents au sein d’un contexte international complexe.

Nationalisme et internationalisme au premier congrès international eugénique

  • 19 Glenda Sluga et Patricia M. Clavin (dir.), Internationalisms : a Twentieth-Century History, Cambrid (...)

9Depuis les années 1980, les historiens des internationalismes aux 19e et 20e siècles interrogent l’entrelacement entre une rhétorique nationaliste et des « registres de l’internationalisme » lors des grands rassemblements tels que les congrès internationaux19. On peut situer la tenue du congrès dans une double chronologie : celle des efforts lobbyistes de la EES à l’échelle anglaise et britannique pour « faire connaître » l’eugénique et celle de l’accroissement de la coopération entre eugénistes américains, britanniques et allemands. Le caractère « international » du congrès était en fait particulier : les congressistes vinrent en grande majorité d’Europe de l’Ouest et des États-Unis, et surtout de Grande-Bretagne (plus de 50 % d’entre eux). La EES, britannique, eut largement la main sur l’organisation du congrès, même si elle y associa quelques chefs de file étrangers de l’eugénique. Le congrès apparut donc comme un compromis entre les eugénistes britanniques et les eugénistes étrangers, plutôt à l’avantage des premiers.

10L’idée d’une « dégénérescence raciale » en marche de l’Occident et l’universalisme de la science furent les deux principales idées exprimées lors du congrès de Londres. Ces deux idées constituaient même des registres de l’internationalisme : elles servaient à justifier la tenue d’un événement appuyé sur une mobilisation transnationale. Dès son discours d’ouverture, le président du congrès, Léonard Darwin (1850-1943), huitième enfant de Charles Darwin, invoquait, en vue de « l’amélioration des qualités raciales des générations futures », le devoir des congressistes de tirer toutes les conséquences pour l’humanité de l’évolutionnisme darwinien et des dernières recherches concernant les mécanismes de l’hérédité.

11Ainsi, les orateurs membres de la première section du congrès s’employèrent à démontrer l’héritabilité chez les humains de caractéristiques comme la taille ou la fécondité, afin de souligner les liens entre « biologie et eugénique ». Ces orateurs étaient soit des tenants de l’ancienne anthropologie raciale du 19e siècle appuyée sur les mesures craniométriques, comme l’Italien Giuseppe Sergi (1841-1936), ou bien des représentants, comme le Britannique Reginald Crundall Punnett, de la nouvelle science de l’hérédité émergeant depuis le début du 20e siècle : la génétique. Les orateurs de la deuxième section interrogèrent les possibilités d’application concrète de l’eugénique aux êtres humains, avec une large palette de solutions évoquées, allant de la simple « éducation » des populations à la stérilisation et l’euthanasie. La troisième section, sans véritable fil conducteur, étudia les liens entre « sociologie et eugénique », c’est-à-dire entre l’eugénique et l’histoire appuyée sur la raciologie, la démographie et la sociologie. Enfin, les orateurs de la quatrième section mirent en avant le lien entre « médecine et eugénique », principalement en rendant compte des « vertus eugéniques » de la médecine et du rôle que pouvaient avoir les médecins dans le développement de l’eugénique. Sur les huit rapports rassemblés, la question de la « dégénérescence » engendrée par l’alcoolisme fut particulièrement traitée.

  • 20 Le terme « inapte » (unfit) désigne, dans la terminologie galtonienne, les personnes les plus « fai (...)

12Les 33 rapports retenus dans les actes du congrès firent apparaître nettement le caractère multidisciplinaire de l’eugénique : biologie, médecine, psychiatrie, statistiques, sciences humaines, anthropologie et hygiène raciale se côtoyèrent, parfois se mélangèrent. Cette accumulation des savoirs devait constituer la force de l’eugénique : selon les organisateurs, plus il y avait de disciplines différentes représentées, plus la crédibilité scientifique et l’étendue du champ d’application de l’eugénique étaient démontrées. Cependant, ce magma intellectuel était aussi la faiblesse de l’eugénique : celui-ci se formait en effet à contre-courant de la spécialisation de plus en plus importante des sciences au début du 20e siècle. Le congrès ne constituait donc pas une démonstration de force d’une nouvelle « science » en expansion, mais un tour de force intellectuel qui était un aveu de sa fragilité. La question de l’applicabilité politique de l’eugénique divisait en outre les congressistes, qui ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur deux questions parcourant l’ensemble des rapports : fallait-il dès 1912 mettre en place des mesures visant à restreindre la « propagation des inaptes20 » ? Et s’il était temps d’agir, quelles mesures mettre en place ? Nombreuses furent les critiques dans la presse britannique et étrangère, pour qui le congrès n’avait non seulement pas réussi à clarifier ce que signifiait « eugénique », mais surtout avait décuplé la méfiance de l’opinion publique vis-à-vis d’une théorie envisageant la « stérilisation » et la « ségrégation » de catégories d’individus.

  • 21 Alfred Ploetz, « Engländer und Deutsche auf dem Londoner Kongress für Rassenverbesserung », Berline (...)

13À ces divergences théoriques se superposait une intrication complexe entre intérêts internationaux et nationaux à l’eugénique. Le discours sur la « dégénérescence » supposée de la « civilisation occidentale » était bien un discours internationaliste, mais la référence au cadre national n’était jamais bien loin. Les hygiénistes raciaux germanophones et les eugénistes anglophones luttaient pour prendre la tête du mouvement eugénique international. Dès le 3 août 1912, Alfred Ploetz se plaignait dans le Berliner Tageblatt qu’une coalition (Zusammenhalt) entre « Anglais, Français et Italiens » aurait été formée contre le choix de l’Allemagne comme nation organisatrice du prochain congrès international eugénique, alors même que, selon ses dires, les hygiénistes raciaux allemands avaient été à l’origine du véritable premier congrès international eugénique lors de l’exposition internationale d’hygiène de Dresde en 191121.

  • 22 Edwin Black, War against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to create a Master Race, New Yo (...)
  • 23 Arch. nat., F/17/3097/2, dossier « 1er Congrès international d’Eugéniques, Londres, Juillet 1912 ». (...)

14En outre, le congrès articula bien, comme de nombreux congrès internationaux, des « comités consultatifs nationaux » comme unités de regroupement. L’argument national fut largement mobilisé avant, pendant, après le congrès pour justifier sa tenue. Plusieurs États apportèrent au congrès un soutien au moins officieux. Le secrétaire d’État américain Philander Chase Knox (1853-1921) envoya, pour le compte de son gouvernement, plusieurs centaines d’invitations au congrès à diverses institutions et sociétés savantes américaines de la part de la EES22. Deux vice-présidents britanniques du congrès, Winston Churchill (1874-1965) et Reginald McKenna (1863-1943), avaient exprimé leur sympathie pour les idées eugéniques. Concernant le gouvernement français, un dossier inédit conservé aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine met en lumière le suivi rigoureux du ministère de l’Instruction publique et du ministère des Affaires étrangères de la composition des membres de la délégation française au congrès23. Théoricien du solidarisme, Léon Bourgeois (1851-1925), alors ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, fut responsable de la nomination du statisticien Lucien March (1859-1933) comme représentant de la République française au congrès. L’économiste Charles Gide (1846-1932) était également membre du comité français.

  • 24 Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle : la nébuleuse réformatrice et ses réseaux (...)
  • 25 Sur l’émergence de la « question sociale » comme préoccupation des élites au 19e siècle, voir Nicol (...)

15Léon Bourgeois, Lucien March, Charles Gide : ces trois noms indiquent que le congrès de Londres s’insérait également dans la formation, depuis la fin du 19e siècle, d’une « nébuleuse réformatrice » destinée à influer sur la nature des réformes menées dans le cadre d’un État social24. La présence de ces réformateurs sociaux s’explique par deux préoccupations communes avec les organisateurs du congrès de Londres : la science, et notamment le langage des sciences naturelles, source de nombreuses métaphores pour interpréter les phénomènes sociaux, et l’ancienne « question sociale », c’est-à-dire les conditions de vie, de travail et d’existence des populations habitant les centres urbains et industriels en essor. C’est devenu un sujet de discussion majeur dans plusieurs sociétés européennes depuis les années 183025. Plus encore, la fin du 19e siècle a vu l’émergence de voix remettant en cause le credo libéral de la première vague d’industrialisation, hostile à toute forme d’intervention publique, pour réguler le système économique. Membre du comité consultatif français du premier congrès international eugénique et figure de la « nébuleuse réformatrice », Charles Gide, par exemple, avait fondé en 1887 la Revue d’économie politique, un périodique opposé au libéralisme économique, revendiquant une approche « scientifique » et appelant à une intervention de l’État pour transformer les conditions de travail des populations industrielles. Francis Galton appelait également à une intervention publique, mais en s’appuyant sur une lecture biologique des conséquences de l’industrialisation.

16Certes, les congressistes de 1912 n’étaient pas tous d’accord pour dire si l’intervention de l’État était immédiatement nécessaire ou non. Cependant, tout comme les acteurs de la « nébuleuse réformatrice », les organisateurs du congrès de Londres et les intervenants affirmaient avoir un mot à dire sur la nature des réformes mises en place par les États sociaux. Les eugénistes poussèrent jusqu’au bout la logique d’une réforme empruntant ses méthodes et son vocabulaire à la science : la biologie elle-même devait guider la politique.

De la « communauté épistémique » au « champ transnational » eugénique

  • 26 Par « communauté épistémique », on désigne un collectif de personnes ayant une expertise dans un do (...)
  • 27 Le choix a été fait de se focaliser sur une population de 328 personnes parce qu’une analyse social (...)
  • 28 Le « tri à plat » et le « tri croisé » sont des opérations statistiques. On effectue un « tri à pla (...)

17Comment qualifier le rassemblement de congressistes acté par le congrès de Londres en juillet 1912 ? Emily Rosenberg et Davide Rodogno ont suggéré le concept de « communauté épistémique » pour qualifier la communauté transnationale eugénique26. Toutefois, les éléments établis précédemment permettent d’affirmer que, du point de vue des idées exprimées au congrès, qualifier le congrès de Londres de « communauté épistémique » n’est pas valable : rien n’était moins assuré que l’existence d’un consensus entre les participants, d’une part sur ce qu’il fallait entendre par « eugénique », d’autre part sur son échelle d’application. Pour tester le concept du point de vue de la sociologie des acteurs présents, on peut mener une histoire sociale du congrès à partir d’une prosopographie des 328 congressistes ayant eu une part active dans l’organisation et le déroulé de l’événement, dans le but d’examiner si le congrès avait été un regroupement d’« experts », c’est-à-dire le fondement d’une « communauté épistémique27 ». La majorité des congressistes appartenait en fait aux couches supérieures de la bourgeoisie, alliée aux anciennes élites aristocratiques et disposant d’un accès au champ du pouvoir politique, par ses relations ou par les fonctions occupées, et d’une autorité scientifique, résultat d’une appartenance à une multitude de sociétés savantes28. 82 % des congressistes appartenaient en effet aux classes supérieures (dont 67 % de fractions intellectuelles, principalement des médecins et des universitaires), et seulement 9 % à la petite et moyenne bourgeoisie et aux fonctionnaires moyens.

18Aucun congressiste n’appartenait donc aux classes populaires. Cela s’explique de deux manières : d’abord, parce que la participation à un congrès international suppose de disposer des ressources financières suffisantes pour payer sa qualité de membre ou prendre en charge le coût du voyage jusqu’à Londres ; ensuite, parce que l’idéal « racial » visé par cette nouvelle « science », c’était l’être humain arrivé à une position sociale confortable grâce au « mérite » de son « intelligence ». Ce n’était pas l’ouvrier, susceptible selon nombre d’orateurs de transmettre alcoolisme, maladies vénériennes ou toute autre « tare héréditaire » à sa descendance. Ces éléments rappellent les préjugés sociaux et politiques de nombreux eugénistes à l’égard des classes populaires, préjugés que le théoricien anarchiste Piotr Kropotkin (1842-1921), présent au congrès, ne manqua pas de dénoncer. Pour autant, le riche aristocrate n’était pas non plus un modèle eugénique : celui-ci ne devait sa position qu’à sa richesse héritée, non pas à ses efforts intellectuels, et il risquait par conséquent de se reposer sur sa position et ses titres, donc de « dégénérer ».

  • 29 Damiano Matasci, « International Congresses of Education and the Circulation of Pedagogical Knowled (...)

19Cette homogénéité sociale du congrès différait donc considérablement de celle d’autres congrès internationaux de la fin du 19e siècle, et notamment de celle des congrès socialistes où les classes laborieuses étaient davantage représentées. Toutefois, elle se rapprochait de la composition sociale des congrès de la « sphère transnationale » d’experts, étudiée, par exemple, par Damiano Matasci pour les congrès internationaux d’éducation entre 1876 et 191029. Le premier congrès international eugénique présentait toutefois une spécificité : 14 % des individus étaient des femmes, ce qui n’est pas négligeable pour un congrès international de la fin du 19e siècle. Elles étaient principalement britanniques et certaines jouèrent un rôle clé dans l’organisation du congrès, comme Mrs. Gotto, principale correspondante avec les congressistes étrangers.

  • 30 L’ACM est une méthode statistique destinée à projeter sur un plan en deux dimensions la population (...)

20Une telle analyse ne rend toutefois pas compte des oppositions qui traversaient le groupe de congressistes. Pour les mettre en évidence, une analyse en termes de « champ », qui articule les dispositions sociales des congressistes, mises en évidence ci-dessus, à leurs positions au sein du congrès, c’est-à-dire à la fonction occupée au sein de l’événement, et à leurs prises de position, soit à leurs interventions orales, se révèle alors utile. L’analyse des correspondances multiples (ACM) permet de s’approcher d’une telle perspective30. Deux oppositions fondamentales au sein de la communauté des 328 congressistes transparaissent : une opposition en termes d’expérience congressiste, c’est-à-dire entre des individus habitués à la participation à des congrès internationaux, et des néophytes du congressisme ; une opposition en termes de capital savant, c’est-à-dire entre des individus appartenant à une discipline institutionalisée dans des chaires universitaires ou des établissements de soins, membres de multiples sociétés savantes, et des individus moins éduqués et moins insérés dans ces réseaux savants, souvent des femmes, qui pouvaient cependant être engagées en réforme sociale.

  • 31 Tomanaga Sanjûrô, « À propos du congrès international eugénique », dans Conférences sur l’éthique d (...)

21Ces deux axes d’opposition permettent de dessiner, aux quatre cadrans de l’ACM, quatre groupes de congressistes qui avaient des intérêts divergents au rassemblement : les « commis-voyageurs » de l’eugénique, forts d’un capital savant et d’une expérience congressiste, qui poursuivaient à Londres leur engagement dans des querelles savantes internationales et pouvaient prétendre redéfinir le mot « eugénique », comme l’anthropologue Léonce Manouvrier (1850-1927), toutefois dans une position de plus en plus marginale sur la scène nationale, puisque les enseignements de l’École d’anthropologie de Paris, où il enseignait, perdaient peu à peu en crédibilité scientifique face à la sociologie naissante ; les « diplomates de la réforme », comme le diplomate australien résidant à Londres, John Cockburn (1850-1929), disposant de moins de capital savant, mais parfois plus proches du pouvoir politique et engagés en réforme sociale, et dont le rôle était de donner de la crédibilité politique à l’événement ; les « savants sédentaires », comme le médecin britannique James Alexander Lindsay (1856-1931), forts d’un capital savant, mais pas d’une expérience congressiste, tentant de mobiliser le congrès en faveur d’un agenda politique national ; puis un dernier groupe, dont les membres étaient identifiés par les eugénistes savants comme des « amateurs », du fait de leur manque de capital savant et d’expérience congressiste, mais qui apportaient un savoir de terrain. Une source inédite rend compte de cette opposition entre « experts » et « amateurs » de l’eugénique : un compte rendu du congrès rédigé par l’un des deux Japonais présents au congrès pour une revue scientifique, Tomonaga Sanjûrô (1871-1951), philosophe et délégué de l’université de Kyôto31. Si, dès l’introduction de son article, celui-ci refuse de se prétendre « qualifié » pour traiter d’eugénique de manière savante, il exprime néanmoins un point de vue critique sur le congrès, affirmant que les fondements scientifiques de l’eugénique étaient encore trop incertains pour songer à une quelconque application.

Usages et postérité du premier congrès international eugénique

22Pour parachever l’idée que la fragile communauté épistémique transnationale eugénique était en fait confrontée à la constitution d’un champ eugénique transnational, on peut remarquer que l’événement a été un moment d’opportunités pour certains participants. Ces opportunités se présentèrent d’abord pendant et peu après l’événement, d’une part pour la société organisatrice, la EES, dont les membres se saisirent du congrès grâce à la maîtrise du temps de parole et de la langue d’expression pour imposer leurs sujets de discussions et les préoccupations britanniques. Le congrès constituait également un moment d’opportunités pour une reconfiguration des luttes au sein même du mouvement eugéniste britannique : Caleb Saleeby (1878-1940), l’un des membres fondateurs de la EES, attaqua le grand absent du congrès, le mathématicien et directeur du Galton Eugenics Laboratory, Karl Pearson (1857-1936), qui considérait que la mission de propagande du congrès vulgarisait à outrance une théorie éminemment scientifique. En mars 1913, cette mission de propagande fut poursuivie par la EES lors d’une « conférence d’éducation eugénique » à destination d’enseignantes et d’enseignants, pour laquelle ses membres mirent à profit leur expérience d’organisateurs du congrès de Londres en réutilisant par exemple les modèles d’imprimé utilisés pour les tickets de membres du congrès de 1912.

23La question des « conséquences » du congrès international sur les trajectoires institutionnelles et individuelles du mouvement eugénique international est épineuse. Plusieurs effets peuvent être distingués. Du point de vue institutionnel, le congrès de 1912 a d’abord été pérennisé de deux manières, les mieux connues des historiens : deux nouvelles éditions du congrès international eugénique se sont tenues, au muséum d’Histoire naturelle de New York, en 1921 et en 1932. La configuration géopolitique au sein du mouvement international évolua en faveur des théoriciens étatsuniens, notamment Charles Davenport et Harry Hamilton Laughlin (1880-1943). Cette domination se traduisait par une grande place accordée à la génétique dans les rapports présentés, conformément à l’orientation mendélienne de l’eugénique américaine, et aux études de cas menées sur le terrain américain.

  • 32 Edward J. Larson, « The Rhetoric of Eugenics : Expert Authority and the Mental Deficiency Bill », d (...)

24De manière plus générale, il est difficile de savoir si le congrès de Londres a permis de diffuser plus largement auprès du public les idées eugénistes, comme c’était son objectif. Du fait de son importante couverture par la presse généraliste occidentale en 1912 et dans les années suivant immédiatement sa tenue, le congrès a certainement permis de populariser l’usage du terme « eugénique ». Cependant, peu de lois eugéniques furent adoptées dans le monde entre 1912 et 1914, et même pour le cas de l’Angleterre, où un Mental Deficiency Act destiné à fixer des règles de prise en charge des « déficients mentaux », « idiots », « imbéciles » et « faibles d’esprits » est voté en 1913, les débats parlementaires révèlent une profonde méfiance à l’égard de l’eugénique32. La EES atteint bien en 1913 le nombre maximal de membres de son histoire (713), mais cela n’était que l’aboutissement d’une dynamique qui avait débuté en 1909, et le nombre de membres chute à partir de 1914. La somme reçue à la suite d’un appel aux dons lancé par la EES le 30 juillet 1912, à la fin du congrès, fut jugée « décevante » par cette dernière.

25À l’échelle internationale, les eugénistes rencontraient aussi des difficultés. Dès juillet 1912, les organisateurs du congrès de Londres fondirent le Comité international eugénique permanent, une organisation internationale destinée à organiser les futurs congrès. Après la Première Guerre mondiale, ce comité devint la Fédération internationale des organisations eugéniques. Cependant, le congrès n’a pas vraiment permis la stabilisation d’un « savoir » eugénique stable, internationalement consensuel et unifié, comme c’est généralement l’objectif des congrès scientifiques internationaux, et pas seulement parce que ses fondements scientifiques étaient fragiles. Dans l’entre-deux-guerres, les projets de standardisation de la nomenclature employée et de bibliographie internationale eugénique commune n’aboutirent pas. Le ralentissement de la coopération internationale au sein de l’internationale eugénique provoqué par la Grande Guerre était passé par là, mais pas seulement : la tentation pour nombre d’eugénistes de mettre en avant ses spécificités intellectuelles nationales empêcha très probablement la concrétisation du projet.

  • 33 Stefan Kühl, For the Betterment of Race, op. cit., p. 162.

26Les mobilisations internationales au sein desquelles des discours eugénistes ont continué à être tenus ne se sont pas arrêtées aux congrès internationaux eugéniques. En 1959 fut fondée aux États-Unis l’International Association for the Advancement of Ethnology and Eugenics. Composée d’anthropologues, d’ethnologues, de sociologues et de généticiens marginaux, l’association avait pour objectif de relancer une coopération internationale autour des « questions d’amélioration raciale33 ». Les publications de cette organisation ont été régulièrement citées dans la revue du Grece, Nouvelle École, fondée en 1968 par Alain de Benoist.

  • 34 Jean-Baptiste Chastand, « À Budapest, Viktor Orban organise un sommet international du “grand rempl (...)

27Du 23 au 24 septembre 2021, un siècle exactement après le second congrès international eugénique, se tint à Budapest un « sommet démographique », un événement international organisé tous les deux ans depuis 2015 par le gouvernement du Premier ministre hongrois Viktor Orban. Le journaliste Éric Zemmour et l’ancienne député Marion Maréchal y vinrent pour s’exprimer34. La principale question qui motiva la tenue du congrès était similaire à celle qui avait guidé le congrès de Londres : comment lutter contre le « déclin démographique de l’Occident » ? Adepte de la théorie du « grand remplacement », réintroduite dans les années 2010 en France par l’écrivain Renaud Camus, Viktor Orban affirma que l’Europe serait menacée non seulement par la baisse du taux de fécondité moyen, mais surtout par une « immigration de masse » qui ne constitue certainement pas une solution, mais un facteur d’aggravation de la situation. Sur des plateaux télévisés, lors de rassemblements politiques et sur Internet, ce discours biologico-décliniste est aujourd’hui ressassé, sans que les fondements scientifiques en soient plus solides.

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Notes

1 Motoko Rich et Makiko Inoue, « Japan to compensate forcibly sterilized patients, decades after the fact », The New York Times, 26 avril 2019, p. 8. La loi relative à la protection eugénique (Yûsei hogohô) fut promulguée en 1948 et abolie uniquement en 1996. Elle permettait la stérilisation contrainte par le gouvernement des personnes atteintes de « troubles mentaux héréditaires ». 25 000 personnes auraient été stérilisées en vertu de cette loi selon le gouvernement japonais. Les victimes et leurs familles aujourd’hui estiment que l’indemnisation du gouvernement japonais est loin d’être suffisante et que de véritables excuses n’ont pas été formulées.

2 University College London, « UCL makes Formal Public Apology for its Histories and Legacy of Eugenics », 7 janvier 2021, en ligne : <https://www.ucl.ac.uk/news/2021/jan/ucl-makes-formal-public-apology-its-history-and-legacy-eugenics>. Sauf mention contraire, je suis l’auteur de toutes les traductions.

3 Michael Igoe, « Devex Newswire : Ford, Rockefeller, and a history of eugenics », Devex Newswire, 4 octobre 2021, <https://www.devex.com/news/devex-newswire-ford-rockefeller-and-a-history-of-eugenics-101763>.

4 Le mot « eugénisme » était très peu employé en France avant 1914, à l’inverse de « eugénique », adjectif et nom commun, traduction directe de l’anglais « eugenics ». Par conséquent, j’emploierai le terme « eugénique » pour désigner l’ensemble d’idées émergeant avant 1914, notamment au congrès de Londres, et « eugénisme » pour parler de ces idées sur la chronologie plus étendue du 20e siècle. Voir Pierre-André Taguieff, « L’introduction de l’eugénisme en France : du mot à l’idée », dans Mots. Les langages du politique, vol. 26, no 1, 1991, p. 23‑45.

5 Arch. nat., F/17/3097/2, dossier « 1er Congrès international d’eugéniques, Londres, Juillet 1912 », circulaire d’invitation, Londres, Eugenics Education Society, s.d., p. 2.

6 La bibliographie en histoire de l’eugénisme est immense. Pour ne donner que quelques ouvrages de référence sur l’étude de mouvements nationaux eugénistes : Lyndsay A. Farrall, The Origins and Growth of the English Eugenics Movement, 1865-1925, New York, Garland Publishing, 1985 ; Paul Weindling, Health, Race and German Politics between Natonal Unification and Nazism : 1870-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. Pour une approche comparatiste, voir l’étude pionnière : Mark B. Adams (dir.), The Wellborn Science : Eugenics in Germany, France, Brazil, and Russia, New York/Oxford, Oxford University Press, 1990. Pour une perspective transnationale, voir Stefan Kühl, Die Internationale der Rassisten : Aufstieg und Niedergang der internationalen Bewegung für Eugenik und Rassenhygiene im 20. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Campus Verlag, 1997 ; For the Betterment of the Race : the Rise and Fall of the International Movement for Eugenics and Racial Hygiene, trad. angl. Lawrence Schofer, New York, Palgrave McMillan, 2013. Sur la circulation transnationale des idées eugénistes, l’étude de « l’eugénisme latin » est prometteuse : voir Luc Berlivet, « A Laboratory for Latin Eugenics : the Italian Committee for the Study of Population Problems and the International Circulation of Eugenic Knowledge, 1920s-1940s », dans História, Ciências, Saúde-Manguinhos, vol. 23, 2016, p. 51‑72.

7 Francis Galton, Inquiries into Human Faculty and its Development, Londres, Macmillan, 1883.

8 . Daniel J. Kevles, Au nom de l’eugénisme : génétique et politique dans le monde anglo-saxon, Paris, Presses universitaires de France, 1995, p. 13.

9 . Pour une synthèse globale sur le sujet, voir Daniel Pick, Faces of Degeneration : an European Disorder, c. 1848-c. 1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

10 Daniel J. Kevles, Au nom de l’eugénisme, op. cit., p. 2.

11 Stefan Kühl, For the Betterment of the Race, op. cit., p. 13.

12 La théorie du « darwinisme social » a été popularisée par le sociologue britannique Herbert Spencer (1820-1903), et postulait que les individus et les sociétés humaines sont soumis, comme les animaux et les plantes, à la sélection naturelle. Différentes races sont alors en compétition pour la « survie du plus apte ». Sur la diffusion transnationale du darwinisme social, par exemple au Japon, voir Christian Geulen, « The Common Grounds of Conflict : Racial Visions of World Order, 1880-1940 », dans Sebastian Conrad et Dominic Sachsenmaier (dir.), Competing Visions of World Order : Global Moments and Movements, 1880s-1930s, New York, Palgrave McMillan, 2007, p. 75-82.

13 Philippa Levine, Eugenics. A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 7.

14 Voir par exemple Paul-André Rosental, « Migrations, souveraineté, droits sociaux. Protéger et expulser les étrangers en Europe, du XIXe siècle à nos jours », dans Annales. Histoire, sciences sociales, 2011/2, p. 335-373.

15 Marius Turda, Eugenics and Nation in Early 20th Century Hungary, Basingstoke, Palgrave McMillan, 2014.

16 .Emily S. Rosenberg, « Introduction », dans Emily S. Rosenberg, (dir.), A World Connecting, 1870-1945, Cambrige (Mass.), Harvard University Press, 2012, p. 7.

17 . Davide Rodogno, Bernhard Struck et Jakob Vogel, « Introduction », dans Davide Rodogno, Bernhard Struck et Jakob Vogel (dir.), Shaping the Transnational Sphere : Experts, Networks, and Issues from the 1840s to the 1930s, New York, Berghahn Books, 2015, p. 1-3.

18 Sarah Walsh, The Religion of Life : Eugenics, Race, and Catholicism in Chile, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2022. L’historienne montre la manière dont des eugénistes et des catholiques ont théorisé ensemble le concept de « race chilienne » dans la première moitié du 20e siècle.

19 Glenda Sluga et Patricia M. Clavin (dir.), Internationalisms : a Twentieth-Century History, Cambridge, Cambridge University Press, 2017.

20 Le terme « inapte » (unfit) désigne, dans la terminologie galtonienne, les personnes les plus « faibles » biologiquement, paupérisées par la révolution industrielle et supprimées par la sélection naturelle avant d’être sauvées par le développement des politiques sociales.

21 Alfred Ploetz, « Engländer und Deutsche auf dem Londoner Kongress für Rassenverbesserung », Berliner Tageblatt, 03/08/1912.

22 Edwin Black, War against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to create a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows, 2004, p. 117.

23 Arch. nat., F/17/3097/2, dossier « 1er Congrès international d’Eugéniques, Londres, Juillet 1912 ». Ce dossier fait partie d’un ensemble d’une trentaine de dossiers, chacun consacré à un congrès international auquel des autorités ministérielles françaises ont été invitées à participer.

24 Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle : la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1999, 574 p.

25 Sur l’émergence de la « question sociale » comme préoccupation des élites au 19e siècle, voir Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï, « L’émergence de la question sociale », dans Histoire politique du XIXe siècle, Paris, Presses de Sciences Po, p. 131-165.

26 Par « communauté épistémique », on désigne un collectif de personnes ayant une expertise dans un domaine donné, expertise qui se traduit notamment par des compétences reconnues et par une légitimité et une autorité en matière de production de connaissances. Voir Morgan Meyer et Susan Molyneux-Hodgson, « “Communautés épistémiques” : une notion utile pour théoriser les collectifs en sciences ? », dans Terrains & travaux, vol. 18, n° 1, 2011, p. 141-154. Sur l’existence potentielle d’une « communauté épistémique » eugénique, voir Emily S. Rosenberg, « Transnational Currents in a Shrinking World », dans Emily S. Rosenberg (dir.), A World Connecting, op. cit., p. 942-943 ; Davide Rodogno, « Introduction », dans Davide Rodogno, Bernhard Struck et Jakob Vogel (dir.), Shaping the Transnational Sphere, op. cit., p. 4.

27 Le choix a été fait de se focaliser sur une population de 328 personnes parce qu’une analyse sociale des quelque 800 personnes qui auraient, de près ou de loin, participé au congrès, n’a pas été possible, par manque de temps et de sources. Pour les 328 personnes étudiées, bien qu’il soit impossible de savoir si toutes ont été physiquement présentes au congrès, elles ont été sélectionnées soit parce qu’il s’agissait d’invités « de marque », dont les noms étaient placés au début du premier volume des actes du congrès, qui contient ainsi les membres d’honneur, les membres des comités consultatifs nationaux, le comité d’organisation et les délégués des institutions représentées au congrès, soit parce qu’il s’agissait de participants actifs qui ont eu un rôle dans la lecture de rapports, sont intervenus dans les discussions, dans l’organisation de l’exposition du congrès ou des divertissements proposés.

28 Le « tri à plat » et le « tri croisé » sont des opérations statistiques. On effectue un « tri à plat » lorsqu’on présente sous la forme d’un tableau ou d’un graphique la répartition de la population étudiée pour une seule variable, par exemple la profession. On effectue un « tri croisé » lorsqu’on construit un tableau croisant deux variables pour cette population, par exemple la répartition des individus dans telle ou telle profession selon leur sexe.

29 Damiano Matasci, « International Congresses of Education and the Circulation of Pedagogical Knowledge in Europe », dans Shaping the Transnational Sphere, op. cit., p. 224.

30 L’ACM est une méthode statistique destinée à projeter sur un plan en deux dimensions la population étudiée ou bien les variables utilisées pour la décrire sous la forme d’un nuage de points. L’objectif est de faire apparaître les oppositions les plus importantes qui traversaient la population étudiée et de proposer une typologie des congressistes à partir de ses cadrans.

31 Tomanaga Sanjûrô, « À propos du congrès international eugénique », dans Conférences sur l’éthique de la société d’éthique de Teiyû, vol. 6, n° 130, 1913, p. 1-43.

32 Edward J. Larson, « The Rhetoric of Eugenics : Expert Authority and the Mental Deficiency Bill », dans The British Journal for the History of Science, vol. 24, no 1, 1991, p. 59.

33 Stefan Kühl, For the Betterment of Race, op. cit., p. 162.

34 Jean-Baptiste Chastand, « À Budapest, Viktor Orban organise un sommet international du “grand remplacement” », Le Monde, 23/09/2021.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marius Bruneau, « Le premier congrès international eugénique (Londres, 1912) : une communauté épistémique transnationale ? »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 160 | 2024, 111-125.

Référence électronique

Marius Bruneau, « Le premier congrès international eugénique (Londres, 1912) : une communauté épistémique transnationale ? »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 160 | 2024, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/24010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/122eg

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Auteur

Marius Bruneau

Université Paris Sciences & Lettres

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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