« Le futur était maintenant » : la révolution est-elle un acte de préfiguration ?
Résumés
L’« Avril portugais » demeure l’histoire de l’irruption des masses, une expérience vécue, bouleversante et incommensurable, qui ébranla les instances politiques, économiques et culturelles dans leur ensemble. Il s’agit de la révolution européenne la plus significative depuis 1945. Durant les deux années 1974-1975, le Portugal, que la dictature fasciste avait contraint à la passivité pendant plus de quarante ans, connut l’effervescence grâce à la créativité des millions de personnes activement et consciemment engagées dans la poièsis, la fondation d’un nouveau mode de vie, égalitaire et profondément libre. La « contre-révolution démocratique » qui suivit tenta de faire oublier que les aspirations de ceux d’en bas ne sont pas seulement des fantasmes politiques, que l’histoire n’est pas faite par les États ou les gouvernements politiques, mais par les classes sociales et leurs mouvements.
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Mots-clés :
révolution, révolution des Œillets, usages passé, préfiguration, autopoïèse, histoire populaireKeywords:
Revolution, Portugal, Carnation Revolution, public uses of the past, prefiguration, auto-poiesis, 1974, People’s historyPalavras chaves:
revolução, Portugal, revolução dos cravos, usos públicos do passado, prefiguração, autopoiese, 1974, história do povoGéographie :
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- 1 Cet article est issu d’une révision d’un chapitre du livre de Raquel Varela et Roberto Della Santa, (...)
- 2 António Paço, Raquel Varela, Roberto Della Santa, et al., O 25 de Abril Começou em África, Porto, H (...)
1La révolution portugaise reste jusqu’aujourd’hui la plus importante révolution sociale de l’Europe d’après-guerre1. C’est en Afrique qu’elle a commencé dans un premier temps, avec les révolutions anticoloniales, à partir de 19612. Sa première étape a été la répression sanglante de la grève des travailleurs forcés de la société Cotonang, en Angola – plus de 5 000 selon certaines estimations – à laquelle ont répondu le massacre des guérilleros de l’UPA (Union des peuples d’Angola), qui s’attaquent à des colons blancs, et le soulèvement du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) dans les prisons. En amont, des décennies de travail forcé organisé par l’Empire portugais et des décennies de résistance au Mozambique, en Angola, à São Tomé, en Guinée et au Cap-Vert. En aval, la révolution sociale d’après-guerre la plus radicale d’Europe, avec la démocratie participative la plus étendue, par le biais de comités de travailleurs, d’habitants et, plus tard, de soldats.
2Si le 25 avril a commencé en Afrique, il ne s’est pas non plus terminé à Lisbonne. La révolution des Œillets a ainsi influé grandement sur la chute de la dictature des colonels en Grèce, la fin du franquisme en Espagne et, plus tard, la « contre-révolution démocratique » qui a eu lieu au Portugal après le 25 novembre a servi de modèle de reprise en main, dans une logique d’alliance entre capital et travail, à la doctrine Carter lors de la fin des dictatures militaires en Amérique latine dans les années 1980.
- 3 On utilise couramment ce sigle, en portugais, pour désigner l’action de l’ensemble des militants et (...)
3Les dix-neuf mois de la révolution des Œillets, qui ont vu tant de gens participer aux décisions, sont un exemple de préfiguration politique – nous reviendrons sur ce terme – en acte, tant dans la réflexion que dans l’action concrète des personnes qui ont effectivement transformé le pays. C’est donc très probablement la plus grande révolution sociale du 20e siècle, du moins après 1945, en Europe jusqu’à aujourd’hui. Réduire la révolution des Œillets, à l’occasion de son 50e anniversaire, à un coup d’État militaire réussi, celui du 25 avril 1974, ou au prétendu « chaos » engendré par le PREC (Processus révolutionnaire en cours3), relève de l’idéologie. Et ce n’est pas, comme nous le verrons, scientifiquement ni politiquement défendable.
4La révolution des Œillets est à première vue paradoxale, puisque c’est une révolution ultramoderne dans un pays hyper arriéré, qui a concerné bien des domaines de la vie sociale : aussi bien le travail forcé dans les colonies que le travail libre, les hommes autant que les femmes, les soldats comme les civils, le travail manuel et le travail intellectuel, la campagne et la ville. Politiquement, elle combine la révolution anticoloniale en Afrique et la révolution politique au Portugal, la révolution démocratique et la révolution sociale. D’un pays éparpillé en plusieurs morceaux, on en a fait un seul. C’est une révolution sociale, enfin, typique du 21e siècle.
5Il faut dire que si le capitalisme portugais reposait sur le travail forcé jusqu’en 1974, au même moment les travailleurs forcés africains constituaient la base sociale et politique des révolutions anticoloniales victorieuses en Angola, en Guinée et au Mozambique (1961-1974), ce qui a conduit à l’effondrement du régime politique en avril 1974 : une forme de ruse de l’histoire, aurait peut-être dit Hegel.
6La révolution des Œillets est bien née en 1961, précisément sur la base de cette révolte des travailleurs forcés et de l’orientation politique des mouvements de libération africains anticoloniaux. La révolution n’a donc pas été simplement un événement politique – le coup d’État militaire du 25 avril 1974 –, mais tout un processus historique qui a duré dix-neuf mois. Elle était en gestation depuis treize ans, et a vu l’instauration d’une démocratie participative sur les lieux de travail, orientée à la fois contre l’État et contre les classes dirigeantes, dans un pays qui n’avait pourtant jamais existé en tant que tel pour la majorité de ses habitants.
Une dictature longue de quarante-huit ans
7La révolution portugaise est née de la défaite militaire d’une armée régulière face à des mouvements de guérilla révolutionnaires soutenus par les paysans de Guinée-Bissau, d’Angola et du Mozambique, qui ont commencé les révolutions anticoloniales en 1961. Pourtant, la dictature ne tombe que le 25 avril 1974, lors d’un coup de force organisé par les cadres moyens des forces armées, qui se rendent compte qu’il n’est pas possible de gagner la guerre coloniale et que, pour mettre fin à la guerre, il faut mettre fin au régime. Le Mouvement des capitaines, rebaptisé Mouvement des forces armées, a mené à bien le coup d’État qui a mis fin au régime dictatorial européen le plus long du 20e siècle. Ce dernier avait été instauré le 28 mai 1926 par un coup d’État militaire visant à vaincre l’un des plus puissants mouvements ouvriers européens, le mouvement portugais, dirigé par l’anarcho-syndicalisme, qui disposait même d’un journal, A Batalha, tiré à 25 000 exemplaires par jour. La dictature instaurée fut une contre-révolution préventive, issue de la famille politique des fascismes européens, contre l’anarcho-syndicalisme, puis consolidée contre le spectre global de la révolution sociale espagnole des années 1930.
8La dictature portugaise a duré si longtemps que des millions de personnes sont nées et sont mortes sans savoir ce qu’était la vie en liberté – une nuit longue des quarante-huit années qu’a duré la dictature militaire nationale, de 1926 à 1974. Le fascisme a essayé de surmonter les contradictions de son temps : garantir une place à la bourgeoisie portugaise sur le marché mondial impérialiste tout en maintenant une société rurale arriérée, interdire les syndicats et les partis, imposer le travail forcé dans les colonies ; ce faisant, le régime a aggravé ses contradictions et a débouché sur la révolution sociale d’après-guerre la plus profonde et la plus étendue de l’Europe occidentale.
- 4 Sérgio Godinho, « Liberdade », chanson qui fit partie de l’album À Queima-Roupa (1974).
9Cette révolution a fait entrer une partie du pays dans l’ère des conseils démocratiques et a conduit à la politisation de nombreux secteurs du monde du travail, des ouvriers aux médecins, des paysans aux enseignants, inaugurant une révolution au 20e siècle qui ressemble davantage au 21e siècle par l’ampleur et la profondeur des sujets sociaux et politiques, comme le résume le chanteur engagé Sérgio Godinho de façon magistrale : « On ne peut tout vouloir que lorsqu’on n’a rien eu. On ne peut vouloir la vie pleine que si on a eu la vie immobile4 ».
La genèse de la révolution des Œillets : les révolutions anticoloniales
10Le chanteur et trompettiste d’origine sud-africaine Hugh Masekela a composé l’un des hymnes les plus puissants de la résistance africaine, Coal Train/Stimela, qui décrit le recrutement de travailleurs forcés du Mozambique et d’autres pays africains dans les mines d’Afrique du Sud sous le régime politique de l’apartheid. La chanson évoque les voyages et les vies misérables des travailleurs migrants, recrutés pour travailler dans les mines de Johannesburg et de Kimberley. Le terme « stimela » vient du zoulou « isitimela », train à vapeur.
- 5 Dalila Cabrita Mateus, « Conflitos Sociais na Base das Guerras Coloniais », dans Raquel Varela, et (...)
11Pendant des décennies, l’assaut des prisons de Luanda par le MPLA et le massacre de l’UPA (Union des peuples d’Angola) ont été décrits comme les événements qui ont marqué le début de la guerre coloniale, le 4 février 1961. Cependant, les travaux de l’historienne Dalila Cabrita Mateus ont montré que la décision du MPLA de prendre d’assaut les prisons de Luanda était en fait la réponse au massacre des travailleurs du coton de Cotonang, qui avaient entamé une grève illimitée en janvier de cette année-là5. Pour éclairer cette histoire, il faut donc aller au-delà des événements politico-institutionnels et s’intéresser à la lutte des classes.
12Les révolutions anticoloniales ont commencé par le soulèvement des Cotonang en janvier et février 1961. Le gouvernement a réagi en déclenchant la guerre coloniale. La révolution portugaise de 1974-1975 est un exemple extraordinaire de la combinaison de la révolution dans les colonies et dans la métropole. Il existe un lien étroit (bien que moins immédiat) entre la révolution algérienne et Mai 68, comme entre la révolution vietnamienne et le mouvement des droits civiques aux États-Unis.
- 6 Aida Freudenthal, « A Baixa de Cassange : Algodão e Revolta », Revista Internacional de Estudos Afr (...)
- 7 Ibid.
13En février 1961, l’armée portugaise réagit à la grève des travailleurs du coton de Baixa do Cassange en bombardant la population au napalm. Cette région, située au nord de l’Angola, était une zone de monoculture, exploitée en monopole par Cotonang, propriété de capitaux portugais et belges : « La révolte a été ouvertement déclarée le 4 janvier, lorsque les contremaîtres de Cotonang ont été pris à partie dans l’exploitation de Soba Quivota, à dix kilomètres du poste Milando (...) suivie de la menace que la population attaquerait quiconque l’obligerait à travailler dans le coton6 » ou à payer l’impôt annuel. L’arrêt de la production dure un mois : « Formant de grandes bandes, les insurgés prennent d’assaut des bâtiments publics et privés, endommagent des véhicules, des ponts et des radeaux, arrachent le mât du drapeau portugais, mais ne font pas de morts parmi les Européens7 ». Dans des zones plus éloignées, comme les postes de Luremo, Cuango et Longo, on trouve de nombreux tas de graines de coton brûlées, des livrets indigènes déchirés et d’autres signes d’hostilité. Les rassemblements de population deviennent non seulement plus fréquents, mais aussi plus menaçants.
14On peut remonter encore un peu auparavant dans le temps : les révoltes contre l’Empire portugais se sont succédé avec régularité. Ainsi, à São Tomé, en 1953, la résistance de la population à la tentative de l’enrôler dans le travail forcé (principalement en Angola et au Cap-Vert) dans les champs de cacao, de café et dans les travaux publics, où le travail n’était pas payé ou payé misérablement, et où les coups étaient habituels, a été sanctionnée par l’État portugais avec le massacre de Batepá. Cet épisode a marqué la naissance du nationalisme sao-toméen et est encore commémoré aujourd’hui par la fête nationale du 3 février. La révolte a été écrasée à coups de grenades et de mitrailleuses.
- 8 Gerhard Seibert, « O Massacre de Batepá », dans António Simões do Paço (dir.), Os Anos de Salazar, (...)
« Les indigènes se sont réfugiés dans les champs et les autochtones dans la forêt. L’administration coloniale arme alors les détenus et les serviteurs agricoles. Elle licencie la police et utilise des milices blanches. La “chasse aux Noirs” commence, avec des résultats brutaux. Exécutions sommaires, maisons incendiées, femmes violées et un millier de São Toméens emmenés dans des prisons où ils sont torturés, certains tués et presque tous emmenés dans des camps de travail forcé. »8
15On ne sait pas si les victimes se comptent par centaines ou par milliers.
- 9 Henrique Pinto Rema, História das Missões Católicas da Guiné, Braga, Ed. Franciscana, 1982, p. 856, (...)
- 10 Amílcar Cabral, Textos Políticos, Porto, Afrontamento, p. 11.
16Le 3 août 1959 se produit un événement qui va précipiter le changement de stratégie du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) en Guinée-Bissau et le passage à la lutte armée. L’administration coloniale portugaise répond à une grève pacifique des ouvriers du port de Pidjiguiti, qui réclament des augmentations de salaire, par une répression qui fait plus d’une dizaine de morts9. Amílcar Cabral lui-même déclare qu’« en septembre 1959, un mois après le massacre de Pidjiguiti, nous avons tenu une réunion clandestine à Bissau qui a provoqué un changement total dans le caractère de notre lutte. C’est alors que nous avons commencé à préparer la lutte armée et décidé de pénétrer dans les campagnes10 ».
17À partir de 1963, année du début effectif de la lutte armée, la chronologie des succès militaires du PAIGC est étonnante. En 1970, le parti peut se targuer de contrôler plus des deux tiers du territoire national. Amílcar Cabral est l’un des dirigeants socialistes et internationalistes les plus remarquables du 20e siècle. Avec Che Guevara et Ben Barka, il a été l’un des dirigeants de l’organisation Tricontinentale, qui a ensuite donné naissance en 1966 à l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Contre une vision nationaliste et essentialiste de la question noire, ils défendaient une vision classiste, révolutionnaire, anti-impérialiste et anticolonialiste. Tous trois ont été assassinés à des moments différents de l’histoire.
18C’est bien la Guinée qui représentait le plus grand défi militaire pour l’armée coloniale portugaise. C’est là que s’est formé le Mouvement des capitaines, à l’origine de la déclaration qui a mis fin à la guerre.
- 11 Les Makondés sont un groupe ethnoculturel bantou vivant dans le sud-est de la Tanzanie et le nord-e (...)
- 12 Le Tanganyika était une république d’Afrique orientale appartenant au Commonwealth britannique, nom (...)
19Une autre étape de la lutte se déroule au Mozambique. Au petit matin du 11 juin 1960, Faustino et Chibilite, membres d’une association d’entraide des peuples Makondés11, insistent auprès des autorités portugaises pour négocier le retour au Mozambique des Makondés qui se trouvaient au Tanganyika12. Ils y avaient obtenu de meilleurs droits et voulaient revenir avec le droit de vivre en liberté, sans travail forcé.
- 13 Dalila Cabrita Mateus, « Conflitos... », op. cit, p. 183.
20Ce jour-là, les autorités répondent aux revendications des Makondés par une fusillade qui prendra le nom de « massacre de Mueda » et qui a fait 14 morts selon un bilan officiel, mais 150 selon le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) : « Après cela, les Makondés ont commencé à vouloir la guerre, se montrant prêts à suivre le FRELIMO lors de son déclenchement, le 25 septembre 196413 ».
- 14 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit.
- 15 Aniceto Afonso et Carlos Matos Gomes, Guerra Colonial, Lisbonne, Porto Editora, 2020.
21La guerre coloniale affiche un bilan accablant : plus de 1,2 million de mobilisés, 100 000 morts du côté portugais (qui comprend en partie un recrutement local), entre 45 000 et 100 000 morts du côté des mouvements de libération14, 30 à 40 % du budget de l’État englouti en treize ans pour l’entretien des forces armées15.
22Dans le même temps, la question coloniale gagne du terrain dans l’opinion publique internationale. Sous l’administration Kennedy (1961-1963), les pressions américaines s’accentuent dans le cadre de leur « stratégie africaine », une politique visant à éliminer la pénétration russe en Afrique en soutenant et en finançant certains mouvements de libération.
23Pendant ce temps, le régime révolutionnaire cubain se consolide et se rapproche de l’URSS. La guerre froide s’étend à l’espace. En avril 1961, l’Union soviétique devient le premier pays au monde à envoyer un homme, Youri Gagarine, dans l’espace. La révolution algérienne est victorieuse. L’Algérie devient indépendante en 1962, et soutient les mouvements de libération et l’opposition portugaise.
24Bien que la pression américaine ait diminué après l’administration Kennedy et que le Portugal ait toujours obtenu des votes favorables ou des abstentions à l’ONU de la part de ses partenaires de l’OTAN, les succès diplomatiques des mouvements de libération, en particulier du PAIGC, se sont poursuivis.
25Le général Spínola, commandant des troupes portugaises, a réagi aux victoires du PAIGC en brûlant des villages entiers au napalm, en arrêtant sans discernement toute personne soupçonnée de collaborer avec le PAIGC et en organisant des déplacements forcés de population. D’autre part, dans la logique de « diviser pour régner », il tente de gagner des partisans en distribuant des certificats d’« assimilation » et en promouvant certaines politiques sociales. Il a obtenu un certain succès, notamment auprès des chefs peuls, ce qui rend difficile l’action du PAIGC dans l’est du pays, dominé par cette tribu.
26La guerre entre dans une impasse à partir de 1968, impasse qui n’a été levée, à l’avantage du PAIGC, qu’avec l’arrivée des missiles sol-air Strella de l’URSS. Spínola comprend que la situation est irréversible et, dans le cadre de sa stratégie de solution fédéraliste pour les colonies portugaises, conscient que la guerre en Guinée ne peut être gagnée sur le terrain militaire, il propose au Premier ministre portugais, Marcello Caetano, une solution négociée, en suggérant Léopold Sédar Senghor, le président du Sénégal, comme médiateur. Lisbonne savait cependant que l’indépendance de la Guinée aurait des répercussions immédiates sur les guerres du Mozambique et de l’Angola. Marcello Caetano bloque donc les négociations, estimant qu’une défaite militaire en Guinée est préférable à un risque pour le Mozambique et l’Angola.
- 16 Amílcar Cabral, Textos Políticos, op. cit., p. 47.
27Lors de la Conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises, à Rome, Cabral remporte l’un des plus grands triomphes de sa tournée internationale en étant reçu par le pape Paul VI le 1er juillet 1970. Mais la grande victoire, celle de la reconnaissance du PAIGC comme représentant légitime du peuple guinéen, est ensuite remportée aux Nations unies, ce qui l’amène à conclure que « 1972 a été une année de grandes et décisives victoires pour notre parti et notre peuple sur la scène internationale16 ».
28La vague révolutionnaire qui s’est ouverte dans les années 1960 avec la révolution vietnamienne, le mouvement des droits civiques aux États-Unis, Mai 68 en France, le printemps de Prague, puis l’automne chaud en Italie en 1969, a touché le Portugal (via la guerre coloniale), l’Espagne et la Grèce, le Chili en 1970, et dans les pays centraux, a fait tomber De Gaulle et Nixon, et a entrâiné le Programme commun de la gauche en France ; le vote de plus de 30 % au PCI (le Parti communiste italien, qui compte alors plus de 2 millions de membres dans un pays d’Europe occidentale) en 1976 et les grèves des mineurs anglais de 1972 à 1974.
29Les années 1960 voient également la consolidation de l’opposition dans d’autres secteurs : catholique, syndical et étudiant, avec une explosion des grèves ouvrières dans le secteur des services et des luttes étudiantes (crises universitaires en 1962 et 1969).
Quand le travail devient politique
30Le 25 avril 1974, à Lisbonne, Porto et Santarém, villes clés pour la prise du pouvoir, un putsch militaire conduit par Otelo Saraiva de Carvalho, à la tête de 200 hommes du Mouvement des forces armées (MFA), a été le germe d’une révolution sociale qui a transformé les relations sociales, en commençant par une révolution politique qui a renversé la dictature, le jour « originel, total et pur » que la poétesse Sophia de Mello Breyner Andresen a célébré pour l’éternité.
31En quelques jours ou semaines, le remplacement du régime politique de dictature par un régime politique de démocratie était pratiquement assuré, mais les bases d’une autre révolution, sociale, ne l’étaient pas.
32L’inexistence d’organisations ouvrières libres, de syndicats ou de partis politiques, talon d’Achille du mouvement ouvrier portugais pendant la dictature militaire et celle de l’Estado Novo (1926-1974), a en même temps contribué à la radicalisation de la révolution sociale, car l’absence de ces organisations dans la plupart des usines et des entreprises du pays a conduit à l’ouverture spontanée d’un espace pour que des comités de travailleurs et des conseils de gestion démocratiques émergent du monde du travail.
33Le dernier empire colonial, devenu anachronique, est tombé en 1974. En quarante-huit ans de dictature, l’État n’avait pas forgé de dispositifs de médiation avec la population. Cette défaite se conjugue avec la plus grave crise économique du capitalisme d’après-guerre, qui débute en 1970-1973, ouvrant une période historique de crises et d’opportunités à la fois.
34Le peuple en révolution a spontanément créé ses propres formes de pouvoir, dont les plus importantes se sont situées dans les secteurs de l’armée, sur les lieux de travail et du logement, à travers la création de comités de soldats, d’habitants et de travailleurs. Des formes similaires aux « soviets » de 1917 : là où l’État échouait, le peuple s’organisait de manière autonome.
35La révolution des Œillets ne se résume pas au putsch militaire du 25 avril. Il s’agit d’un processus historique qui a duré près de deux ans sur le continent et qui a été précédé par treize ans de luttes de libération dans les colonies. Elle a débuté en 1974 et est devenue le moment démocratique et révolutionnaire le plus important de l’histoire du Portugal. La démocratie participative qui est entrée en vigueur, dont le centre se trouvait sur les lieux de travail et dans les foyers, a permis à quelque trois millions de personnes de décider non pas en déléguant des pouvoirs tous les quatre ans, mais au jour le jour, de la manière dont la société doit être produite et gérée. Jamais autant de personnes n’ont décidé d’autant de choses au Portugal qu’entre 1974 et 1975. C’est un exemple clair de transformation démocratique, dont l’étude détaillée est extrêmement importante pour comprendre les limites de la démocratie représentative et sa crise.
- 17 República, 2 mai 1974, p. 1.
36L’annonce épique en première page d’un journal le 1er mai à Lisbonne, « Le peuple n’a plus peur17 », dans sa lutte contre les injustices intolérables, rend les droits sociaux et politiques « bourgeois » intégraux et réalisables pour la première fois au Portugal, cent cinquante ans après la première révolution libérale. Pour la première fois au Portugal, il y a un projet universel, un pays. La forme et le contenu de la révolution d’avril sont une expansion exponentielle de l’autodétermination sociale.
37Il se produit une simultanéité de révolutions sociales : des peuples des colonies contre l’élite de la métropole ; du monde du travail contre le monde du capital ; des femmes émancipées contre le patriarcat ibérique ; de la démocratie populaire contre la dictature fasciste.
38Les mythes fondateurs de la révolution des Œillets sont celui de la « révolution sans morts », qui a fait en réalité treize ans de morts dans les colonies, plus de 100 000 du côté des mouvements de libération et près de 9 000 du côté de l’État portugais, et celui du « chaos de 1975 », qui a été en réalité l’époque la plus démocratique et la plus socialement organisée de l’histoire du pays.
39L’arrivée des ouvriers a véritablement révolutionné toute la scène culturelle. De la peinture murale aux chorales, de la musique d’intervention aux journaux et éditions critiques, des dizaines de théâtres aux expositions d’arts plastiques, de l’assemblée à la manifestation, qui remplace l’adage « si vous saviez ce qu’il en coûte de commander, vous préféreriez obéir toute votre vie », fièrement brandi par le dictateur Salazar, dont les institutions se sont effondrées en vingt-quatre heures, non sans avoir coûté la vie à quatre travailleurs et étudiants qui s’étaient rendus au siège de la PIDE (João Arruda, Fernando Gesteira, Fernando Dos Reis et José Barneto).
« Les gens ont ressenti des besoins dont ils ignoraient auparavant l’existence » : mémoires d’une révolution en train de se faire
40Mais revenons aux acteurs de cette révolution.
- 18 Sur les aspects sociaux de la révolution, voir Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portugu (...)
- 19 José António Bandeirinha, O processo SAAL e a arquitectura do 25 de Abril de 1974, Universidade de (...)
41Une image est évocatrice : celle d’un ouvrier, cigarette à la bouche et torse nu, un outil de chantier à la main, détruisant un mur en train de tomber, les gravats s’écrasant au sol et laissant enfin entrer la lumière18. Tirée des archives de la division Outurela-Portela du Serviço de Apoio Ambulatório Local (SAAL)19, un programme public de construction de logements qui a vu le jour après la révolution d’Avril, le sujet de la photographie se dévoile peu à peu. Le photographe, derrière le mur à démolir, fait du contour de la fissure nouvellement ouverte le cadre de sa composition, tandis que l’ouvrier semble indifférent au déclic de l’appareil photo.
42Mais que cachent ces destructions ? À Barronhos, un bidonville situé à trois kilomètres des résidences d’été de la classe moyenne de Lisbonne, près de l’embouchure du Tage, il n’y avait ni eau, ni école, ni médecin. Il n’y avait même pas de murs en dur : les cabanes étaient recouvertes de bois et de matériaux de récupération, car si la Garde nationale républicaine découvrait des murs fixes, elle les démolissait. Les enfants n’avaient qu’une seule école dans le quartier. Pour poursuivre leur scolarité au-delà de la quatrième année, ils devaient traverser une voie rapide, et plusieurs d’entre eux ont été mortellement touchés. En abattant le mur, l’ouvrier fait de la place pour agrandir l’école. L’acte même de destruction est en fait une construction.
- 20 Entretien réalisé par Raquel Varela, dans A Revolução dos Cravos em Oeiras, op. cit., p. 77.
43Selon une habitante du quartier, Vitoria Vera, ouvrière textile, « le ministère ne voulait pas autoriser l’agrandissement de l’école existante. Les habitants ont décidé que s’ils réunissaient les matériaux nécessaires, ils agrandiraient l’école. Ils ont donc d’eux-mêmes construit deux salles de classe supplémentaires. Lorsque le ministère a autorisé la construction, les salles de classe étaient déjà prêtes20 ! ». L’école a été construite en deux mois.
- 21 Entretien réalisé par Luísa Barbosa pour le projet História do Povo da Madeira no 25 de Abril, le 2 (...)
44Le père Martins Júnior, de Madère, qui a mené l’occupation des terres contre le régime colonial féodal et soutenu la lutte des ouvriers du bâtiment et des brodeuses, évoque la révolution à travers la figure d’un pauvre paysan qui, « dans les jours qui ont suivi le 25 avril, venait vers moi, portant du bois sur ses épaules. Lorsqu’il m’a vu, il a laissé tomber le bois par terre, a écarté les bras et s’est mis à rire : “Oh, mon père, vous pouvez souffler, maintenant”21 ! ».
45Filomena Oliveira ne peut retenir ses larmes en évoquant ses souvenirs :
« C’était en janvier 1975 et j’étais enseignante, affectée dans l’Alentejo, à Alcácer do Sal. […] À Alcácer, il y avait une maison communale, avec un jardin qui servait à accueillir les enfants des collines, qui habitaient de petites maisons situées en hauteur au milieu des champs, loin des villes. C’est ce qu’ils voulaient : alphabétiser le pays. […]
On ne pouvait pas être là sans vivre ce qui se passait dans le pays. J’étais liée à la faculté des lettres et des sciences humaines, nous savions tout ce qui se passait, j’enseignais le portugais et les sciences sociales, et je n’avais pas encore terminé mes études.
Nous nous réunissions entre enseignants et décidions de ce qu’il fallait faire. Nous fonctionnions tous comme ça, nous, les médecins, tout le monde, nous avions le pays entre nos mains, le pouvoir avait disparu, le pays était entre nos mains, je sentais que je devais m’intégrer avec mes pairs, décider de l’état de l’enseignement dans ce pays et de ce que nous voulions faire. Nous n’avions le temps pour rien et c’était passionnant de sentir que nous étions les maîtres de notre travail. C’était l’école préparatoire Pedro Nunes, qui comptait une demi-douzaine d’élèves, et qui en compte aujourd’hui cinquante – tout le monde devait étudier, en théorie ! La loi disait qu’il était obligatoire d’étudier jusqu’à la sixième année, mais il n’y avait pas les conditions matérielles pour cela et les enfants finissaient par quitter l’école pour aller travailler. Nous avons créé les conditions pour qu’ils puissent étudier, et le nombre d’élèves a explosé.
Tout se décidait en réunion générale des professeurs, mais il y avait aussi des élèves qui participaient aux décisions, même au niveau préparatoire, donc il était impossible de ne pas les impliquer, de ne pas les consulter, de ne pas les informer. Au lycée, quand je suis arrivée à Sintra l’année suivante, il y avait des séances plénières générales avec les professeurs, les élèves et le personnel – c’est ça la gestion démocratique – : trois ou cinq professeurs, deux représentants des élèves du lycée et un ou deux membres du personnel !
L’événement le plus extraordinaire à Alcácer a été l’occupation de l’école. Le grand problème était qu’il n’y avait pas d’école au-delà de la sixième année : soit les parents avaient l’argent pour envoyer leurs enfants à Setúbal pour la septième, la huitième et la neuvième année, soit ils devaient cesser d’étudier. Ceux qui avaient de l’argent allaient au collège privé d’Alcácer, dirigé par un prêtre, où très peu d’élèves étudiaient.
Lors d’une réunion générale des enseignants, nous avons discuté de cette question, nous voulions résoudre les problèmes des gens. Nous avons décidé d’occuper le collège. Le soir, les enseignants et les élèves de l’école se réunissent avec nous et nous arrivons à la conclusion qu’il n’y a qu’une seule possibilité : occuper l’école. Les enfants de l’école privée voulaient aussi occuper l’école, ils pensaient eux aussi que l’école devait être publique ! Nous avons élaboré un plan : deux d’entre eux resteront à l’intérieur lorsque l’école fermera le soir, un garçon et une fille, ils resteront là, nous sommes d’accord pour qu’ils disent à leurs parents qu’ils vont étudier chez quelqu’un, ils resteront cachés et le matin, ils ouvriront les fenêtres pour que les élèves puissent entrer à l’aube, avant que les enseignants n’arrivent, et ils occuperont l’école. Notre rôle est d’accompagner les élèves de l’école primaire pour manifester devant l’école privée, eux à l’intérieur, nous à l’extérieur. Comme les nôtres étaient plus jeunes, nous avons appelé leurs parents et leur avons demandé la permission de sortir avec leurs enfants pour manifester, et certains parents se sont joints à nous. Je suis sortie, avec la cinquantaine d’élèves, nous avons fait des affiches, “L’école appartient au peuple”, je crois que c’était quelque chose comme ça, et nous avons crié dans les rues d’Alcácer.
- 22 Entretien réalisé en deux fois par Karina Ferrao et Raquel Varela, le 1er juin 2016 et en juin 2023 (...)
Lorsque nous sommes arrivés à la porte de l’école, quelques parents, de grands fermiers, se tenaient à l’entrée pour défendre l’école. Le prêtre ne voulait pas non plus abandonner l’école. Certains parents se sont approchés de moi avec des bâtons, s’apprêtant à me frapper. À ce moment-là, tous les enfants m’ont protégée : “Personne ne frappe notre professeur”. J’étais silencieuse, effrayée et émue à la fois par la réaction des enfants. Nous sommes tous entrés, nous avons rejoint les autres à l’intérieur et c’est ainsi qu’est née l’école secondaire Alcácer do Sal. »22
46Ce collège existe toujours aujourd’hui.
47D’autres exemples proviennent de multiples autres secteurs. La santé, notamment. La RTP (Rádio e Televisão de Portugal), également occupée et gérée démocratiquement par les travailleurs depuis avril, possède dans ses archives les traces de dizaines d’assemblées, du nord au sud du pays, où des centaines de professionnels de la santé se sont réunis pour élire un comité de gestion. Le Jornal Nacional de la RTP, le bulletin d’information le plus important, rend compte dans plusieurs programmes de l’état d’insalubrité et des maladies qui prolifèrent en raison du retard du pays, ainsi que des dizaines d’assemblées de médecins, d’infirmières et de techniciens, filmées et diffusées à la télévision à une heure de grande écoute. Le 1er mai, les médecins de l’hôpital de São João se sont réunis pour « débattre des événements politiques qui ont suivi la révolution du 25 avril et de l’évaluation d’une nouvelle proposition de révision de la structure de l’hôpital » ; le 3 mai, des centaines de médecins de l’hôpital Dona Estefânia se réunissent en séance plénière pour débattre de la « démocratisation des structures de l’établissement » ; le 5 mai, assemblée générale du personnel infirmier de l’hôpital de Setúbal ; le 6 mai, assemblée plénière des médecins de l’hôpital São João de Porto ; le 16 mai, réunion du personnel administratif de l’hôpital de Guimarães.
48Vasco Trancoso, médecin, se souvient d’avoir travaillé au Service de médecine périphérique (créé en 1975 à la suite de la lutte des étudiants en médecine) :
- 23 Entretien réalisé par Raquel Varela, cité dans Raquel Varela, Uma Revolução na Saúde, op. cit.
« C’était une époque d’opportunités où l’on cherchait à corriger les asymétries dans l’offre de soins. Un temps généreux et plein d’espoir qui a été entraperçu juste après le 25 avril. Une époque où la liberté se profilait à l’horizon et qui a contribué au développement de lieux plus éloignés des grands centres et à la prise de conscience du droit à la santé. Notre contact avec la population la plus pauvre a été un moment qui a permis non seulement une plus grande éducation à la santé et une valeur ajoutée (plus juste et plus solidaire) pour les Portugais les plus démunis, mais qui nous a aussi apporté d’autres connaissances de l’art médical dans le domaine de la rencontre entre le médecin et le patient. Un voyage inoubliable en 1975 dans le Portugal le plus profond, le plus pauvre et le plus isolé, qui a aussi conduit à l’installation d’un plus grand nombre de médecins à la périphérie du pays. Je suis fier de cette période exceptionnellement enrichissante, où j’étais heureux de faire ce que je faisais. Les personnes que j’ai rencontrées là-bas me manquent. » 23
- 24 Ibid.
49Bernardino Páscoa, également médecin, qui a travaillé à Évora après la révolution, résume ce bond en avant de la société portugaise : « Les gens ont ressenti des besoins dont ils ignoraient auparavant l’existence24 ».
La préfiguration en action : « le futur était maintenant ».
- 25 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit.
50À l’occasion du vingtième anniversaire de la révolution des Œillets, Francisco Martins Rodrigues, principal dirigeant des courants maoïstes au Portugal, fer de lance de la rupture avec la gauche du PCP dès le début des années 1960, édite le livre O Futuro Era Agora (Le Futur était maintenant), ouvrage collectif publié par sa maison d’édition, Dinossauro, dans lequel il rassemble une cinquantaine de témoignages des 580 jours du « pouvoir populaire » : « Qu’est-ce qui a conduit ces dizaines de milliers d’activistes à se laisser contaminer par la fièvre de la critique, de la transformation, de la proclamation de nouveaux principes, de l’auto-organisation, en entraînant des millions de personnes dans leur enthousiasme25 ? ».
- 26 Camila Oliver, Chico Buarque, o Tempo, os Temas e as Figuras, São Paulo, Appris, 2013.
51Réalisons un détour par la poésie : en 1977, Chico Buarque a écrit une chanson qui oppose l’enfance et la liberté à la maturité et à la contrainte. Les paroles de João e Maria sont constituées de jeux d’enfants qui prennent vie grâce à l’allitération « agora eu era herói » (maintenant j’étais un héros), une référence à une sorte de « passé onirique26 ».
- 27 Emerson Azevedo, « Escritora lança livro sobre Chico Buarque», dans Infocultural : Portal de Notíci (...)
52Comme le raconte Camila Leite Oliver, en écoutant ses filles parler en jouant à la poupée, il a remarqué que dans leur imaginaire les histoires étaient racontées dans un temps verbal qui n’appartenait qu’à elles, dans une réinvention du langage lui-même, afin de défier les frontières rigides du monde réel. Chico Buarque a composé dans cette période de censure extrême, nous permettant différentes lectures des mêmes paroles, réalisant ce qu’Ernest Fischer (La Nécessité de l’art, 1973) identifie comme l’une des fonctions de l’art : « La fonction de l’art n’est pas de franchir des portes ouvertes, mais d’ouvrir des portes fermées27 ».
53Composé de binômes antinomiques – hier et aujourd’hui, fantaisie et réalité, optimisme et pessimisme –, le temps verbal tente de se reproduire même au dernier moment, lorsque le charme ludique est rompu, et demande à l’imagination d’intervenir, de recréer son temps présent, dans des formules comme « le futur était maintenant » ou « maintenant j’étais le héros ».
- 28 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit. ; João Carlos Louçã, Pensar a Utop (...)
54L’imparfait, à valeur modale, peut être utilisé dans des situations où il y a une attente, mais dont on ne sait pas si elle sera satisfaite, dans des situations qui s’intercalent ex abrupto, au moment même de l’énonciation, ou encore pour l’élaboration de scénarios alternatifs. Il en est ainsi de l’imparfait utilisé pour présenter le thème de la préfiguration en acte : la révolution d’Avril était précisément « quand le futur était maintenant », témoignage de ce qu’on pourrait appeler une utopie réelle ou concrète28.
- 29 « Le concept de préfiguration est souvent attribué à Carl Boggs [...]. Pourtant, Boggs était loin d (...)
- 30 Carl Boggs, « Marxism, Prefigurative Communism, and the Problem of Workers’ Control », Radical Amer (...)
55La préfiguration politique29, c’est-à-dire la projection de l’avenir, est au cœur de la révolution portugaise, qui implique des « formes de relations sociales, de processus décisionnels, de culture [politique] et d’expérience humaine qui sont [son] véritable objectif30 ». Une organisation expérimentale en actes – consciente et délibérée – des relations sociales et des pratiques politiques souhaitées, pour l’autodétermination sociale, les millions d’acteurs étaient incarnés par l’enseignante Filomena Oliveira, le père Martins ou l’ouvrier qui détruit le mur, contre l’État, pour ouvrir une école. Il s’agit donc d’un large éventail de formes et de significations – de l’internationalisme de l’Association internationale des travailleurs à l’éducation populaire de la tradition syndicaliste révolutionnaire, par exemple, en passant par le débat public sur la PREC (nom donné à la période révolutionnaire en cours, entre le 25 avril 1974 et le coup d’État contre-révolutionnaire du 25 novembre 1975), en d’autres termes, la réalisation d’une politique pré figurative implique non seulement un acte mental, mais surtout un acte historique.
- 31 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit.
- 32 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit. ; José Pires, Greves e o 25 de Abr (...)
56Dans nos études sur la révolution des Œillets, nous distinguons le contrôle ouvrier de l’autogestion31. Le contrôle ouvrier32 est un processus de double pouvoir qui consiste en l’organisation politique des travailleurs au niveau de la production, formalisée ou non, en vue, par exemple, de contrôler les livres de comptes et les salaires, ouvrant ainsi la porte à une situation de double pouvoir. Il s’agit d’une situation au cœur d’un processus révolutionnaire et non d’une structure ou d’une institution. Ce phénomène spécifique se distingue de l’autogestion (forme dans laquelle les travailleurs deviennent leurs propres patrons, qui a touché plus de trois cents entreprises au Portugal pendant la révolution) et de la cogestion (les travailleurs gèrent, généralement par l’intermédiaire de syndicats ou de comités de travailleurs, des entreprises et/ou des usines en partenariat avec les patrons et/ou l’État). Prenons-le comme un acte préfiguratif sui generis, c’est-à-dire que ceux qui le « font » ne savent pas toujours ce qu’ils font, mais ils le font quand même.
57Dans une étude sur le contrôle ouvrier, Fátima Patriarca donne des dizaines d’exemples de communiqués d’assemblées d’usines et d’entreprises dans lesquels la « bataille pour la production » est rejetée et le contrôle ouvrier est défendu comme une mesure de lutte contre l’exploitation capitaliste, comme un moyen pour le mouvement ouvrier de créer un leadership et une conscience de classe afin d’abolir le système de relations capitaliste.
58Animés par des intérêts démocratiques (garantie des libertés), les travailleurs exercent des pressions sur les entreprises afin de déterminer la composition de la direction (réorganisations). Ils s’organisent presque spontanément en comités de travailleurs pour imposer ce changement. Cette forme d’organisation a permis de placer les revendications économiques au centre des activités des comités de travailleurs, en réunissant des sujets sociaux dont l’intérêt commun est d’améliorer les conditions et les relations de travail. Cette réunion d’un sujet social, désormais unifié dans la commission, va déterminer une évolution de la conscience politique (due aussi à l’influence des jeunes cadres radicaux de gauche et à l’incapacité du régime, dans un contexte de récession profonde, à empêcher l’augmentation du chômage). La lutte pour ces revendications tend à se transformer en une lutte politique, qui apparaît comme un moyen de garantir les revendications économiques.
59Les luttes de la révolution ont ainsi permis d’obtenir non seulement un large éventail de droits politiques et sociaux (les droits de réunion, d’association et d’expression ont été exercés par les travailleurs dès le 25 avril, avant l’adoption de toute loi), mais elles ont également entraîné la plus grande érosion du capital jamais réalisée, ce qui s’est traduit par ce qui est historiquement, au Portugal, le plus grand gain des revenus du travail par rapport aux revenus du capital. Ils sont passés de l’équivalent, en 1973, de 50 % du PIB pour le travail (salaires et cotisations sociales) et 50 % pour le capital (intérêts, bénéfices et loyers) à, en 1975, près de 70 % pour le travail et 30 % pour le capital.
60Suite aux luttes sociales menées pendant le PREC, ce transfert a pris la forme d’une intervention dans les entreprises au détriment du capital (paiement des salaires et des investissements), d’augmentations de salaires directes, d’augmentations du salaire social (naissance des fonctions sociales de l’État providence), de loyers subventionnés, de blocage des prix, etc.
61Parmi les revendications issues de ces luttes révolutionnaires figurent de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail, le paiement des heures supplémentaires, la limitation du travail de nuit, la limitation des prix des produits de première nécessité, la fixation d’un salaire minimum supérieur à la valeur de la reproduction biologique de la force de travail, la demande de paiement des heures supplémentaires en cas de garde d’enfants, l’abolition des contrôles pour aller aux toilettes, l’égalité de salaire à travail égal, l’extension des crèches, l’amélioration de la qualité des logements. Et des droits fondamentaux qui ont été conquis et qui ont inversé les chiffres dramatiques de la santé maternelle et infantile, comme l’autorisation de se reposer sept semaines avant l’accouchement et de rester à la maison sept semaines après l’accouchement, les soins gratuits d’un médecin ou d’une sage-femme lors de l’accouchement. La loi sur le divorce est annulée et, à partir de 1975, les femmes peuvent entrer dans le service diplomatique. En mai 1974, sous une forte pression sociale, les allocations familiales sont portées à 240 escudos pour tous les enfants. Outre les crèches, des écoles sont ouvertes pour les enfants handicapés et des cours de formation sont organisés dans ce domaine.
62Ce qui différencie une révolution d’autres processus, c’est la manière dont la population agit et prend directement sa vie en main. Pendant dix-neuf mois, trois millions de personnes ont participé directement aux conseils de travailleurs, d’habitants et de soldats, décidant de ce qu’il fallait faire au quotidien. Les gens ont discuté de ce qu’il fallait faire pendant des heures et des heures et ont voté.
63En 1975, les banques ont été nationalisées sans indemnisation et expropriées par l’État, mais elles étaient auparavant sous le contrôle des employés de banque, qui ont partiellement empêché la fuite des capitaux. Le droit aux loisirs, considéré comme essentiel dans la Constitution, est déjà garanti lorsque les commissions obligent les municipalités à subventionner le théâtre, la musique et le sport. Les boulangers manifestent pour réclamer de pouvoir passer la nuit avec leur femme et de mener une vie normale. Cent ans plus tôt, lors de la Commune de Paris, on avait aboli le travail de nuit. À cela s’ajoutent le droit de geler les prix des produits de première nécessité, pour que les gens puissent se nourrir décemment, et le droit au logement, notamment par l’occupation des logements laissés vacants à des fins spéculatives.
64Il y a eu plus de 4 000 comités démocratiques de travailleurs, une capillarité sans précédent ; 360 entreprises sont intervenues et la surface de terres cultivées a triplé, parce que les gens ont occupé la terre, garantissant le droit à la subsistance par le travail et une réforme agraire, pour la première fois dans le pays.
65Le Service national de santé (SNS) a été officiellement créé par une loi en 1979. Cependant, l’unification d’un système de santé universel a été introduite après le 25 avril. L’hégémonie d’une classe sociale sur une autre implique la construction d’une mémoire contraire à l’histoire. Aujourd’hui, tous les discours sur le SNS insistent sur le fait qu’il a été construit « par décret » en 1979, ignorant qu’en 1974 et 1975, il a été construit par un mouvement mené par des médecins en lutte pour la carrière médicale (« Serviço Médico à Periferia »), parfois avec l’appui de comités de résidents ou en auto-organisation, depuis l’hôpital de Vila Real, lors de l’occupation de la clinique de São Lucas, devenue depuis un hôpital de cardiologie public ; dans les occupations de maisons pour ouvrir des centres de santé, comme dans le cas de Seixal, parmi des dizaines d’autres ; dans les assemblées générales des grands hôpitaux, où la gestion a été réorganisée démocratiquement, allant jusqu’à décréter que le sang ne devait plus être payé ni vendu, que les cliniques privées devaient être expropriées ; au Service médical de périphérie, apportant des soins à des populations qui, dans certains cas, n’avaient jamais vu de médecin, en échange de la garantie de carrières médicales imposant l’échelle, la formation et donc l’excellence des soins. C’est ainsi que s’est construit le SNS, lors de la révolution des Œillets.
66De nombreuses lignes d’autobus actuelles à Lisbonne et à Oeiras ont été conçues à partir de ce que l’on appelait à l’époque les « déviations ». Les gens montaient dans les bus et les poussaient à se rendre dans des bidonvilles ou des quartiers éloignés qui, pour des raisons de rentabilité, ne disposaient pas de transports publics. Souvent, ces détours étaient effectués avec le soutien des chauffeurs.
67En 1974, pour Vitória Vera, le « socialisme » est un mot vague. Pour elle, la révolution a commencé lorsque le comité des habitants du bidonville où elle vivait, à Carnaxide, a décidé d’agrandir l’école et de réaménager l’itinéraire des transports publics :
- 33 Témoignage publié dans Raquel Varela, A Revolução dos Cravos em Oeiras, op. cit.
« J’ai participé à la déviation du bus 14, se souvient Vitoria Vera, parce qu’il n’y avait pas de transport vers Lisbonne. Un jour, nous nous sommes tous réunis et nous sommes montés dans le bus, en marchant de long en large pour lui dire où s’arrêter. Avec les travailleurs, pendant plusieurs jours, nous avons décidé de l’emplacement des arrêts, nous avons peint un panneau à chaque endroit pour les marquer, nous avons décidé en fonction du travail, de la connexion avec d’autres transports, etc. C’était pour moi la meilleure expérience d’action collective. » 33
68La révolution d’Avril a réuni le plus arriéré (l’ultra colonialisme de l’Empire portugais basé sur le travail forcé) et le plus moderne (la révolution sociale), un secteur ouvrier fort et un secteur tertiaire qualifié déjà important (enseignants, médecins, etc).
De Lisbonne à Moncloa, de la révolution à la contre-révolution (1975-1986)
- 34 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit. ; Raquel Varela, História do PCP (...)
69Le 25 novembre 197534, un coup d’État militaire de droite, dirigé dans l’armée par Ramalho Eanes et dans la société civile par le Parti socialiste, avec le soutien de la droite, de l’Église, de l’OTAN et du groupe des Neuf – aile réformiste du MFA – a arrêté plus de cent officiers révolutionnaires et a transféré dans la réserve les soldats des unités où le double pouvoir s’était exprimé. Le coup d’État a rétabli la discipline dans les forces armées et assuré la stabilisation des institutions, en maintenant l’État de droit, un parlement, des élections libres et les droits, libertés et garanties des citoyens.
- 35 Álvaro Cunhal, A Verdade e a Mentira na Revolução de Abril (A contra -revoluç ã o confessa-se), Lis (...)
70La révolution s’est terminée par une formule innovante qui sera appliquée en Amérique latine dans les années 1980. Mário Soares a dirigé la contre-révolution civile le 25 novembre 1975, sans morts et avec d’importantes concessions sociales (État-providence) ; le PCP, qui avait joué un rôle héroïque contre la dictature, a accepté de ne pas résister le 25 novembre, assumant publiquement, par l’intermédiaire de son dirigeant de l’époque, Álvaro Cunhal, que la gauche militaire était devenue un fardeau pour le PCP parce que ses actions mettaient en péril l’équilibre des forces avec les Neuf et les accords de coexistence pacifique entre les États-Unis, l’Europe de l’Ouest et l’URSS35. La révolution ne s’est pas terminée par un coup d’État fasciste, mais par un coup d’État militaire avec peu de violence et peu de résistance – le pouvoir populaire n’avait pas de coordination politique, il n’y avait rien de semblable à un parti bolchevique au Portugal – et qui s’est plié aux exigences stratégiques de la guerre froide.
- 36 Josep Sanchez Cervelló, A Revolução Portuguesa e a sua Influência na Transição Espanhola (1961 -197 (...)
71Le 20 novembre 1975 meurt le général Francisco Franco, visage du régime dictatorial espagnol. Fin 1976, les Espagnols sont appelés à voter pour les premières élections libres depuis 1939. Pour la grande majorité des historiens espagnols, la démocratisation de l’Espagne a attendu la mort de Franco et les événements au Portugal n’ont rien à voir avec ce processus. Cette thèse a été largement réfutée par l’historiographie, qui a montré que, dès le début de la révolution portugaise, la bourgeoisie espagnole, non sans divisions en son sein, a commencé à ouvrir le régime, craignant que cette révolution débouche sur une situation révolutionnaire en Espagne36.
- 37 Loren Goldner, Ubu Saved from Drowning: Class Struggle and Statist Containment in Portugal and Spai (...)
72Les transitions ibériques vers des régimes dits « démocratiques » entre 1975 et 1978 se consolideront mutuellement après le 25 novembre 1975, après la défaite électorale d’Otelo (1976), les Pactes de la Moncloa (1978) – un accord de transition négocié entre le franquisme et les socialistes et communistes (PSOE et PCE) – et l’échec des travailleurs de Lisnave au Portugal et des travailleurs de la marine et de la sidérurgie en Espagne après 1984-198637. Le processus a abouti à l’adhésion des deux pays à la CEE (1986).
73Le terme de « contre-révolution » est souvent critiqué comme étant plus idéologique qu’historique. L’autre vision, la « normalisation démocratique », en plus de qualifier la « normalité », omet l’existence d’une situation de double pouvoir et de démocratie participative. Il est donc, lui aussi, profondément idéologique. La bourgeoisie, qui avait instauré la dictature de l’Estado Novo pour achever sa propre révolution bourgeoise, et qui avait été vaincue en 1974-1975, provoquant la fuite de certains de ses cadres dirigeants en 1975, a été partiellement victorieuse à partir du 25 novembre 1975. On assiste à un retour à la discipline (contrôle) de la production en vue de l’accumulation du capital, ce qui est publiquement reconnu dans le discours du chef militaire du coup d’État, Ramalho Eanes, lors des célébrations du deuxième anniversaire du 25 novembre 1975 :
- 38 Ramalho Eanes, « N° 2 Aniversário do 25 de novembro, discurso proferido em Tancos », Secretaria de (...)
« Les défis auxquels sont confrontés les institutions et les organes du pouvoir ont changé. Il y a un an, les problèmes à résoudre immédiatement étaient la reconstruction de l’État, l’autorité du gouvernement, la coexistence des forces politiques et sociales et le renforcement de l’unité de la nation. Aujourd’hui, les préoccupations collectives dominantes sont différentes : les avancées indispensables doivent être le rétablissement d’une force de travail et d’une base économique qui permettent une forte augmentation de la production et la création accélérée de richesses. (...) Il ne suffit plus d’arbitrer les conflits. Il faudra introduire dans la vie collective quotidienne les règles de comportement économique et d’action politique qui permettent et favorisent plus de production. » 38
- 39 Encarnación Lemus, En Hamelin… La Transición Española más allá de la Frontera, Oviedo, Septem Edici (...)
74Ce modèle de contre-révolution (aujourd’hui englobé dans le concept téléologique de « transition vers la démocratie ») sera adopté par les États-Unis pour leur politique étrangère, la « doctrine Carter », appliquée plus tard à l’Amérique latine avec le remplacement progressif des dictatures par des régimes démocratiques39. Ce modèle est centré sur l’idée de mettre fin aux révolutions ou de les éviter en créant une base sociale électorale dans le cadre d’un régime démocratique représentatif, c’est-à-dire une transition vers une démocratie libérale qui évite les ruptures révolutionnaires.
- 40 Boaventura Souza Santos, « A Crise e a Reconstituição do Estado em Portugal. 1974-1984 », Revista C (...)
- 41 António Costa Pinto, « Political Purges and State Crisis in Portugal’s Transition to Democracy 1975 (...)
75Nous sommes en désaccord avec les thèses de Boaventura de Sousa Santos40, auteur d’un essai pionnier dans cette discussion, de Fernando Rosas et d’António Costa Pinto41. Le premier affirme que la révolution portugaise prouve qu’il peut y avoir de profondes conquêtes sociales par le biais de l’État ; le deuxième que la révolution d’Avril est la marque génétique de la démocratie portugaise et que la démocratie représentative est le résultat de l’endiguement concerté de la révolution sociale ; et le troisième, qu’il s’agit d’une transition historique par « rupture politique ».
- 42 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op cit. Se reporter en français à Raquel (...)
- 43 Valério Arcary, As Esquinas Perigosas da História : Situações Revolucionárias em Perspetiva Marxist (...)
76L’História do Povo na Revolução dos Cravos42 soutient que l’État capitaliste et la démocratie libérale, inscrits dans le pacte social de la Constitution de 1976, représentent une rupture avec la révolution43. Contrairement à ce que défend Boaventura de Sousa Santos, la révolution sociale ne se caractérise pas par la force des travailleurs au sein de l’État, mais précisément parce que ce qu’ils ont réalisé s’est fait contre l’État, à partir de la dualité des pouvoirs, des nouveaux organes du pouvoir populaire.
77La démocratie libérale n’est pas le prolongement de la révolution, comme le souligne Fernando Rosas, mais son interruption brutale, c’est-à-dire sa défaite. Révolution et contre-révolution sont deux moments distincts. Le terme de « transition par rupture », défendu par Costa Pinto, ne décrit pas non plus l’ensemble du processus, puisqu’il y a eu deux ruptures très délimitées chronologiquement, en termes d’orientation politique et d’organisation des forces armées au Portugal : le coup d’État militaire du 25 avril 1974, qui a déclenché la révolution, et le coup d’État militaire du 25 novembre 1975, qui a déclenché la contre-révolution. Le régime démocratique libéral repose sur deux hypothèses radicalement différentes de celles de la période révolutionnaire : la démocratie représentative (plutôt que la démocratie directe) et le respect de la propriété privée des moyens de production.
78La seule frontière qui n’est pas claire dans le changement intervenu le 25 novembre se situe précisément dans le domaine des luttes sociales (les occupations de terres, par exemple, se sont poursuivies au-delà de novembre 1975). De même que la révolution n’est pas une simple déclaration, la contre-révolution n’est pas d’un seul type (sanctions militaires), pas plus qu’elle n’est un simple coup d’État. C’est un processus : la révolution met plus de dix ans à être vaincue, la main-d’œuvre, à être « flexibilisée » (de 1986 à 1989), la contre-réforme agraire (1982), à être mise en œuvre, ainsi que l’érosion progressive de l’État-providence, avec les privatisations (1989).
79Mais du point de vue du régime politique, le changement est net, avec la fin de la dualité des pouvoirs (qualifiée d’« indiscipline ») dans les casernes dès le 25 novembre 1975 et la tenue d’élections législatives en avril 1976, qui consolident la démocratie parlementaire représentative et dénaturent la démocratie directe du monde du travail, dédaigneusement rebaptisée « assembléisme », « années folles » ou « chaos ».
- 44 Encarnación Lemus, En Hamelin… La Transición Española más allá de la Frontera, op. cit.
- 45 Raquel Varela, « O impacto da revolução portuguesa de 1974-1975 no PSOE visto através de El Sociali (...)
80Le Portugal est – bien que cela ne soit pas souvent reconnu – au cœur de l’histoire des révolutions mondiales : parce qu’il combine des révolutions anticoloniales, basées sur la paysannerie et le travail forcé, avec une révolution sociale en Europe en 1974-1975, moderne, avec son épicentre dans le mouvement ouvrier organisé dans les secteurs industriels, mais déjà avec un important secteur de services intermédiaires prolétarisé (enseignants, médecins, personnel technique), dans un mouvement inégal et combiné avec une importance prouvée dans les transitions en Europe du Sud, en Amérique latine et en Afrique du Sud. On ne peut pas comprendre l’histoire du monde sans comprendre l’histoire de la révolution des Œillets en 1974-1975, qui, avec la révolution vietnamienne, a constitué une question clé pour les diplomaties américaine et européenne44, en raison de son impact sur la France et l’Italie (dans le Programme commun et le compromis historique), et avec la fin des dictatures en Europe du Sud – la dictature des colonels en Grèce est tombée en juillet 1974 et l’Espagne a entamé sa « transition démocratique ». La révolution portugaise a été une telle explosion sociale que le président américain Gerald Ford a jugé qu’il devenait possible que toute la Méditerranée se transforme en « mer Rouge » et que tous les régimes du sud de l’Europe tombent comme des dominos45.
- 46 Roberto Della Santa, « Apartheid », Dignipédia Dicionário Global, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbe (...)
81Au milieu de la révolution du 25 avril, l’élite blanche du Mozambique a tenté en vain, sous la direction de Jorge Jardim, d’instaurer l’apartheid au Mozambique. Les révolutions anticoloniales et la révolution portugaise de 1974-1975 auront un impact important sur la lutte contre l’apartheid. En 1976, un soulèvement étudiant à Soweto a attiré l’attention du monde sur la brutalité policière de ce régime politique et la transnationalisation de l’activisme pour mettre fin à l’apartheid s’est développée de manière exponentielle. Le régime ségrégationniste de la Rhodésie, pour sa part, a pris fin en 1980, après l’indépendance de l’Angola. La guerre civile angolaise a elle-même subi un sérieux revers avec la fin de l’apartheid dans les années 199046.
82À nos yeux, la révolution des Œillets, reliée aux mouvements de mai 1968, a initié une vague mondiale de résistance sociale et politique en Europe du Sud, qui a retardé la mise en œuvre de l’offensive néolibérale planifiée en 1973 en Angleterre, avec Margaret Thatcher comme ministre, qui tentait déjà de vaincre les mineurs. À partir de 1986, la bourgeoisie européenne, ne craignant plus une vague révolutionnaire, a pu enfin mettre en œuvre ses plans de restructuration de la production.
Conclusion
83Pourquoi, en général, connaît-on, si mal une révolution politique et sociale aussi récente, fondatrice et transformatrice que la révolution des Œillets ? Pourquoi existe-t-il un film comme Land and Freedom, de Ken Loach, sur Barcelone en 1936, et aucun film similaire sur Lisbonne en 1974 ? Pourquoi ne connaissons-nous pas par cœur les chants révolutionnaires populaires du Portugal alors que nous reprenons des chansons cubaines, espagnoles, italiennes et bien d’autres ? Pourquoi le coup d’État sanguinaire contre Salvador Allende au Chili est-il tellement plus présent dans les mémoires que le « jour originel et pur » chanté par Sophia de Mello Breyner au Portugal ? Ces questions sont brûlantes. Elles nous amènent donc à réfléchir sur le 50ème anniversaire de ce mois d’avril.
84Quelqu’un de plus prudent dirait qu’il faut « s’arrêter et réfléchir », comme on le répète sans cesse. C’est tout le contraire. Il faut prendre le risque de réfléchir ensemble – et en mouvement, ce qui est l’objet de cet essai.
85La langue portugaise, bien que de plus en plus influente, reste marginale, si ce n’est dans le concert des nations, du moins dans la république des lettres au niveau mondial. Le Portugal fait partie de la semi-périphérie du système mondial et l’influence de l’historiographie marxiste lusophone est minime dans la pensée sociale mondiale. Mais même dans ces conditions, il n’y a aucune raison ou explication défendable pour que la révolution portugaise n’occupe pas dans nos esprits et dans nos cœurs un volume de temps égal ou supérieur à celui des révolutions russe, espagnole ou cubaine. Alors ?
86La force sociale et politique de la révolution des Œillets est énorme. Il s’agit d’un processus historique avec toutes ses caractéristiques typiques : 1. le dépassement de la révolution démocratique en révolution socialiste, 2. le dépassement des frontières nationales (des révolutions anticoloniales africaines à la transition politique espagnole, en passant par le soulèvement populaire portugais et la lutte de résistance grecque, par exemple), avec des rythmes et des intensités différents, 3. la révolution de la genèse et du devenir de toutes les relations sociales : de la politique à la culture, de la vie quotidienne à l’histoire, des lieux de travail aux lieux d’habitation, de la famille au sexe, de l’espace public à la sphère privée.
87La révolution sociale portugaise est le processus historico-politique le plus profondément révolutionnaire et le plus largement démocratique dont nous ayons entendu parler à l’époque contemporaine, en particulier depuis la seconde moitié du 20e siècle. Du monde de la production économique à celui de la politique, du foyer à la place publique, du haut en bas de l’échelle sociale, jamais autant de personnes n’ont été aussi impliquées dans la transformation du pays : des centaines de milliers de personnes dans des comités d’entreprise, des associations de quartier et bien d’autres organes de gestion collégiale, pendant des heures, dans des processus de décision collective, débattant et votant à main levée. La démocratie directe, c’est, en résumé, la non-dissociation entre ceux qui pensent et ceux qui font, la non-séparation entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, la non-division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent. C’est bien plus qu’un exemple. C’est une démonstration vivante que nous pouvons vivre différemment. Et c’est, bien sûr, extrêmement dangereux. Une petite graine peut devenir un immense jardin.
88Ce que nous dit l’histoire de ces cinq cent quatre-vingts jours vibrants de pouvoir populaire – quand « le futur était maintenant » –, c’est précisément ceci : nous pouvons vivre et travailler autrement.
Notes
1 Cet article est issu d’une révision d’un chapitre du livre de Raquel Varela et Roberto Della Santa, Breve História de Portugal, Lisbonne, Bertrand, 2023. O futuro era agora (Lisbonne, Dinossauro, 1994) est le titre d’un ouvrage dirigé par Francisco Martins Rodrigues, militant de la gauche révolutionnaire portugaise dans les années 1960. L’article a été traduit en français par Grégoire Le Quang, traduction révisée par Hannah Liang Bissessur. Une version éditée de cet article a également été soumise à la rédaction de la revue Archivos de Historia del Movimiento Obrero (Buenos Aires).
2 António Paço, Raquel Varela, Roberto Della Santa, et al., O 25 de Abril Começou em África, Porto, Húmus, 2020.
3 On utilise couramment ce sigle, en portugais, pour désigner l’action de l’ensemble des militants et groupes de gauche, dans toute leur diversité, pour instaurer une révolution socialiste dans le pays.
4 Sérgio Godinho, « Liberdade », chanson qui fit partie de l’album À Queima-Roupa (1974).
5 Dalila Cabrita Mateus, « Conflitos Sociais na Base das Guerras Coloniais », dans Raquel Varela, et al., Greves e Conflitos Sociais em Portugal no Século XX, Lisbonne, Colibri, 2012, p. 185.
6 Aida Freudenthal, « A Baixa de Cassange : Algodão e Revolta », Revista Internacional de Estudos Africanos, n° 18-22, 1995-1999, p. 260.
7 Ibid.
8 Gerhard Seibert, « O Massacre de Batepá », dans António Simões do Paço (dir.), Os Anos de Salazar, vol. 10, Lisbonne, Planeta DeAgostini, 2008, p. 64-73.
9 Henrique Pinto Rema, História das Missões Católicas da Guiné, Braga, Ed. Franciscana, 1982, p. 856, dans Dalila Cabrita Mateus, « Conflitos... », op. cit.
10 Amílcar Cabral, Textos Políticos, Porto, Afrontamento, p. 11.
11 Les Makondés sont un groupe ethnoculturel bantou vivant dans le sud-est de la Tanzanie et le nord-est du Mozambique, principalement sur le plateau de Mueda.
12 Le Tanganyika était une république d’Afrique orientale appartenant au Commonwealth britannique, nommée d’après le lac Tanganyika, qui formait sa frontière occidentale. Il a été une colonie allemande entre 1880 et 1919. Après la Première Guerre mondiale, il a été une colonie britannique entre 1919 et 1961. En 1964, elle a été unie à l’île de Zanzibar, donnant naissance à l’actuelle Tanzanie.
13 Dalila Cabrita Mateus, « Conflitos... », op. cit, p. 183.
14 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit.
15 Aniceto Afonso et Carlos Matos Gomes, Guerra Colonial, Lisbonne, Porto Editora, 2020.
16 Amílcar Cabral, Textos Políticos, op. cit., p. 47.
17 República, 2 mai 1974, p. 1.
18 Sur les aspects sociaux de la révolution, voir Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, Lisbonne, Bertrand, 2014 ; História do PCP na Revolução dos Cravos, Lisbonne, Bertrand, 2011 ; Uma Revolução na Saúde, Porto, Húmus, 2019.
19 José António Bandeirinha, O processo SAAL e a arquitectura do 25 de Abril de 1974, Universidade de Coimbra, 2007 ; Raquel Varela, A Revolução dos Cravos em Oeiras, Lisbonne, Parsifal, 2019.
20 Entretien réalisé par Raquel Varela, dans A Revolução dos Cravos em Oeiras, op. cit., p. 77.
21 Entretien réalisé par Luísa Barbosa pour le projet História do Povo da Madeira no 25 de Abril, le 26 octobre 2016.
22 Entretien réalisé en deux fois par Karina Ferrao et Raquel Varela, le 1er juin 2016 et en juin 2023, pour le documentaire Mundos do Trabalho, RTP.
23 Entretien réalisé par Raquel Varela, cité dans Raquel Varela, Uma Revolução na Saúde, op. cit.
24 Ibid.
25 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit.
26 Camila Oliver, Chico Buarque, o Tempo, os Temas e as Figuras, São Paulo, Appris, 2013.
27 Emerson Azevedo, « Escritora lança livro sobre Chico Buarque», dans Infocultural : Portal de Notícias Culturais, <www.infocultural.com.br>, consulté le 2 mars 2021.
28 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit. ; João Carlos Louçã, Pensar a Utopia, Transformar a Realidade, Lisbonne, Parsifal, 2021 ; Roy Bhaskar et Mervyn Hartwig, The Formation of Critical Realism, Londres-New York, Routledge-Taylor & Francis Group, 2010 ; Erik Olin Wright, Envisioning Real Utopias, Verso, Londres, 2020 ; Ernest Mandel, We Must Dream, Amsterdam, International Institute for Research and Education, 1978 ; Terry Eagleton, Hope without optimism, New Haven, Yale University Press, 2015.
29 « Le concept de préfiguration est souvent attribué à Carl Boggs [...]. Pourtant, Boggs était loin de se douter que ce terme avait déjà été utilisé par Augustin au IVe siècle avant notre ère pour expliquer un principe clé du christianisme. En examinant la chute de la Rome décadente, Augustin a souligné que, pour bénéficier du salut spirituel et éviter la disparition collective, les gens devaient renoncer à leur paganisme et s’engager à faire preuve de charité et d’intégrité morale. Ce n’est qu’en préfigurant une béatitude divine que l’on peut s’approcher d’un état de sainteté dont on jouit partiellement dans le présent et que l’on réalisera pleinement dans l’avenir. [...] Des siècles plus tard, Karl Marx et Friedrich Engels appellent cette fois au salut politique par le renversement de la bourgeoisie et la résorption de la lutte des classes. S’éloignant de la préfiguration, le Manifeste communiste (1848) invite les prolétaires à combattre le monopole des moyens de production détenu par quelques-uns, dans une forme de salut politique qui écarte les réformismes et implique des changements macropolitiques révolutionnaires. Le renversement de toutes les conditions sociales existantes, selon Marx et Engels, fait de la révolution le moyen d’atteindre la fin ultime, à savoir l’inauguration d’une société communiste et sans classes. Pourtant, les moyens et les fins se sont souvent opposés : les grands courants du marxisme ont fini par reproduire le pouvoir autoritaire de l’État et les hiérarchies hautement bureaucratiques caractéristiques de la société bourgeoise », Guilherme Fians, «Prefigurative Politics», The Open Encyclopedia of Anthropology, <https://www.anthroencyclopedia.com/entry/prefigurative-politics>, consulté le 3 avril 2024.
30 Carl Boggs, « Marxism, Prefigurative Communism, and the Problem of Workers’ Control », Radical America, vol. 11, n° 6, 1977 ; « Revolutionary Process, Political Strategy and the Dilemma of Power », Theory & Society, vol. 4, nº 3, 1977.
31 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit.
32 Francisco Martins Rodrigues (dir.), O Futuro Era Agora, op. cit. ; José Pires, Greves e o 25 de Abril, Lisbonne, Edições Base, 1975 ; Maria de Lourdes Santos et al., O 25 de Abril e as Lutas Sociais nas Empresas, vol. 2, Porto, Afrontamento, 1976 ; Raquel Varela, A História do PCP na Revolução dos Cravos, op. cit. ; Miguel Pérez, « Autogestão e Controlo Operário na Revolução Portuguesa », Seminário Autogestão e Controlo Operário da Produção : Portugal e Argentina, IHC, Lisboa, 2022 ; Jorge Fontes e Pamela Cabreira, « Entre a Autogestão e o Controlo Operário », Cadernos do Arquivo Municipal, 2ª série, nº 13, jan.-jun. 2020 ; John Hammond, « Worker Control in Portugal : The Revolution and Today », Economic and Industrial Democracy, Londres, Sage Publications, 1981, p. 413-453 ; Fátima Patriarca, « Controlo Operário (I) », Análise Social, vol. XII (3.º), 1976 (nº 47), p. 765-816 ; Fátima Patriarca, « Controlo Operário (II) », Análise Social, vol. XII, 1976, (n° 48), p. 1056 -1057.
33 Témoignage publié dans Raquel Varela, A Revolução dos Cravos em Oeiras, op. cit.
34 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit. ; Raquel Varela, História do PCP na Revolução dos Cravos, op. cit. ; Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op. cit.
35 Álvaro Cunhal, A Verdade e a Mentira na Revolução de Abril (A contra -revoluç ã o confessa-se), Lisbonne, Edições Avante!, 1999 ; « Uma curva difícil e perigosa », Avante!, éditorial du 30 novembre 1975.
36 Josep Sanchez Cervelló, A Revolução Portuguesa e a sua Influência na Transição Espanhola (1961 -1976), Lisbonne, Assírio e Alvim, 1993 ; Alberto Carrilo-Linares, Subversivos y Malditos en la Universidad de Sevilla (1965 -1977), Séville, Centro de Estudios Andaluces, 2008.
37 Loren Goldner, Ubu Saved from Drowning: Class Struggle and Statist Containment in Portugal and Spain, 1974-1977, Cambridge, Queequeg Publications, 2000 ; Valério Arcary, « Quando o Futuro era Agora. Trinta Anos da Revolução Portuguesa », Revista Outubro, nº 11, 2004, p. 71-92.
38 Ramalho Eanes, « N° 2 Aniversário do 25 de novembro, discurso proferido em Tancos », Secretaria de Estado da Comunicação Social, 1978, p. 10.
39 Encarnación Lemus, En Hamelin… La Transición Española más allá de la Frontera, Oviedo, Septem Ediciones, 2001.
40 Boaventura Souza Santos, « A Crise e a Reconstituição do Estado em Portugal. 1974-1984 », Revista Crítica de Ciências Sociais, nº 14, novembre 1984, p. 7-29.
41 António Costa Pinto, « Political Purges and State Crisis in Portugal’s Transition to Democracy 1975-76 », Journal of Contemporary History, Los Angeles – Londres, Sage Publications, vol. 43/2, 2008, p. 305-332 ; António Costa Pinto, « Abril e o Futuro », Diário de Notícias, avril 2004 ; Fernando Rosas, Portugal no Século XX (1890 -1976) : Pensamento e Ação Política, Lisbonne, Editorial Notícias, 2004.
42 Raquel Varela, História do Povo na Revolução Portuguesa, op cit. Se reporter en français à Raquel Varela, Un peuple en révolution. Portugal 1974-1975, Marseille, Agone, 2018.
43 Valério Arcary, As Esquinas Perigosas da História : Situações Revolucionárias em Perspetiva Marxista, São Paulo, Xamã, 2004.
44 Encarnación Lemus, En Hamelin… La Transición Española más allá de la Frontera, op. cit.
45 Raquel Varela, « O impacto da revolução portuguesa de 1974-1975 no PSOE visto através de El Socialista », Ler História, n° 57, 2009, p. 111-124.
46 Roberto Della Santa, « Apartheid », Dignipédia Dicionário Global, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, sous presse en avril 2024.
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Pour citer cet article
Référence papier
Raquel Varela et Roberto Della Santa, « « Le futur était maintenant » : la révolution est-elle un acte de préfiguration ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 160 | 2024, 53-67.
Référence électronique
Raquel Varela et Roberto Della Santa, « « Le futur était maintenant » : la révolution est-elle un acte de préfiguration ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 160 | 2024, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/23683 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/122ec
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