Livres pour jeunes et moins jeunes autour de Missak Manouchian
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1Beaucoup de parutions, éditions et rééditions autour de Manouchian ces derniers mois. Certaines de ces publications sont présentées ici, d’autres seront analysées dans le prochain numéro des Cahiers d’histoire. Signalons d’emblée, en sus des livres présentés ici, les publications de : Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Avec tous tes frères étrangers, Libertalia, 2014, sur l’histoire de la MOI ; Élisa Fontenaille, Missak et Mélinée, une histoire de l’Affiche rouge, Le Rouergue, 2024 ; Dominique Moncond’huy (dir), Mélinée et Missak Manouchian, une histoire française, la mémoire du groupe des 23, Atlande, 2024 ; Jean-David Morvan et Thomas Tcherkezian, Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, Éditions Dupuis, 2024.
Didier Daeninckx et Laurent Corvaisier, Missak Manouchian, l’enfant de l’Affiche rouge, Éditions Rue du Monde, 2024, 60 p.
2Du côté de la littérature de jeunesse, il faut remarquer le livre Missak Manouchian, l’enfant de l’Affiche rouge. Publié en 2009, il vient d’être réédité en janvier 2024 dans une version enrichie du point de vue documentaire. L’illustration de Laurent Corvaisier est très colorée pour les moments apaisés, avec de très belles évocations des êtres dans leur environnement qui peuvent faire penser à Gauguin, alors que les moments dramatiques sont dessinés en noir et blanc. Les évènements importants de l’ensemble de la vie de Missak sont exposés, et si sa mort est évoquée de façon pudique par le texte, elle n’est pas prétexte à un dessin, de façon à rester légitimement du côté de la vie, peut-on penser.
Mélinée Manouchian, Katia Guiragossian et Houry Varjabédian, Manouchian : témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits, Éditions Parenthèses, 2023, 256 p.
3Missak Manouchian adresse deux lettres avant de mourir, l’une à son épouse Mélinée et l’autre à Armène Giragossian, la sœur de la première. La préface de cette nouvelle édition de l’ouvrage est rédigée par Katia Giragossian, petite-nièce de Missak. Cette dernière a recueilli dans sa jeunesse, de la part d’Armène Giragossian, de nombreuses informations sur Missak Manouchian.
4L’actualité a suscité la réédition enrichie de cet ouvrage, à l’origine simplement intitulé Manouchian. On voit retracer là l’ensemble de la vie de Missak par la plus proche témoin de celle-ci. Le livre fut publié en 1974 et son autrice était Mélinée elle-même. La publication correspondait à la célébration du trentième anniversaire de la mort de Missak, alors que Mélinée était revenue à Paris depuis dix ans. En effet, comme plus de trois mille Arméniens, elle était partie résider en Arménie soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et elle avait dû y rester alors qu’elle désira assez vite revenir en France. Elle supervisa d’ailleurs là-bas les ébauches d’un documentaire arménien sur la vie de son mari. Ce film, Aujourd’hui il y a le soleil (Groupe Manouchian) ne fut finalement terminé qu’en 1979.
5Une première partie de ce livre prend la forme d’un récit sur la vie du héros. Un second volet, un peu moins important en nombre de pages, propose de très nombreux documents avec de copieux commentaires ; il est le fruit des recherches menées par Katia Guiragossian et Houry Varjabédian. On trouve là notamment la reproduction de poèmes de Missak Manouchian et le texte poétique Strophes pour se souvenir de Louis Aragon, qui sera repris, après l’avoir mis en musique, par Léo Ferré sous le nom de L’Affiche rouge. On s’attendait évidemment à l’évocation du documentaire Des terroristes à la retraite (dans lequel Mélinée est interviewée) et de L’Affiche rouge, du réalisateur Frank Cassenti, qui reçut le prix Jean Vigo en 1976. En revanche, on ne trouve pas de présentation de L’Armée du crime, du réalisateur d’origine arménienne Robert Guédiguian, car ce film est sorti vingt ans après le décès de Mélinée, en 1989. On peut découvrir des documents assez insolites, telle cette lettre de Simone Signoret à Mélinée (alors en Arménie) l’informant qu’elle avait joué le rôle d’une résistante qui regardait l’Affiche rouge sur un mur dans le film Le Jour et l’heure, de René Clément, sorti en 1963.
Arsène Tchakarian et Hélène Kosséian, Les Commandos de l’Affiche rouge, Éditions du Rocher, 2024, 264 p.
6Ce livre a été écrit par un témoin actif de l’action de Missak Manouchian. Paru à l’origine en 2013, il vient d’être réédité pour 2024. Il est dû à Arsène Tchakarian, aidé pour la rédaction par Hélène Kosséian. Arsène Tchakarian était né en 1916 dans un village peu éloigné de la rive asiatique de la mer de Marmara. Après s’être d’abord réfugié en Bulgarie, il débarque à Marseille en 1930. Devenu tailleur à Paris, Arsène Tchakarian adhère à la CGT en 1936, puis au PCF. Alors qu’il est toujours apatride, il est incorporé en septembre 1937 dans le 109e régiment d’artillerie lourde hippomobile à Châteaudun, en Eure-et-Loir, puis il passe au 182e régiment d’artillerie lourde tractée, cantonné à Vincennes, en mars 1938. Au moment de la déclaration de la guerre, il est toujours sous les drapeaux. Son régiment part dans l’est de la France et recule jusqu’à Nîmes, où il est démobilisé en août 1940.
7Recruté en 1941 par Manouchian, devenu responsable politique des Arméniens de la MOI pour la zone occupée, il effectue sa première action armée qui vise un détachement de feldgendarmes à Levallois le 17 mars 1943. L’événement est conté en page 25 de l’ouvrage : il n’y a aucun blessé ni aucun mort de part et d’autre. En novembre 1943, Olga Bancic, seule femme du groupe Manouchian, n’est pas au rendez-vous à la gare d’Orsay, et Arsène Tchakarian avait vu la veille des policiers qui filaient Marcel Rayman, autre membre du groupe. Il part se cacher à Bordeaux, où il participe à des opérations d’espionnage, puis reprend les armes dans le maquis de Lorris dans le Loiret.
8Après un prologue qui évoque la fusillade au Mont-Valérien de la vingtaine de membres des FTP-MOI et l’Affiche rouge, les auteurs font progresser chronologiquement le récit. Le Paris des premières années de l’Occupation est évoqué. On voit comment petit à petit les FTP-MOI passent des actions de propagande à des actions militaires. On apprend que des actions sont montées, non seulement contre des soldats allemands, mais aussi contre des collaborateurs. On nous parle ici en particulier de Marcel Bucard, collaborateur, passé par le Faisceau de Georges Valois puis fondateur en 1933 du Mouvement franciste, de José Delaplace et Fernand Harry-Pierre, membres du Parti franciste également. L’auteur présente aussi l’attentat à la grenade au siège du Parti populaire français de Doriot, rue Lamarck à Paris, le 9 septembre 1943.
9Une place est faite à Boris Holban, qui précéda et succéda à Missak Manouchian à la tête des FTP-MOI et se chargea de l’exécution de Joseph Dawidowicz. Ce dernier, arrêté le 26 octobre 1943 par les inspecteurs de la brigade spéciale, avait révélé des noms de FTP-MOI, puis avait simulé une évasion avec la complicité des Allemands. Le récit prend fin avec les questions autour de son exécution. On est heureux de trouver en fin d’ouvrage une cinquantaine de mots pour la biographie de près de quarante membres des FTP-MOI. Sont mentionnés les lieux d’inhumation de nombre d’entre eux et, en particulier, celui d’Henri Pawlowski, un des auteurs de déraillements de trains entre Paris-Troyes et en Saône-et-Loire, dont la tombe est au cimetière parisien de Pantin.
Missak Manouchian, Ivre d’un grand rêve de liberté, édité par Stéphane Cermakian, Points Seuil, 2024, 216 p.
10Un livre bilingue (arménien et français), Ivre d’un grand rêve de liberté, nous permet de connaître l’ensemble des poèmes de Missak Manouchian. Les poèmes de Manouchian ont tous été écrits entre 1930 et 1934. Certains d’entre eux étaient déjà parus dans le livre publié en 1974 sous le titre de Manouchian. Cette poésie est empreinte d’influences puisées chez Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et d’autres auteurs de l’école symboliste. C’est la première fois que ces poèmes sont traduits en français. On trouve également là le poème d’Aragon publié le 5 mars 1955 dans le journal l’Humanité pour inciter à se souvenir des fusillés du groupe Manouchian. Le texte est précédé par la révélation des raisons qui poussent le poète français à écrire cette œuvre au début de 1955.
Gérard Streiff, Manouchian Missak et Mélinée, un couple en Résistance, L’Archipel, 2024, 246 p.
11Gérard Streiff, dans Manouchian Missak et Mélinée, rappelle qu’en 2014 une tentative de faire entrer Missak Manouchian au Panthéon avait échoué. Il rappelle que l’association Unité laïque a porté le projet de l’entrée de Missak au Panthéon. Cette association est assez proche des idées véhiculées par le Grand Orient de France. Elle est présidée par Jean-Pierre Sakoun, qui écrit la postface du livre, préfacé par Didier Daeninckx. Cette association a demandé et obtenu que les patronymes de tous les fusillés du groupe Manouchian figurent sur une plaque à l’intérieur du monument. Gérard Streiff, journaliste, écrivain et rédacteur en chef de la revue Cause Commune, s’est félicité de cette mention de membres du Groupe Manouchian dans une tribune intitulée « Le Panthéon de Manouchian », parue en décembre 2023 sur le site internet de l’Humanité.
12Il nous conte dans ce livre les étapes essentielles de la vie de Missak et Mélinée. Il nous révèle notamment que Mélinée échappa à l’arrestation avec l’aide de la famille Aznavourian. Il révèle également comment un sous-officier antinazi allemand fit connaître les clichés qu’il avait pris de l’exécution des membres du groupe Manouchian, une information encore inédite.
Astrig Atamian, Claire Mouradian et Denis Peschanski, Manouchian Missak et Mélinée, Textuel, 2023, 192 p.
13Gérard Streiff a sous-titré son livre Un couple en Résistance, ce qui permet de le distinguer du livre Manouchian Missak et Mélinée d’Astrig Atamian, Claire Mouradian et Denis Peschanski. Ce dernier est sous-titré Deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française. Claire Mouradian donne la première partie de ce livre, intitulée « Itinéraire de deux orphelins ». La seconde, « L’engagement dans l’exil », est rédigée par Astrig Atamian. La troisième, « Vivre à en mourir », est écrite par Denis Peschanski. La dernière conjugue les trois talents précédents sous le titre « Les aléas de la mémoire ». Ce livre est des plus intéressants du point de vue du nombre de documents présentés (environ 250) et de leur qualité.
Table des illustrations
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Pour citer cet article
Référence papier
Alain Chiron, « Livres pour jeunes et moins jeunes autour de Missak Manouchian », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 159 | 2024, 149-154.
Référence électronique
Alain Chiron, « Livres pour jeunes et moins jeunes autour de Missak Manouchian », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 159 | 2024, mis en ligne le 02 avril 2024, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chrhc/23382 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chrhc.23382
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