Olivier Zeller, Les pennonages lyonnais. De la milice populaire à la garde bourgeoisie (xvie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2022, 1073 p., ISBN : 9782406119890
Olivier Zeller, Les pennonages lyonnais. De la milice populaire à la garde bourgeoisie (xvie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2022, 1073 p., ISBN : 9782406119890
Texte intégral
1Le dernier livre d’Olivier Zeller propose une étude inédite sur l’engagement militaire des Lyonnais durant l’Ancien Régime par une approche très minutieuse de la garde urbaine. Fruit d’une recherche de longue haleine, ce très gros opus propose un panorama complet des citadins en armes que l’on nommait à Lyon les pennonages. Son approche se veut la plus complète possible, en posant les cadres juridiques de cette institution municipale, en suivant les carrières de ses membres, en cernant ses activités et son efficacité. Organisation sociale fondée initialement pour la défense de la cité, elle était déjà au xvie siècle bien autre chose : lieu de sociabilité, cadre des cérémonies civiques, force de surveillance intérieure à la ville. Cette garde urbaine telle qu’elle est étudiée ici reposait sur la mobilisation des citadins pris dans le cadre de leur quartier : on allait servir en armes la ville en fonction de sa domiciliation. Le pennonage désignait le groupe de citadins en armes, l’ensemble des forces rassemblées, mais aussi la réalité topographique d’un morceau de ville. Le pennon désignait un des officiers à l’échelle du quartier, mais aussi le drapeau possédé par chacune de ses composantes. Cette imprécision de vocabulaire rend l’analyse de cette institution confuse et complexifie le travail de l’historien. Elle correspond aussi à une structure plastique qui ne cessa d’évoluer et de se redéfinir tout au long de l’Ancien Régime. Le livre d’Olivier Zeller vient y apporter l’éclairage qui leur manquait jusque-là et qui sera, sur ce plan, définitif.
2Posséder les moyens d’assurer sa propre défense et être dispensé de garnison royale était un droit qui remontait à l’origine même de la municipalité lyonnaise, à la fameuse charte sapaudine de 1320. Cette garde reposait dès le xive siècle sur les bandes des métiers, c’est-à-dire des troupes de citadins organisées selon les corporations de métier, à l’image des modes de désignation des consuls à la municipalité Son mode de désignation était déjà totalement différent au début du xvie siècle puisqu’il reposait dès cette date sur les quartiers, les pennonages. Comme toujours pour l’Ancien Régime, l’apparition d’une institution est difficile à cerner car sa mise en place effective précède sa réglementation. Ainsi, si les bandes de métiers sont attestées encore au xve siècle, Olivier Zeller traque dès cette époque le transfert de la mobilisation citadine des organisations professionnelles vers l’encadrement par quartier. Ce basculement fut définitif en 1523, date d’un règlement municipal qui mit en place les « Etablies », soit un département exclusif des levées citadines en fonction des quartiers lyonnais. Avec des variations notables, ce système perdura jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, ponctué de règlements, de montres générales (la dernière en 1664), d’appels à la mobilisation.
3L’identité citadine se nourrissant de l’identité religieuse, on pouvait s’attendre à ce que cette étude nous livre quelques informations sur la piété lyonnaise d’Ancien Régime. Logiquement, pour une force de maintien de l’ordre et de garde de la ville, affleurent dans son histoire les tensions issues des conflits confessionnels du xvie siècle. Dès le tournant de la décennie 1560, lorsque le protestantisme lyonnais déborde sur l’espace public par ses assemblées illicites et ses manifestations publiques, certains citadins doutent de l’efficacité d’une garde urbaine dont une partie pourraient être gagnée aux idées de la Réforme. Les Nations italiennes proposent en 1560 l’engagement de mercenaires pour pallier ce risque, mais la municipalité, rétive à toute présence de professionnels de la guerre dans les murs lyonnais, décline cette option. On mesure dans cette défiance le ressenti d’une scission potentielle au sein de la communauté civique et la profondeur de la crise huguenote dans une ville où le catholicisme avait toujours été structurant. Lorsque le milieu catholique finit par reprendre le dessus à partir de 1567 et ce, jusqu’à la fin des guerres de Religion, il sut progressivement purger les pennonages de ses composantes protestantes ou modérées et en faire un instrument de contrôle partisan de la cité. Ce cadre de mobilisation militaire ne cessa d’être employé tout au long des guerres de Religion, avec une intensité accrue pendant la période ligueuse (1589-1594) et encore en 1597 face au danger savoyard. Ici, la garde urbaine reflétait à la fois les divisions d’une société urbaine soumise à des alternatives confessionnelles, puis, lorsqu’un groupe avait pris le dessus, un outil d’épuration et de mainmise partisane.
4Le religieux n’était jamais très loin non plus des pratiques symboliques des pennonages lyonnais. Les bannières, ou penons, qui représentaient le quartier, voire la rue, portées par des chefs de quartier puis progressivement par des quarteniers, étaient chargées de ces référents religieux. De grand format, plus de 4 m², sorties d’abord dans les circonstances exceptionnelles, puis plus fréquemment à partir du xviie siècle, ces bannières s’affirmèrent comme de plus en plus spécifiques à chaque quartier. Dans la plupart on retrouvait la figuration d’une croix blanche et plus rarement des illustrations à caractère religieux comme la colombe du Saint Esprit et quelques devises à connotation chrétienne. A partir de la fin du xvie siècle, au moment du raidissement ligueur de la ville, la bénédiction des bannières devint un usage coutumier qui perdura jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Si au xviie siècle elles étaient bénies dans une des églises du quartier concerné, au xviiie la cérémonie se fixa à la chapelle de l’Hôtel de Ville pour l’ensemble des quartiers. Tout cela s’avère en fin de compte très classique dans une société encore imprégnée de référents religieux et dans laquelle l’Église jouait un rôle de légitimation des actes publics.
5Olivier Zeller questionne également cette organisation militaire sous l’angle des appartenances confraternelles. Il présente d’abord les 233 confrères de la compagnie du Saint-Sacrement, de sa fondation lyonnaise en octobre 1630 à l’année 1731. En tout, seuls 2% des membres de la compagnie furent officiers des pennons, et ce chiffre est trop bas pour voir une corrélation directe entre l’effort d’encadrement moral et religieux de la société urbaine promu par les confrères et l’investissement des pennonages dans ce projet. En revanche, le poids des officiers pennons était bien plus important chez les pénitents blancs de la Compagnie de Notre-Dame du Confalon. Fondée en 1576 pour soutenir le zèle catholique contre le calvinisme, cette confrérie comptait en son sein la plupart de l’élite lyonnaise. Jusqu’au début du xviiie siècle, quand elle se referma encore davantage sur la plus haute société urbaine, une bonne partie de ses recteurs et vice-recteurs occupaient une charge d’officier dans la garde urbaine. Dans ce cas, se trouvaient rassemblées plusieurs outils de distinction sociale, à savoir le service dans les pennonage et l’appartenance à des associations pieuses. Cependant, le milieu des officiers pennons n’était pas celui des plus hautes élites de la ville et dans les structures monopolisées par ces dernières, ils étaient en fin de compte très peu présents.
6Ces quelques éléments d’histoire religieuse ne font qu’effleurer la masse d’informations contenue dans ce copieux livre à la croisée d’une histoire sociale de l’engagement urbain et d’une histoire institutionnelle d’une structure classique dans les villes d’Ancien Régime. A la fois somme scientifique et outil de travail, il est un apport majeur à l’historiographie lyonnaise et plus largement à l’histoire des villes en Europe.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre-Jean Souriac, « Olivier Zeller, Les pennonages lyonnais. De la milice populaire à la garde bourgeoisie (xvie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2022, 1073 p., ISBN : 9782406119890 », Chrétiens et sociétés, 29 | 2022, 245-247.
Référence électronique
Pierre-Jean Souriac, « Olivier Zeller, Les pennonages lyonnais. De la milice populaire à la garde bourgeoisie (xvie-xviiie siècle), Paris, Classiques Garnier, 2022, 1073 p., ISBN : 9782406119890 », Chrétiens et sociétés [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 17 mai 2023, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/9979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.9979
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