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AccueilNuméros29Mémoires honteuses Les chrétiens ...Des cruautés honteuses ?

Mémoires honteuses Les chrétiens européens face à leurs passés embarrassants (xvie-xxie siècles)

Des cruautés honteuses ?

Les historiens protestants face aux violences huguenotes du temps des guerres de Religion (vers 1830-vers 1970)
Shameful cruelties? Protestant historians facing Huguenot violence during the Wars of Religion (ca. 1830-ca. 1970)
Laurent Ropp
p. 99-120

Résumés

Les violences commises par les réformés du temps des guerres de Religion entrent en contradiction avec le récit victimaire du passé huguenot construit par les historiens protestants des années 1830-1960. Cet article a pour objectif de comprendre la manière dont les héritiers de la Réforme qui écrivent l’histoire de leur communauté au cours de cette période font face aux cruautés potentiellement honteuses de leurs pères. Fondée principalement sur 26 ouvrages d’histoire du christianisme et du protestantisme, cette enquête examine, en particulier, les relations de l’iconoclasme huguenot, des violences perpétrées par le baron des Adrets, de l’assassinat du duc de Guise par Jean Poltrot de Méré et du massacre de catholiques à Nîmes en 1567 (la Michelade). Les historiens protestants, qui expriment fréquemment leurs sentiments sur le passé, condamnent très largement les excès de leurs coreligionnaires durant les troubles civils et religieux du xvie siècle. Cependant, dans les sources consultées, seul le pasteur François Puaux met en valeur sa honte à propos de l’iconoclasme et de la Michelade. Cette posture originale s’explique sans doute à la fois par le style vibrant de l’auteur et par son souci de rendre convaincante sa dénonciation de la férocité des « papistes ». De manière générale, les historiens rendent compte des actes de leurs prédécesseurs en s’efforçant de maintenir la tonalité victimaire de l’épopée huguenote : ils soulignent les circonstances atténuantes permettant de comprendre les violences des calvinistes, présentent le baron des Adrets et Poltrot de Méré comme des cas particuliers qui ne déshonorent pas la Réforme, et s’efforcent d’innocenter les théologiens et les chefs protestants.

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Texte intégral

  • 1 François Puaux, Histoire de la Réformation française, t. 2, Paris, Michel Lévy frères, 1859, p. 176

[L’historien protestant] préférerait sans doute que la Réforme ne se présentât au monde qu’avec la robe blanche de ses martyrs ; mais quand ses partisans l’ont ensanglantée et souillée, il rougit de honte, et tout en expliquant la cause de leurs terribles représailles, il les flétrit1.

  • 2 Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot, « Introduction », dans Philip Benedict, Hugu (...)

1Cet extrait de l’Histoire de la Réformation française composée par le pasteur François Puaux (1859), révèle l’embarras d’un réformé du xixe siècle vis-à-vis des atrocités perpétrées par ses coreligionnaires au cours de la première guerre de Religion (1562-1563). Si les historiens protestants peuvent aisément présenter le temps des martyrs, sous les règnes de François Ier et Henri II, les dragonnades ou encore le Désert comme des épisodes glorieux où les huguenots ont souffert pour leur foi de manière héroïque, les troubles civils et religieux du second xvie siècle se prêtent moins à un récit dont la tonalité serait uniquement victimaire. En effet, au cours de ces affrontements, les calvinistes ont perpétré des actes de cruauté, à l’instar de leurs adversaires. Ces violences entrent en contradiction avec la « culture des martyrs » qui caractérise la mémoire des réformés français dans la longue durée2 et dont témoigne l’historiographie protestante contemporaine, de son essor, à partir des années 1830, aux débuts de sa déconfessionnalisation, dans la décennie 1960.

  • 3 Cette étude s’achève en 1970, année où paraît la dernière histoire du protestantisme écrite par un (...)
  • 4 Voir, à ce sujet, Patrick Cabanel, La Fabrique des huguenots. Une minorité entre histoire et mémoir (...)
  • 5 Voir notamment André Encrevé, « Image de la Réforme chez les protestants français de 1830 à 1870 », (...)
  • 6 E. D. Dufour, Catholiques et Protestants, parallèle entre la conduite de ceux de Nîmes (Gard) depui (...)
  • 7 Ibid., p. 15‑16.
  • 8 Sur cette question, voir Michèle Sacquin, Entre Bossuet et Maurras. L’antiprotestantisme en France (...)
  • 9 Sur le processus de déconfessionnalisation de l’historiographie du protestantisme, voir Christine B (...)

2Durant cette période, les historiens sont très souvent aussi pasteurs : sur les 26 ouvrages retraçant l’histoire du christianisme ou du protestantisme concernant au moins le xvie siècle publiés entre 1826 et 19703 par des héritiers de la Réforme français ou actifs en France, 19 ont été écrits par des hommes d’Église4. Chez ces érudits, jusqu’au début du xxe siècle, l’écriture de l’histoire possède souvent une forte dimension apologétique et polémique5. En effet, face à eux, certains écrivains catholiques soulignent l’horreur des cruautés que les calvinistes ont perpétrées. Par exemple, dans son Parallèle entre la conduite [des catholiques et protestants] de Nîmes paru en 1852, un certain E. D. Dufour, considère, à propos du massacre commis par les huguenots à Nîmes en 1567, que « jamais semblables crimes ne furent commis sous le prétexte de glorifier Dieu et de réformer la Religion6 ». L’auteur estime que la mémoire victimaire des disciples de Calvin ne possède aucun fondement car les réformés nîmois « ont toujours été oppresseurs quand ils se donnent pour opprimés7 ». La polémique recule lorsque s’essouffle l’antiprotestantisme au début du xxe siècle8. À partir des années 1960, l’histoire du protestantisme est avant tout écrite par des universitaires et les postures confessionnelles et identitaires des chercheurs se font discrètes lorsqu’elles ne disparaissent pas : il n’est alors plus question de défendre les intérêts d’une confession et de montrer comment la main de Dieu a guidé son histoire9.

  • 10 Voir, à ce sujet, Jean Timotei, « L’iconoclasme caennais de 1562 sous le regard de Charles de Bourg (...)
  • 11 A. Encrevé, Les Protestants en France de 1800 à nos jours. Histoire d’une réintégration, Paris, Sto (...)
  • 12 Philippe Joutard, La Légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977, p. 19 (...)

3Si les travaux sur le souvenir et l’oubli des troubles du second xvie siècle se sont multipliés depuis une vingtaine d’années, ils ont rarement mis en lumière les points de vue de protestants sur les actes de guerre de leurs pères. Cette question semble, d’ailleurs, n’avoir été abordée qu’à l’époque moderne10. C’est pourquoi cet article a pour objectif de comprendre la manière dont les héritiers de la Réforme qui écrivent l’histoire de leur communauté des années 1830 à la décennie 1960 font face à la violence de leurs pères, entendue ici comme l’usage de la force contre des cibles humaines ou matérielles dans le cadre des guerres de Religion. Outre l’interdit du décalogue et l’articulation complexe des cruautés protestantes avec la mémoire héroïque et victimaire de la communauté, la férocité des calvinistes du xvie siècle est alors susceptible d’embarrasser leurs lointains successeurs pour au moins deux raisons. D’une part, au cours du processus de « réintégration11 » de la minorité réformée française, rappeler les violences huguenotes des guerres civiles revient à mettre en lumière le rôle des coreligionnaires du passé dans les déchirements de la nation. La guerre des Camisards, dont la mémoire protestante devient positive à partir des années 1840, ne pose pas autant problème car les révoltés cévenols apparaissent alors, malgré leurs excès, comme des fidèles persécutés qui combattent pour la liberté12. D’autre part, au xxe siècle, les cruautés perpétrées par les fils de la Réforme peuvent sembler honteuses aux yeux de leurs héritiers dans un contexte d’amélioration progressive des rapports interchrétiens.

  • 13 À chaque fois que cela a été possible, la première édition a été consultée. La liste des ouvrages f (...)

4Cette étude s’appuiera principalement sur les 26 ouvrages d’histoire du christianisme (8) et du protestantisme (18) évoqués infra13. Elle reposera également, de manière plus secondaire, sur quelques publications relatives à des aspects de l’histoire des huguenots, le dictionnaire biographique des frères Haag (1846-1859) et des articles issus du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (publié à partir de 1852).

5Après avoir posé les fondements méthodologiques de l’enquête, nous montrerons que, si les historiens protestants condamnent le plus souvent les actes de cruauté, la honte de ceux qui relatent le passé n’est qu’exceptionnellement mise en avant. Enfin, nous verrons que la dénonciation des violences s’accompagne d’une rhétorique destinée à maintenir le caractère victimaire de la narration.

Approcher les représentations des violences huguenotes chez les historiens protestants : sources et méthodes

6Afin d’étudier la manière dont les successeurs des calvinistes du temps des guerres de Religion rendent compte, aux xixe et xxe siècles, des cruautés perpétrées autrefois, quelques considérations relatives aux sources et aux méthodes s’imposent.

Une écriture de l’histoire marquée par les sentiments des auteurs

  • 14 Voir, à propos du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (désormais BSHPF) (...)
  • 15 François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 176.
  • 16 Raoul Stéphan, Histoire du protestantisme français, préf. Marc Boegner, Paris, Fayard, 1961, p. 127 (...)

7Jusqu’aux années 1960, l’historiographie protestante relève aussi bien de l’histoire que de la mémoire dans la mesure où les narrateurs expriment fréquemment leurs sentiments sur les faits historiques qu’ils exposent. L’écriture de l’histoire sert à la fois à établir (ou rétablir) la « vérité14 » mais aussi à présenter aux lecteurs des héros et des contre-modèles. Quelques lignes avant le passage cité en exergue, François Puaux considère l’historien protestant comme un « juge [qui] fait à chacun sa part de gloire et sa part de honte15 ». Cette posture n’apparaît pas toujours explicitement dans les ouvrages analysés, mais leurs auteurs la partagent largement jusqu’à la fin de la période étudiée. En 1961, l’écrivain Raoul Stéphan souligne l’existence de « belles figures qui se détachent [des] fresques sanglantes [des guerres de Religion] plus par leur hauteur morale que par leur valeur militaire » : Gaspard de Coligny, François de La Noue, Agrippa d’Aubigné, Philippe Duplessis-Mornay, Renée de France, Jeanne d’Albret16

8S’ils expriment volontiers leur fierté d’avoir d’illustres prédécesseurs, les historiens protestants dénoncent aussi les actes de leurs coreligionnaires du passé. Ainsi, dans une publication destinée à la jeunesse (1877), Daniel Bonnefon, pasteur à Alès, dépeint les guerres de Religion comme une période « funeste » et condamne moralement les réformés du second xvie siècle, versets bibliques à l’appui :

  • 17 Jean 18, 36.
  • 18 Matthieu 26, 52.
  • 19 2 Corinthiens 10, 4.
  • 20 Daniel Bonnefon, Histoire de l’Église depuis la Pentecôte jusqu’à nos jours, à l’usage des écoles e (...)

Jusqu’alors les protestants persécutés avaient donné un touchant spectacle qui rappelle l’histoire des premiers chrétiens. Malgré les cruautés inouïes dont ils étaient victimes, les huguenots n’opposèrent, pendant 40 ans, pour toute défense, qu’une patience et une résignation héroïque. Chose admirable, malgré les supplices, leur nombre croissait de jour en jour. La décadence commença le jour où ils mêlèrent la politique à la religion et se laissèrent entraîner à prendre les armes pour défendre une cause qui ne demande que des armes spirituelles. Ils oublièrent, pour leur malheur, que le Christ a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde17 ; celui qui se servira de l’épée périra par l’épée18 ! » et saint Paul : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont point charnelles19. » L’oubli de ces divins préceptes fut la cause et le commencement de leur défaite20.

  • 21 Par exemple, l’historien républicain Henri Martin parle, à propos de l’iconoclasme huguenot, de « d (...)

9Au cours de la période étudiée, ce mode d’écriture de l’histoire où l’auteur exprime des jugements moraux ne se limite ni aux ouvrages pour les enfants ni aux historiographies confessionnelles21.

Une sélection d’événements violents au cœur de l’enquête

  • 22 En plus des études spécialisées mentionnées dans les deux notes suivantes, voir Nicolas Le Roux, Le (...)

10Afin d’examiner la manière dont les historiens protestants représentent les actes de guerre des calvinistes, nous avons effectué une sélection de quatre épisodes susceptibles de leur causer de l’embarras22 :

  • 23 Olivier Christin, Une Révolution symbolique. L’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique(...)

11l’iconoclasme huguenot du début des guerres de Religion, qui constitue des violences contre les objets et les lieux du culte catholique23 ;

12les cruautés de François de Beaumont, le baron des Adrets, dans le Dauphiné et la vallée du Rhône lors de la première guerre civile ;

13l’assassinat du duc de Guise par le gentilhomme protestant Jean Poltrot de Méré lors du siège d’Orléans en février 1563 ;

  • 24 Jean-Paul Chabrol, La Michelade, un crime de religion (1567), Nîmes, Alcide, 2013 ; Allan A. Tulchi (...)

14la Michelade, un massacre perpétré par des huguenots nîmois le lendemain de la Saint-Michel 156724.

15Après avoir recherché les comptes rendus et les mentions de ces événements dans les publications sélectionnées, nous avons construit un tableau consignant, pour chaque ouvrage, la présence ou l’absence de ces épisodes, les formules employées, l’énonciation éventuelle d’une condamnation des faits et l’expression possible de la honte de ceux qui racontent les guerres de Religion. Ce travail préparatoire permet une analyse statistique des attitudes des historiens protestants vis-à-vis des cruautés de leurs coreligionnaires d’antan. Par ailleurs, les propos sur les violences ordinaires de soldats huguenots anonymes ont été relevés.

Des épisodes gênants passés sous silence ?

Ill. 1. Nombre d’ouvrages où apparaissent les quatre épisodes de violences protestantes (sur 26 histoires du christianisme et du protestantisme)

Ill. 1. Nombre d’ouvrages où apparaissent les quatre épisodes de violences protestantes (sur 26 histoires du christianisme et du protestantisme)

16Avant d’entrer dans le cœur des récits, il faut savoir dans quelle mesure les épisodes sont relatés dans les publications des historiens et se demander si leur absence révèle l’embarras des auteurs. Les cruautés du baron des Adrets et l’assassinat du duc de Guise par Poltrot de Méré apparaissent dans plus de la moitié des 26 ouvrages relatifs à l’histoire du christianisme et du protestantisme comme le montre le premier graphique (ill. 1). L’iconoclasme figure un peu moins souvent que ces deux événements dans les publications étudiées tandis que la Michelade est très fréquemment passée sous silence, ce qui, à première vue, pourrait signaler une plus grande gêne des historiens à son sujet. Il n’est pas possible d’établir une chronologie cohérente du silence des sources : les quatre événements sont évoqués et omis aussi bien au début qu’à la fin de la période.

  • 25 Table alphabétique, analytique & chronologique…, Paris, Bibliothèque du protestantisme français, t. (...)

Ill. 2. Nombre d’apparitions des quatre épisodes de violences protestantes dans les tables du BSHPF (1852-196525)

Ill. 2. Nombre d’apparitions des quatre épisodes de violences protestantes dans les tables du BSHPF (1852-196525)
  • 26 H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p (...)
  • 27 Guillaume de Félice, Histoire des protestants de France, depuis l’origine de la Réformation jusqu’a (...)
  • 28 Jusqu’aux années 1920, certains avant-propos permettent de savoir d’où les historiens tirent leurs (...)
  • 29 H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit. ; (...)
  • 30 G. de Félice, op. cit., p. 186.
  • 31 M. Baux-Laporte, Histoire populaire du protestantisme, Paris, Grassart, 1858, p. 131. L’expression (...)
  • 32 M. Baux-Laporte, op. cit., p. 1.

17Pour relater l’iconoclasme huguenot, les cruautés du baron des Adrets et l’assassinat du duc de Guise, les auteurs protestants disposent de plusieurs sources. Dès 1835, l’historien républicain Henri Martin évoque ces épisodes dans son Histoire de France26. Au milieu du siècle, la publication de l’Histoire des protestants de France de Guillaume de Félice27 (1850) et du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (à partir de 1852 – ill. 2) facilitent l’accès à des connaissances relatives à ces trois événements dans un contexte où les historiens issus de la Réforme s’appuient très souvent sur les travaux de leurs coreligionnaires28. Les informations disponibles sur la Michelade semblent, au contraire, assez réduites. Les mentions du massacre nîmois de 1567 sont rares, non seulement dans l’historiographie confessionnelle – la tuerie n’apparaît qu’à trois reprises dans le BSHPF entre 1852 et 1965 – mais aussi dans les autres travaux historiques : l’événement est absent de plusieurs grandes histoires de France du xixe siècle qui relatent, par ailleurs, les trois autres épisodes29. Il figure cependant dans l’ouvrage de Guillaume de Félice30. Cette publication est utilisée par un certain Baux-Laporte pour rédiger son Histoire populaire du protestantisme (1858) dans laquelle il affirme pourtant que « le seul événement [de la deuxième guerre civile] est la bataille de Saint-Denis31 ».
Il s’agit là, peut-être, d’un silence volontaire à propos de violences jugées honteuses. Mais l’omission de la tuerie de 1567 peut aussi s’expliquer par les contraintes découlant de l’écriture d’une histoire « populaire », destinée à des enfants32, qui impose de sélectionner un petit nombre d’événements.

  • 33 L’Église réformée de France de Frank Puaux fait exception : le compte rendu des guerres civiles est (...)
  • 34 Louis Durand, Catéchisme historique et biblique suivi d’un aperçu de l’histoire de l’Église chrétie (...)
  • 35 J. Boisset, op. cit., p. 69-71.

18Dans une partie des sources, l’absence des cruautés perpétrées par des huguenots peut, en effet, être liée au caractère résumé des textes. Ainsi, les huit ouvrages où aucun des quatre épisodes n’est mentionné sont tous des abrégés de moins de 200 pages où le récit des troubles occupe une place modeste (moins de quatre pages33). Les narrations les plus brèves se limitent aux grands jalons de l’histoire des guerres de Religion que sont la Saint-Barthélemy et l’édit de Nantes, comme dans l’Aperçu de l’histoire de l’Église chrétienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours (1857) du pasteur anduzien Louis Durand où les conflits sont résumés, sous forme de catéchisme, en à peine plus d’une page34. En 1970, Jean Boisset, ancien pasteur devenu historien à la faculté des lettres de Montpellier, ne fournit pas un récit beaucoup plus long (deux pages) et ne présente aucun des quatre épisodes sélectionnés35.

19Il n’est donc pas possible d’associer avec certitude l’absence des épisodes de violences calvinistes dans les histoires du christianisme et du protestantisme à une perception des faits marquée par la honte. Afin de réfléchir à l’embarras potentiellement suscité par les cruautés huguenotes du xvie siècle, il vaut mieux s’intéresser à la manière dont les violences des réformés sont relatées.

Des condamnations fréquentes, mais une très rare expression de la honte

20Juges du passé, les historiens protestants n’hésitent pas à dénoncer sévèrement les excès de leurs coreligionnaires du xvie siècle.

Blâmer les auteurs de violences

Ill. 3. La condamnation des violences huguenotes dans les histoires du christianisme et du protestantisme (1826-1970)

Ill. 3. La condamnation des violences huguenotes dans les histoires du christianisme et du protestantisme (1826-1970)

21Le troisième graphique (ill. 3) permet de constater que, lorsqu’ils apparaissent dans les ouvrages d’histoire, l’iconoclasme, la férocité du baron des Adrets et la Michelade sont presque toujours condamnés. Trois motifs peuvent être dégagés des textes pour expliquer cette réprobation générale.

  • 36 Jules Bastide, Histoire abrégée des protestants de France. Textes et récits à l’usage des cours d’i (...)
  • 37 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 224-225.

22Il s’agit, d’abord, de cruautés présentées comme de regrettables excès. Ainsi, en 1889, le pasteur castrais Jules Bastide, qui s’adresse à des enfants, explique, dans un paragraphe consacré aux fautes des huguenots pendant les guerres de Religion, que « le cruel baron des Adrets […], dans le Dauphiné, faisait périr les prisonniers catholiques36 ». Ainsi, les auteurs protestants blâment ce qu’ils considèrent comme des abus des réformés du xvie siècle, tout comme certains d’entre eux déplorent les excès et les terribles représailles des Camisards, même dans la seconde moitié du xixe siècle, lorsque l’image des insurgés cévenols est très positive37.

  • 38 Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 101.
  • 39 Jules Bonnet, Derniers Récits du seizième siècle, Paris, Grassart, 1876, p. 195.
  • 40 J. Bastide, op. cit., p. 5658.
  • 41 John Viénot, Histoire de la Réforme française, t. 1, Des origines à l’édit de Nantes, Paris, Fischb (...)
  • 42 Raoul Stéphan, L’Épopée huguenote, Paris, La Colombe, 1945, p. 113.
  • 43 Valentine Zuber a remarqué qu’au début du xxe siècle, les protestants libéraux, contrairement aux é (...)
  • 44 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 120-121 et 225-226.

23Les violences témoignent également, aux yeux de nombreux historiens protestants, du fanatisme de certains calvinistes du xvie siècle, surtout dans le cas de l’assassinat de François de Guise. Par exemple, le pasteur luthérien Charles Drion affirme en 1855 que « Poltrot a été un fanatique sanguinaire et l’histoire ne cite que trop d’exemples de crimes commis par suite d’exaltation religieuse ou politique38 ». La même accusation se retrouve sous la plume du secrétaire de la SHPF Jules Bonnet39 (1876), mais aussi chez Jules Bastide40 (1889), John Viénot41 (1926) et Raoul Stéphan42 (1945). La dénonciation du fanatisme n’est pas l’apanage des réformés libéraux qui, en raison de leur tendance théologique, déploreraient davantage l’intolérance religieuse43 : Jules Bonnet et Jules Bastide sont de sensibilité évangélique et condamnent l’acte de Poltrot de Méré qu’ils jugent fanatique. De telles remarques rappellent le rejet du « fanatisme » cévenol sous les plumes des réformés du xviiie siècle, qui perdure sous une forme atténuée dans la seconde moitié du xixe siècle44.

  • 45 « L’oubli de ces divins préceptes fut la cause et le commencement de leur défaite. » Voir D. Bonnef (...)
  • 46 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 214 et 260. Dans cet ouvrage, Philippe Joutard (...)

24Enfin, plus rarement, les violences des huguenots au temps des guerres de Religion sont présentées comme des actes contraires à la Parole de Dieu comme nous l’avons vu dans l’ouvrage de Daniel Bonnefon45. Cet argument est également utilisé par certains réformés commentant l’épopée camisarde, tout au moins au milieu du xixe siècle et cent ans plus tard46.

  • 47 De nombreux récits des quatre épisodes de violences huguenotes composés par des historiens libéraux (...)
  • 48 Dans La France protestante des frères Haag et l’Histoire de la Réformation française de François Pu (...)

25Ces remarques témoignent du fait que les historiens protestants peuvent prendre du recul vis-à-vis des comportements de leurs pères47. Au-delà des explications mises en valeur par les auteurs, la condamnation des violences peut aussi obéir à une logique argumentative : les dénonciations des comportements des calvinistes rendent plus audible la culpabilisation des cruautés catholiques comme celles de Blaise de Monluc, qui est comparé au baron des Adrets dans près des deux tiers des ouvrages où il figure (9 sur 1548).

Le cas Poltrot de Méré, signe de l’évolution de l’historiographie protestante

26Contrairement aux autres épisodes, l’assassinat du duc François de Guise par Poltrot de Méré n’est déploré que dans la moitié environ des publications qui y font référence – les autres ne comprennent pas de commentaire (ill. 3).

  • 49 D. Bonnefon, op. cit., p. 321.

27Comme le montre le quatrième graphique (ill. 4) où les mentions de l’événement sont classées par ordre chronologique, les comptes rendus du meurtre sont de moins en moins accompagnés d’un commentaire témoignant de la réprobation des auteurs. Jusqu’aux années 1920, sauf exception49, l’acte de Poltrot de Méré est systématiquement condamné. Ensuite, l’absence d’appréciation est largement majoritaire. Cette évolution, identifiée, certes, grâce à un petit nombre de récits, semble néanmoins refléter le recul des travaux marqués par les jugements moraux au profit de synthèses contenant des descriptions plus neutres qui se multiplient à partir des années 1960.

Ill. 4. Chronologie des récits de l’assassinat du duc de Guise par Jean Poltrot de Méré

Ill. 4. Chronologie des récits de l’assassinat du duc de Guise par Jean Poltrot de Méré
  • 50 Voir notamment François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 197.

28Il est difficile d’expliquer pourquoi cette transformation de l’historiographie apparaît dès la fin de notre période pour l’assassinat du duc de Guise alors que l’adoption d’un ton impartial pour relater les autres épisodes est plus tardive. Sans qu’il soit possible de trancher, deux hypothèses complémentaires peuvent être proposées. D’une part, le chef catholique est la seule victime de Poltrot de Méré, alors que le baron des Adrets et les calvinistes nîmois ont perpétré des tueries collectives. D’autre part, François de Guise, certes reconnu pour ses succès militaires antérieurs aux guerres de Religion50, est considéré comme le responsable du massacre des huguenots à Wassy en 1562.

Exprimer sa honte : la spécificité de François Puaux

  • 51 Dans son Histoire de la Réformation française (1859), il avait relaté les excès des soldats du baro (...)
  • 52 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, Paris, Bureau de la Revue chrétienne (...)
  • 53 Ibid., p. 90.

29Si ces auteurs reprochent massivement à leurs prédécesseurs les atrocités qu’ils ont perpétrées, ils n’expriment presque jamais leur honte vis-à-vis des faits commis. Le pasteur réformé François Puaux (1806-1895) est le seul à le faire dans son Histoire populaire du protestantisme (1894) où il manifeste son émotion51. Concernant l’iconoclasme, alors que « les historiens catholiques n’ont pas assez de tous leurs anathèmes pour flétrir les huguenots52 », il écrit que « nul plus que nous, à ces souvenirs, ne sent la rougeur lui monter au front53 ». Il s’étend davantage sur sa honte dans un paragraphe qui suit la relation des violences perpétrées par l’armée du seigneur d’Acier et le compte rendu de la Michelade (1567) :

  • 54 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, op. cit., p. 105.

L’historien protestant contraint, la rougeur sur le front, de raconter ces pages honteuses de la vie de ses ancêtres, ne songe pas même à leur chercher une excuse dans les perfidies de la cour. À ses yeux, le mal n’autorise jamais le mal ; le soldat protestant doit toujours être humain, sous peine de souiller le nom qu’il porte et de déshonorer la noble cause qu’il sert. Forcé donc de raconter les scènes horribles de cette lamentable époque, il regrette ces temps où ses pères mouraient sur des bûchers en chantant des psaumes ; il voudrait que leur histoire se fût close avec le dernier soupir de son dernier martyr, car elle eût été pure et sans taches comme celle des victimes de Rome païenne54.

  • 55 Né en Ardèche (non loin de Nîmes), où il a exercé une activité d’avocat puis de notaire avant de se (...)
  • 56 Voir François Puaux, L’Anatomie du papisme et la réforme évangélique d’Angers ; Lettres angevines, (...)
  • 57 Voir la notice que lui a consacré André Encrevé : « Puaux Noé Antoine François », dans André Encrev (...)
  • 58 Dans son Histoire de la Réformation française, il se disait même atteint par le déshonneur que les (...)

30Le pasteur engagé dans le camp évangélique exprime ici un sentiment qui va bien au-delà de la simple condamnation : en tant que réformé, il dit se sentir atteint par le déshonneur que ses coreligionnaires ont causé au protestantisme. Le style vif et enthousiaste de l’auteur, un ferme partisan du Réveil, peut expliquer l’expression de sa honte55. Mais de tels passages permettent aussi de rendre particulièrement convaincantes ses accusations contre les membres de l’Église romaine. Or François Puaux, qui a publié de nombreuses brochures contre le « papisme56 », est un pasteur très engagé dans la controverse anticatholique57. Ainsi, après avoir fait part de sa honte à propos de l’iconoclasme, il relativise la gravité des destructions matérielles. La mort des fidèles huguenots, assimilée à une œuvre divine, est incomparablement plus dramatique58 :

  • 59 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, op. cit., p. 90.

S’il nous faut avoir des larmes, réservons-les pour cette génération d’hommes intègres, droits, pieux, qui tomba sous le fer impitoyable des catholiques ; après nous pleurerons sur des pierres brisées. Ces statues muettes, on peut les remettre sur leurs piédestaux ; mais qui rendra à la France ces austères huguenots, statues vivantes, mutilées et jetées à terre par leurs ennemis ? Ce sont des monuments qui, une fois démolis, ne se reconstruisent plus ; ceux qui les frappèrent ne profanèrent pas une œuvre d’homme, mais un monument sur lequel Dieu a gravé sa propre image ; c’est sur ces ruines-là qu’il faut se lamenter, car elle a ravi à la France ses plus nobles enfants59.

31Un seul historien protestant exprime donc sa honte vis-à-vis des cruautés huguenotes du xvie siècle. Si, dans le cas de la Michelade, rien n’excuse la fureur des calvinistes aux yeux de François Puaux, concernant l’iconoclasme, la contextualisation lui permet de relativiser la gravité des faits.

Articuler mémoire victimaire et condamnation des violences : la rhétorique des historiens protestants

32Cet exemple est révélateur d’une attitude largement partagée à l’égard des événements potentiellement embarrassants : pour faire face à un passé que les catholiques leur reprochent, les héritiers des huguenots déploient un art du discours qui rend possible la préservation de la tonalité victimaire du récit en entretenant la « culture des martyrs ».

Des circonstances atténuantes

  • 60 Christian Amalvi, « Les guerres des manuels autour de l’école primaire en France (1899-1914) », Rev (...)
  • 61 Nathanaël Weiss, « Quelques textes et remarques sur la neutralité dans l’enseignement de l’histoire (...)
  • 62 Ibid.
  • 63 Voir, par exemple, Henry Lehr, Les Protestants d’autrefois. Vie et institutions militaires, Paris, (...)
  • 64 Jules-Marcel Nicole, Précis d’histoire de l’Église, Nogent-sur-Marne, Éditions de l’Institut bibliq (...)

33Tout d’abord, les érudits trouvent, dans le contexte historique, des facteurs qui rendent sinon acceptables, du moins compréhensibles les cruautés des réformés. Premièrement, l’antériorité des violences perpétrées par les catholiques est très fréquemment soulignée. C’est une idée défendue par le pasteur Nathanaël Weiss, dans le Bulletin (1910) où, lors de la deuxième « guerre des manuels60 », le successeur de Jules Bonnet à la tête du BSHPF examine la manière dont le protestantisme est traité dans les livres scolaires catholiques et laïques. À propos de la prise d’armes de 1562, le secrétaire général de la SHPF proclame qu’ « il n’est pas admissible que l’on assimile [les] actes de défense [des protestants] avec des actes d’agression ni qu’on renvoie dos à dos les provocateurs et les provoqués61 ». Il affirme que les massacres de huguenots (qu’il qualifie de « barbarie effroyable ») perpétrés dans plusieurs villes françaises en 1562 « [contribuèrent] à rendre les guerres suivantes beaucoup plus meurtrières et [expliquèrent] des excès comme celui de la Michelade, à Nîmes (156962 [sic]) ». Jusqu’à la fin des années 1960, de nombreux auteurs insistent sur le fait que les réformés n’ont combattu que pour réagir à des violences commises par des fidèles de l’ancienne Église63 : le théologien évangélique Jules-Marcel Nicole qui, en 1969, ne peut « que déplorer les guerres de religion », estime ainsi que « sauf en Irlande, [les protestants] se sont toujours maintenus sur la défensive, qu’ils n’ont jamais pris des armes pour obliger les catholiques à renoncer à leur foi64 ».

  • 65 Il n’est, d’ailleurs, pas seulement employé par des protestants : Jules Michelet « pleure autant qu (...)
  • 66 Pour Guillaume de Félice, « les huguenots, on peut le croire, usaient de représailles ; mais étant (...)
  • 67 J.-M. Nicole, op. cit., p. 171. Des recherches plus récentes ont confirmé l’existence de types de v (...)

34Les violences des « papistes » ne sont pas seulement vues comme antérieures, mais apparaissent aussi plus graves que celles des huguenots. Cet argument est fréquemment mobilisé lorsqu’il est question de l’iconoclasme65, comme nous l’avons vu dans le cas de François Puaux66. À la fin de la période étudiée, Jules-Marcel Nicole reprend l’opposition formulée par le pasteur actif un siècle plus tôt entre, d’une part, les victimes humaines de la cruauté des fidèles de l’Église romaine et, d’autre part, les cibles matérielles de la violence calviniste : « tandis que les catholiques maltraitaient odieusement les populations, les protestants tournaient leur fureur principalement contre les églises et les statues67 ».

  • 68 E. Haag et É. Haag, « Poltrot (Jean) », dans E. Haag et É. Haag, op. cit., vol. VIII, Paris/Genève, (...)
  • 69 Charles Bost, Histoire des protestants de France en 35 leçons, pour les écoles, Neuilly-sur-Seine, (...)
  • 70 « N’oublions pas que les monuments religieux de la France n’étaient, aux yeux des huguenots, que de (...)

35Troisièmement, certains auteurs, en portant leur réflexion sur les représentations des acteurs du passé, insistent sur le fait que leurs pères avaient la conviction de servir une cause juste. C’est l’idée défendue, en 1925, par Charles Bost, pasteur du Havre et historien, à la suite des frères Haag68, au sujet de l’assassinat du duc de Guise : « le protestant Poltrot de Méré […] crut faire œuvre pieuse en tuant “le boucher de Vassy69” ». De telles observations apparaissent également sous la plume de François Puaux au sujet de l’iconoclasme70.

36Enfin, le contexte guerrier du second xvie siècle est rappelé afin de montrer que les huguenots étaient des hommes d’un autre temps qui ont subi l’influence néfaste de leur époque. Le pasteur de Chartres Henry Lehr exprime clairement cette idée en 1901 :

  • 71 H. Lehr, op. cit., p. 62‑63. Voir aussi François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. c (...)

la guerre entraîne avec elle un tel cortège d’horreurs, elle surexcite à un tel point les pires passions, que, si honorables qu’en soient les causes premières, elle ne peut que pervertir à la longue ceux qui en vivent […] le soudard endurci par le spectacle des maux de la guerre, est le même partout quand on lui a lâché la bride ; ce n’est surprenant nulle part, et au xvie siècle en particulier, c’est dans la nature des choses71.

Le baron des Adrets et Poltrot de Méré : des cas particuliers

37Lorsqu’ils relatent les actions du baron des Adrets et de Poltrot de Méré, les historiens protestants ont tendance à mettre en avant le fait que ces hommes de guerre sont des individus isolés qui ne sont pas représentatifs des huguenots du xvie siècle. Cela leur permet de maintenir sauf l’honneur de leurs prédécesseurs et de la Réforme.

  • 72 G. de Félice, op. cit., p. 179. Voir aussi, notamment, J. Bastide, op. cit., p. 55 ; J. Viénot, op. (...)
  • 73 Voir, à titre de comparaison, H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu (...)
  • 74 Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 100‑101 ; J. Bastide, op. cit., p. 56‑58 ; J. Viénot, op. cit., t. 1, (...)
  • 75 G. de Félice, op. cit., p. 168‑169.

38L’abandon de la foi réformée par François de Beaumont est fréquemment souligné. Par exemple, dans son Histoire des protestants de France (1850), Guillaume de Félice décrit le baron des Adrets comme un homme « aussi barbare que Montluc », qui s’est converti par hostilité aux Guise avant de revenir au catholicisme72. Une telle insistance, dans le récit des cruautés, sur le retour du calviniste à l’Église romaine est propre aux protestants73. Quant à Jean Poltrot de Méré, il est dépeint comme un huguenot « fanatique » par certains historiens jusqu’au milieu du xxe siècle74. De Félice précise que l’assassin du duc, ancien catholique zélé, s’est aigri après sa conversion à la nouvelle religion parce qu’il a dû s’exiler à Genève75.

  • 76 François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., p. 200.

39Ainsi, ces deux hommes sont généralement présentés comme des cas particuliers qui n’ont rien de commun avec les héros huguenots du xvie siècle et dont les actions ne sauraient entacher le protestantisme. L’historien et controversiste François Puaux l’affirme au sujet de Poltrot de Méré en renvoyant l’accusation aux catholiques : « il faut dire […] à la décharge de la Réforme que Poltrot est un accident dans son histoire, tandis que Jacques Clément est un principe dans celle des ligueurs76. »

Innocenter les théologiens et les chefs huguenots

  • 77 Voir A. Encrevé, « Réforme et guerres de Religion en France selon Jules Bonnet et Nathanaël Weiss » (...)

40Enfin, les héros protestants du xvie siècle sont disculpés avec conviction. Les prises de position des historiens de la SHPF dans le Bulletin témoignent de la mobilisation de ces érudits pour rétablir la « vérité » en mettant fin aux « calomnies », particulièrement entre les années 1880 et 1900, lorsque l’antiprotestantisme a le plus de vigueur77.

  • 78 Sur Calvin et l’iconoclasme, voir J. Bonnet, Derniers Récits du seizième siècle, op. cit., p. 175. (...)
  • 79 H. Lehr, op. cit., p. 19.
  • 80 « Chronique », BSHPF, vol. 16, n° 6, 1867, p. 301.
  • 81 Voir David El Kenz, « Le massacre de la Saint-Barthélemy est-il un lieu de mémoire victimaire (fin (...)
  • 82 J. Bonnet, « Chronique », BSHPF, vol. 32, n° 2, 1883, p. 96. Le texte est repris dans J. Bonnet, (...)

41Gaspard de Coligny est sans doute, avec Jean Calvin78, le personnage défendu avec la plus grande ardeur. Lorsqu’il est accusé d’avoir commandité le meurtre du duc de Guise, les protestants s’empressent de préciser que l’amiral a seulement demandé à Poltrot de Méré d’espionner le chef catholique79. En 1867, alors que le chef huguenot apparaît comme l’un des instigateurs de l’assassinat de François de Guise sur un tableau présenté à l’Exposition universelle de Paris, le BSHPF publie une vive dénonciation d’une « calomnie historique ». Le rédacteur se montre scandalisé : cette « imputation [a été] cent fois démentie par l’amiral lui-même et […] n’en fut pas moins le prétexte d’un crime plus grand commis à la Saint-Barthélemy. On ne peut que déplorer de voir l’art contemporain populariser ainsi une indigne calomnie contre un des héros les plus purs de la France80 ». Seize ans plus tard, en réaction à quelques lignes qui qualifient Coligny de « patron de l’assassinat » dans l’Intermédiaire des chercheurs et curieux du 25 janvier 1883, Jules Bonnet dénonce « une calomnie cent fois réfutée et dont Coligny a fait justice dans une lettre à Catherine de Médicis […] ». Il justifie l’idée d’ériger un monument en sa mémoire (le projet est réalisé en 188981) et conclut qu’« on ne parviendra pas à intervertir les rôles, et à transformer en “patron de l’assassinat” la grande et pure victime de la Saint-Barthélemy82 ».

  • 83 Denys d’Aussy, « Un politicien au xvie siècle. Guy Chabot de Jarnac (1562-1568) », Revue des questi (...)
  • 84 N. Weiss, « Chronique littéraire », BSHPF, vol. 45, n° 2, 1896, p. 111.
  • 85 Voir G. de Félice, op. cit., p. 186 ; Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 113 ; François Puaux, Histoire (...)

42La défense des huguenots du xvie siècle ne se limite pas aux figures les plus connues. Les historiens tentent aussi de réhabiliter les ministres du culte. Ainsi, en 1896, Nathanaël Weiss s’insurge contre un article de la catholique Revue des questions historiques83 qui cite, sans les critiquer, des extraits d’une chronique attribuant au pasteur de La Rochelle Nicolas Folion (dit La Vallée) l’organisation, en 1562, du « bris des images, alors que c’est précisément lui qui protesta contre cette émeute qu’il n’avait pu prévenir84 ». Concernant la Michelade, les quatre érudits qui mentionnent l’événement jusqu’aux années 1930 soulignent le fait que le massacre, œuvre d’une foule incontrôlable, a été perpétré contre l’avis des ministres et des notables85.

43Finalement, les protestants qui écrivent l’histoire des années 1830 à la décennie 1960 n’exposent qu’exceptionnellement leur embarras vis-à-vis des violences des réformés du temps des guerres de Religion. Certes, tout au long de la période, ils condamnent le plus souvent les excès perpétrés par leurs pères durant les troubles civils et religieux. Mais, sauf exception, ces épisodes ne sont pas présentés comme des faits honteux pour les croyants du xixe et du xxe siècle. Les auteurs font face aux cruautés de leurs coreligionnaires en s’efforçant de maintenir la tonalité victimaire de l’épopée huguenote.

44Après la période étudiée, l’examen de l’historiographie protestante sous l’angle de la honte n’est plus pertinent dans la mesure où les membres de cette minorité religieuse qui écrivent l’histoire de leur communauté abandonnent le plus souvent les jugements sur le passé et le souci de défendre la mémoire de leurs pères. Mais la question peut être posée au sein de la population réformée, luthérienne et évangélique. Selon les résultats d’une enquête que nous avons lancée en ligne en 2021 sur les représentations des guerres de Religion, la honte colore la mémoire d’une minorité de protestants (80 sur 526 soit 15,2 %). Ils sont 2,7 fois plus nombreux (214 sur 526 soit 40,7 %) à estimer que les catholiques devraient avoir honte de la conduite de leurs prédécesseurs. C’est le signe que, pour beaucoup de ces héritiers de la Réforme, ce n’est pas à eux de rougir au souvenir des affrontements du xvie siècle.

Annexe: liste des 26 ouvrages étudiés

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Bibliographie

En cas d’éditions multiples, dans la mesure du possible, c’est la première qui a été consultée.

Histoires du christianisme

Boissard Georges David Frédéric, Précis de l’histoire de l’Église, suivi d’un aperçu des articles sur lesquels il existe conformité ou différence entre les communions évangéliques et la communion romaine, Paris, chez l’auteur/Treuttel et Würtz/M. Servier, 1826, 72 p.

Bonnefon Daniel, Histoire de l’Église depuis la Pentecôte jusqu’à nos jours, à l’usage des écoles et des institutions protestantes, Paris, J. Bonhoure et Cie, 1877, 470 p.

Durand Louis, Catéchisme historique et biblique suivi d’un aperçu de l’histoire de l’Église chrétienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours, Nîmes/Paris, Peyrot-Tinel/Librairies protestantes, 1857, 188 p.

Éléments d’instruction religieuse selon l’Évangile et aperçu de l’histoire de l’Église, Paris/Strasbourg, veuve Berger-Levrault et fils, 1867, 70 p.

Fargues Paul, Histoire du christianisme, t. IV, La Renaissance et la Réforme, Paris, Fischbacher, 1936, 466 p.

Jordan Emmanuel, Abrégé d’histoire de l’Église chrétienne, av.-propos C. Benignus, Paris, Société centrale évangélique, 1940, 60 p.

Matter Jacques, Histoire universelle de l’Église chrétienne, considérée principalement dans ses institutions et dans ses doctrines…, t. 4, Strasbourg, G. Silbermann, 1835, 524 p.

Nicole Jules-Marcel, Précis d’histoire de l’Église, Nogent-sur-Marne, Éditions de l’Institut biblique de Nogent, 1969, 288 p.

Histoires du protestantisme (portant au moins sur le xvie siècle)

Bastide Jules, Histoire abrégée des protestants de France. Textes et récits à l’usage des cours d’instruction religieuse, Toulouse, Société des livres religieux, 1889, 264 p.

Baux-Laporte M., Histoire populaire du protestantisme, Paris, Grassart, 1858, 312 p.

Boisset Jean, Histoire du protestantisme, Paris, Presses universitaires de France, 1970, 127 p.

Bonnefon Daniel, Catéchisme élémentaire suivi d’une histoire abrégée de la Réforme, 18e éd. revue et augmentée par H. Bonnefon, Paris, Fischbacher, 1912 (1ère éd. 1904), 88 p.

Bost Charles, Histoire des protestants de France en 35 leçons, pour les écoles, Neuilly-sur-Seine, La Cause, 1925, 223 p.

Drion Charles, Histoire chronologique de l’Église protestante de France jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, t. 1, Paris/Strasbourg, veuve Berger-Levrault et fils, 1855, 323 p.

Eberhardt Charles-Philippe, Abrégé de l’histoire de la Réforme en France depuis François 1er jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes. 1515-1685. À l’usage des catéchumènes, Paris/Metz, Grassart/Kuntz-Vinclair, 1858, 58 p.

Félice Guillaume de, Histoire des protestants de France, depuis l’origine de la Réformation jusqu’au temps présent, Paris, Librairie protestante, 1850, 655 p.

Lamarche Numa, Histoire de la Réformation et des Églises réformées. Manuel rédigé d’après les méthodes universitaires pour les cours d’instruction religieuse de la jeunesse, Paris, Fischbacher, 1882, 186 p.

Léonard Émile-Guillaume, Histoire du protestantisme, Paris, Presses universitaires de France, 1950, 127 p.

Léonard Émile-Guillaume, Histoire générale du protestantisme, t. II, L’établissement (1564-1700), Paris, Presses universitaires de France, 1961, 453 p.

Mours Samuel, Le Protestantisme en France au xvie siècle, Paris, Librairie protestante, 1959, 253 p.

Puaux François, Histoire de la Réformation française, t. 2, Paris, Michel Lévy frères, 1859, 423 p.

Puaux François, Histoire populaire du protestantisme français, Paris, Bureau de la Revue chrétienne, 1894, 392 p.

Puaux Frank, L’Église réformée de France, Paris, Fischbacher, 1906, 70 p.

Stéphan Raoul, Histoire du protestantisme français, préf. Marc Boegner, Paris, Fayard, 1961, 396 p.

Stéphan Raoul, L’Épopée huguenote, Paris, La Colombe, 1945, 294 p.

Viénot John, Histoire de la Réforme française, t. 1, Des origines à l’édit de Nantes, Paris, Fischbacher, 1926, 478 p.

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Notes

1 François Puaux, Histoire de la Réformation française, t. 2, Paris, Michel Lévy frères, 1859, p. 176.

2 Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot, « Introduction », dans Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot (dir.), L’Identité huguenote. Faire mémoire et écrire l’histoire (xvie-xxie siècle), Genève, Droz, 2014, p. 29.

3 Cette étude s’achève en 1970, année où paraît la dernière histoire du protestantisme écrite par un (ancien) pasteur : Jean Boisset, Histoire du protestantisme, Paris, Presses universitaires de France, 1970.

4 Voir, à ce sujet, Patrick Cabanel, La Fabrique des huguenots. Une minorité entre histoire et mémoire. xviiie-xxie siècle, préf. Philippe Joutard, Genève, Labor et Fides, 2022, p. 223-281.

5 Voir notamment André Encrevé, « Image de la Réforme chez les protestants français de 1830 à 1870 », dans Philippe Joutard (dir.), Historiographie de la Réforme, Paris/Neuchâtel/Montréal, Delachaux & Niestlé, 1977, p. 182‑204 ; id., « Réforme et guerres de Religion en France selon Jules Bonnet et Nathanaël Weiss, rédacteurs du Bulletin de la SHPF de 1866 à 1923 », dans Ph. Benedict, H. Daussy, P.-O. Léchot (dir.), op. cit., p. 501522.

6 E. D. Dufour, Catholiques et Protestants, parallèle entre la conduite de ceux de Nîmes (Gard) depuis les premiers temps de la Réforme jusqu’à nos jours, Paris/Lyon, T. Pitrat, 1852, p. 31.

7 Ibid., p. 15‑16.

8 Sur cette question, voir Michèle Sacquin, Entre Bossuet et Maurras. L’antiprotestantisme en France de 1814 à 1870, préf. André Encrevé, av.-propos Philippe Boutry, Paris, École des Chartes, 1998 ; Jean Baubérot, Valentine Zuber, Une Haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le « pacte laïque » (1870-1905), Paris, Albin Michel, 2000.

9 Sur le processus de déconfessionnalisation de l’historiographie du protestantisme, voir Christine Barralis, « La déconfessionnalisation de l’histoire du christianisme en France », dans Yves Krumenacker (dir.), Sciences humaines, foi et religion, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 148-155 ; Marc Venard, « L’histoire du protestantisme français au xxe siècle. Une historiographie déconfessionnalisée  ? », dans Ph. Benedict, H. Daussy, P.-O. Léchot (dir.), op. cit., p. 581-590.

10 Voir, à ce sujet, Jean Timotei, « L’iconoclasme caennais de 1562 sous le regard de Charles de Bourgueville », dans Jacques Berchtold, Marie-Madeleine Fragonard (dir), La Mémoire des guerres de Religion. La concurrence des genres historiques (xvie-xviiie siècles), Genève, Droz, 2007, p. 128-130 et, sur le baron des Adrets, Hubert Bost, « Bayle et l’historiographie des guerres de Religion, dans J. Berchtold, M.-M. Fragonard (dir), op. cit., p. 319 et Philip Benedict, « La conviction plus forte que la critique. La Réforme et les guerres de Religion vues par les historiens protestants à l’époque de la Révocation », dans Ph. Benedict, H. Daussy, P.-O. Léchot (dir.), op. cit., p. 236-237.

11 A. Encrevé, Les Protestants en France de 1800 à nos jours. Histoire d’une réintégration, Paris, Stock, 1985.

12 Philippe Joutard, La Légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977, p. 194-204 et id., « Le musée du Désert », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, III, Les France, 1, Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 556.

13 À chaque fois que cela a été possible, la première édition a été consultée. La liste des ouvrages figure en annexe p. 118.

14 Voir, à propos du Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (désormais BSHPF), Chr. Barralis, Art. cit., p. 150 ; A. Encrevé, « Réforme et guerres de Religion en France selon Jules Bonnet et Nathanaël Weiss », Art. cit., p. 501‑522.

15 François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 176.

16 Raoul Stéphan, Histoire du protestantisme français, préf. Marc Boegner, Paris, Fayard, 1961, p. 127-131.

17 Jean 18, 36.

18 Matthieu 26, 52.

19 2 Corinthiens 10, 4.

20 Daniel Bonnefon, Histoire de l’Église depuis la Pentecôte jusqu’à nos jours, à l’usage des écoles et des institutions protestantes, Paris, J. Bonhoure et Cie, 1877, p. 311.

21 Par exemple, l’historien républicain Henri Martin parle, à propos de l’iconoclasme huguenot, de « dévastations à jamais déplorables ». Voir Henri Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830, d’après les historiens originaux, t. 11, Paris, L. Mame, 1835, p. 97.

22 En plus des études spécialisées mentionnées dans les deux notes suivantes, voir Nicolas Le Roux, Les Guerres de Religion (1559-1629), Paris, Belin, 2014 (1ère éd. 2009) ; Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, Dominique Biloghi, Guy Le Thiec, Histoire et dictionnaire des guerres de Religion, Paris, Robert Laffont, 1998.

23 Olivier Christin, Une Révolution symbolique. L’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991.

24 Jean-Paul Chabrol, La Michelade, un crime de religion (1567), Nîmes, Alcide, 2013 ; Allan A. Tulchin, « The Michelade in Nîmes (1567) », French Historical Studies, vol. 29, n° 1, 2006, p. 1-35.

25 Table alphabétique, analytique & chronologique…, Paris, Bibliothèque du protestantisme français, t. I à VI, 1927, 1929, 1931, 1941, 1969, 1973, 1979.

26 H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p. 97-98 (iconoclasme), 107-108 (baron des Adrets) et 125 (Poltrot de Méré). François Puaux cite l’essentiel d’un long passage de l’Histoire de France d’Henri Martin pour décrire l’iconoclasme : voir François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 155-156 et H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, t. IX, Paris, Furne, 1857 (4e éd.), p. 124-126.

27 Guillaume de Félice, Histoire des protestants de France, depuis l’origine de la Réformation jusqu’au temps présent, Paris, Librairie protestante, 1850. Plusieurs auteurs s’appuient, entre autres, sur cette volumineuse histoire du protestantisme français (655 pages). Voir, par exemple, Charles Drion, Histoire chronologique de l’Église protestante de France jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, t. 1, Paris/Strasbourg, veuve Berger-Levrault et fils, 1855, p. VIII.

28 Jusqu’aux années 1920, certains avant-propos permettent de savoir d’où les historiens tirent leurs informations ; à partir de la parution de l’Histoire de la Réforme française de John Viénot (t. 1 en 1926), les notes sont bien plus nombreuses et volumineuses.

29 H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit. ; Jules Michelet, Histoire de France au seizième siècle, t. IX, Guerres de Religion, Paris, Chamerot, 1856 ; Victor Duruy, Histoire de France, t. 2, Paris, L. Hachette et Cie, 1862. Jean-Hippolyte Mariéjol évoque, à propos du massacre de 1567, une « boucherie ». Voir Jean-Hippolyte Mariéjol, La Réforme et la Ligue. L’édit de Nantes (1559-1598), Paris, Tallandier, 1983 (1ère éd. Hachette, 1904).

30 G. de Félice, op. cit., p. 186.

31 M. Baux-Laporte, Histoire populaire du protestantisme, Paris, Grassart, 1858, p. 131. L’expression est reprise presque à l’identique en 1877 par Daniel Bonnefon. Voir D. Bonnefon, op. cit., p. 322.

32 M. Baux-Laporte, op. cit., p. 1.

33 L’Église réformée de France de Frank Puaux fait exception : le compte rendu des guerres civiles est plus étendu (10 pages) car il comprend de nombreuses citations. Voir Frank Puaux, L’Église réformée de France, Paris, Fischbacher, 1906, p. 18-27.

34 Louis Durand, Catéchisme historique et biblique suivi d’un aperçu de l’histoire de l’Église chrétienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours, Nîmes/Paris, Peyrot-Tinel/Librairies protestantes, 1857, p. 167‑168.

35 J. Boisset, op. cit., p. 69-71.

36 Jules Bastide, Histoire abrégée des protestants de France. Textes et récits à l’usage des cours d’instruction religieuse, Toulouse, Société des livres religieux, 1889, p. 55‑56.

37 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 224-225.

38 Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 101.

39 Jules Bonnet, Derniers Récits du seizième siècle, Paris, Grassart, 1876, p. 195.

40 J. Bastide, op. cit., p. 5658.

41 John Viénot, Histoire de la Réforme française, t. 1, Des origines à l’édit de Nantes, Paris, Fischbacher, 1926, p. 383.

42 Raoul Stéphan, L’Épopée huguenote, Paris, La Colombe, 1945, p. 113.

43 Valentine Zuber a remarqué qu’au début du xxe siècle, les protestants libéraux, contrairement aux évangéliques, blâment Calvin pour son intolérance dans le cadre de l’affaire Servet. Voir Valentine Zuber, Les Conflits de la tolérance. Michel Servet entre mémoire et histoire, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 18 et 87‑92.

44 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 120-121 et 225-226.

45 « L’oubli de ces divins préceptes fut la cause et le commencement de leur défaite. » Voir D. Bonnefon, op. cit., p. 311.

46 Ph. Joutard, La Légende des Camisards…, op. cit., p. 214 et 260. Dans cet ouvrage, Philippe Joutard ne mentionne pas de critiques des Cévenols fondées sur la Bible entre 1857 et 1912, lorsque l’historiographie protestante valorise de manière quasi-unanime l’épopée camisarde.

47 De nombreux récits des quatre épisodes de violences huguenotes composés par des historiens libéraux ou républicains n’appartenant pas au protestantisme possèdent également un ton réprobateur. Voir, concernant l’iconoclasme, H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p. 97-98 ; J. Michelet, op. cit., t. IX, p. 303-304 ; V. Duruy, op.cit., t. 2, p. 100 ; J.-H. Mariéjol, op. cit., p. 80-81.

48 Dans La France protestante des frères Haag et l’Histoire de la Réformation française de François Puaux, la comparaison est à l’avantage du baron des Adrets car ce dernier ne s’est pas glorifié de sa férocité et n’a jamais passé par les armes des adversaires qui s’étaient rendus. Voir Eugène Haag et Émile Haag, « Beaumont (François de) », dans Eugène Haag et Émile Haag, La France protestante, ou Vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire…, vol. II, Paris, Bureaux de la publication, 1847, p. 103 et François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 163‑164.

49 D. Bonnefon, op. cit., p. 321.

50 Voir notamment François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 197.

51 Dans son Histoire de la Réformation française (1859), il avait relaté les excès des soldats du baron des Adrets qui « se couvrirent de honte » : il s’agit ici d’une condamnation morale qui n’atteint pas l’auteur. Voir François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., t. 2, p. 164.

52 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, Paris, Bureau de la Revue chrétienne, 1894, p. 89‑90.

53 Ibid., p. 90.

54 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, op. cit., p. 105.

55 Né en Ardèche (non loin de Nîmes), où il a exercé une activité d’avocat puis de notaire avant de se tourner vers la théologie, il a peut-être été confronté à la mémoire catholique de la Michelade.

56 Voir François Puaux, L’Anatomie du papisme et la réforme évangélique d’Angers ; Lettres angevines, Paris, Delay, 1846.

57 Voir la notice que lui a consacré André Encrevé : « Puaux Noé Antoine François », dans André Encrevé (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 5, Les protestants, Paris, Beauchesne, 1993, p. 398‑399.

58 Dans son Histoire de la Réformation française, il se disait même atteint par le déshonneur que les catholiques meurtriers ont jeté sur le christianisme au début des guerres de Religion. Voir François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., p. 175. Il lançait ensuite un appel à la charité chrétienne et demande de ne pas maudire les fidèles de l’Église romaine. Voir ibid., p. 176‑177.

59 François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, op. cit., p. 90.

60 Christian Amalvi, « Les guerres des manuels autour de l’école primaire en France (1899-1914) », Revue historique, vol. 262, n° 532, 1979, p. 359‑398.

61 Nathanaël Weiss, « Quelques textes et remarques sur la neutralité dans l’enseignement de l’histoire », BSHPF, vol. 59, n° 3, 1910, p. 242.

62 Ibid.

63 Voir, par exemple, Henry Lehr, Les Protestants d’autrefois. Vie et institutions militaires, Paris, Fischbacher, 1901, p. 60 ; Emmanuel Jordan, Abrégé d’histoire de l’Église chrétienne, av.-propos C. Benignus, Paris, Société centrale évangélique, 1940, p. 24 ; Samuel Mours, Le Protestantisme en France au xvie siècle, Paris, Librairie protestante, 1959, p. 187.

64 Jules-Marcel Nicole, Précis d’histoire de l’Église, Nogent-sur-Marne, Éditions de l’Institut biblique de Nogent, 1969, p. 179.

65 Il n’est, d’ailleurs, pas seulement employé par des protestants : Jules Michelet « pleure autant que personne » les monuments d’arts, mais s’étonne « que plusieurs écrivains, brefs et légers sur les massacres, s’attendrissent longuement sur les pierres » alors que la mort d’une « génération protestante [qui] purifiait la France » est plus irréparable que les dévastations. Voir J. Michelet, op. cit., t. IX, p. 304.

66 Pour Guillaume de Félice, « les huguenots, on peut le croire, usaient de représailles ; mais étant moins nombreux, et appartenant en général à des classes plus cultivées, ils faisaient moins de mal qu’ils n’en éprouvaient ». Voir G. de Félice, op. cit., p. 175 ; J. Bastide, op. cit., p. 55‑56.

67 J.-M. Nicole, op. cit., p. 171. Des recherches plus récentes ont confirmé l’existence de types de violences distincts selon la confession des acteurs mais, contrairement à l’historiographie protestante analysée dans cet article, ces travaux ne sont pas marqués par des jugements moraux. Voir Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), 2 t., Seyssel, Champ Vallon, 1990.

68 E. Haag et É. Haag, « Poltrot (Jean) », dans E. Haag et É. Haag, op. cit., vol. VIII, Paris/Genève, Joël Cherbuliez, 1858, p. 285-286.

69 Charles Bost, Histoire des protestants de France en 35 leçons, pour les écoles, Neuilly-sur-Seine, La Cause, 1925, p. 56.

70 « N’oublions pas que les monuments religieux de la France n’étaient, aux yeux des huguenots, que des temples d’idoles qu’ils avaient en horreur ; que leur importait que la statue fût un chef-d’œuvre ou une pierre grossièrement taillée, puisqu’elle n’était à leurs yeux qu’une abomination dont il fallait débarrasser la chrétienté ? Ils frappèrent donc en aveugles sans doute, mais non pour le seul plaisir de le faire. Déclarer la guerre à la superstition, c’était pour eux extirper le papisme dont ils détruisaient les monuments, comme les Français de 89 croyaient, en démolissant la Bastille, anéantir le despotisme ; les uns et les autres se trompaient. » Voir François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., p. 157‑158. Voir aussi, sur la prise d’armes de 1562, Paul Fargues, Histoire du christianisme, t. IV, La Renaissance et la Réforme, Paris, Fischbacher, 1936, p. 373.

71 H. Lehr, op. cit., p. 62‑63. Voir aussi François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., p. 171.

72 G. de Félice, op. cit., p. 179. Voir aussi, notamment, J. Bastide, op. cit., p. 55 ; J. Viénot, op. cit., t. 1, p. 381 ; Émile-Guillaume Léonard, Histoire générale du protestantisme, t. II, L’établissement (1564-1700), Paris, Presses universitaires de France, 1961, p. 112. Sur ce point, la position des frères Haag se distingue de celle de la majorité des historiens protestants : à leurs yeux, la réputation de férocité de François de Beaumont est exagérée et l’homme de guerre est resté protestant de cœur. Voir E. Haag et É. Haag, « Beaumont (François de) », dans E. Haag et É. Haag, op. cit., vol. II, p. 101-120. En 1998, Jacqueline Boucher s’interroge sur la sincérité de l’adhésion du baron des Adrets au protestantisme. Voir Jacqueline Boucher, « Adrets, François de Beaumont, baron des », dans A. Jouanna, J. Boucher, D. Biloghi, G. Le Thiec, op. cit., p. 637.

73 Voir, à titre de comparaison, H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p. 107-108 ; J. Michelet, op. cit., t. IX, p. 307 ; V. Duruy, op.cit., t. 2, p. 100-101 ; J.-H. Mariéjol, op. cit., p. 82.

74 Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 100‑101 ; J. Bastide, op. cit., p. 56‑58 ; J. Viénot, op. cit., t. 1, p. 383 ; R. Stéphan, L’Épopée huguenote, op. cit., p. 131. Il ne s’agit pas là d’une spécificité de l’historiographie protestante : Henri Martin considère que Poltrot de Méré est un « enthousiaste », Victor Duruy voit en son crime le fruit du « fanatisme » et Jean-Hippolyte Mariéjol présente le gentilhomme comme un « huguenot sectaire ». Voir H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p. 130 ; V. Duruy, op.cit., t. 2, p. 103 ; J.-H. Mariéjol, op. cit., p. 89. Michelet brosse un portrait beaucoup moins sombre de l’assassin et insiste davantage sur la cruauté de la peine qui lui est infligée. Voir J. Michelet, op. cit., t. IX, p. 314-318 et Denis Crouzet, Le xvie siècle est un héros. Michelet, inventeur de la Renaissance, Paris, Albin Michel, 2021, p. 457-458.

75 G. de Félice, op. cit., p. 168‑169.

76 François Puaux, Histoire de la Réformation française, op. cit., p. 200.

77 Voir A. Encrevé, « Réforme et guerres de Religion en France selon Jules Bonnet et Nathanaël Weiss », Art. cit., p. 520‑521.

78 Sur Calvin et l’iconoclasme, voir J. Bonnet, Derniers Récits du seizième siècle, op. cit., p. 175. La défense du réformateur par la mobilisation de sa correspondance se poursuit au xxe siècle : voir J. Viénot, op. cit., t. 1, p. 380 et É.-G. Léonard, op. cit., t. II, p. 112. Henri Martin et Victor Duruy, en s’appuyant sur l’Histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze, admettent le fait que Calvin a désapprouvé l’iconoclasme. Voir H. Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830…, op. cit., p. 98 ; V. Duruy, op.cit., t. 2, p. 100.

79 H. Lehr, op. cit., p. 19.

80 « Chronique », BSHPF, vol. 16, n° 6, 1867, p. 301.

81 Voir David El Kenz, « Le massacre de la Saint-Barthélemy est-il un lieu de mémoire victimaire (fin xvie siècle-2009) ? », dans David El Kenz, François-Xavier Nérard (dir.), Commémorer les victimes en Europe (xvie-xxie siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2011, p. 225‑230.

82 J. Bonnet, « Chronique », BSHPF, vol. 32, n° 2, 1883, p. 96. Le texte est repris dans J. Bonnet, Récits du seizième siècle. Seconde série, Paris, Grassart, 1885, p. 339‑341.

83 Denys d’Aussy, « Un politicien au xvie siècle. Guy Chabot de Jarnac (1562-1568) », Revue des questions historiques, t. LVII, 1er janvier 1895, p. 178-179. Quelques lignes plus loin, Denys d’Aussy ajoute qu’en raison du scandale occasionné par ces « désordres », « le ministre La Vallée, au nom du consistoire, désavoua ces coupables excès ».

84 N. Weiss, « Chronique littéraire », BSHPF, vol. 45, n° 2, 1896, p. 111.

85 Voir G. de Félice, op. cit., p. 186 ; Ch. Drion, op. cit., t. 1, p. 113 ; François Puaux, Histoire populaire du protestantisme français, op. cit., p. 105 ; P. Fargues, op. cit., t. IV, p. 378.

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Table des illustrations

Titre Ill. 1. Nombre d’ouvrages où apparaissent les quatre épisodes de violences protestantes (sur 26 histoires du christianisme et du protestantisme)
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Titre Ill. 2. Nombre d’apparitions des quatre épisodes de violences protestantes dans les tables du BSHPF (1852-196525)
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Titre Ill. 3. La condamnation des violences huguenotes dans les histoires du christianisme et du protestantisme (1826-1970)
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Titre Ill. 4. Chronologie des récits de l’assassinat du duc de Guise par Jean Poltrot de Méré
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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Ropp, « Des cruautés honteuses ? »Chrétiens et sociétés, 29 | 2022, 99-120.

Référence électronique

Laurent Ropp, « Des cruautés honteuses ? »Chrétiens et sociétés [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 04 mai 2023, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/9489 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.9489

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Laurent Ropp

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