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Mémoires honteuses Les chrétiens européens face à leurs passés embarrassants (xvie-xxie siècles)

« Ceux de la Relligion pretendue se trouverent sy cours de memoire… »

Mécanismes politiques de la construction d’une mémoire réformée honteuse dans la France du premier xviie siècle
Political mechanisms of the construction of a shameful reformed memory in early 17th century France
Adrien Aracil

Résumés

Cette étude, en se penchant sur les mécanismes de qualification du rapport au passé des réformés par le pouvoir royal dans les années 1620, voudrait explorer une hypothèse : l’un des moyens de l’expression par le pouvoir royal d’une domination sur les réformés français, et dès lors l’un des outils de l’anéantissement largement documenté de leur faculté d’action politique partisane, résiderait dans la qualification honteuse de l’entendement des réformés, et, en particulier, par une attaque portée sur leur recours politique à la faculté mémorielle.

Dans un premier temps elle revient sur l’expression, dans les sources, de ces défauts d’entendement et de mémoire chez les huguenots. Présente dès le début du règne de Louis XIII, l’accusation d’une mémoire défectueuse est utilisée par les agents du pouvoir royal pour critiquer la réception par les huguenots des mesures prises sur les questions de religion, mais aussi par les réformés eux-mêmes, dans une perspective de transformation de leur action politique. Dans un deuxième temps, elle revient sur la façon dont les libelles royalistes, en particulier ceux qui sont regroupés dans le Mercure François, s’inscrivent dans une volonté partagée d’assimiler le rapport huguenot au passé tant à l’erreur qu’à un raisonnement désordonné, qui relève davantage de faiblesses de leur entendement que de ruses politiques, leur déniant par ce biais toute capacité d’action politique. En cela, le pouvoir royal fait un usage politique de la honte, qui sert à requalifier la place des réformés dans le royaume.

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Texte intégral

  • 1 Bibliothèque Mazarine, ms. 2599, « Veritable narré de ce qui s’est passe a sommieres touchant la de (...)
  • 2 Parfois aussi orthographié Chauvé.
  • 3 Ibid., f. 85v-86r.
  • 4 Ibid.

1Le 4 janvier 1623, les réformés de la ville de Sommières profitent du départ de la garnison de la ville à la demande du connétable pour y inviter le duc de Rohan et réclamer aux catholiques la restitution du temple perdu lors de la reddition de la place. Cet événement fait l’objet de la rédaction d’un « Veritable narré1 », qui met particulièrement l’accent sur l’altercation survenue entre les réformés, menés par leur pasteur, Chauve2, et un prédicateur jésuite, le père Cavaignac. Clairement pro-catholique, ce récit, qui affirme que Cavaignac « s’imaginoit estre un s[ain]t Sebastien dardé3 », s’attache principalement à mettre en scène la différence entre les réformés, qui s’adressent au jésuite « sans respect dudict sieur tout ainsy qu’en une foire », et le père, capable de répondre « a tout sy dextrement et au gre mesmes des adversaires que sortoit Maiestre du champ4 ».

  • 5 Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon (...)
  • 6 Pour l’histoire du parti protestant dans les années 1620, on peut consulter Magnus G. Schybergson, (...)
  • 7 Les sources qui mettent en évidence l’ascendant qu’il prend sur l’assemblée de La Rochelle pour nég (...)
  • 8 Jean Chauve jouait au sein du parti un rôle de plus en plus important depuis la fin des années 1610 (...)
  • 9 Pour ces motifs de discours, qu’on retrouve chez les réformés royalistes eux-mêmes, on peut consult (...)

2Il est possible de lire le « narré » comme un des nombreux écrits polémiques anti-réformés, dont on observe une multiplication5 dans le contexte du premier soulèvement huguenot contre le pouvoir royal, mené sous l’égide de l’assemblée réunie à La Rochelle entre 1620 et 1622, et de ses suites6. En présentant Rohan, qui est devenu le véritable chef du parti protestant en négociant la paix de Montpellier signée le 18 octobre 1622 et dont il est théoriquement l’un des principaux exécutants7, comme un homme agressif, roué, cherchant à forcer la main des consuls de la ville, ou le pasteur Chauve, figure respectée et influente des réformés du Bas-Languedoc8, comme un lâche qui refuse de débattre, l’auteur reprend une stratégie des partisans du roi qui dépeint les réformés comme abusant des concessions réalisées par le roi, substituant aux manœuvres légales la ruse et l’usage de la force9. L’attitude des réformés de Sommières témoignerait de leur volonté de forcer les voies du droit, de la même façon que l’assemblée de La Rochelle, par des arguments fallacieux, avait relancé la guerre civile dans le royaume.

  • 10 Sur ce discours, voir pour la période précédente Hugues Daussy, « L’invention du citoyen réformé. L (...)

3Mais une telle perspective ne serait pas incompatible avec un contexte de polémique politique classique, au sein duquel, dès les années 1560, les réformés avaient très bien su s’intégrer, en élaborant un discours justificatif dont les motifs se retrouvent encore dans les années 1610-162010. Le cœur de ce texte nous semble cependant résider dans la construction par l’auteur du défaut de maîtrise rhétorique et les erreurs de raisonnement des réformés de Sommières. Ceux-ci sont dépeints comme incapables de proposer des arguments cohérents, multipliant les prises de parole décousues « le tout a propos comme Magnificat à matines ». Là où les arguments de Cavaignac paraissent fondés en droit, le jésuite affirmant par exemple que l’affaire du temple ne regardait pas l’application de la paix de Montpellier car l’exercice du culte devait être réglé par la justice ecclésiastique, les réformés semblent, sous la plume de l’auteur du « narré », incapables de répondre sur le même plan : ils s’attachent à lire le propos de Cavaignac de façon politique, attribuent au jésuite une volonté d’offenser Rohan, et, de façon en apparence scandaleuse et hors de propos, l’accusent de vouloir remettre le règlement de l’affaire au pape, ou de faire jouer les parlements contre le roi.

4Le point culminant de l’attaque se situe dans l’explication que livre l’auteur du « narré » de la tendance des réformés à déformer les propos de Cavaignac : elle serait essentiellement à mettre sur le compte non pas tant d’une intention malhonnête que d’une faiblesse de leur entendement, en particulier de leur mémoire immédiate :

  • 11 Bibliothèque Mazarine, ms. 2599, « Veritable narré », ms. cit., f. 86r.

ceux de la Relligion pretendue se trouverent sy cours de memoire a retenir ce que le pere avoit dit bien bellement qu’on luy imputa sur le Champ avoir advancé plusieurs choses a quoy Il n’avoit Jamais pancé11.

  • 12 Édit de Nantes, édit général, art. 9 et 10, éd. Bernard Barbiche (dir.), L’Édit de Nantes et ses an (...)
  • 13 Sur les assemblées politiques réformées du premier xviie siècle, voir Léonce Anquez, Histoire des a (...)
  • 14 Sur cette question, je me permets de renvoyer à mon article, Adrien Aracil, « Réagencements et usag (...)

5Le fait que la question de la possession d’un lieu de culte soit rattachée à la « memoire » n’est pas un hasard. L’édit de Nantes avait établi en 1598 une géographie des lieux de culte fondée sur leur possession passée par les communautés réformées, soit selon l’usage (l’article 9 de l’édit maintient l’exercice du culte là où il avait lieu et était établi en 1596 et 1597), soit selon le droit (l’article 10 entend « establ[ir] et restabl[ir] » le culte là où il était établi en 1577, ou « a deu l’estre » selon l’édit de pacification de cette année-là12). La question de la mémoire, en tant que maîtrise du rapport au passé, par le biais des archives et des témoignages, est centrale dans le contexte des suites de l’édit : avec 108 doléances dans les 900 que comportent les 32 cahiers de doléances rédigés par les assemblées générales réformées entre 1599 et 162613, les protestants français font de l’investissement de leur rapport au passé le principal pôle de leurs échanges institutionnels avec le pouvoir royal autour de l’application de l’édit14.

  • 15 Frances A. Yates, The Art of Memory, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1966.
  • 16 Jérémie Foa et Paul-Alexis Mellet, « Une “politique de l’oubliance” ? Mémoire et oubli pendant les (...)
  • 17 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire [1925], La Haye, Mouton, 1975.
  • 18 Frances A. Yates, op. cit., p. 173-198.
  • 19 Denis Crouzet parle d’un « règne fatal » d’Henri IV par lequel « l’avenir de l’homme est pacifié pa (...)

6Mais ici, l’auteur fait de cette « memoire », c’est-à-dire de la capacité des réformés à mettre en relation le présent de leurs actions avec le passé, la cible de ses attaques, en prouvant sa fragilité par le fait que les Sommiérois s’en trouveraient rapidement « à court », ce qui les empêche de mener une action légitime. Pour être pleinement compris, ce passage est à lire dans le contexte de la politique de sortie de guerre initiée dès les années 1560 dans le royaume de France, et qui se perpétue dans l’idéologie de la monarchie henricienne. Celle-ci assume l’idée, mise en évidence par Jérémie Foa et Paul-Alexis Mellet, selon laquelle le rapport à la mémoire, comprise dans la continuité de la pensée néoplatonicienne comme une faculté de l’âme qu’il est possible d’entretenir et de contraindre15, se politise progressivement au cours de la période16. L’explication de ce phénomène ne peut se limiter à la lecture halbwachienne de la mémoire collective comme ciment de la société17 : elle relève également du rôle prêté à la mémoire dans le fonctionnement de l’entendement. Si on suit les travaux de Frances Yates, qui la relie à la lecture néoplatonicienne du fonctionnement de l’entendement humain, la mémoire apparaît comme la faculté de l’âme la plus importante : en tant qu’elle lie le passé et le présent, elle ordonne les informations reçues par les sens et aide à les disposer pour appréhender le monde et ses logiques, dans un travail d’anamnèse des facultés intellectuelles18. L’interaction entre la mémoire et l’action est donc décisive, dans la mesure où il n’y aurait pas d’action juste qui ne soit accomplie à la suite d’une juste conjonction par la mémoire entre le passé et le présent : intimement liée à la qualité de l’entendement, il ne serait donc pas possible d’orienter ses actions de façon juste si la mémoire est défaillante. La « politisation » de la mémoire est aussi une ascèse, une manière d’afficher son obéissance à une politique de pacification qui entendait précisément, par exemple par les mesures d’« oubliance » et d’« amnistie » portées par les édits de pacification depuis 1562, imposer un nouveau régime d’historicité où l’obéissance au roi se substituerait à la mémoire de la déchirure de la société induite par la division confessionnelle19.

  • 20 Sur ce passage de la « mémoire » au « souvenir » et ses implications, voir Éric Méchoulan, Le Livre (...)
  • 21 Outre Hugues Daussy, « L’invention du citoyen réformé », Art. cit., voir Paul-Alexis Mellet, Les Tr (...)

7Au début du xviie siècle, la mémoire est donc de moins en moins pensée comme « collective », dans le sens où elle serait partagée par tous les membres d’une société : le rapport au passé devient un facteur de positionnement politique, en tant qu’il entend définir un rapport à la politique royale et contribuer à forger une place pour un acteur politique, qui peut certes être collectif, au sein du corps politique tout entier20. Le rapport entre expérience individuelle et mémoire collective se dessine désormais par le passage de la première au sein du politique, dans le but de forger la seconde. Les réformés français avaient d’ailleurs largement investi ce champ dès les années 1560 et fait de la malléabilité de leur rapport au passé une force politique21, par exemple en rappelant leur engagement royaliste pendant la Ligue et le soutien qu’ils avaient offert au service du roi et au renforcement de l’État.

  • 22 Hélène Merlin-Kajman (dir.), Les émotions publiques et leurs langages à l’âge classique, numéro spé (...)

8La lecture par le « narré » de la rhétorique et de l’action politique des protestants de Sommières à l’aune de la défectuosité supposée de leur mémoire répond à ces pratiques huguenotes d’investissement du passé : en dépeignant les Huguenots comme incapables d’agencer correctement leur raisonnement, il leur dénie, selon la logique mise en évidence par Yates, la capacité de mener une action politique juste. Le but du « narré » est proprement de rendre la mémoire réformée honteuse, c’est-à-dire d’en faire un objet qui suscite dans le corps politique l’émotion honteuse. Cet aspect nous invite à nous inscrire dans la perspective d’une histoire des émotions qui a compris sa différence heuristique avec l’étude des passions comme un passage de l’étude de la sphère individuelle à celle de la sphère interpersonnelle. C’est la publicité des passions qui conduit aux « esmotions », qui sont observables et qui contribuent à structurer la société22. Le « narré » ne mobilise alors pas qu’un argument moral, qui vise une passion qu’il s’agirait d’éradiquer, mais une logique sociale et politique qui, en suscitant sur les réformés l’opprobre, c’est-à-dire la honte publique, entend structurer le corps politique autour du rejet de la communauté protestante tout entière. Honteuse parce qu’elle est sujette au ridicule, la mémoire réformée l’est aussi, sous la plume de l’auteur catholique, parce que les protestants, aveuglés par leur entendement fragile, s’entêteraient dans des erreurs qui les placent, de fait, en dehors du corps du royaume au sein duquel ils paraissent désormais incapables de jouer un rôle politique.

  • 23 Sur ce point, voir en particulier Marie-Madeleine Fragonard, Jacques Berchtold (dir.), La Mémoire d (...)

9Cette étude ne voudrait donc pas se pencher sur des éléments déjà largement documentés, comme l’élaboration de la mémoire du passé des guerres de Religion dans la période de l’après-édit de Nantes23, mais sur les mécanismes de qualification du rapport à ce passé et à la faculté mémorielle elle-même par le pouvoir royal. Nous voudrions explorer une hypothèse : l’un des moyens de l’expression par le pouvoir royal d’une domination sur les réformés français, et dès lors l’un des outils de l’anéantissement largement documenté de leur faculté d’action politique partisane, résiderait dans la qualification honteuse de l’entendement des réformés, et, en particulier, comme l’exemple cité s’en fait l’illustration, dans une attaque portée contre leur recours politique à la faculté mémorielle. Nous procèderons alors en deux temps : tout d’abord, nous tâcherons de montrer que la qualification de la faculté mémorielle est une constante dans le discours politique du premier xviie siècle. Pour cela, nous convoquerons des documents de natures diverses, à la diffusion variable, qui auront pour point commun de poser la question de la façon dont les acteurs politiques se positionnent vis-à-vis de leur passé. Ensuite, nous nous pencherons plus précisément sur les moyens employés dans les libelles royalistes pour exploiter le motif du défaut de la mémoire huguenote, qui se cristallisent au cours des années 1620.

Ceux qui agissent « sans y penser » : réflexions sur un motif politique

  • 24 Jacques Merlin, Diaire ou journal du ministre Merlin, pasteur de La Rochelle au xvie siècle, éd. d’ (...)
  • 25 Ibid.

10La lecture des sources nous montre une certaine récurrence du thème du défaut de mémoire dans une perspective politique. Dans le contexte des lendemains immédiats de l’édit de Nantes, il s’agit souvent pour ceux qui mettent en évidence la fragilité de la mémoire d’établir un lien entre les acteurs politiques et leur respect des dispositions de l’édit, en particulier dans sa dimension mémorielle. Un exemple représentatif nous est livré dans le récit par le pasteur de La Rochelle Jacques Merlin, de la mort et de l’enterrement de son père Pierre, pasteur à Vitré, survenu le 28 juillet 1603, très marqué par la question de la mémoire dans le but de discréditer le rapport des catholiques au passé. Alors que le pasteur n’est pas encore mort, ceux-ci diffusent en effet des rumeurs qui visent à entacher sa mémoire, en particulier le fait qu’un démon serait venu enlever son cadavre sur son lit de mort24. Merlin affirme qu’il fallut qu’ils envoient des témoins pour constater qu’il était alors encore vivant, considérant même que « si ce jour la mon pere fust decedé, jamais une telle opinion n’eust eté ostée de l’esprit des papistes25 ». L’artifice ainsi découvert, « les papistes furent fort honteux de leur imposture ». De même, au moment où son convoi funéraire traverse la ville, Merlin souligne combien

  • 26 Ibid., p. 56.

Tous les papistes, sans y penser, luy firent honneur, car toutes les rues estoyent bordées d’hommes et de femmes, et les fenestres des maisons garnies d’assistants et de regardans. Nul de l’enterrement ne dit un mot, qu’un paisant des champs qui rit et s’avisa de dire, passant pres des fosses de la ville, qu’il falloyt illect jeter le corps. Mais il fut promptement payé par un sergeant, homme aagé, qui commença avec un baston ou houssine de charge d’appoint sur lui, bien que ce ne fust que de son propre mouvement et non par charge d’aucun de la compagnie26.

11C’est la mémoire des « papistes » qui est cette fois factrice de honte : le récit de Merlin présente en effet leurs mensonges et leurs conséquences scandaleuses moins comme le fruit de la duplicité des catholiques que de leur perception erronée du monde. Précisant que plusieurs des catholiques qui avaient cru à l’histoire rocambolesque de l’enlèvement du corps de son père « avoyent esté autrefois de la ligue », il laisse entendre qu’ils seraient prisonniers de leur volonté scandaleuse de faire de la mort d’un pasteur un argument au service d’un affrontement confessionnel désormais prohibé par les édits. Leur changement de comportement, dû au prestige de son père, n’empêche pas le risque d’un retour de la violence du passé des guerres, incarnée par les mots du paysan ; le sergent qui le corrige, « homme aagé », et qui a donc conscience du passé et de ses dangers, ne le fait que par initiative individuelle, et non collective. Derrière le défaut de mémoire de ceux qui agissent « sans y penser » pointe donc toujours le spectre de la violence de la guerre civile.

12Mais la présence de ce motif polémique dans un « diaire », publié tardivement et qui n’a pas vocation à être diffusé hors du cadre familial, laisse entendre que la question du rapport politique à la mémoire constitue une préoccupation profonde. Il importerait, pour ceux qui, comme Merlin, aspirent à jouer, en tout cas à l’échelle locale, un rôle politique, d’apprendre dans le domaine privé à contraindre son expérience personnelle du rapport au passé pour pouvoir agir de façon juste dans les affaires publiques. L’idée d’une fragilité de la mémoire politique semble en effet entrer dans le cadre d’une interrogation anthropologique de la politique mémorielle de l’édit, et une réflexion sur l’ascèse qu’il serait nécessaire d’effectuer pour la mener à bien, en particulier du côté des acteurs politiques réformés.

13Ainsi retrouve-t-on le blâme de la mauvaise mémoire, voire de l’oubli du passé du xvie siècle dans le célèbre pamphlet d’Agrippa d’Aubigné Le Caducée et l’Ange de paix. Ce texte, rédigé à la suite de l’assemblée de Saumur, entend attaquer la division du parti induite par les « prudents », prêts à la compromission avec le pouvoir royal au lendemain de l’assassinat d’Henri IV. D’Aubigné cherche à montrer que ces derniers ont oublié la façon dont de telles pratiques avaient piégé le parti au siècle précédent. Après avoir souligné la façon dont les princes et les grands avaient pu abandonner ponctuellement la Cause, et avaient dû être rappelés à leur devoir par les assemblées, comme lors de la Saint-Barthélemy, du premier siège de La Rochelle ou de la guerre des amoureux, ancrant alors dans la mémoire du xvie siècle les structures du parti, il s’appuie sur cette mémoire pour affirmer qu’il est dangereux de se soumettre entièrement à la parole du roi :

  • 27 Agrippa d’Aubigné, Le Caducée, ou l’ange de paix. Œuvres complètes, t. II, Écrits politiques, éd. d (...)

Ç’a autrefois esté un grand crime de doubter de ces mots En foy et parole de Roy : chescun estoit tenu de se paier d’une tele monoye : sy quelqu’un l’a falcifiée il n’en fault pas blasmer ceux qui sur ce gage ont perdu 30 mile vies en une sepmaine. Mais bien ceux qui les ont ostées27.

14D’Aubigné interroge bien ici le rôle politique d’une mémoire qui, si elle est honteuse pour les « prudents », doit avant tout servir à remobiliser et à purifier l’action politique du parti. Avec d’autres, il lit les difficultés des réformés à mener une politique unifiée au prisme de la division suscitée par un conflit de générations entre les protestants qui ont connu les guerres du xvie siècle et ceux qui sont nés après. Ces derniers seraient incapables d’effectuer le travail d’anamnèse nécessaire pour pleinement comprendre les enjeux de la défense de l’édit de Nantes et des acquis obtenus d’Henri IV. L’appel à un retour à une juste mémoire survient donc alors de façon régulière, en particulier lors des moments de tension, dans la mesure où seul un bon rapport au passé et à la défense des acquis du xvie siècle permet d’acquérir la vraie « prudence » politique.

  • 28 Philippe Duplessis-Mornay, lettre à Rouvray, 9 octobre 1615, Memoires de Messire Philippes de Morna (...)
  • 29 Ibid., « Autre Memoire baillé par Mrs de Villarnoul & Bouchereau, s’en allans au Synode de Tonnins, (...)
  • 30 Philippe Duplessis-Mornay, lettre à Seaux, 23 septembre 1618, ibid., t. 4, Amsterdam, Louis Elzevie (...)

15Ces aspects se retrouvent tout particulièrement chez Philippe Duplessis-Mornay. Le gouverneur de Saumur fait régulièrement mention de l’ancienneté de son service pour le parti (né en 1549, il a une soixantaine d’années dans la décennie 1610) et de sa « barbe [qui ne fait] que poindre » par attachement pour celui-ci28 pour mettre en évidence la façon dont certains réformés courent le risque de tomber dans l’erreur politique en raison de leur défaut de mémoire. Le motif a, chez lui, une vertu clairement rhétorique, qui lui permet de faire valoir par comparaison sa propre expérience. En affirmant que « les vieux valent bien les jeunes en ces deliberations, esquelles le sens froid est moins dangereux, que le sang boüillant29 », il impose une forme d’autorité intellectuelle, montrant qu’il possède une mémoire solide, à même, dès lors, de proposer une vision du monde complète et prenant compte de toutes les variables possibles, face à un parti majoritairement guidé par une jeunesse qui se porte aux armes par une mémoire défaillante, en ignorant les implications de ses actions. Selon son expression, sa longue mémoire des choses permettrait à Duplessis-Mornay de se placer comme « depuis une eschauguette30 », mettant en scène sa prudence et sa capacité à analyser les situations dans lesquelles il est plongé et, par là, à proposer une action politique vertueuse.

  • 31 Voir supra, n. 13, et Hugues Daussy, « Le parti huguenot à l’épreuve de la révolte de Condé (1615-1 (...)

16Mais il s’agit également de défendre une certaine action politique : ce n’est alors pas un hasard si la plupart des documents produits par Mornay qui évoquent la mémoire datent de la fin de l’année 1615, soit pendant que l’assemblée générale du parti est ballottée entre plusieurs lieux (Grenoble entre juillet et septembre 1615, puis Nîmes entre octobre 1615 et février 1616, avant d’être à nouveau transférée à La Rochelle jusqu’en juin 1616), et surtout dans un contexte de grande incertitude sur les équilibres politiques au sein du parti31. Un mémoire adressé à Lesdiguières en 1615, où il cherche à le dissuader, et, à travers lui, l’assemblée réunie à Grenoble, de prendre les armes aux côtés de Condé, met en scène la différence de vision entre les jeunes huguenots qui ont une perception immédiate de l’action et « ceux qui y ont passé depuis quarante ans & plus ». Plus que la déploration d’un conflit de générations, ce texte est une réflexion sur l’interaction entre mémoire et juste pratique, dans une perspective où Mornay non seulement cherche à affirmer son autorité, mais aussi pose la question de la décision juste, à même d’empêcher le délitement des structures du parti :

  • 32 Philippe Duplessis-Mornay, Memoires, op. cit.,, t. 3, « Memoire envoyé à M. le Mareschal de Lesdigu (...)

[Ceux-là] considereront la difference qu’ils ont veüe entre les armes necessaires & celles de gaieté de cœur ; entre les resolutions d’un Huguenot persecuté, & d’un qui peut vivre à son aise ; se resouviendront quantesfois nos Peres & nous avons souspiré aprés une telle liberté que celle que nous avons ; s’il y a quelques manquemens, és choses accordées par l’Edit, comme de fait il n’y en a que trop, nous pouvons justement & instamment requerir qu’ils soient reparés, ou suppleés [sic] pour affermir tant plus & amander la condition de nos Eglises ; mais non jusques à sortir des termes, soit de conscience, soit de prudence ; de conscience, en portant les affaires aux armes qui ne peuvent estre benites de Dieu qu’entant que justes, ne sont justes qu’entant que necessaires ; de prudence, en hazardant evidemment contre des armes, & plus fortes & plus preparées que les nostres, une condition certaine en esperance mal asseurée de quelque leger avantage32.

17Par son exemple, Mornay illustre donc les liens qu’entretiennent expérience personnelle, mémoire, politique et action collective : en entreprenant constamment le passage de sa propre mémoire dans le domaine du politique, le gouverneur de Saumur souligne que la prudence politique est en construction constante, et qu’elle est pensée comme la capacité à reconfigurer le présent à la lumière du passé. La critique de la mémoire défaillante de ses coreligionnaires devient un moyen de défendre une forme d’ascèse mémorielle : pour éviter d’agir « sans y penser », les réformés sont invités à discipliner leur mémoire et à ne pas la laisser sous la coupe des passions qui obscurciraient leur entendement.

18Le rapport à la faculté mémorielle constitue donc un motif majeur au début du xviie siècle, en tant qu’il permet de mettre en relation pensée et action politique. Chez les réformés, la mise en évidence d’une mémoire défaillante ne se pense qu’en relation avec leur capacité à rétablir un juste rapport au passé. Mais ce motif se retrouve, retourné contre les protestants, dans les discours royalistes dès le début du règne de Louis XIII. Comme chez les réformés, son usage dépasse le domaine de la polémique ; il va alors s’agir de comprendre comment la dénonciation d’un travers de raisonnement se mue progressivement en qualification publique et honteuse, faisant de la mémoire huguenote un objet d’opprobre.

De la « manie » à l’opprobre

  • 33 Sur l’histoire complexe des conflits entre le pouvoir royal et les assemblées politiques entre 1598 (...)
  • 34 Bibl. Mazarine, ms 2597, « Declaration du Roy portant abolition des assemblées Illicites faictes pa (...)
  • 35 Ibid., f. 67r.
  • 36 Ibid., « Desadveu de l’abolition de l’année 1612 sur le faict des assemblées. Declaration des esgli (...)

19En 1612, à la suite des tensions entre le pouvoir royal et le parti, la régente cherche à reprendre le contrôle des assemblées provinciales qui se sont réunies après la séparation de l’assemblée générale de Saumur en septembre 161133. Ces convocations, qui découlent d’une ambiguïté des réponses royales, et qui sont dans un premier temps tolérées, donnent lieu à une condamnation, de façon détournée, par une déclaration du 13 avril 1612. Dans ce document, le roi a principalement soin de décrire sa politique comme nourrie de la mémoire de celle de son père, c’est-à-dire le maintien de la paix par le recours à l’amnistie et le respect de l’autorité royale à travers les édits de pacification. Considérant que « aucuns de nosdictz subietz de ladicte Religion pretendue refformée s’estoient licentiées de tenir des assemblées extraordinaires sans nostre permission qui avoient mis les aultres en ombrage34 », afin de « pourvoir et entretenir la paix unyon et concorde entre eulx heureusement establye et conservée par ledict edit35 », il déclare l’abolition des crimes commis par les réformés qui avaient convoqué des assemblées, tout en les enjoignant à revenir dans les bornes prévues par les édits. Toutefois, cette déclaration est très mal perçue par les réformés, qui considèrent que les assemblées étaient légitimes et, qu’à ce titre, elles n’avaient pas besoin d’une abolition. La déclaration du roi fait l’objet d’un « desadveu » de la part du synode national de Privas, qui les désigne comme un « crime pretendu s’il y en eut eu un tant s’en fault36 ».

20À la suite de ce regain de tension, le roi publie, outre une déclaration le 22 mai qui souligne son attachement à ses sujets réformés, une nouvelle déclaration en décembre 1612. S’il prend soin de l’organiser de la même façon que celle du 13 avril, justifiant ses actions par sa volonté de poursuivre la politique de « concorde » de son père, la façon dont il qualifie l’action politique des réformés se transforme. Alors qu’il affirme que ses précédentes décisions s’inscrivaient dans la volonté d’assurer le repos de ses sujets et lever les craintes que les réformés auraient pu avoir quant à leur liberté de conscience, il déplore qu’

  • 37 Ibid., « Seconde declaration portant confirmation des Editz de pacification expedyée en l’année 161 (...)

Il est arrivé que nos bonnes Intentions n’ont pas eu tel effect que nous pouvions desirer parmy tous nos subietcz aucuns desquelz et mesme de ceux de laditte religion pretendue refformée par des ombrages qu’ils ont pris legerement de quelques diverses occurrences sont entrés en des jalousies et deffiances les uns des autres dont s’est ensuivy qu’ilz se sont laissés porter à faire augmenter leurs gardes ordinaires faire amas et provisions d’armes s’asseurer de soldatz Tenir des assemblées et conseilz et aultres actions du tout contraires a la teneur et observation dudit Edit ; A quoy touttesfois nous voullons croire qu’ils ont esté induitz plustost par une apprehension qu’ils ont prise d’eux mesmes et soubz de faux ombrages et pretextes que d’aucune mauvaise volonté ny intention37.

  • 38 Ibid., f. 128r.
  • 39 Ibid., f. 129r.

21Pour le roi, les tensions politiques induites par sa déclaration découlent plutôt d’une « apprehension » prise « d’eux-mesmes » que d’une malignité des réformés. C’est donc bien l’entendement des réformés qui est ici visé : en présentant sa déclaration comme un simple éclairage de celles d’avril et de mai, destinée à leur « [donner] encores une nouvelle asseurance38 » de ses bonnes inclinations à leur égard, il présente implicitement les protestants comme victimes de leur faiblesse de raisonnement, inscrivant leur lecture de la politique non pas dans la mémoire de celle d’Henri IV, comme ils devraient le faire, mais dans celle des « soubcons et deffiances ausquelz ils se sont legerement laissez porter39 ».

  • 40 Ibid. Nous soulignons.

22Cette comparaison entre les deux déclarations est significative. Elle justifie l’action du roi à l’aide de la convocation, dans le combat politique entre les réformés et le pouvoir royal, du motif du défaut de mémoire : s’il était en effet possible de céder aux soupçons que certains ennemis de l’État pouvaient faire peser sur le roi, une bonne « apprehension » de la politique de celui-ci aurait dû les mener à comprendre qu’il s’inscrivait dans l’héritage de son père et qu’à ce titre ils ne pouvaient considérer qu’ils étaient menacés par lui qu’en raison des « soubcons et deffiances ausquelz ils se sont legerement laissez porter40 ». C’est le mauvais usage par les réformés de leur mémoire du passé qui justifie leur mauvaise compréhension du monde politique dans lequel ils évoluent et donne lieu, à ce titre, à des actions qui doivent être considérées comme criminelles.

23Pour autant, cet exemple a du mal à sortir du domaine rhétorique et polémique : tout au long des années 1610, il est ainsi encore possible de faire coexister de telles attaques avec d’autres discours mémoriaux beaucoup moins embarrassants pour les réformés, et sur lesquels leur action politique est fondée et trouve encore sa légitimation.

  • 41 C’est ce dont témoigne sa présence dans le 6e tome du Mercure François (Sixiesme tome du Mercure Fr (...)
  • 42 Montbazon à Duplessis-Mornay, 10 décembre 1620, dans Philippe Duplessis-Mornay, Memoires de Messire (...)
  • 43 Ibid., p. 483.
  • 44 Ibid., p. 485.

24Avec l’enrayement de l’engagement politique réformé à la suite de l’accroissement des tensions au début des années 1620, ces motifs mutent et se crispent. Dans une lettre que lui adresse le duc de Montbazon, qui a connu une forte diffusion imprimée41, Duplessis-Mornay est accusé d’avoir diffusé des mensonges au sujet des promesses réalisées par Luynes et le prince de Condé auprès de l’assemblée de Loudun ; il lui recommande alors de « tirer plustost une entiere connoissance des choses, que de les publier pour veritables, & en suite encourir le danger d’en estre blasmé pour avoir creu trop legerement42 ». Pour Montbazon, cette erreur est le fruit de « l’esprit desréglé de ceux qui ont plus desiré que demandé », et dont les « desirs ont passé ses promesses, & [les] esperances ce que vous deviés esperer43 ». Là encore, outre la violence du propos, c’est la dimension défectueuse du rapport au monde, induite par une mémoire des événements « desréglée » par les passions, qui est à blâmer. Il oppose alors « les actions guidées par la prudence ont un bût », et « celles qui n’ont pour objet qu’un peril eminent, & dont la fin est un chastiment que l’on reconnoist infallible, [et qui] meritent le tiltre de manie & d’alienation d’esprit à ceux qui s’y laissent emporter aveuglément, au lieu d’y apporter la resistance necessaire44 ».

  • 45 Virginie Cerdeira, Histoire immédiate et raison d’État. Le Mercure François sous Louis XIII, Paris, (...)
  • 46 Sur la notion d’action d’écriture, voir Christian Jouhaud, Mazarinades. Une Fronde des mots, Paris, (...)
  • 47 D’autres exemples de telles « actions d’écriture » existent au cours de la décennie 1620 : c’est le (...)

25Le but est alors toujours de réorienter la vision des réformés dans un sens en adéquation avec la politique royale, en les poussant à faire mémoire des bienfaits de celui-ci, par opposition à la folie qui consiste à douter de sa parole. Cependant, contrairement à l’exemple de 1612, la parole réformée n’a plus d’espace pour répondre : par la publication de sa lettre, Montbazon en fait un objet public, qui offre aux lecteurs une représentation de la mémoire réformée face à laquelle ces derniers n’ont plus la possibilité de se défendre. Sa reprise dans le Mercure François est à ce titre significative : les travaux de Virginie Cerdeira ont récemment rappelé que ce périodique d’actualité ne se contentait pas de compiler, mais offrait une interprétation de « l’histoire immédiate » au service d’une idéologie qui s’inscrivait dans la continuité du projet irénique henricien de faire de la monarchie des premiers Bourbons une monarchie « fatale45 ». Les discours sur la mémoire réformée deviennent alors au tournant des années 1620 ce que Christian Jouhaud a appelé des « actions d’écriture », c’est-à-dire des actions conduites par le maniement de textes dont la langue, la construction et les stratégies d’édition et de diffusion étaient mises au service d’une action politique visant à transmettre une représentation46. S’il est difficile d’en déceler les ordonnateurs, il est probable que la diffusion de la lettre de Montbazon, tout comme celle du « veritable narré », comme le prouve sa conservation au sein des recueils d’actes qui portent sur les assemblées politiques au même titre que la correspondance avec le roi ou les manifestes des prises d’armes, constituent les diverses facettes d’une politique qui vise la mémoire réformée et cherche à faire sortir le motif de sa défectuosité du domaine polémique pour en faire une caractéristique fondamentale de l’herméneutique de l’action politique protestante47. Elle conduit à faire de l’opprobre qui pèse sur la mémoire réformée une émotion publique, à même d’être partagée et de restructurer le lien politique.

  • 48 L’Vnziesme tome du Mercure François, ou, Suitte de l’Histoire de nostre temps…, Paris, Richer, vers (...)
  • 49 Ibid., p. 252.
  • 50 Ibid., p. 255.

26La lecture d’autres sources de la même période nous montre qu’au milieu des années 1620, une tendance de plus en plus systématique consiste à mettre en évidence que la mémoire réformée est le fruit d’une construction qui a une fonction politique. Il s’agit de dévoiler, non seulement que ce récit relève d’une construction artificielle, mais surtout que celle-ci est profondément défectueuse. Un texte également reproduit dans le Mercure François, présenté comme la réponse rédigée par « M. Gaulois », un catholique bon français, au manifeste de Soubise de 1625, et l’attaquant point par point, souligne la façon dont « les Escrivains du sieur de Soubize48 » s’attachent à critiquer les membres du parti désirant rester dans l’obéissance au souverain ; de même, il met l’accent sur la tendance de Rohan à s’entourer de personnes chargées de rédiger « l’histoire de ce qui s’est passé aux dernieres guerres sous [sa conduitte], faite par un Reformé de sa suitte49 ». Ainsi, au moment d’évoquer l’épisode connu de la rencontre entre Rohan et Luynes en 1621, lors du siège de Montauban, il souligne combien le recours à « l’invention » auquel Rohan se serait livré, relève de « l’ordinaire des Reformez, qui sement tousiours de semblables impostures parmy les peuples, pour leur faire croire qu’ils doivent estre en perpetuelle deffiance de leurs Roys, & de leurs Officiers & Ministres50 ».

27Ces éléments sont l’occasion de démontrer combien Rohan et Soubise cherchent à reconstituer le passé et, par ce biais, à dérégler la vision du monde de leurs lecteurs pour légitimer ce qui ne serait autrement qu’une rébellion. Un autre texte, qui date de 1627 mais qui est construit sur le même modèle que le précédent et attaque le manifeste rédigé par la ville de La Rochelle pendant le siège, à la phrase « Contre nous, dis-ie, qui avons tant merité de l’Estat », répond ainsi :

  • 51 Quatorziesme tome du Mercure François, Paris, Estienne Richer, 1629, t. 14, p. 59.

Appelez-vous avoir tant merité de l’Estat que depuis la naissance de l’heresie en France vous n’auez fait autre chose que monopoler, conspirer & tenir des Conseils pour ruiner l’Estat, & former vn Estat de Republique dans vn Estat Monarchique ? il faudroit ramentevoir les mysteres qui se sont passez en France par vos menees, depuis le regne d’Henry 2. iusques auiourd’huy. Mais ne parlons que de ce regne, où vous dites que vous avez tant merité de l’Estat51.

28Le texte enchaîne sur la période de la guerre d’Henri IV contre la Ligue ; il sape alors complètement l’argumentaire réformé, opposant à leur protestation de fidélité leur refus de participer au siège d’Amiens en 1597, dans le but de faire pression sur le roi pendant les négociations qui devaient conduire à l’édit de Nantes :

  • 52 Ibid., p. 60.

où sont les secours & moyens que vos Eglises luy ont fournis quand il a esté en guerre avec l’Espagnol : luy qui avoit tant encouru de perils, exposé tant de Noblesse & d’amis, tant de deniers & tant de travaux pour vostre subsistance ? Et cependant au milieu de ses affaires, qui estoient celles de tout l’Estat, vous l’avez honteusement abandonné ; temoin le siege d’Amiens, l’an 1597 […] Car sans vous l’Estat a esté fleurissant, il a subsisté sans vous, il a fleury sans vous, & subsistera & fleurira sans vous52.

  • 53 Ibid., p. 226.

29Mais le plus significatif dans ces textes est que les mensonges des réformés, pour faire partie de leur « ordinaire », ne semblent pas forcément relever d’une rouerie ou d’une véritable stratégie politique. En reprenant les développements du début des années 1620 sur la tendance « maniaque » des réformés à tordre la réalité à leur avantage, ces textes dépeignent les huguenots comme victimes de leurs propres erreurs de raisonnement. Dans un pamphlet de 1628 attribué au Père Joseph, intitulé L’Antihuguenot, et attaquant le manifeste de Rohan qui justifie son appel au roi d’Angleterre, le duc est présenté comme un imposteur qui mobilise un « haut appareil de paroles », qui sous couvert d’un « lustre de couleurs empruntees » cache « cette effrenee passion : qui comme vn Demon vous agite d’estre Chef de ceux de vostre Religion53 ». « M. Gaulois », quant à lui, affirme que, fondés sur leurs propres erreurs,

  • 54 L’Vnziesme tome du Mercure François…, op. cit, p. 235.

La teste leur a tousiours tourné depuis [la mort d’Henri IV] ; Ils se sont iettez ouvertement dans les partis, & dans les factions des grands de leur Religion, & autres, iusques à ce desbordement, que le sieur de Rohan à ieu ouvert, & sans se feindre, prit les armes en Guyenne, pour empescher le mariage du Roy : & depuis il a esté de tous les partis des mescontents contre sa Majesté54.

  • 55 Ibid.
  • 56 Quatorziesme tome du Mercure François…, op. cit., p. 225.

30Si les évocations de la folie (le démon qui agite, la tête qui tourne) renvoient au motif des réformés maniaques, ces textes ouvrent une autre porte : en abusant leur propre faculté mémorielle, les huguenots auraient fini, sous la plume de ces auteurs, par devenir en quelque sorte naïvement mauvais. Les dissimulations de Rohan ne sont donc pas une rouerie : il agit « à ieu ouvert », et se jette sans ménagement dans le péché et la désobéissance. Le but de la mise en évidence de l’existence de ces « histoires » réalisées par les membres du parti n’est donc pas de détromper le bon Français, mais bien de jeter l’opprobre sur ces sources réformées elles-mêmes, qui deviennent, en quelque sorte, et en raison de leur composition, des contre-sources au service de la mémoire honteuse des huguenots. Pour « M. Gaulois », « l’Assemblee de Nismes, celle de Grenoble, celle de Loudun, & les cahiers qui y furent dressez », c’est-à-dire l’ensemble des archives qui servaient aux réformés pour appuyer leurs revendications politiques, « seront à la posterité des tesmoignages authentiques de leur felonnie55 » ; pour l’auteur de L’Antihuguenot, ce sont « les païs & villes, que cy-devant vous avez debauchees de l’obeyssance deuë à leur legitime Roy, [qui] porteront long-temps les marques de leurs sottises : & l’impression de leurs funestes ruines seruira d’histoire à la posterité, que en gros caracteres lira, que par vos astuces elles ont esté les instrumens de leurs propres calamitez56 ».

  • 57 Ibid., p. 227.

31Ce n’est donc plus tant des motifs littéraires et rhétoriques que les pamphlétaires proposent aux réformés qu’ils attaquent, qu’une relecture, voire une véritable correction de leur histoire. Il ne s’agit plus ici de discréditer la façon dont la mémoire réformée propose une lecture défectueuse du monde ; désormais, ces histoires elles-mêmes sont honteuses, car factrices de ruine. Leur citation constitue l’occasion, comme l’écrit le père Joseph, de « tirer ce rideau que vous avez tissu de tant de deguisemens, afin que les rayons de la verité leur descouvurent ce qu’il y a de tortu & de difforme, & qu’ils sçachent que vos soins vont à la ruine de l’Estat, ou à la ruine de ceux qui vous auront pour protecteur57 ».

  • 58 Ibid., p. 231.
  • 59 Ibid.

32Par ce biais, les attaques portées aux huguenots deviennent un moyen, par le recours à la honte suscitée par leurs histoires perçues comme des sources de leur propre histoire honteuse, à les exclure du corps politique. Pour le Père Joseph, il est en effet désormais possible aux lecteurs, par le simple bon sens et le bon usage de leur mémoire, de se distinguer des erreurs des huguenots, dans un argumentaire qui repose davantage sur l’ironie que sur un véritable raisonnement. Ainsi, il affirme en réponse au récit de sa négociation de la paix que « à ce compte le Roy devroit à vostre courtoisie & non à vostre foiblesse, la reddition de Montpellier58 » ; de même, il moque sa tendance à appuyer sa légitimité sur la désignation de La Rochelle, en rappelant que par cette désignation, il se croit être devenu digne d’être « vn rude & merveilleuz Censeur des actions du Roy. Si vn de vos valets vous traitoit de cet air, vous croiriez vostre condition miserable de passer à sa mercy59 ». À chaque fois, ces saillies sont suivies d’un rétablissement de ce que Joseph considère comme la vérité historique, pour marquer que l’histoire huguenote n’est désormais plus que le fruit de l’expression d’une voix illégitime et minoritaire.

  • 60 Voir Yann Rodier, « Louis XIII et la violence d’État contre ses sujets protestants révoltés ou comm (...)
  • 61 Voir Chr. Jouhaud, « L’effusion publique et le politique », Art. cit., p. 309-311.

33Ces exemples montrent le rôle de la construction d’une mémoire réformée honteuse au sein de l’entreprise royale de domination des huguenots. En mettant en scène leur raisonnement désordonné et cacophonique, les libelles royalistes dépeignent des huguenots proprement incapables d’établir un lien entre passé et présent ; en retournant contre eux le motif de la mémoire défectueuse, ils les privent du même coup de toute initiative politique et de toute capacité à exprimer un discours sur les affaires de l’État. Émotion proprement partagée, la honte qui entoure le rapport au passé réformé, non plus en tant que les actions commises seraient embarrassantes, mais en tant que leurs auteurs eux-mêmes seraient devenus incapables d’en retirer le sens, clôt un cycle de dénigrement à l’égard de chrétiens hétérodoxes, assimilant désormais ceux qui pratiquent la « relligion pretendue » à l’aspect désordonné de leur entendement. Elle permet dès lors de marginaliser les réformés au sein du corps politique, qui en raison d’un illogisme qui est progressivement présenté comme une bêtise, entrent dans un état de minorité politique, et surtout sociale. À cet égard, la comparaison entre l’enterrement de Pierre Merlin en 1603 avec d’autres funérailles réformées est éclairante : qu’il s’agisse de celles du converti Martin Le Noir à Tours en 162160, ou celles du sieur de Censsey, que relate Marie du Bois en 166161, elles sont toutes deux perturbées par des cris d’enfants, au point, à Tours, de provoquer plusieurs jours d’émeute ; bien qu’elles soient condamnées pour leur infraction aux édits, ces « esmotions » sont comprises comme révélatrices, aux yeux du corps social, du fait que les réformés, en raison de leur appartenance confessionnelle, sont porteurs d’un désordre que seule leur conversion peut espérer réparer.

  • 62 Dès les années 1620, par l’action d’Auguste Galland (BnF, ms. fr. 15813-15833), ou, en 1652, par la (...)

34Mais cette entreprise n’eut pas qu’un effet ponctuel. Les archives portent également la trace de cette entreprise de mise à distance des actions du parti réformé ; ainsi, les recueils des actes des assemblées politiques qui nous ont été transmis, qui furent très répandus dans les archives, ont largement été réalisés et compilés par l’action d’agents royaux62. Construites, comme le Mercure, par la juxtaposition et la compilation de documents divers, les archives mettent à la fois en évidence la division interne au parti, et la grossièreté de plus en plus marquée de leurs erreurs politiques, multipliant les documents cherchant à marquer l’emprise politique du parti puis les mettant en regard avec des écrits de protestants obéissants, qui ont pour effet de largement dégonfler leur portée. Cette entreprise de dévaluation de la mémoire a donc joué un rôle dans la façon dont l’image des réformés a été marquée dans le temps long. Comme sous l’effet d’une contagion de la mémoire honteuse, la mémoire des années 1620 a durablement modifié, y compris chez les réformés eux-mêmes, celle de leur engagement du xvie siècle. En effaçant les titres de gloire qui légitimaient leur action politique, les pamphlets monarchistes n’ont retenu de leur action que les points les plus honteux dans le contexte de l’exaltation de l’État monarchique, à l’image de l’État dans l’État ou des écrits monarchomaques, mettant alors l’accent non pas tant sur la faiblesse de leur mémoire que sur son corollaire, l’idée que les protestants français seraient intrinsèquement rebelles. Sur le modèle de l’Histoire de l’Édit de Nantes d’Élie Benoist, qui s’appuie sur les sources du premier xviie pour refonder la légitimité du parti, l’historiographie du protestantisme français de la période n’est plus pensée que comme une défense ; autrement dit, l’histoire d’une minorité.

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Notes

1 Bibliothèque Mazarine, ms. 2599, « Veritable narré de ce qui s’est passe a sommieres touchant la demande que les habitans de la Relligion pretendue ont faict de leur temple pardevant monsieur de Rohan le iiii Janvier 1623 », f. 82v-86v.

2 Parfois aussi orthographié Chauvé.

3 Ibid., f. 85v-86r.

4 Ibid.

5 Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 376-432.

6 Pour l’histoire du parti protestant dans les années 1620, on peut consulter Magnus G. Schybergson, Le Duc de Rohan et la chute du parti protestant en France, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1880 ; Alexandra D. Lublinskaya, « The Suppression of the Huguenot “State within the State” », French Absolutism : the Crucial Phase, 1620-1629, Cambridge, Cambridge University Press, 1968, p. 146-219 ; Georges Dubled, « Le duc Henri de Rohan et la révolte des protestants du Midi jusqu’à la paix d’Alès (1617-1629) », Annales du Midi, t. 99, n° 177, 1987, p. 53-78 ; Jean Hubac, La Paix d’Alès (27 juin 1629) : la fin du parti huguenot ?, Paris, Éd. de Paris, 2010 ; Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France, xvie-xxie siècle, Paris, Fayard, 2012, p. 507-538.

7 Les sources qui mettent en évidence l’ascendant qu’il prend sur l’assemblée de La Rochelle pour négocier la paix et les actions qu’il mène ensuite pour la faire appliquer sont regroupées dans le recueil de la BnF, ms. fr. 4102. Celui-ci fait d’ailleurs figurer des « Memoires envoiéz au Roy Par le Duc de Rohan touchant les affaires du bas Languedoc, le 6 janvier 1623 », qui datent donc du surlendemain de l’épisode de Sommières, où cette affaire est évoquée, dans des termes qui rappellent ceux que l’auteur catholique prête aux réformés : « les habitans de laditte Religion ayant offert par acte de notaire et pour le bien de la paix de remettre l’eglize en l’estat qu’elle estait et moyennant ce requis la restitution de leur temple […], les jesuites cy sont opposéz et ont publicquement soustenu que ledit temple leur ayant esté donné, ne leur pouvoit estre osté que le pape n’eust parlé, avec autres discours prejudiciables a l’authorité du Roy » (ibid., f. 76v). Pour une analyse plus approfondie de la prééminence prise par Rohan au sein du parti réformé dans les années 1620, voir Pierre et Solange Deyon, Henri de Rohan, huguenot de plume et d’épée, Paris, Perrin, 2000.

8 Jean Chauve jouait au sein du parti un rôle de plus en plus important depuis la fin des années 1610, tant à l’échelle locale que nationale. C’est lui qui avait été chargé par le synode national de Vitré de 1617, avec Du Moulin, Rivet et Chamier, de se réunir à Saumur pour définir la position des Églises de France sur les questions traitées au synode de Dordrecht (Jean Aymon, Tous les synodes nationaux des Eglises réformées de France…, La Haye, Charles Delo, 1710, t. 2, p. 108), et de représenter les Églises françaises en Hollande, où une interdiction royale l’empêche, avec Chamier, de se rendre (ibid., p. 156). En 1619-1620, il avait été vice-président de l’assemblée générale de Loudun (Bibliothèque Mazarine, ms. 2610, Actes de l’assemblée de Loudun, f. 2v.) ; les Mémoires de Rohan relatent également la manipulation dont il aurait fait l’objet de la part des proches de Châtillon pour saper l’autorité de Rohan dans la province lors du soulèvement de 1621-1622 (Henri de Rohan, Les Mémoires du duc de Rohan, Paris, Foucault, 1822, p. 215-222).

9 Pour ces motifs de discours, qu’on retrouve chez les réformés royalistes eux-mêmes, on peut consulter l’édition de L’Histoire secrète des affaires du temps d’Anne de Rulman, qui évoque les menées de Rohan à Nîmes entre 1622 et 1626 (Anne de Rulman, Chronique secrète de Nîmes et du Languedoc au xviie siècle, éd. de Philippe Chareyre, Nîmes, C. Lacour, 1990), ou l’article que Ph. Chareyre consacre aux écrits de ce dernier (« La théorie du pouvoir d’Anne de Rulman (1582-1632) d’après les “Mémoires adressées aux esprits pacifiques du Languedoc”, un inédit de 1630 », dans Marie-Madeleine Fragonard, Michel Péronnet (dir.), « Tout pouvoir vient de Dieu… ». Actes du VIIe colloque Jean Boisset, Montpellier, Sauramps, p. 218-242).

10 Sur ce discours, voir pour la période précédente Hugues Daussy, « L’invention du citoyen réformé. L’expression de l’identité politique huguenote dans la littérature polémique et les premiers ouvrages historiques réformés », dans Philip Benedict, Hugues Daussy, Pierre-Olivier Léchot (dir.), L’Identité huguenote. Faire mémoire et écrire l’histoire, Genève, Droz, 2011, p. 37-48, et Id., Le Parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2014.

11 Bibliothèque Mazarine, ms. 2599, « Veritable narré », ms. cit., f. 86r.

12 Édit de Nantes, édit général, art. 9 et 10, éd. Bernard Barbiche (dir.), L’Édit de Nantes et ses antécédents, 2009-2011, en ligne (http://elec.enc.sorbonne.fr/editsdepacification/edit_12).

13 Sur les assemblées politiques réformées du premier xviie siècle, voir Léonce Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France (1573-1622), Paris, Auguste Durand, 1859, James H. Valone, Huguenot Politics, 1601-1622, Lewinson, The Edwin Meller Press, 1994 et Hugues Daussy et Mark Greengrass, « La fin des institutions politico-militaires (1598-1629) », dans Hugues Daussy et Philippe Chareyre (dir.), La France huguenote. Histoire institutionnelle d’une minorité religieuse (xvie-xviiie), en cours de publication.

14 Sur cette question, je me permets de renvoyer à mon article, Adrien Aracil, « Réagencements et usages politiques du passé et de la mémoire chez les réformés français, de l’édit de Nantes aux années 1620 », Histoire, Économie & Société, 2020/3, p. 84-100.

15 Frances A. Yates, The Art of Memory, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1966.

16 Jérémie Foa et Paul-Alexis Mellet, « Une “politique de l’oubliance” ? Mémoire et oubli pendant les guerres de Religion (1560-1600) », Astérion, vol. 15, 2016, en ligne (https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/2829).

17 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire [1925], La Haye, Mouton, 1975.

18 Frances A. Yates, op. cit., p. 173-198.

19 Denis Crouzet parle d’un « règne fatal » d’Henri IV par lequel « l’avenir de l’homme est pacifié par les hommes qui veulent la pacification du royaume » (Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de Religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1992, vol. 2, p. 564-584, ici p. 564). Je me permets également de renvoyer à mon article, « Réagencements et usages politiques du passé », Art. cit., et à la bibliographie qui y figure.

20 Sur ce passage de la « mémoire » au « souvenir » et ses implications, voir Éric Méchoulan, Le Livre avalé. La littérature entre mémoire et culture, Montréal, Presses Universitaires de Montréal, 2004, p. 33-106. Cet aspect a été exploré dans le colloque Remembering the wars of Religion / Se souvenir des guerres de Religion, organisée à l’Institut de théologie protestante de Montpellier du 6 au 8 septembre 2018 par David van der Linden, Chrystel Bernat et Tom Hamilton, dont certaines contributions ont été publiées dans un numéro spécial de French History, vol. 34, n° 4, 2020.

21 Outre Hugues Daussy, « L’invention du citoyen réformé », Art. cit., voir Paul-Alexis Mellet, Les Traités monarchomaques. Confusion des temps, résistance armée et monarchie parfaite (1560-1600), Genève, Droz, 2007.

22 Hélène Merlin-Kajman (dir.), Les émotions publiques et leurs langages à l’âge classique, numéro spécial de la revue Littératures classiques, 2009/1, n° 68 ; Christian Jouhaud, « L’effusion publique et le politique », dans Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, t. 1, De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Seuil, 2016, p. 294-313. Sur la différence entre l’étude des passions et des émotions à l’époque moderne, Yann Rodier a proposé un état des lieux historiographique de la question dans l’ouvrage tiré de sa thèse, Les Raisons de la haine. Histoire d’une passion dans la France du premier xviie siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2019, p. 439-447. Le courant de l’histoire des émotions doit beaucoup aux travaux des médiévistes Damien Boquet et Piroska Nagy, en particulier Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, Seuil, 2015. Le dernier ouvrage de Damien Boquet, Sainte Vergogne. Les Privilèges de la honte dans l’hagiographie féminine au xiiie siècle, Paris, Classiques Garnier, 2020, traite directement de la honte comme émotion. Je remercie vivement Claire Donnat-Aracil qui, par ses propres travaux de thèse sur l’écriture de l’émotion joyeuse, a contribué à m’éclairer sur cette historiographie.

23 Sur ce point, voir en particulier Marie-Madeleine Fragonard, Jacques Berchtold (dir.), La Mémoire des guerres de Religion. La concurrence des genres historiques (xvie-xviiie siècles), Genève, Droz, 2007.

24 Jacques Merlin, Diaire ou journal du ministre Merlin, pasteur de La Rochelle au xvie siècle, éd. d’Alexandre Crottet, Genève, Joël Cherbuliez, 1855, p. 55.

25 Ibid.

26 Ibid., p. 56.

27 Agrippa d’Aubigné, Le Caducée, ou l’ange de paix. Œuvres complètes, t. II, Écrits politiques, éd. de Jean-Raymond Fanlo, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 297.

28 Philippe Duplessis-Mornay, lettre à Rouvray, 9 octobre 1615, Memoires de Messire Philippes de Mornay, seigneur du Plessis Marly… Contenans divers Discours, Instructions, Lettres & Depesches par luy dressés…, t. 3, Amsterdam, Louis Elzevier, 1652, p. 815.

29 Ibid., « Autre Memoire baillé par Mrs de Villarnoul & Bouchereau, s’en allans au Synode de Tonnins, du 20 Avril 1614 », p. 601.

30 Philippe Duplessis-Mornay, lettre à Seaux, 23 septembre 1618, ibid., t. 4, Amsterdam, Louis Elzevier, 1651, p. 76.

31 Voir supra, n. 13, et Hugues Daussy, « Le parti huguenot à l’épreuve de la révolte de Condé (1615-1616) », Dix-Septième Siècle, numéro spécial sous la dir. de Didier Boisson et Emmanuel Bury, Entre institutionnalisation, répression et Refuge : le protestantisme français au xviie siècle (1598-1685), 293, 2021/4, p. 209-220.

32 Philippe Duplessis-Mornay, Memoires, op. cit.,, t. 3, « Memoire envoyé à M. le Mareschal de Lesdiguieres, du 7 Septembre 1615 », p. 791.

33 Sur l’histoire complexe des conflits entre le pouvoir royal et les assemblées politiques entre 1598 et 1622, et en particulier en 1611-1612, voir supra, n. 13, et Arthur L. Herman, « The Saumur Assembly, 1611 : Huguenot Political Belief and Action in the Age of Marie de Medici », thèse dactylographiée, Baltimore, Johns Hopkins University, 1984.

34 Bibl. Mazarine, ms 2597, « Declaration du Roy portant abolition des assemblées Illicites faictes par ceux de la Religion pretendue Refformée avec deffences d’en unir a l’advenir », f. 66v-67r.

35 Ibid., f. 67r.

36 Ibid., « Desadveu de l’abolition de l’année 1612 sur le faict des assemblées. Declaration des esglises Refformées de France assemblées en synode Nationnal à Privas », f. 99r-102r, ici f. 100v.

37 Ibid., « Seconde declaration portant confirmation des Editz de pacification expedyée en l’année 1612 » [15 décembre 1612], f. 126v-130v, ici f. 127v.

38 Ibid., f. 128r.

39 Ibid., f. 129r.

40 Ibid. Nous soulignons.

41 C’est ce dont témoigne sa présence dans le 6e tome du Mercure François (Sixiesme tome du Mercure François…, s.l.n.d. [Paris, Jean et Estienne Richer], p. 448-454.

42 Montbazon à Duplessis-Mornay, 10 décembre 1620, dans Philippe Duplessis-Mornay, Memoires de Messire Philippes de Mornay, op. cit., t. 4, p. 484.

43 Ibid., p. 483.

44 Ibid., p. 485.

45 Virginie Cerdeira, Histoire immédiate et raison d’État. Le Mercure François sous Louis XIII, Paris, Classiques Garnier, 2021.

46 Sur la notion d’action d’écriture, voir Christian Jouhaud, Mazarinades. Une Fronde des mots, Paris, Aubier, 1985, et Grihl (Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire), Écriture et Action (xviie-xxie siècle). Une enquête collective, Paris, EHESS, 2016.

47 D’autres exemples de telles « actions d’écriture » existent au cours de la décennie 1620 : c’est le cas du fameux « atelier d’écriture » de Richelieu (Françoise Hildesheimer, Politiques de Richelieu, Paris, Publisud, 2000 ; Hélène Duccini, op. cit., p. 398-400 ; Christian Jouhaud, en analyse les effets dans La Main de Richelieu, Paris, Gallimard, 1992, et id., Richelieu ou l’écriture du pouvoir. Autour de la Journée des Dupes, Paris, Gallimard, 2015), ou de l’entreprise de diffusion et d’adaptation des Mémoires du duc de Rohan (Adrien Aracil, « Les soulèvements protestants des années 1610-1620 : une relecture des Mémoires du duc de Rohan », dans M. A. García Garrido, R. G. Sumillera et J. L. Martínez-Dueñas (dir.), Resistance and practices of rebellion at the age of Reformations (16th-18th centuries), Madrid, Complutense, 2019, p. 119-134).

48 L’Vnziesme tome du Mercure François, ou, Suitte de l’Histoire de nostre temps…, Paris, Richer, vers 1626, p. 261.

49 Ibid., p. 252.

50 Ibid., p. 255.

51 Quatorziesme tome du Mercure François, Paris, Estienne Richer, 1629, t. 14, p. 59.

52 Ibid., p. 60.

53 Ibid., p. 226.

54 L’Vnziesme tome du Mercure François…, op. cit, p. 235.

55 Ibid.

56 Quatorziesme tome du Mercure François…, op. cit., p. 225.

57 Ibid., p. 227.

58 Ibid., p. 231.

59 Ibid.

60 Voir Yann Rodier, « Louis XIII et la violence d’État contre ses sujets protestants révoltés ou comment conjurer le retour de la violence sacrale (avril-juin 1621) », dans Alain Hugon, Laurent Bourquin (dir.), Violences en révolte. Une histoire culturelle européenne (xive-xviiie siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 271-283.

61 Voir Chr. Jouhaud, « L’effusion publique et le politique », Art. cit., p. 309-311.

62 Dès les années 1620, par l’action d’Auguste Galland (BnF, ms. fr. 15813-15833), ou, en 1652, par la transcription des archives des Loménie de Brienne (BnF, NAF 6972-7328, en particulier les cotes 7173 à 7201 ; voir H. Daussy et M. Greengrass, chap. cit.). Sur Auguste Galland, voir Dénes Harai, Pour le « bien de l’État » et le « repos du public ». Auguste II Galland (1572-1637), conseiller d’État et commissaire de Louis XIII aux synodes des Églises réformées de France, Paris, Honoré Champion, 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adrien Aracil, « « Ceux de la Relligion pretendue se trouverent sy cours de memoire… » »Chrétiens et sociétés [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 17 mai 2023, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/9185 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.9185

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