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Genre et religion

Choix de vie, fécondités et procréation en question
dans l’Occident chrétien, des origines au xviie siècle

Life choices, fertility and procreation in question in the Christian West, from the origins to the 17th century
Marie-Élisabeth Henneau

Résumés

Alors que les questions autour des différentes formes de procréation et du « droit à l’enfant » suscitent toujours de violentes controverses, un autre débat porte aujourd’hui sur la légitimité, pour les femmes comme pour les hommes, d’envisager une vie « sans enfants », qui n’en serait pas moins féconde sur d’autres plans. On y voit dénoncées, notamment, les contraintes séculaires qui auraient pesé sur les couples, et, surtout, sur les femmes, pour que soit assuré coûte que coûte le processus de la génération. En Occident, la responsabilité en reviendrait, notamment, aux Églises, qui, s’adressant principalement aux femmes, auraient de tout temps véhiculé l’idée qu’il leur faille enfanter pour être des chrétiennes accomplies.
Alors que les questions autour des différentes formes de procréation et du « droit à l’enfant » suscitent toujours de violentes controverses, un autre débat porte aujourd’hui sur la légitimité, pour les femmes comme pour les hommes, d’envisager une vie « sans enfants », qui n’en serait pas moins féconde sur d’autres plans. On y voit dénoncées, notamment, les contraintes séculaires qui auraient pesé sur les couples, et, surtout, sur les femmes, pour que soit assuré coûte que coûte le processus de la génération. En Occident, la responsabilité en reviendrait, notamment, aux Églises, qui, s’adressant principalement aux femmes, auraient de tout temps véhiculé l’idée qu’il leur faille enfanter pour être des chrétiennes accomplies.

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Texte intégral

  • 1 Charlotte Debest, Le choix d’une vie sans enfant, Rennes, P. U. de Rennes, coll. Le sens social, 20 (...)
  • 2 Valeria Finucci, Kevin Brownlee (dir.), Generation and Degeneration. Tropes of Reproduction in Lite (...)

1Alors que les questions autour des différentes formes de procréation et du « droit à l’enfant » suscitent de violentes controverses au sein de la société occidentale contemporaine, un autre débat porte aujourd’hui sur la légitimité, pour les femmes comme pour les hommes, d’envisager une vie « sans enfants », qui n’en serait pas moins féconde sur d’autres plans. On y voit dénoncées, notamment, les contraintes séculaires qui auraient pesé sur les couples, et, surtout, sur les femmes, pour que soit assuré coûte que coûte le processus de la génération. En Occident, la responsabilité en reviendrait, notamment, aux Églises, qui, s’adressant principalement aux femmes, auraient de tout temps véhiculé l’idée qu’il leur faille enfanter pour être des chrétiennes accomplies. Cette assertion ne peut manquer de faire sursauter les spécialistes d’histoire du christianisme. Alors que les études de genre commencent à s’emparer du sujet, prenant pour principal terrain d’enquête les décennies les plus récentes1, il semble opportun de réexaminer également la question pour les périodes bien antérieures2. L’injonction divine adressée au premier couple au début de la Genèse – » Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre… » (Gn 1, 28) –, puis renouvelée à l’intention de Noé un peu plus loin (Gn 9, 1), a-t-elle gardé toute sa force dans l’élaboration des textes néo-testamentaires, puis de la tradition chrétienne ultérieure ? Il est permis d’en douter et donc nécessaire de redire comment se produit un renversement des valeurs, à l’origine d’attitudes ambiguës des chrétiens à l’égard de la procréation, d’une part, mais aussi à propos des choix de vie, d’autre part. Après un bref rappel du positionnement des textes fondateurs sur ces sujets et l’examen de leur évolution au cours des premiers siècles du christianisme, un bond dans le temps permettra d’observer comment ces questions sont traitées dans l’Église catholique du xviie siècle, juste avant les changements de mentalités qui apparaîtront à la fin de l’Ancien Régime. On tentera d’y faire alterner voix féminines et discours masculins au cœur d’un débat qui, finalement, interroge surtout le rôle des femmes dans l’économie du salut.

Fécondité, procréation et filiation : ruptures et continuités entre les deux Testaments

2Dans la tradition vétéro-testamentaire relayée par les chrétiens, la conception d’un enfant fait de ses parents les partenaires du Créateur, sa naissance manifestant, aux yeux de tous, la bénédiction divine dont ils sont désormais les bénéficiaires. « Deviens des milliers de myriades ! » (Gn 24, 60), souhaite-t-on à la future mariée, missionnée pour perpétuer l’œuvre initiale de la mère de l’humanité et assurer ainsi l’accroissement du peuple élu. Aussi la stérilité d’un couple – ici toujours imputée à la femme – est-elle considérée comme une épreuve douloureuse – voire un châtiment – à laquelle Dieu seul, pour qui rien n’est impossible, peut, éventuellement, mettre un terme en faisant naître la vie là où on ne l’espère plus (Sarah en Gn 18, 9-15 et 21, 1-3 ; Anne en 1 S 1, 1-28). Craignant la mise au ban de la société, certaines femmes de la Bible font de leur fécondité une question de vie ou de mort, à l’instar de Rachel implorant Jacob : « Fais-moi avoir des enfants ou je meurs » (Gn 30, 1). D’autres sont prêtes à tout pour donner la vie, y compris l’acceptation d’une union incestueuse (Gn 19, 31-36). Le mépris social qui stigmatise les Juives stériles est toujours perceptible au ier siècle de notre ère dans l’action de grâce de la vieille Élisabeth, enceinte du Baptiste et donc soulagée qu’enfin lui soit ôtée « son opprobre parmi les hommes » (Lc 1, 25). Cela dit, d’autres textes du premier Testament abordent la question du couple sans qu’il soit question de procréation, ainsi du second récit de la création, où la femme, extraite de l’homme, devient sa compagne pour ne reformer avec lui qu’une seule chair – leur descendance ne surviendra qu’après la chute – (Gn 2, 24), ou le Cantique des cantiques célébrant l’amour entre l’Époux et sa fiancée, qui ne semble avoir d’autre finalité que leur bonheur mutuel.

  • 3 Marion Muller-Colard, « La fécondité dans la Bible », Études, vol. 12 (décembre), 2019, p. 67-77.
  • 4 Si certaines femmes sont identifiées comme « mère de », c’est le plus souvent pour distinguer les u (...)

3À la lecture des textes canoniques du Nouveau Testament, force est de constater que les perspectives ont quelque peu changé. Afin de préparer sa communauté aux bouleversements qu’implique l’entrée dans la nouvelle alliance, l’auteur de l’évangile selon Matthieu ouvre son récit avec une généalogie en apparence traditionnelle, célébrant ce processus ininterrompu d’engendrements, voulus par Dieu et consentis par les hommes, qui aboutit à la naissance de son Fils. Sauf que, là, survient la rupture : Joseph, fils de Jacob, n’engendre pas Jésus, « né de Marie » (Mt 1, 1-18). On entre dès lors dans une ère où la filiation ne dépend plus exclusivement de la biologie3. D’autres types de fécondités y sont mis à l’honneur et les femmes présentes dans les textes néo-testamentaires n’y sont pas célébrées en tant que mères4.

  • 5 On est bien loin de l’image du fils très proche de sa mère, qui circulera plus tard dans l’imaginai (...)

4Certes, d’aucuns citeront le nom incontournable de Marie, mère de Jésus. Mais il faut dès lors rappeler la discrétion des évangiles canoniques à son sujet, attitude qui contraste avec le traitement exponentiel dont ce personnage singulier fera l’objet par la suite. Dans un premier temps, la figure mariale sert les visées christologiques des auteurs. Luc en fait ainsi un personnage clé dans sa mise en récit de l’Incarnation, puisqu’elle accepte de porter le fruit de l’alliance nouvelle entre Dieu et l’humanité (Lc 1, 26-38). Jean la situe au pied de la croix, assistant à l’exécution de son Fils (Jn 19, 25-27), ce que ne font ni Marc, ni Matthieu, ni Luc. Dans l’entre-deux, son rôle ténu se résume à celui d’une mère ordinaire, les synoptiques n’hésitant d’ailleurs pas à évoquer la façon brutale dont Jésus remet en question la conception traditionnelle de la famille, alors que la sienne tente vainement de l’approcher. Aux liens du sang sont désormais préférés ceux unissant les disciples « qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » (Mt 12, 46-50 ; Mc 3, 31-35 ; Lc 8, 19-21)5. Paul de Tarse le soulignait déjà trente ans avant les évangélistes : « ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu ; seuls comptent comme postérité les enfants de la promesse » (Rm 9, 8).

  • 6 Christine Pedotti, Jésus, l’homme qui préférait les femmes, Paris, A. Michel, 2018.

5Dans l’entourage du Jésus des évangiles figurent de nombreux personnages féminins – Marthe et Marie, Marie de Magdala, Jeanne, Salomé, la Samaritaine, la femme de Béthanie, les « saintes femmes »… – auxquels les auteurs font jouer un rôle de premier plan6 : acceptées dans le cercle le plus intime du maître, elles s’entretiennent avec lui des sujets les plus fondamentaux, se révélant souvent bien plus perspicaces que leurs compagnons (Jn 11, 17-40). Interlocutrices privilégiées durant sa vie et compagnes fidèles au moment de son exécution, certaines deviennent ensuite ses apôtresses (Lc 24, 9-11 ; Mt 28, 10-17 ; Jn 20, 11-18), alors que d’autres sont, par la suite, reconnues comme prophétesses (Ac 21 8-9) ou se voient confier des responsabilités au sein d’une Église locale (Rm 16, 1-16). Ont-elles ou non des enfants ? Le sujet n’intéresse pas les évangélistes qui ne font jamais intervenir Jésus à ce propos. S’ils le montrent bienveillant à l’égard des enfants des autres (Mc 10, 13-16 ; Mt 19, 14 ; Lc 18, 15-17), ils s’accordent pour en faire un personnage sans attache familiale et sans descendance. Ce n’est pas ici le lieu pour rouvrir le débat sur le véritable célibat du Jésus historique, qui aurait pu – ou non – l’avoir adopté à l’instar de certains membres de courants – minoritaires – du judaïsme du ier siècle. La postérité qui nous importe ici ne se posera pas la question avant longtemps, son célibat étant reçu pendant des siècles comme une évidence.

  • 7 Yves Simoens, « La famille à la lumière des données bibliques », Nouvelle revue théologique, t. 127 (...)

6Qu’en est-il finalement du mariage et de la procréation dans le Nouveau Testament ? Interrogé à propos du divorce, le Jésus de Marc se montre intraitable : ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer (Mc 9, 10), l’union des époux symbolisant sur terre l’unicité de Dieu7. Le mariage garde donc ses lettres de noblesse : à la fin du ier siècle, l’auteur de la lettre aux Éphésiens en fera même le symbole de l’union entre le Christ et son Église (Éph 5, 25-32). Mais il n’est ensuite nullement question de procréation dans les paroles prêtées à Jésus : le plan divin semble pouvoir s’accomplir autrement, en portant spirituellement le fruit de son adhésion exclusive au Christ (Lc 6, 44 et 9, 62 ; Mt 10, 37). Faire la volonté de Dieu n’implique donc plus qu’il faille fonder une famille ; au contraire, pour certaines communautés, suivre le Christ impose d’y renoncer (Lc 14,26 ; Lc 23, 29). Devenir mère n’est donc pas un impératif pour une chrétienne. En revanche, l’être peut devenir une planche de salut, « à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté » (1 Tm 2, 15).

  • 8 Thaddée Matura, « Le célibat dans le Nouveau Testament d’après l’exégèse récente », Nouvelle revue (...)

7Deux passages seront plus tard surexploités en vue de promouvoir l’idéal de chasteté dans l’Église : un propos de Paul, qui, fort de son expérience personnelle, encourage au célibat – qu’il a choisi –, sans pour autant dénigrer le mariage monogamique (1 Co 7, 25-35), et une parole de Jésus, qui semble considérer l’abstinence sexuelle comme – l’une mais sans doute pas l’unique – voie possible d’expérimentation immédiate du Royaume de Dieu (Mt 19, 10-12)8. Sans qu’il faille y voir une condamnation systématique de la sexualité, ces passages témoignent que, dans certains cercles, le sujet fait déjà débat entre les années 50 et 80. Beaucoup en perçoivent les enjeux majeurs. À un moment où l’annonce de l’Évangile se conjugue avec la mise en place d’une première christologie, beaucoup se voient en effet confrontés à la difficulté de concilier le motif de l’Incarnation, pouvant aboutir à la glorification du corps humain, et cette attirance pour la vie angélique, censée hâter le retour à Dieu par un renoncement aux attaches corporelles. Se dessinent alors deux courants idéologiques entre lesquels beaucoup oscilleront : l’un valorisant l’être humain, créé pour procréer et jouir des biens de la terre – » Et Dieu vit que cela était très bon » (Gn 1, 31) –, et l’autre magnifiant le modèle angélique annonciateur ici-bas d’un Royaume à venir. Les tenants du premier continueront à considérer le mariage comme voie possible de salut et la procréation comme accomplissement de la volonté divine. Les autres encourageront les plus héroïques à une stricte continence. À la fin du Ier siècle, les auteurs de la Didachè finissent par prôner une morale « à deux vitesses » : « celui qui est capable de porter le joug tout entier du Seigneur, celui-là est parfait ; l’autre, qu’il fasse ce qu’il peut » (Dic 6, 2-3).

Faut-il ou non procréer ? Les Pères de l’Église face à un dilemme

  • 9 Aimé Solignac, « Virginité chrétienne », Dictionnaire de Spiritualité, t. CII-CIII, Paris, Beauches (...)
  • 10 Charles Munier, Mariage et virginité dans l’Église ancienne (ier-iiie siècle), Berne, Francfort, Ne (...)

8Trois quarts de siècle plus tard, la première option évoquée par la Didachè semble rencontrer un assez grand succès au sein des communautés chrétiennes9. Parmi les probables motivations des adeptes de l’abstinence sexuelle, on retiendra : la hâte de faire advenir le Royaume en se détachant de manière radicale des biens de la terre – nourriture et sexualité –, le souhait de revenir à l’état originel de l’être humain d’abord créé androgyne, le besoin de se libérer des contraintes de la chair par un rigoureux travail sur soi – influence des milieux stoïciens –, le désir de n’avoir que Dieu seul pour époux, la crainte de la corruption à laquelle exposeraient les contacts extérieurs, enfin, l’aspiration au martyre aboutissant au don total de soi10.

  • 11 Juan de Churrucha, « Le sacrement de mariage dans l’Église paléochrétienne », dans Michel Rouche (d (...)
  • 12 Jean-Marc Prieur, « L’éthique sexuelle et conjugale des chrétiens des premiers siècles et ses justi (...)
  • 13 Pierre-Emmanuel Dauzat, « Mythologie de l’engendrement et du sexe chez les Pères de l’Église », Dio (...)

9Si la virginité surpasse déjà tous les états de vie dans le chef de la plupart des auteurs chrétiens du iie siècle, beaucoup n’en sont pas moins effrayés par les discours de certains extrémistes, qui prônent le renoncement définitif à la chair pour toutes et tous, au risque de remettre en question le motif de l’Incarnation et de s’inscrire en porte-à-faux avec la tradition vétéro-testamentaire. Certains Pères de l’Église vont dès lors s’estimer en devoir de rappeler que l’union des couples en vue de la procréation a été voulue par Dieu dès les origines11. Le mariage est donc un bien, même si tous, à la suite de Paul, lui préfèrent la continence. Et pour satisfaire à l’idéal de pureté, auquel la plupart adhèrent désormais, ils associent au thème des épousailles celui de la chasteté conjugale12. D’où, les premiers balbutiements d’une doctrine sur le mariage et la famille. L’idée d’un amour passionné entre époux, célébré par le Cantique des cantiques, est, pour un temps, abandonnée, au profit d’une éthique qui, ne trouvant aucune justification dans le Nouveau Testament, se fonde sur la notion de loi naturelle pour faire de la procréation la finalité du mariage13.

  • 14 Marcel Bernos (dir.), Sexualités et religions, Paris, Cerf, 1988.
  • 15 Fawzia Tazdaït, « L’idéal de virginité d’après les Pères de l’Église latine », Topique, t. 134, 201 (...)
  • 16 Voir, notamment, le récit de leurs Passions dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (ive (...)

10Mais il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de tous, la continence, le célibat et la virginité acquièrent et pour longtemps une valeur suréminente. Alors que d’autres courants religieux prônent également le renoncement à la chair14, c’est son caractère définitif et volontaire qui semble caractériser la virginité chrétienne : elle devient un choix de vie spécifique visant au don total de soi15. Et si l’attrait pour la pureté angélique touche autant d’hommes que de femmes, ces dernières, lorsqu’elles s’y tiennent au péril de leur vie, sont particulièrement louangées par les hagiographes, qui leur offrent la palme du martyre et une place de choix dans le cortège des saints, pour avoir préféré la mort à la perte de leur virginité16.

  • 17 Cette fascination pour la virginité va avoir aussi pour conséquence que soit postulée, au fil du te (...)
  • 18 F. Tazdaït, op. cit.

11Des femmes d’exception, ces vierges le sont incontestablement aux yeux des Pères de l’Église. Au prix d’un combat continuel soutenu avec les armes d’une ascèse rigoureuse, elles peuvent espérer vaincre tous les obstacles terrestres qui les séparent de Dieu, anticiper de ce fait la vie paradisiaque de ses élus et réhabiliter – à l’instar de la Vierge17 – le genre féminin déshonoré par la première femme. Libérées de toute emprise masculine et des contraintes de la procréation, elles épousent le Christ le jour de leur consécration pour vivre avec Lui un amour passionné. Fervents lecteurs du Cantique des cantiques, les Pères n’hésitent pas à convoquer le langage érotique pour en décrire les bienfaits18. Et si elles n’enfantent pas selon la chair, elles n’en sont pas moins fécondes selon l’esprit.

12Quant à savoir ce que les femmes des premiers siècles du christianisme en pensaient et ce que pouvaient être leurs motivations profondes, leur témoignage immédiat n’a pas été conservé. Seule demeure pour cette époque la parole de certains hommes qui vont imposer pour longtemps leur vision personnelle du rôle des femmes dans la société : vierges retirées du monde, si elles en ont la force, épouses chastes et fidèles, si elles ne peuvent faire autrement.

13À l’attention de ces dernières et de leurs époux, plusieurs traités aborderont donc le sujet du mariage, mais toujours « en creux » par rapport à celui de la virginité. Ainsi de celui devenu célèbre composé par Augustin d’Hippone à la toute fin du ive siècle à propos du bien du mariage écrit en miroir d’un autre consacré à la sainte virginité, dont il célèbre comme ses prédécesseurs l’excellence. Confronté aux comportements estimés outranciers des manichéens – qui condamnent la procréation et imposent la continence à tous leurs membres – saint Augustin estime nécessaire d’insister à son tour sur les bienfaits du mariage, dont la finalité première consiste à établir entre les époux des liens d’amitié, considérés comme le socle de la société humaine. La procréation qui en découle est bonne mais ne doit pas être recherchée pour elle-même. Jadis nécessaire à l’expansion du peuple de Dieu, elle ne l’est plus vraiment depuis l’avènement du Christ, ce qui permet à Augustin de réaffirmer la supériorité de la continence sur le mariage, réservé à ceux qui n’ont pas le moyen de résister à leurs pulsions. À la procréation (proles) qui vient consolider l’amitié au sein du couple, Augustin ajoute deux autres bienfaits : la fidélité (fides), qui permet aux époux – à l’homme comme à la femme – de circonscrire leur concupiscence dans les limites de leur union légitime, et le « sacrement » (sacramentum), qui fait du mariage chrétien le symbole de l’alliance indéfectible entre le Christ et son Église, ou de l’union des élus à Dieu dans la Cité céleste. Cette doctrine inspirera pour longtemps la pastorale du mariage chrétien.

  • 19 D. H. Hunter, « Mariage », dans Allan D. Fitzgerald (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée et l’Eu (...)

14Au début du siècle suivant, Augustin revient sur le sujet dans le cadre de sa controverse avec les pélagiens à propos du péché originel. La question est de savoir en quoi le péché a corrompu l’union charnelle entre Adam et Ève. Selon Augustin, la faute originelle a fait naître le désir, qui désormais exerce son emprise irrépressible sur les humains et se transmet de générations en générations. Seul le mariage en permet le bon usage, puisqu’il débouche sur la procréation19. Tout en poursuivant sa réflexion, Augustin en vient aussi, comme tant d’autres avant lui, à se pencher sur la nature du rapport homme-femme au sein du premier couple. Créée, comme son compagnon, à l’image de Dieu et donc susceptible de bénéficier d’une grâce identique, la femme est toutefois assignée à son service et soumise à son autorité par la volonté divine. C’est dans l’ordre des choses.

  • 20 À noter, à la décharge d’Augustin, qu’il estime l’homme autant coupable que la femme.

15Cette exégèse, qu’Augustin partage avec bien d’autres et qui va servir à justifier la domination masculine sur les femmes, coïncide avec leur progressive marginalisation au sein des communautés chrétiennes. Et à une amplification du discours misogyne proféré par certains Pères, qui portent aux nues les vierges lorsqu’elles sont strictement observantes, mais se déchaînent quand ils évoquent « la » femme – un être inférieur puisque créé en second (Gn 2, 3) – à l’origine de tous les maux20. Leur interprétation du récit de la Chute entérinera pour longtemps la représentation d’Ève provoquant, du fait de sa faute, la perte du genre humain. D’où, le poids de la culpabilité pesant sur les épaules de ses héritières. L’auteur de la première lettre à Timothée avait déjà adopté cette exégèse tout en laissant aux femmes une perspective de salut dans l’accomplissement de la maternité (1 Tm 2, 15). Certains textes patristiques abondent en ce sens, alors que d’autres – parfois signés des mêmes – continuent à disqualifier les mères par rapport à celles qui servent le Christ.

16Cette posture que beaucoup adoptent ne les empêche pas de dispenser moult conseils aux gens mariés et de construire une éthique du mariage qui condamne, entre autres, l’adultère, le concubinage, la répudiation, le divorce et les abus d’autorité maritale. Certaines femmes en tireront dès lors quelques bénéfices sur le plan de leur sécurité sociale et économique. Enfin, au-delà du sujet de la procréation – et donc de la sexualité –, qui les divise et les met tous mal à l’aise, les Pères de l’Église se déploieront avec plus de sérénité sur le rôle de la bonne épouse – pédagogue de son mari (1 P 3, 1-2) – et sur celui de la bonne mère, éducatrice de ses enfants. Et ils ne ménageront pas leurs louanges, lorsqu’il s’agira de célébrer les mérites des meilleures, leurs propres mères, les érigeant en modèles pour la postérité.

Choix de vie et fécondités plurielles sous le regard des clercs (XIIe-XIIIe siècle)

17Quelles seront par la suite les prises de position des Églises à propos des choix de vie et de leur hiérarchisation ? La virginité et la continence tant exaltées au premier millénaire le seront-elles autant au cours du deuxième ? Qu’en sera-t-il de la réception de l’injonction à procréer proférée par le Dieu de l’ancienne Alliance ? Et face à ces deux perspectives, quel rôle assignera-t-on plus spécifiquement aux femmes au sein d’une société chrétienne où les discriminations genrées ne cessent de s’accentuer ? Avant d’examiner plus spécifiquement la question telle qu’elle peut être observée au xviie siècle dans les territoires de catholicité d’expression francophone, on fera ici rapidement le point sur la situation au temps d’une réforme précédente, où se mettent déjà en place bon nombre de discours sur ces sujets.

  • 21 Ruth Mazo Karras, « Clergé, mariage et masculinité au Moyen Âge », dans Anne-Marie Sohn (dir.), Une (...)
  • 22 Jacques Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire » : la religion faite femme (xie-xve siècl (...)

18Au début de la Réforme grégorienne, la nouvelle société chrétienne qui se dessine alors en Occident se fonde sur une distinction nette et hiérarchisée entre le monde des laïcs et celui des clercs. Ces derniers, devenus la cible de bien des critiques, font l’objet d’une attention accrue : il s’agit de les cadrer davantage et de leur imposer une morale plus rigoureuse. Ceux qui ont reçu le sacerdoce se voient pressés d’en respecter le caractère sacré en se tenant à l’écart de toute souillure, des femmes, notamment21. S’ensuivent des morceaux de littérature hauts en couleur destinés à les dissuader de les fréquenter22. Si ces propos outranciers ne réussissent pas nécessairement à convaincre les prêtres de se ressaisir, ils alimentent, avec d’autres, le discours misogyne qui circule de plus en plus intensément au sein de l’institution ecclésiale.

  • 23 Marielle Lamy, « Marie, modèle de vie chrétienne : quelques aspects de l’imitatio Mariae au Moyen Â (...)

19Une femme trouve pourtant grâce aux yeux de ces gens d’Église : la mère du Sauveur, porte du ciel et refuge des pécheurs. Sa maternité virginale en fait un être d’exception. Pour s’en rapprocher, le moyen le plus assuré demeure pour les femmes de conserver leur virginité23. Plus que jamais, elle leur est recommandée, avec l’assurance qu’elles verront multiplié par cent le fruit de leurs mérites. Exhortés à faire pénitence pour le rachat de leurs fautes, tous les fidèles se voient par ailleurs proposer un autre modèle féminin pour progresser sur les voies du salut : Marie-Madeleine, subtile recomposition hagiographique entrecroisant le destin de plusieurs femmes des évangiles. Mais si d’aucuns peuvent y voir la mise en valeur d’une femme que son amour pour le Christ a glorifiée, beaucoup insistent sur son lourd passé de prostituée impliquant, après sa conversion, de sévères pratiques ascétiques et le versement de torrents de larmes. L’iconographie de la Madeleine véhiculera pour longtemps l’image de la femme pécheresse, dont le corps, jadis perverti par ses passions, mérite d’être sévèrement châtié.

  • 24 Michel Lauwers, « L’institution et le genre. À propos de l’accès des femmes au sacré dans l’Occiden (...)

20Ce corps, qui semble induire les femmes au péché plus que les hommes, doit donc être contraint et surveillé. Avec l’apparition du droit canon, les interdits se multiplient à l’encontre des femmes pour les écarter des espaces sacrés et de toute fonction cléricale. Celles qui ont opté pour la vie consacrée font l’objet elles aussi d’un contrôle accru, à mesure que leur nombre augmente. L’écart se creuse donc progressivement entre les clercs et les laïcs, mais, plus encore, entre ces gens d’Église et le monde féminin24.

  • 25 Marie-Thérèse d’Alverny, « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme », Cahiers de (...)

21Par ailleurs, le discours savant à propos de « la » femme se nourrit de références bibliques et patristiques, mais aussi de l’interprétation de l’œuvre d’Aristote. Du côté des théologiens, on relit et commente en boucle le début de la Genèse et certains textes pauliniens pour justifier, à la suite des Pères de l’Église, l’état de sujétion qui convient aux femmes, du fait de leur infériorité. La plupart des exégètes sont convaincus de sa plus grande culpabilité au moment de la Chute, ce qui explique les douleurs de l’enfantement endurées par ses héritières. Le rapprochement jadis proposé par Isidore de Séville entre mulier et mollier, qui associe la femme à la mollesse, à la malléabilité, à l’inconstance, vient renforcer le portrait qu’ils se font de la première représentante du « sexe faible » incapable de résister à la tentation. Cette confrontation entre la femme fragile et l’homme fort (vir/vis) rejoint l’opposition désormais traditionnelle entre le corps et l’âme. Si l’un et l’autre pourront être réunis et glorifiés après le Jugement dernier, le corps, auquel la femme est associée, demeure la partie honteuse de l’être humain. Il y a lieu, sinon de le mépriser, du moins de le juguler25.

  • 26 Claude Thomasset, « De la nature féminine », dans Georges Duby, Christiane Klapisch-Zuber, Michelle (...)
  • 27 Alain Galonnier, Stercoris saccus : la représentation de la femme comme corps adjuvant et transgres (...)

22Le corps féminin fait aussi l’objet d’observations médicales qui, s’appuyant sur l’héritage des anciens, prennent celui de l’homme pour référence26. La théorie des humeurs, extraite du Corpus hippocratique, considère que la complexion chaude et sèche de l’homme explique la force, le courage et l’intelligence qui le caractérisent, alors que, froide et humide, la femme en est tout l’opposée. À cela le traité du médecin Galien (iie s.) ajoute l’idée que la femme est un homme à qui la chaleur a manqué, d’où la tendance ultérieure à envisager son corps comme défectueux. Thomas d’Aquin († 1274), s’inscrivant dans le prolongement d’un Aristote, en fait le constat : la femme est bien un être défaillant, si on la compare à l’homme ; il l’estime toutefois adaptée à la mission que Dieu lui a confiée : servir de réceptacle à la semence masculine en vue de la perpétuation de l’espèce27.

  • 28 Gabriel Le Bras, « Le mariage dans la théologie et le droit de l’Église du xie au xiiie siècle », C (...)
  • 29 Didier Lett, « L’Occident médiéval » dans Sylvie Steinberg (dir.), Une histoire des sexualités, Par (...)

23La procréation ne s’entend évidemment que dans le cadre du mariage à propos duquel les canonistes s’efforcent de s’entendre. Inscrit au concile de Latran IV (1215) dans le septénaire des sacrements, il symbolise le lien indissoluble qui unit le Christ à son Église et se définit comme un engagement public et définitif entre deux parties consentantes. Certains, qui lui assignent la procréation pour première finalité, considèrent qu’il ne sera valide qu’une fois consommé. Mais d’autres rejettent cette nécessité, gardant en mémoire la chaste union de Marie et de Joseph… Le pape Innocent III († 1216) finit par trancher en faveur du mariage consensuel, faisant de chacun des époux les ministres de ce sacrement et leur laissant la possibilité de décider, d’un commun accord, de pratiquer la continence28. Ceux qui y parviennent suscitent d’emblée l’admiration de l’Église – plusieurs épouses sont ainsi canonisées au cours du xiiie siècle pour avoir été des modèles de chasteté conjugale. Quant aux autres, qui se sentent incapables d’une telle ascèse, leur sexualité est surveillée de près, avec un nombre restreint de jours autorisés et le devoir de se limiter à la « position du missionnaire », seule tolérée parce qu’estimée plus efficace en termes de fécondité et plus conforme à la posture du mâle dominant. En même temps, bon nombre de clercs estiment ces rapports nécessaires, se référant à l’épître aux Corinthiens qui évoque la « dette conjugale » que les époux se doivent mutuellement pour éviter les tentations extérieures (1 Co 7, 5)29.

24Les clercs exercent-ils une pression sur les couples sans postérité ? Incontestablement, puisqu’il leur faut s’assurer d’une sexualité raisonnablement gérée, sans effusions passionnées ni postures condamnées et, bien sûr, exclure l’usage de substances contraceptives ou abortives. Car si la continence est une vertu, la limitation des naissances par d’autres procédés est alors très étroitement surveillée. À ces questions intimes dont on discute devant le tribunal de la confession, s’ajoutent les conseils dispensés aux époux par les prédicateurs et guides spirituels qui tous attendent bien plus de vertus – humilité, modestie, réserve, patience, soumission – de la part des épouses que des maris et leur assignent pour principale mission de veiller au bon fonctionnement de leur maisonnée.

  • 30 Paul Tombeur, « Maternitas dans la tradition latine », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, t. 21, 2 (...)

25Quant au rôle de la mère à l’égard de sa progéniture, les clercs y songent en référence à la maternité spirituelle de l’Église, mère de tous les chrétiens. C’est en ce sens que le terme, calqué sur paternitas apparaît au milieu du xie siècle30. L’Église ne se contente pas de donner naissance aux chrétiens par le baptême, mais elle les éduque et les nourrit. Aussi est-elle non seulement une mater, mais aussi une magistra pour ceux qu’elle enseigne et nourrit spirituellement. Ainsi fera la bonne mère, qui éveillera ses enfants à la foi chrétienne et les entretiendra dans l’observance de ses préceptes. Sous la plume d’un Thomas d’Aquin et de bon nombre de ses contemporains, maternitas est encore employé pour évoquer celle, toute virginale, de Marie. Le modèle est surtout inspirant pour toutes celles et ceux qui vivent retirés du monde. Dans le prolongement du De virginitate d’Augustin, se diffuse alors le schème de la maternité spirituelle par lequel l’épouse de Christ devient aussi sa mère.

  • 31 Sylvie Barnay, « Les manches de la Vierge : les apparitions mariales entre histoire et théologie », (...)
  • 32 Marie-Élisabeth, Henneau « Pouvoirs d’abbesses et abbesses au pouvoir dans l’Ordre de Cîteaux. Quel (...)

26Un siècle plus tard, la cistercienne Ide de Nivelles († 1231) se voit dès lors gratifiée par la Vierge du privilège d’entourer l’Enfant-Jésus de ses soins maternels31. Non pas que la moniale soit frustrée de ne pas avoir enfanté. Le récit rapporté par un clerc participe au contraire de la valorisation par l’Église du modèle virginal et de la fécondité de la mystique sponsale dans les ordres religieux féminins en pleine expansion. Beaucoup de femmes expérimentent alors dans leur chair la rencontre mystérieuse avec le divin. Elles disent en porter les fruits spirituels que bon nombres de clercs, souvent admiratifs, se chargent de révéler pour elles. Sous leur plume, la sainteté se féminise alors de manière spectaculaire, en même temps que l’originalité propre de ces mystiques se voit quelque peu estompée par les réécritures masculines. Ajoutons encore que ces mulieres religiosae aux profils diversifiés, et qui s’inscrivent dans les multiples projets de vie religieuse issus de la réforme grégorienne, reçoivent des règles souvent calquées sur les modèles masculins pour organiser leur vie commune. Ainsi de la tradition bénédictine, qui permet aux femmes d’exercer, le cas échéant, une autorité équivalente à celle des hommes au sein de leur communauté32. Se dessine alors l’archétype de la mère abbesse exigeante et bienveillante, tel le Christ au milieu des siens.

27L’Église se montrera souvent admirative de ces vierges, mettant en exergue leur esprit de renoncement et de soumission, elle se méfiera davantage de celles qui, fortes de leur expérience intime du divin, prendront peu à peu leur distance avec les règles établies. Leurs aspirations à se nourrir des textes bibliques pour féconder la chrétienté de leurs enseignements seront alors considérées comme des manifestations de l’orgueil féminin. Elles seront priées de rentrer dans les rangs sous peine d’excommunication.

28De nombreuses enquêtes se sont penchées sur les effets de tels discours sur le vécu des femmes au Moyen Âge. Les principaux résultats permettent aujourd’hui de déconstruire la plupart des visions stéréotypées à propos de l’agentivité supposée infime de ces femmes condamnées à se retirer dans leurs cloîtres ou dans leurs foyers et à n’avoir pour activité autorisée que la prière ou la tenue d’un ménage. Les embûches innombrables qui se sont dressées sur leurs parcours, les contraintes imposées par les cadres institutionnels et le contexte incontestablement misogyne dans lequel elles ont dû évoluer n’autorisent pas à en déduire pour autant qu’elles n’ont été que les sujets passifs d’une longue histoire.

29Si l’on s’en tient à l’attitude officielle de l’Église médiévale à l’égard des femmes, il convient de rappeler qu’en dépit d’une incontestable misogynie et d’efforts incessants pour les soumettre, l’institution a tout de même œuvré en leur faveur en imposant, notamment, une doctrine du mariage qui excluait la répudiation, la séparation ou le divorce et en introduisant l’idée qu’un choix de vie doive être librement consenti, tant par l’homme que par la femme. Il faudra certes attendre longtemps avant de venir à bout des stratégies familiales et des coutumes ancestrales, mais il faut souligner cette originalité au sein d’une société dont la majorité des références juridiques consacrent de plus en plus la domination masculine au détriment des femmes.

  • 33 Jean-Louis Flandrin, « Contraception, mariage et relations amoureuses dans l’Occident chrétien », A (...)
  • 34 Parmi les exceptions, on signalera celui de Margherita Datini (1360-1423), qui a osé assumer publiq (...)
  • 35 Vern L. Bullough, « On being a male in the Middle Ages », dans Clare A. Lees, Thelma Fenster, Jo An (...)
  • 36 Didier Lett, « Enfants désirés, enfants indésirables dans la société médiévale (xiie-xive siècles)  (...)
  • 37 Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, La naissance dans l’Occident moderne. xvie-xixe s., Paris, Faya (...)

30À propos de la procréation, les travaux de Jean-Louis Flandrin et de ses successeurs ont bien montré que les interdits de l’Église n’ont nullement empêché certains chrétiens de tout tenter pour éviter l’arrivée d’un enfant indésiré, depuis l’utilisation de procédés contraceptifs – certes peu efficaces mais très répandus – jusqu’à l’avortement, l’infanticide ou l’abandon d’enfants33. Si l’on peut déduire de ces enquêtes que des femmes ont pu craindre l’arrivée d’un enfant, plus difficile voire impossible sera de trouver mention explicite d’une revendication de ne pas en avoir. Est-ce d’ailleurs formulable à l’époque34 ? Celles qui n’en ont pas, pour avoir consacré à Dieu leur virginité, parlent de leurs épousailles avec le Christ et de la fécondité spirituelle de leur union mystique, jamais d’un refus d’enfants qui aurait motivé leur vocation. Les épouses sont quant à elles immergées au cœur de deux traditions pesantes : l’une, savante, portée par une Église qui exalte la virginité au plus haut point, mais finit par admettre le bien-fondé du mariage et donc de la procréation, et l’autre, bien antérieure au christianisme, qui vise à promouvoir la reproduction et à confirmer la vocation maternelle des femmes, sans doute en référence à la terre-mère. S’ajoutent à cela les lourdes pressions qui pèsent sur les femmes, selon leur condition sociale ou leur milieu culturel, afin qu’elles assurent l’avenir d’un lignage, la transmission d’un patrimoine ou la survie d’un groupe en attente de forces nouvelles. Mais l’avenir des clans ne repose pas sur leurs uniques épaules, d’autant que la médecine du temps méconnaît leur rôle actif dans la conception d’un enfant. À cette époque, la masculinité se définit aussi par la capacité de procréer, puis de protéger et de nourrir son clan35. Au sein du couple, homme et femme sont donc bien l’un et l’autre concernés par la question. Selon Didier Lett, qui a récemment revisité la notion de parenté d’un point de vue plus anthropologique, il va quasi de soi pour des époux de vouloir participer « aux cycles continus des générations » pour avoir ainsi « perpétuité d’eux-mêmes »36. D’où la multiplication de pratiques destinées à favoriser la fécondation puis à en assurer l’heureuse issue. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’Église tente de reprendre la main en proposant force pèlerinages et dévotions susceptibles d’attirer la bienveillance divine sur les femmes en mal d’enfants et en condamnant les procédures de répudiation pour raison de stérilité37. L’angoisse qui saisit presque toujours les épouses privées de postérité résulte donc d’une valorisation évidente de la procréation. L’Église n’en est toutefois pas la promotrice principale.

Discours croisés d’hommes et de femmes au temps de la Réforme catholique

  • 38 Marcel Bernos, Femmes et gens d’Église dans la France classique (xviie-xviiie siècle), Paris, Cerf, (...)

31Il est temps maintenant d’examiner comment ces questions vont être abordées au temps de la Réforme catholique à un moment où la voix des femmes se fait davantage entendre, en écho ou en contrepoint du discours masculin. Le clergé est alors sur tous les fronts et le prestige de ceux qui ont revêtu le sacerdoce se voit particulièrement rehaussé. Mais les réformateurs comptent également sur la mobilisation massive des laïcs. Les femmes non seulement répondent à l’appel, mais parfois le devancent et prennent des initiatives. Après s’en être réjouis, les clercs vont assez vite s’en inquiéter. Tout au long du xviie siècle, leur objectif sera à la fois de soutenir, mais surtout de contrôler très étroitement les projets féminins. Aussi vont-ils s’efforcer de maintenir en place les cadres qui leur sont familiers – le cloître ou le mariage – tout en discourant sur les mérites respectifs des états auxquels une femme peut accéder et les devoirs qui leur incombent selon leurs vocations38. Ils ne seront toutefois plus les seuls à s’exprimer. Des plumes féminines tenteront de proposer des alternatives à leurs propositions traditionnelles.

La gloire des vierges de Jésus-Christ

32À propos de la virginité, l’avis du clergé n’a en fait guère évolué : elle demeure la voie royale pour rejoindre le Ciel quand on est femme.

  • 39 Bernardin de Paris, La religieuse dans son cloistre…, Paris, D. Thierry, 1678, p. 32-33.

De quelle gloire pensez-vous que les vierges de Jésus-Christ éclateront, qui suivent Jésus-Christ en pureté de cœur et de corps ? […] Les vierges auront non seulement Dieu pour couronne, ce qui est commun à tous les saints, mais elles auront pour chevelure un diadème de joye, c’est-à-dire une prérogative de gloire qui éclatera en elles par-dessus tous les autres […] c’est pourquoy celles qui l’espèrent doivent courir après avec grande avidité et persévérer avec un courage infatigable.39

33Les traités de morale se multiplient donc tout au long du siècle pour en vanter les mérites incomparables. Ainsi de celui de Jean Girard de Villethierry, rédigé à l’intention de jeunes filles hésitant entre deux états. S’appuyant sur la littérature paulinienne et patristique, il confronte les avantages de la virginité consacrée – ici vécue dans le monde – aux lourdes charges incombant aux épouses et aux mères.

  • 40 Girard de Villethierry Jean, La Vie des Vierges ou les devoirs et les obligations des vierges chrét (...)

Dégagées des passions charnelles et élevées au-dessus de toutes les choses de la terre, rien [n’empêche les vierges] de contempler continuellement les biens éternels et de monter déjà dans le ciel par la ferveur de leurs désirs et de leurs affections. […] N’étant assujetties à des époux mortels et se trouvant libres, elles peuvent vacquer en tous tems aux œuvres de piété, jeûner, se mortifier, affliger leur chair par les haires et par les disciplines et servir Dieu en toutes les manières qu’il plaît au Saint Esprit de leur inspirer. […] Les vierges sont donc […] heureuses de n’avoir ni maris, ni enfans, parce que rien ne les attache à la terre et ne les empêche de désirer avec ardeur les biens éternels et de soupirer sans cesse après la Jérusalem céleste.40

  • 41 Marie-Élisabeth Henneau, « La Querelle au couvent ? De l’inégalité des sexes dans les communautés d (...)

34Si le clergé accepte que ces vierges consacrées puissent demeurer dans leurs foyers, il estime bien préférable qu’elles optent pour une vie religieuse au sein d’espaces protégés. Le concile de Trente a en effet érigé en modèle idéal le profil de la moniale contemplative strictement cloîtrée que d’aucuns espèrent pouvoir imposer partout. Mais c’est sans compter sur l’inventivité de nombreuses femmes qui vont vouloir élargir le champ de leurs engagements, provoquant de la part des clercs autant d’intérêts que d’inquiétudes. Ce n’est pas le lieu de développer cette question. Gardons cependant à l’esprit les efforts soutenus par la plupart d’entre eux pour maintenir l’ensemble des religieuses sous leur autorité immédiate, pour leur imposer une clôture rigoureuse et pour les empêcher d’empiéter sur quelconques de leurs prérogatives. Des efforts
qui ne seront pas toujours couronnés de succès, la résistance des femmes étant souvent tenace, et leur capacité à réinventer des alternatives, inépuisable41.

  • 42 Voir, notamment, Jean-Marc Lejuste, « Vocation et famille : l’exemple de la Lorraine aux xviie et x (...)

35Rappelons aussi que les nombreux couvents qui s’implantent sur les territoires de catholicité dans la première moitié du xviie siècle rencontrent un vif succès auprès des femmes qui s’y engagent massivement. Le font-elles de leur plein gré ? L’historiographie récente s’est beaucoup intéressée à la question des vocations forcées42. Il en ressort que si certains destins ont été « orientés » par les politiques familiales ou « induits » par d’autres circonstances, bon nombre de ces femmes ont pu délibérément choisir cette voie alors particulièrement valorisée et valorisante. Leurs motivations ont été multiples et pas toujours d’ordre spirituel. Il n’en demeure pas moins qu’elles ont été en mesure de poser des choix personnels, parfois même contre l’avis de leur entourage. Enfin, contrairement à l’opinion reçue, l’Église catholique considère alors les vocations forcées comme un fléau et tente, sans toujours y parvenir, de s’y opposer. La notion de liberté d’engagement devient une référence, qui vaut aussi pour le mariage.

Une pastorale pour les gens mariés

  • 43 Marcel Bernos, « L’Église et l’amour humain à l’époque moderne », dans Marcel Bernos, Les sacrement (...)
  • 44 Maurice Daumas, Le mariage amoureux, histoire du lien conjugal sous l’Ancien Régime, Paris, A. Coli (...)

36À propos du mariage, le concile de Trente ne modifie en rien la doctrine déjà établie, se référant toujours à la symbolique de Paul pour comparer les liens entre époux à l’amour du Christ envers son Église43. Le décret Tametsi (1563) apporte toutefois une nouveauté visant à éradiquer les mariages clandestins, souvent défavorables aux femmes. Le consentement des futurs époux, qui seul rend le mariage valide, doit désormais être reçu par un prêtre devant deux témoins. Avant d’aller plus loin dans l’analyse du discours ecclésial sur le mariage, il faut évidemment rappeler la façon dont la société d’Ancien Régime le conçoit de son côté : il s’agit d’une association d’intérêts multiples, où les sentiments personnels et les attentes spirituelles ne sont pas nécessairement ignorés44, mais se retrouvent souvent en retrait par rapport à d’autres impératifs sociaux, économiques et culturels. Si l’Église insiste sur la liberté d’engagement de la personne – qu’elle responsabilise en tant qu’individu –, la société impose ses propres contraintes qui pèsent tout autant sur le destin des couples et sur leurs intentions de procréer.

37Le Catéchisme (1566), publié dans la foulée du concile de Trente par Pie V à l’intention des clercs, redéfinit le mariage comme étant un contrat indissoluble d’entr’aide mutuelle entre les époux et le seul cadre autorisé à la pratique d’une sexualité ayant pour fin la procréation. Laquelle vient toutefois en second dans la liste des « motifs qui doivent et peuvent porter à se marier » :

  • 45 Catéchisme du Concile de Trente [1566], Paris, G. Desprez 1648, p. 384-385,

Le premier est fondé sur l’instinct des deux sexes, qui fait qu’ils désirent naturellement d’estre unis dans l’espérance du secours qu’ils attendent l’un de l’autre […]. Le second […] est le désir d’avoir des enfans, non tant pour les laisser les héritiers de ses biens et de ses richesses que pour les élever dans la vraye foy et la vraye religion. […] [C’est] la véritable fin pour laquelle Dieu a institué le mariage dès le commencement du monde. Ainsi le plus grand péché que puissent commettre les personnes mariées, c’est ou d’empescher par des remèdes la conception de l’enfant ou de le faire avorter. […] Le troisième motif qui peut porter à se marier, et qui n’a eu lieu que depuis le péché du premier homme, est de chercher dans le mariage un remède contre les désirs de la chair.45

  • 46 Ibid., p. 386.

38L’amour conjugal y est donc célébré en premier car : « de toutes les alliances que les hommes contractent ensemble, il n’y en a point qui les unisse plus étroitement […], n’y ayant point d’amour pareil à celuy qui est entre le mary et la femme »46. Mais, à chaque fois qu’il est question du mariage, il est aussi question, en contrepoint, de la virginité qui lui est de loin supérieure !

  • 47 Ibid., p. 383.

Dieu n’a pas voulu imposer à tous les hommes l’obligation de se marier, mais seulement de faire connoistre la fin pour laquelle il avoit institué le mariage. Car maintenant que la race des hommes s’est beaucoup multipliée, non seulement il n’y a point de loy qui les oblige à se marier, mais, au contraire, la virginité est surtout recommandée et conseillée à tout le monde dans l’Écriture sainte comme un estat fort relevé au-dessus de celuy du mariage et qui est bien plus saint et plus parfait.47

39À celles et ceux qui font ce que l’Église continue à considérer comme un second choix, François de Sales va offrir sa consolation en proposant une direction spirituelle adaptée à leur état, lequel peut devenir un lieu de sanctification, à condition d’en assumer les devoirs. À la fin de l’Introduction à la vie dévote, l’évêque s’exprime longuement sur le « grand sacrement » qu’est le mariage : « c’est la pépinière du christianisme, qui remplit la terre de fidelles, pour accomplir au Ciel le nombre des esleus ». Fidèle à la doctrine augustinienne, il en rappelle les trois bienfaits :

  • 48 François de Sales, Introduction à la vie dévote [1609], Paris, S. Hure, 1648, p. 414-418.

l’union indissoluble de [leurs] cœurs […], la fidélité inviolable de l’un à l’autre […], [enfin] la production […] des enfans. Ce vous est grand honneur, ô mariez, dequoy Dieu voulant multiplier les âmes qui le puissent bénir et louer à toute éternité : il vous rend les coopérateurs d’une si digne besongne.48

  • 49 Ibid., p. 431.
  • 50 Ibid., p. 419. Claire Carlin, « François de Sales et le discours sur le mariage des corps au xviie (...)

40Abordant pudiquement la question de la sexualité – au chapitre « De l’honnesteté du lit nuptial » –, François de Sales finit, avec mille précautions, par admettre que « ce qui est requis au mariage pour la production des enfans et la multiplication des personnes est une bonne chose et très-saincte, car c’est la fin principale des noces »49. S’il ne déroge pas à la tradition qui fait de la sujétion des épouses une contrainte imposée par Dieu dès les origines, il insiste auprès de leurs maris pour qu’ils ne cessent de leur témoigner « dilection, tendreté et suavité »50.

  • 51 Agnès Walch, « La spiritualité conjugale : une tentative de dialogue entre clercs et laïcs dans le (...)

41À sa suite, la pastorale sur le mariage va susciter de nombreuses publications tant de la part des moralistes que des directeurs spirituels51. Il y est question de la soumission de la femme à son époux, mais aussi de respect mutuel, d’entr’aide, voire d’affections et de tendres caresses. Quant à la procréation, toujours considérée comme un bien, elle demeure le signe d’une sexualité bien maîtrisée, dès lors bénie de Dieu. Selon les cas, elle est citée en second après l’amour conjugal – ce qui est conforme à l’esprit du concile – ou revient en première position parmi les motifs évoqués.

  • 52 Jean Cordier, La Famille sainte où il est traitté des devoirs de toutes les personnes qui composent (...)

Les fins du mariage sont diverses : c’est pour avoir une lignée légitime et accomplir le nombre de prédestinés à qui Dieu veut donner le Ciel. C’est pour agir conjointement tant en ce qui concerne la nourriture des enfans qu’en tout le reste à quoy une personne seule ne peut suffir. C’est pour donner au mary un autre luy-mesme sur qui il se repose d’une partie du tracas de la maison. C’est pour donner un appuy à la femme qui la soustienne dans toutes ses foiblesses. C’est pour avoir un remède innocent aux maladies de la chair.52

  • 53 Jeanne de Cambry, Traité de la réforme du mariage [ca 1626], paru en 1655, éd. Joan Smeaton, Site « (...)

42Dans son traité composé vers 1626 à l’intention des laïcs venus la consulter, la recluse Jeanne de Cambry (1581-1639) – sans doute la seule religieuse à avoir écrit sur le sujet à cette époque – affirme que le mariage est « un estat saint et agréable à Dieu », car il est le « fondement » de tous les autres. « S’il n’y avoit pas de mariez, il n’y auroit pas de vierges, il n’y auroit pas de religieux ». L’amour que les époux se porteront sera « référé à Dieu » : il s’agira d’un lien fraternel, d’un « amour d’amitié » et non d’un « amour de concupiscence »53.

  • 54 Jeanne de Cambry, Traité de la réforme du mariage, op. cit., p. 14.

Voilà la vraye union qui doit estre entre l’homme et la femme, et de corps et d’esprit, vivre en vraye chasteté conjugale, servir à Dieu de tout leur possible, s’adonner tous deux de mesme accord et de mesme volonté à la vertu, et à toute œuvre pieuse, supportant volontiers les imperfections naturelles l’un de l’autre, s’adonnant à la fréquentation des Saints Sacremens de Confession et de Communion, selon leur estat et vocation ; et cecy est l’union d’esprit que Dieu demande des gens mariez, lesquels ainsi vivans, Dieu bénira, et leurs enfans, sans aucun doute.54

43Institué non seulement pour « la multiplication du monde », mais pour « subvenir à la fragilité humaine », le mariage doit être le lieu de chastes échanges, uniquement ordonné à la génération. Il n’est évidemment pas question de vouloir y échapper : « Combien y en a-t-il, qui n’ayans les moyens de nourrir beaucoup d’enfans, voudroient pouvoir assouvir leurs appétits brutaux, sans avoir génération ? pour laquelle, néantmoins, seule, le Mariage est ordonné de Dieu ». Quant aux enfants, Dieu en gratifie les couples selon son bon vouloir, non pour leur « plaisir » ni pour leur « passe-temps », mais pour qu’ils en fassent des « temples du S[aint] Esprit et vivre éternellement au Ciel ».

  • 55 Ibid., p. 36.

Il arrive souvent, que ceux qui désirent des enfans, n’en ont point, et ceux qui seroient bien aises de n’en pas tant avoir, Dieu leur en envoye quantité ; toutes fois ceux ausquels Dieu fait la grâce d’en avoir, ils les doivent recevoir comme enfans de Dieu, et en porter grand soin, non seulement d’eslever le corps, mais aussi de conduire leurs ames à Dieu, dés l’instant mesme de leur naissance.55

44Jeanne de Cambry consacre ensuite plusieurs chapitres aux devoirs respectifs des époux – à noter ici que pères et mères sont à chaque fois associés dans l’éducation des enfants –, tout en soulignant combien peuvent être pesantes les obligations d’une épouse.

  • 56 Ibid., p. 69.

Ce n’est pas petite charge, que le Mariage, il semble à aucuns qu’ils ont tout gaigné quand ils sont mariez ; mais en effet, c’est le plus pénible de tous les estats et vocations. Une Religieuse, n’a qu’à obéyr à sa Supérieure, et penser à soy seule ; mais une femme liée au mary, doit avoir le soin de toute la maison, du mary, des enfans, et des serviteurs et servantes.56

  • 57 Jacques du Bosc, L’honneste femme, 2e partie, Paris, La Cie des libraires, 1665, p. 300.
  • 58 Ibid., p. 298. Claire Carlin, « Les chagrins du mariage : réflexions sur une catégorie de topos au (...)

45C’est aussi une constante chez la plupart des auteurs abordant le sujet d’assortir leur apologie du mariage d’une liste d’inconvénients, faisant écho à la satire misogame qui en conteste alors le bien-fondé. S’adressant à un lectorat féminin, le cordelier Jacques Du Bosc met en garde ses dirigées sur les risques encourus : « s’il y a du malheur dans le mariage, c’est elles bien souvent qui en ont la meilleure part […]. La coustume leur ôte le droict de se deffendre et, s’il y a de la tyrannie, elles la souffrent durant que d’autres l’exercent »57. Alors que « préférer la vie du célibat à celle du mariage, quand c’est pour la tranquilité de l’esprit et pour le salut de l’âme, c’est changer un lict d’épines en un lict de roses, c’est quitter le travail pour prendre le repos »58. D’autres traités sur le mariage font encore alterner exaltation de la procréation et fascination pour la continence. Ainsi François de Grenaille s’emploie-t-il à célébrer l’arrivée des enfants au sein du couple comme une « faveur du ciel ».

  • 59 François de Grenaille, L’honneste mariage, Paris, A. de Sommaville, 1640, p. 34-35.

C’est pourquoy il faut que les pères se réjouissent de s’estre reproduits […], que les enfans soient ravis d’aise de se voir tirez du néant […] Mais le principal sujet d’allégresse appartient à ces heureuses mères, qui en produisant des fruits, ont esté honorées du prix de leur mariage et ont receu la récompense de leurs douleurs par un comble de plaisirs. Que la terre soit en un printemps qui dure tousjours, se voyant habitée de toutes parts. Que le monde face un triomphe perpétuel, contenant tant de sujets qui doivent louer éternellement son maistre. Que l’Église pareillement augmente sa joye, voyant accroistre le nombre du peuple chrétien.59

46Cet enthousiasme, qu’il dit emprunter à Ambroise de Milan, ne l’empêche pas de partager avec ce dernier son aversion pour l’impureté que peut entraîner une sexualité mal gérée.

  • 60 Ibid., p. 24.

La multiplication des hommes est une fin nécessaire à la société, mais qui ne l’est pas absolument à tous les individus qui la composent. Tous ceux qui sont mariez ne sont pas obligez d’avoir des enfans, n’y d’en prendre les moyens. Et, tout bien considéré, il vaudroit mieux que la chasteté fist finir le monde que s’il périssoit comme autrefois par l’impureté.60

  • 61 Jean Girard de Villethierry, La vie des gens mariez… [1695], Paris, F.-A. Pralard, 1699, p. 210.
  • 62 Ibid., p. 215.

47C’est aussi l’avis du jésuite Girard de Villethierry qui, à la fin du siècle, multiplie les avis pour l’ensemble de ses dirigés et dirigées, quel que soit leur état. On l’a vu plus haut afficher son admiration sans borne pour celles et ceux qui choisissent d’adopter une vie angélique. Les gens mariés sont les destinataires d’un autre traité. Il y aborde la question du désir d’enfants, en se montrant conscient de l’ambiguïté du discours chrétien. Il admet que la nécessité de la procréation a souvent été remise en question dans les textes adressés aux vierges et que la continence observée au sein des couples a fait l’objet de nombreux éloges. Mais pour ceux qui n’en ont pas la force, il considère comme « naturel » « de désirer d’avoir de la postérité ». C’est « dans la vue de mettre des enfans au monde qui bénissent et servent le Seigneur » qu’ils se sont mariés. « Par conséquent, ils peuvent, ou plutôt ils doivent en désirer »61, tout en demeurant conscients que Dieu seul en décidera. Car il peut lui arriver en effet de frapper un couple de stérilité pour le punir de ses fautes ou lui offrir la faveur d’une autre fécondité. Mais jamais le couple ne peut décider lui-même d’« user du mariage sans devenir père et mère »62. À noter que l’auteur s’adresse là au couple, et pas seulement à l’épouse, qui n’est donc pas ici la seule visée par la question de la génération.

Les devoirs d’une honnête chrétienne

  • 63 Anne-Marie Heitz-Muller, « Le corps des femmes et la maternité », dans Anne-Marie Heitz-Muller (dir (...)

48C’est plutôt le discours médical qui, dès la fin du xvie siècle, centre son attention sur la détermination du corps féminin au processus de la génération. Défini au Moyen Âge comme inversé et inachevé par la médecine galénique, le corps des femmes fait l’objet de nouvelles études à l’aube de la modernité. On conteste sa prétendue débilité ou son inachèvement pour s’intéresser désormais à ce qui fait sa particularité, sa différence : son utérus63.

  • 64 Jean Liébault, Le Thrésor des remèdes secrets pour les maladies des femmes…, Paris, J. Du Puys, 158 (...)

Le corps de la femme n’est pas moins entier et parfect que celuy de l’homme, estant accomply de toutes les parties nécessaires à la génération, tellement conformées et situées en tel lieu et place qu’est besoing pour concevoir et engendrer.64

  • 65 Ibid., p. 4. Évelyne Berriot-Salvadore, Un corps, un destin. La femme dans la médecine de la Renais (...)
  • 66 Nicolas Venette, Tableau de l’amour conjugal considéré dans l’estat du mariage, Parme, Franc d’Amou (...)

49S’il n’est pas imparfait, le corps féminin a toutefois pour caractéristique d’être faible et maladif, « pour le regard du peu de chaleur naturelle qui est en elle, à comparaison de l’homme, de laquelle dépendent les forces du corps et qui est le soustien, entretien et instrument de toutes les actions de la nature »65. Le discours des médecins rejoint donc celui des clercs à propos « du sexe faible »66. Ensemble, ils vont fournir de nombreux arguments au débat qui fait rage sur le rôle légitime des femmes dans la société. Sur ce sujet, les gens d’Église tiennent une fois de plus des discours discordants. D’une part, ils tiennent à mobiliser un maximum d’énergies féminines pour contribuer aux œuvres de la Réforme catholique ; les éloges pleuvent donc à propos des femmes qui s’investissent sur tous les fronts de ce combat spirituel. En même temps, ils ont bien du mal à se départir d’une misogynie ancestrale, qu’ils partagent d’ailleurs avec bon nombre de leurs contemporains, rendant les femmes responsables des dysfonctionnements de la société.

  • 67 Jacques du Bosc, L’honneste femme, op. cit., p. 298-299.

Quel plaisir y a-t-il [d’être marié] avec une coquette, qui veut vivre plustost selon son humeur que selon la raison et qui voudroit ressusciter la coutume de Sparte où les femmes commandoient à leurs maris ? Quel contentement y a -t-il de demeurer avec une querelleuse, qui gronde sans cesse, qui est rarement en bonne humeur […] ? Quelle satisfaction y a-t-il avec une dissimulée, qui ne flatte que pour tromper, qui ne hante les lieux sacrez que pour estre moins suspecte d’aller dans les infâmes et qui ne paroist bonne que pour avoir meilleur moyen d’estre mauvaise ? Enfin quel avantage y a-t-il d’estre attachée avec une perfide et une rusée, qui a mille caballes et mille inventions pour faire réussir ses mauvais desseins, qui vous peut déshonorer, quoyque vous soyez innocent […] Et pour juger de cecy par un exemple commun à tout le monde, ne fut-ce pas Ève qui fit pécher Adam, qui luy ravit son innocence et sa félicité, qui le rendit en mesme temps et malheureux et coupable ?67

  • 68 Linda Timmermans, L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime [1995], Paris, Champion, 200 (...)
  • 69 Jean Cordier, La Famille sainte…, op. cit., p. 214.

50L’auteur de ces propos ne compte pourtant pas parmi les plus féroces contempteurs du sexe féminin de son temps. Héritier de François de Sales, le père du Bosc croit en effet à sa possible conversion. Comme lui, bon nombre de clercs se spécialisent dans l’accompagnement spirituel des femmes pour qui ils dressent moult portraits idéalisés d’honnêtes chrétiennes : elles y découvrent les devoirs de leur état et y sont initiées à l’exercice de la dévotion et à la pratique des vertus qui conviennent à leur sexe : humilité, tempérance et chasteté68. Pour celles qui ont choisi de vivre dans « le monde », les directeurs spirituels ne voient d’autres possibilités que le mariage, débouchant sur la configuration d’une nouvelle famille. Cet aboutissement est à accueillir comme un don de Dieu – » p ersonne n’entre dans le monde sans son congé »69 – : il ne s’agit donc pas tant de désirer une descendance que de la recevoir et d’accepter de l’élever chrétiennement.

  • 70 Abbé Goussault, Le portrait d’une honneste femme raisonnable et véritablement chrétienne, Lyon, J.  (...)

Une honneste femme est persuadée qu’après ce qu’elle doit à Dieu et à sa conscience, ses premiers soins regardent son mari et ses enfans et elle en fait sa principale occupation. […] Son inclination d’accord avec son devoir lui fait trouver de la joye dans ce qui feroit de la peine à une autre. Rien ne lui paroit difficile et rien ne lui coûte, quand elle peut donner à son époux de nouvelles preuves de son amour et de son attachement. Elle en use de même dans tout ce qui a du rapport à ses enfans.70

  • 71 Jean Delumeau (dir.), La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Pa (...)
  • 72 Guillaume Le Roy, Devoir des mères avant et après la naissance, Paris, G. Desprez, 1675, p. 16.
  • 73 Ibid., p. 17-18.
  • 74 Ibid., p. 77.
  • 75 Ibid., p. 83.

51Les manuels d’éducation composés par les gens d’Église insistent tous sur le rôle essentiel des mères dans le processus de transmission de la foi et des valeurs chrétiennes, et la littérature hagiographique souligne l’influence des meilleures dans l’éclosion de la vocation de leurs enfants. Les filles, dont on se soucie beaucoup, sont les destinatrices privilégiées de cette éducation maternelle censée les amener à choisir leur futur destin en connaissance de cause71. Le profil de la bonne mère distillé dans ces traités, renforcé par une iconographie qui la met en scène avec ses enfants dans des instants présentés comme heureux, participe immanquablement au processus d’exaltation de la maternité. Cela dit, si beaucoup s’emploient à rehausser le rôle des mères au sein de leur famille, certains en décrivent aussi les risques et les contraintes – » dresser » des enfants étant tâche ardue –, d’autres, comme le chanoine janséniste Le Roy, en soulignent même le caractère terrifiant. Selon lui, le fait que, depuis la faute commise par Ève, les femmes ne puissent engendrer leurs enfants « que selon la chair et par l’usage de la chair », doit leur « estre un objet perpétuel de gémissement et d’humiliation »72. Malgré la tendresse qu’elles témoignent à leurs enfants, elles ne pourront s’empêcher de leur « communiquer le péché, la malédiction et la mort par la mesme voye qu’elles leur communiquent la vie »73. La limitation des naissances – uniquement par la voie de la continence – est ici admise, à condition qu’elle ne soit pas motivée par « l’ambition ou l’avarice »74. En revanche, « la libéralité envers les pauvres [ou] l’ardent désir de n’estre plus occupez ensemble que de Dieu seul » est considéré comme un motif valable pour renoncer à procréer75.

  • 76 Yvonne Knibiehler, Les pères aussi ont une histoire, Paris, Hachette, 1987.
  • 77 Richard Dognon, Le modèle du mesnage heureux en l’histoire du mariage de Sainct Joseph…, Paris, M. (...)
  • 78 Jean Delumeau, Daniel Roche, Histoire des pères et de la paternité, Paris, Librairie Larousse, 1990
  • 79 Cécile Vanderpelen-Diagre, Caroline Sägesser (dir.), La Sainte Famille, op. cit.

52Quand ils définissent la mission fondamentale des mères au sein de leurs foyers, les directeurs spirituels ont en tête la configuration d’une famille nucléaire – parents-enfants –, parfois dotée d’une domesticité sur laquelle la mère doit également veiller. Le père en demeure toutefois le chef incontesté, malgré la survalorisation du rôle maternel dans les traités de spiritualité. Lequel père se voit incité à manifester à sa progéniture autant de tendresse que de sévérité. Au xviie siècle, avec le regain d’intérêt accordé à la Sainte Famille, le rôle endossé en son sein par Joseph attire l’attention des fidèles sur une figure paternelle davantage empreinte d’humanité, qui ne ménage ni ses caresses ni ses soins attentifs à l’égard de son fils76. Jusqu’alors invoqué pour l’accompagnement des mourants, le saint homme devient le protecteur emblématique de l’ensemble des chrétiens, comme il l’aurait été de son vivant de l’Enfant Jésus77. Il n’est pas impossible que son portrait ait contribué à redéfinir, du moins théoriquement, le rôle du père auprès de ses enfants78. Cette Sainte Famille, abondamment représentée dans l’iconographie du xviie siècle, n’est toutefois pas encore convoquée comme elle le sera au xixe, en vue de la sacralisation de la famille79. Si ce trio pour le moins étrange – une Vierge-Mère surmédiatisée, un père adoptif plus que discret et un Enfant-Dieu hors du commun – trouve sa place dans le discours de théologiens de l’école de Bérulle (1575-1629), c’est surtout pour concourir au recentrage de l’attention des chrétiens sur la personne du Christ, Verbe de Dieu « anéanti » dans la nature humaine. Quand il s’agit pour eux d’évoquer l’Enfant, ce n’est donc pas pour s’attendrir devant une famille féconde, mais pour s’étonner – au sens premier du terme – devant l’abaissement d’un Dieu qui, pour le salut des hommes, accepte d’en endosser la condition misérable. Notons enfin que si le binôme Marie-Joseph constitue un modèle pour les couples voués à la continence, il n’est guère performant pour ceux dont on attend une descendance.

Qu’en pensent les femmes ?

  • 80 Mireille Laget, Naissances, l’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, Seuil, 1982.

53La question de la procréation se pose-t-elle vraiment pour les femmes du Grand Siècle ? La perspective de l’enfantement fut-elle à cette époque une évidence pour toutes, comme le suggérait Mireille Laget80 ? Évoquant plus récemment la société d’Ancien Régime, Marie-France Morel avançait que

  • 81 Marie-France Morel. « L’amour maternel : aspects historiques », Spirale, t. 18-2, 2001, p. 29-55.

dans un monde où la religion structure tous les comportements, du berceau à la tombe, les couples ne se posent pas la question de leur désir ou non-désir d’enfants. Les enfants arrivent plus ou moins tôt, plus ou moins nombreux, envoyés par Dieu comme une bénédiction. Aucune femme ne refuse sciemment la maternité, et la stérilité est un malheur. Quand les enfants sont là, il faut s’en occuper et ce soin incombe naturellement aux femmes.81

54Ces propos, en partie vrais, doivent toutefois être nuancés. Il faut d’abord s’entendre sur ce que recouvre le terme « religion » : s’il s’agit d’un ensemble de croyances ancestrales liées au thème de la fécondité, sans doute bon nombre de femmes du xviie siècle ont-elles été induites à se considérer comme « naturellement » faites pour avoir des enfants, voire poussées à en désirer un grand nombre. Si l’on désigne par ce terme le message porté par les Églises chrétiennes, on vient de montrer que la question de la procréation est en débat depuis les origines et que la survalorisation de la virginité et de la continence a pesé lourdement sur la conception du mariage et la définition de ses finalités. Quant à dire qu’à l’époque moderne, les couples ne se posent pas la question du « non-désir » d’enfants, c’est déduire un peu vite du silence des intéressés le fait qu’ils n’y songent pas et oublier, notamment, la diversité des méthodes contraceptives et abortives alors en usage, malgré les interdits. Il faut encore distinguer les milieux sociaux auxquels ces couples appartiennent. Leur rapport à la procréation et à l’éducation des enfants diffère évidemment selon qu’il s’agisse de familles d’agriculteurs qui comptent sur tous les bras disponibles pour assurer la survie du groupe, ou de milieux aristocratiques où l’on envisage selon d’autres critères les questions de transmission d’un nom ou d’un héritage. Enfin, si la stérilité est un malheur aux yeux de la société, qui disqualifie les femmes incapables d’assurer l’avenir d’une lignée ou la transmission d’un héritage, elle ne figure plus nécessairement au rang des malédictions divines sous la plume des clercs. Certes, Dieu peut châtier par là un couple fautif, mais il peut aussi lui offrir la grâce d’une autre fécondité.

  • 82 Le terme renvoie alors à la notion d’administration des biens ou de gouvernance d’une maisonnée.
  • 83 Nicolas Caussin, La Cour sainte [1624], Paris, Cl. Sonnius et D. Bechet, 1647, t. I, p. 153-154.
  • 84 Barbara Diefendorf, From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, O (...)
  • 85 Mathieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité. La rue pour cloître (xviie-xviiis (...)

55Cette autre fécondité, que bon nombre de femmes déclinent alors à l’infini, se réalise au sein des cadres admis par l’Église, mais aussi dans ses marges. Ainsi bon nombre de femmes mariées – avec ou sans enfants – ne se contentent-elles pas de « mesnager » leur foyer82, mais s’engagent très activement dans les œuvres de la Réforme catholique. « Elles font tous les jours une infinité de biens, elles surviennent aux nécessitez des pauvres, elles visitent les hospitaux, les prisons et les malades, elles remplissent les Églises et édifient les maisons des exemples de piété »83, reconnait le jésuite Nicolas Caussin en 1624, alors que, tout au long du Grand Siècle, vont se multiplier les Éloges ou Galleries destinés à célébrer leurs œuvres et que leurs biographies inondent le marché du livre, les érigeant en modèles de sainteté pour les générations à venir. Les exemples sont nombreux84, on n’en rappellera qu’un : l’investissement des Dames de la Charité aux côtés de Vincent de Paul (1581-1660) et des sœurs séculières affectées aux soins des plus démunis85.

  • 86 Jeanne de Chantal (François de Sales), Louise de Marillac (Vincent de Paul), Alix Le Clerc (Pierre (...)
  • 87 [Marie Thérèse Peelmans], L’Oratoire des annonciades célestes contenant l’état du Verbe incarné pen (...)
  • 88 Bernard Hours, « L’Enfant Jésus dans la spiritualité des carmélites déchaussées françaises à l’époq (...)

56On a déjà évoqué l’engouement des femmes pour la vie consacrée, qui provoque, dans la première moitié du xviie siècle, une véritable invasion conventuelle sur les terres de catholicité. Beaucoup, à l’origine de la création de ces nouveaux établissements, vont dès lors bénéficier de l’aura des mères fondatrices et cultiver l’espoir d’une longue postérité. Longtemps oubliées ou situées dans l’ombre d’illustres compagnons86, elles retrouvent aujourd’hui leur place dans l’histoire des figures de proue de la Réforme catholique. Dans leur sillage, on en redécouvre aujourd’hui un certain nombre qui s’illustrent par leur fécondité tant spirituelle qu’intellectuelle ou artistique. Qu’en est-il de leur approche de la maternité ? La plupart évoquent le souvenir de leurs mères et de leur influence déterminante sur leur propre vocation. Elles participent à distance aux joies et aux peines de leur famille lorsqu’un enfant paraît ou disparaît. Rarement, elles disent regretter de ne pas en avoir. Leur entrée au couvent a signifié pour elles le renoncement au monde, et donc au mariage et à ses fruits. Si certaines, parlant de leur vocation, racontent parfois comment elles ont tout fait pour échapper à une union forcée, elles se répandent davantage sur les joies espérées de leurs propres épousailles avec le Christ. S’il s’agit en partie de discours convenus, il ne faut pas sous-estimer les attraits – spirituels mais aussi profanes – qu’exerce sur elles la vie consacrée. La perspective d’être mère, à laquelle elles renoncent, se retrouve parfois sublimée en espoir d’une fécondité toute spirituelle. Ainsi, les annonciades célestes méditent-elles chaque année sur la grossesse de la Vierge, cherchant à se loger dans ses entrailles pour y rejoindre l’Enfant, avant de l’accueillir en elles le jour de Noël. À noter que cette démarche ne témoigne pas de la frustration de femmes privées d’enfants mais de leur dévotion au Verbe incarné, ce dernier étant considéré non pas comme le poupon de la crèche, mais comme un Dieu abaissé dans la condition misérable d’un être privé de parole (infans)87. On doit aussi à plusieurs carmélites françaises d’avoir contribué au succès du culte à l’Enfant-Jésus. Certaines envisagent son enfance comme le prélude annonciateur de son destin douloureux. Il s’agit dès lors d’adorer le Christ, souffrant dès l’enfance pour le salut du monde. D’autres s’abandonnent corps et âme à l’Enfant qu’elles prennent pour modèle d’obéissance et d’abnégation. Ces méditations s’accompagnent de nombreuses pratiques dévotionnelles parfois teintées d’affectivité – fabrication de poupons en cire, soins accordés à l’Enfant de la crèche, prières et cantiques le célébrant, etc. –, mais aussi de prières vouées à d’autres causes, comme l’affirmation du triomphe de l’Église catholique sur les protestants (Enfant-Jésus de Prague) ou l’espoir d’un héritier au trône de France (Petit Roi de gloire de Beaune)88. À l’échelle de chaque communauté, la supérieure est appelée à réfléchir aux devoirs maternels qui lui incombent. Ses filles lui doivent obéissance quels que soient leur âge ou le lien de sang, une mère de famille pouvant ainsi se retrouver sous l’autorité de sa fille. Pas mal de veuves choisissent en effet le couvent plutôt qu’un remariage. Certaines, comme l’ursuline Marie de l’Incarnation – qui partira en Nouvelle France – n’hésitent pas à confier à d’autres le soin de leur enfant, lui préférant leur attrait pour la vie religieuse. D’autres, comme Jeanne de Chantal, sont, au contraire, invitées à attendre que leurs enfants soient établis. Dans le sillage de François de Sales, on ne transige pas avec le devoir d’état. Puisque Dieu leur a confié des enfants, elles doivent d’abord s’acquitter de la mission de les éduquer avant d’en envisager une autre, aussi noble soit-elle.

57Mais toutes les veuves n’entrent pas au couvent. Quand elles restent dans le monde, elles se voient régulièrement exhortées par le clergé à se maintenir dans ce statut. Il n’est plus temps de procréer, mais de tâcher de profiter de l’occasion offerte pour se sanctifier.

  • 89 Guillaume Gazet, Le cabinet des Dames, Arras, G. Bauduin, 1602, p. 59-60. De nombreux traités parai (...)

Contente-toy […] d’avoir perdu le premier degré de virginité et que par le mariage tu sois décheue au troisième degré. Si par la privation d’iceluy, tu n’as peu recouvrer le premier degré de virginité, tu as au moins recouvert le second qui est la continence de viduité. Ne pense donc au plus bas degré des secondes nopces, mais (comme dict S. Paul) sois désireuse des graces les plus excellentes et parfaictes.89

  • 90 Yvonne Knibiehler et al., De la pucelle à la minette. Les jeunes filles de l’âge classique à nos jo (...)

58En amont, une autre tranche d’âge retient aussi l’attention des clercs, alors qu’au fil du siècle, les couples se marient de plus en plus tardivement. Les directeurs spirituels reviennent ainsi régulièrement sur la nécessité de surveiller la « jeune fille » durant son séjour – plus ou moins prolongé – au foyer parental90, « pour la maintenir en son intégrité jusques au mariage et la faire embrasser la vertu et fuir le vice qui a quelque doux appast pour emmieller la jeunesse ».

  • 91 Guillaume Gazet, Le cabinet des Dames, op. cit., p. 85-86.

[On attend de la fille qu’elle] ayt tousjours engravés en sa mémoire les bons et utiles enseignemens qu’elle aura receu de sa mère dès sa tendre jeunesse, affin qu’estant devenue grandelette […] elle les puisse praticquer et donner preuve de sa bonne nourriture et instruction, se monstant partout humble, modeste, sobre, chaste, dévote, honneste en parolles, en gestes et en maintien, obéissante, craintive, honteuse, amiable, paisible, advisée, prudente, voire aussi pourra-t-elle estre plaisante, joyeuse, jolye, nette, gente, courtoise, gratieuse, gentile. Pourquoy ne permettroit-on pas quelque peu de gaillardise à la jeunesse ?91

59Ce chapelet de qualités espérées d’une jeune femme en attente d’épousailles arrive ici en contrepoint de la longue liste des défauts qu’énumèrent inlassablement les misogynes du temps. Car ils sont encore nombreux à fourbir leurs armes contre ceux qui osent démonter leurs arguments. La Querelle des femmes opposant les défenseurs du sexe féminin à leurs farouches adversaires connaît en effet un rebondissement spectaculaire au début du xviie siècle. Dans les deux camps, on retrouve des gens d’Église. L’accès au savoir est au cœur de la polémique. S’il est admis que les femmes soient éduquées dans la perspective de devenir d’honnêtes chrétiennes, on conspue leurs désirs d’en apprendre davantage et l’on met en doute l’hypothèse de leur fécondité intellectuelle. Les précieuses, ridiculisées par Molière, en font les frais. L’Église, pourtant soucieuse de l’éducation des filles et œuvrant avec efficacité à cette fin, tient beaucoup à en limiter les ambitions.

  • 92 Marie-Élisabeth Henneau, « Introduction » dans Danielle Haase-Dubosc et Marie-Élisabeth Henneau (di (...)

Le statut de la femme autrice est en jeu : qu’elles excellent du fond de leurs couvents à transcrire l’indicible de leurs expériences mystiques ou qu’elles s’illustrent dans les salons comme romancières, dramaturges, poétesses, historiographes ou épistolières, une guerre sans merci leur est déclarée, à laquelle elles opposent une farouche résistance et, surtout, une production personnelle considérable, saluée par leurs défenseurs, non moins prolixes sur le sujet. Car en plus des discours qui s’échangent ou s’affrontent à ce propos, sans que jamais les misogynes ne baissent la garde, les femmes manifestent avec obstination leur volonté d’agir et contribuent par leurs idées et leurs réalisations à faire progresser, dans les faits, les notions théoriques d’égalité des sexes et d’émancipation féminine.92

  • 93 Elisja Schulte-Van Kessel, « Vierges et mères entre ciel et terre », dans Georges Duby, Michèle Per (...)

60Inlassablement, le clergé compte sur les cadres rassurants du couvent ou du foyer marital pour brider ce monde féminin en effervescence93. L’adage murum aut maritum est donc pour eux toujours d’actualité.

  • 94 Gabrielle Suchon, Le célibat volontaire ou la vie sans engagement, Livre I, Chapitre XXIV, Paris, J (...)

Tous les jours l’on entend dire que c’est une chose absolument nécessaire de s’engager dans une condition et qu’il faut prendre parti, soit dans la Religion, soit dans le mariage. Cette maxime universelle s’adresse particulièrement aux filles, lesquelles, à cause de la foiblesse de leur sexe, sont exposées à de plus grands dangers que les hommes. Elles sont toujours suspectes pour la conscience, soupçonnées pour l’honneur et observées dans la conduite, si elles ne sont dans les liens d’un cloître ou dans la société d’un mari. C’est par toutes ces raisons qu’elles doivent estre attachées à l’un de ces deux états.94

  • 95 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « La femme seule à l’époque moderne : une histoire qui reste à écrir (...)

61Mais ce choix limité, dénoncé ici par Gabrielle Suchon (1631-1703), ne reflète guère la réalité. Des femmes osent se chercher d’autres places dans la société, et les aléas de la vie en contraignent bien d’autres à demeurer célibataires, voire à vivre en solitaires. On redécouvre aujourd’hui l’importance de cette population féminine hétérogène – filles dévotes, vierges consacrées, sœurs séculières, artistes, comédiennes, courtisanes, domestiques, ouvrières, prostituées, vagabondes, mendiantes, etc. – souvent stigmatisée par les contemporains et longtemps ignorée par l’historiographie95.

62Aux yeux de l’Église catholique, le célibat n’est guère envisageable sur le long terme pour une femme. Dans son jargon, le terme renvoie au profil du prêtre tridentin, dont l’ordination consacre le caractère « séparé » du reste du monde tout en lui permettant d’y exercer son ministère. Perspective difficilement compatible avec le « sexe faible », exposé aux pires dangers hors des cadres prévus. Aussi l’institution ne va-t-elle avoir de cesse de réintégrer le plus grand nombre de ces femmes dans son giron en leur offrant des lieux d’accueil adaptés, en créant de nouvelles structures destinées à leur formation ou à leur conversion, ou en tentant tout simplement de les réintroduire à l’abri des cloîtres, transformant des projets innovants en ordres religieux traditionnels.

63Si le célibat séculier des femmes a mauvaise presse auprès du clergé, il devient un sujet de débat dans les salons intellectuels de l’époque. De nombreuses femmes – certes issues de milieux favorisés – se prennent à rêver d’une société plus égalitaire et revendiquent à tout le moins une certaine indépendance de vie et de pensée. Madeleine de Scudéry, comme d’autres précieuses, en fait l’un de ses chevaux de bataille en affichant sa volonté de demeurer « fille ».

  • 96 Madeleine de Scudéry, Artamène ou le grand Cyrus, dixième partie, livre 2 [Paris, A. Courbé, 1656], (...)

Je connois […] qu’il y a des hommes fort honnestes gens, qui méritent toute mon estime, et qui pourroient mesme aquérir une partie de mon amitié ; mais encore une fois, dès que je les regarde comme Maris, je les regarde comme des Maistres ; et comme des Maistres si propres à devenir Tirans, qu’il n’est pas possible que je ne les haïsse dans cet instant là ; et que je ne rende graces aux Dieux de m’avoir donné une inclination fort opposée au Mariage.96

  • 97 Gabrielle Suchon, Le célibat volontaire, op. cit., p. 29-30.

64Mais c’est en la personne d’une dominicaine sortie de son couvent de Semur-en Auxois que le célibat féminin va trouver son apologiste la plus originale. Rentrée dans le siècle après une expérience que l’on devine décevante, Gabrielle Suchon s’invente un régime de semi-retraite « sans toutefois s’engager à des obligations sévères et difficiles à soutenir »97. En revendiquant une légitimité pour cet état de « neutralité », elle dit ajouter ainsi « comme un supplément aux autres conditions ou manières de vivre ». Selon cette philosophe autodidacte, encore autrice d’un Traité de la morale et de la politique (1693),

  • 98 Ibid., p. 28-29.

la différence des conditions qui se voient dans le monde nous fait bien connoître qu’il y doit aussi avoir des fins différentes : celle du mariage est de produire des enfans pour perpétuer l’espèce et pour soutenir les familles ; celle de la vie monastique, c’est de louer Dieu dans une société de plusieurs personnes, et celle du célibat, c’est de vivre sans engagement et d’une manière abstraite et séparée des maximes du monde.98

65Elle s’emploie dès lors à rappeler le nombre impressionnant de femmes estimables qui ont observé ce célibat séculier dans l’histoire et dénonce le processus qui, depuis le concile de Trente, vise à restreindre leurs possibilités de l’adopter. Défenderesse farouche de la liberté d’engagement, elle estime indispensable que les femmes soient informées des avantages et inconvénients de chacun des états, avant de pouvoir exprimer leur choix librement et en connaissance de cause.

  • 99 Ibid., p. 267.

66L’état de « neutralité » offre selon elle de multiples avantages. Cette troisième voie n’implique aucun engagement définitif ni aucune contrainte qui ne soit librement consentie. C’est le seul état qui autorise le libre exercice de sa conscience et dégage la personne de toute autre responsabilité que d’elle-même, puisqu’elle renonce à la procréation. Universellement reconnue comme un bien, cette dernière permet certes aux hommes de se survivre à eux-mêmes « puisque c’est elle qui répare la perte et les ruines que la mort fait tous les jours dans le monde, où en produisant leurs semblables, ils se maintiennent à perpétuité »99. Mais, selon Gabrielle Suchon, elle ne répond plus à l’urgence des premiers temps

  • 100 Ibid., p. 205.

parce que le genre humain est si fort multiplié qu’il n’y a plus sujet d’appréhender qu’il tombe en défaillance et que les hommes viennent à manquer. Et de plus, il se trouve toujours assez de personnes qui s’engagent dans le mariage pour entretenir et pour perpétuer l’espèce sans qu’il soit nécessaire d’y contraindre celles qui n’ont aucun penchant pour cette condition.100

  • 101 Ibid., p. 272.

67Elle admet, pour ne heurter personne, que « c’est un bien et un honneur [d’avoir des enfants] et de les élever dans la crainte de Dieu »101.

  • 102 Ibid., p. 273.

[Mais], toutes ces choses considérées, il faut maintenant rechercher les raisons par lesquelles les personnes qui passent leur vie dans le célibat, se doivent estimer heureuses dans leur stérilité et de n’estre pas obligées à l’éducation des enfans comme celles qui sont sous le joug du mariage. Je réduis ces devoirs à trois choses, nourrir, instruire et placer chacun selon sa condition. Ces trois articles renferment de si grands engagemens que l’on ne sauroit nier que ce ne soit un bonheur d’en estre libre.102

68Dégagée des obligations qui pèsent lourdement sur les épaules des mères de famille, la « neutraliste » dispose d’une disponibilité d’esprit suffisante pour vaquer librement et aussi longtemps qu’elle le souhaite à d’autres activités : écoute de la prédication, lectures spirituelles et profanes, étude des sciences et pratique des arts, participation aux réunions de sociétés caritatives, distributions de soins aux pauvres et entretiens de relations amicales. Lesquelles activités ne pourront à ses yeux qu’avoir des retombées bénéfiques pour la société, qui serait bien avisée de reconnaître l’utilité du célibat.

69On notera, au passage, que l’emploi du temps proposé en fin de volume par l’ancienne religieuse ne se démarque guère de celui observé dans les couvents. Quel que soit l’état de vie endossé, celui de la moniale demeure le modèle dominant pour organiser le quotidien de toutes les femmes. On notera aussi qu’elle ne s’adresse qu’à une élite sociale et économique dont elle est elle-même issue – au xviie siècle, la plupart des femmes célibataires se retrouvent extrêmement fragilisées et ne peuvent guère s’offrir le luxe d’avoir du temps pour elles. Il n’en demeure pas moins que Gabrielle Suchon est l’une des rares femmes de son temps à oser théoriser un état de vie dont elle met en valeur la possible fécondité sociale et intellectuelle.

  • 103 Paul Yonnet, « L’avènement de l’enfant du désir », Études, t. 412, 2010, p. 43-52.

70Au terme de ce parcours, il semble évident que, jusqu’à la fin du xviie siècle, l’enseignement de l’Église ne détermine pas les femmes à la procréation. La survalorisation de la virginité, dès les premiers temps du christianisme, pousse la plupart des clercs à toujours proposer cet état comme le premier et le meilleur choix pour toutes. D’où leur propension à en exalter les avantages et à en vanter les fruits spirituels. Le mariage, sans être déconsidéré, demeure toujours un second choix, même s’il vise à répondre à l’injonction divine relative à la génération. En cause évidemment la question cruciale de la sexualité. À mesure qu’ils se voient soumis à des règles de continence de plus en plus strictes – qui sont loin d’être observées –, les clercs vont tenter de réguler tout aussi strictement la sexualité des laïcs en ne la légitimant que dans le cadre du mariage et selon des modalités extrêmement restrictives. Les enfants qui en sont issus doivent être considérés comme un don de Dieu – et non le fruit d’un désir humain103 – et le signe d’une relation conjugale bien maîtrisée.

71Ce qui importe finalement à l’Église ce n’est pas que les femmes deviennent mères, mais qu’elles fassent, sous sa direction, le meilleur choix entre deux propositions : le cloître ou le mariage. La première solution est la plus salutaire, pour autant qu’elles soient bien encadrées par l’autorité ecclésiale. La seconde offre également aux femmes des possibilités de salut, à condition qu’elles se dévouent corps et âmes pour leur famille. Laquelle, une fois constituée, est envisagée comme une pépinière de futurs chrétiens sur lesquels il faut veiller dès la naissance. Malgré le prestige accordé aux pères, détenteurs de l’autorité, c’est surtout aux mères qu’incombe cette mission essentielle pour l’avenir du christianisme. D’où la valorisation de leur rôle, mais qui n’arrive jamais qu’en second par rapport à celui des vierges consacrées. Quant à la famille, l’Église, dont le rôle maternel à l’égard de ses membres est régulièrement célébré, se considère comme l’instance suprême pour en régir le bon fonctionnement et pour la suppléer en cas de défaillance. Au temps de la Réforme catholique, il semble que les normes qu’elle édicte soient de mieux en mieux intégrées, à défaut d’être parfaitement observées : la pastorale sur le mariage produit des effets indéniables sur le comportement de nombreux couples et sur l’investissement de certaines mères auprès de leurs enfants, et la plupart des fidèles connaissent – sans toujours s’y conformer – la position de l’Église et ses nombreux interdits touchant à la sexualité.

  • 104 Sylvie Steinberg (dir.), Une histoire des sexualités, op.cit.
  • 105 Blum Carol et Hecht Jacqueline (dir.), Croître ou périr, Paris, Ined, coll. Études et enquêtes hist (...)
  • 106 Sabine Arnaud, « Une maladie indéfinissable ? L’hystérie, de la métaphore au récit, au xviiie siècl (...)
  • 107 Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF (coll. Que sais-je (...)
  • 108 Isabelle Brouard-Arends, Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval (dir.) Femmes éducatrices au siècle des Lu (...)

72Des interdits qui seront bien moins opérants au xviiie siècle, souvent qualifié de libertin, quand émergera la possibilité mentale, mais aussi réelle, de dissocier sexualité et fécondité104. Certes le discours ecclésial y demeure identique, mais il est davantage contesté en même temps que ses porte-paroles se voient de plus en plus dénigrés au sein d’une société en voie de sécularisation. D’autres discours se font dès lors entendre et finissent par prendre le dessus. Les populationnistes s’inquiètent d’un phénomène de dénatalité qu’ils attribuent, notamment, au désintérêt des femmes pour la maternité, tout adonnées à leur apparence et aux plaisirs futiles de la vie – ce sont surtout les aristocrates qui sont pointées du doigt pour leurs prétendues négligences à propos de leur progéniture105. S’ensuit un discours politique visant à encourager la procréation pour assurer la prospérité des États et leur supériorité militaire. Le corps médical rejoint le débat en considérant la procréation comme essentielle pour éradiquer les nouvelles maladies – » vapeurs » et hystérie – qui affligent le monde féminin106. Par ailleurs, on considère qu’il ne suffit pas de procréer, mais aussi de freiner la mortalité infantile et d’assurer le bien-être des jeunes enfants. La charge en incombe tout naturellement aux mères, quel que soit leur rang107. Il n’est donc plus question qu’elles en confient le soin à d’autres, mais qu’elles assument personnellement leur mission. Bien plus déterminante encore pour le rôle des femmes dans la société est l’idéalisation de l’amour maternel – et son instrumentalisation – proposée par les philosophes, à la suite de Rousseau108. À la fin de l’Ancien Régime, ce n’est donc plus la voix de l’Église qui domine quand il est question de procréation. La Nature a remplacé Dieu pour dicter ses exigences.

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Notes

1 Charlotte Debest, Le choix d’une vie sans enfant, Rennes, P. U. de Rennes, coll. Le sens social, 2014 ; Anne Gotman, Pas d’enfant. La volonté de ne pas engendrer, Paris, Éd. Maison des sciences de l’homme, 2017 ; Anne-Sophie Crosetti et Valérie Piette (dir.), No children, no cry, Bruxelles, Sextant, 2019 ; Marie-Jo Bonnet, La maternité symbolique. Être mère autrement, Paris, A. Michel, 2020.

2 Valeria Finucci, Kevin Brownlee (dir.), Generation and Degeneration. Tropes of Reproduction in Literature and History from Antiquity to Early Modern Europe, Londres, Duke U. P., 2001.

3 Marion Muller-Colard, « La fécondité dans la Bible », Études, vol. 12 (décembre), 2019, p. 67-77.

4 Si certaines femmes sont identifiées comme « mère de », c’est le plus souvent pour distinguer les unes des autres celles qui portent le même nom.

5 On est bien loin de l’image du fils très proche de sa mère, qui circulera plus tard dans l’imaginaire chrétien.

6 Christine Pedotti, Jésus, l’homme qui préférait les femmes, Paris, A. Michel, 2018.

7 Yves Simoens, « La famille à la lumière des données bibliques », Nouvelle revue théologique, t. 127, 2005, p. 354-372.

8 Thaddée Matura, « Le célibat dans le Nouveau Testament d’après l’exégèse récente », Nouvelle revue théologique, t. 97, 1975, p. 481-500 et 593-604.

9 Aimé Solignac, « Virginité chrétienne », Dictionnaire de Spiritualité, t. CII-CIII, Paris, Beauchesne, 1992, col. 927-928 ; Yvonne Knibiehler, La Virginité féminine : mythes, fantasmes, émancipation, Paris, O. Jacob, 2012.

10 Charles Munier, Mariage et virginité dans l’Église ancienne (ier-iiie siècle), Berne, Francfort, New York, Paris, P. Lang, Traditio Christiana n° 6, 1987 ; Peter Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif [1988], Paris, Gallimard, 1995 ; Alain Houziaux, « L’idéal de chasteté dès les débuts du christianisme, pourquoi ? », Études théologiques et religieuses, t. 83, 2008, p. 73-103.

11 Juan de Churrucha, « Le sacrement de mariage dans l’Église paléochrétienne », dans Michel Rouche (dir.), Mariage ou sexualité au Moyen Âge. Accord ou crise ?, Paris, PUPS, 2000, p. 109-122.

12 Jean-Marc Prieur, « L’éthique sexuelle et conjugale des chrétiens des premiers siècles et ses justifications », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, t. 82-3, 2002, p. 267-282.

13 Pierre-Emmanuel Dauzat, « Mythologie de l’engendrement et du sexe chez les Pères de l’Église », Diogène, t. 208, 2004, p. 16-29

14 Marcel Bernos (dir.), Sexualités et religions, Paris, Cerf, 1988.

15 Fawzia Tazdaït, « L’idéal de virginité d’après les Pères de l’Église latine », Topique, t. 134, 2016, p. 49-62.

16 Voir, notamment, le récit de leurs Passions dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (ive siècle).

17 Cette fascination pour la virginité va avoir aussi pour conséquence que soit postulée, au fil du temps, la virginité perpétuelle de la mère du Christ. Dominique Cerbelaud, Marie, un parcours dogmatique, Paris, Cerf, 2004.

18 F. Tazdaït, op. cit.

19 D. H. Hunter, « Mariage », dans Allan D. Fitzgerald (dir.), Saint Augustin, la Méditerranée et l’Europe, ive-xxie siècle, Paris, 2005, p. 925-929.

20 À noter, à la décharge d’Augustin, qu’il estime l’homme autant coupable que la femme.

21 Ruth Mazo Karras, « Clergé, mariage et masculinité au Moyen Âge », dans Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, ENS Éditions, 2014, p. 109-120.

22 Jacques Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire » : la religion faite femme (xie-xve siècles), Paris, Fayard, 2008.

23 Marielle Lamy, « Marie, modèle de vie chrétienne : quelques aspects de l’imitatio Mariae au Moyen Âge », dans Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.), Apprendre, produire, se conduire : Le modèle au Moyen Âge : XLVe Congrès de la SHMESP (Nancy-Metz, 22 mai-25 mai 2014), Paris, Éd. de la Sorbonne, 2015, p. 63-78.

24 Michel Lauwers, « L’institution et le genre. À propos de l’accès des femmes au sacré dans l’Occident médiéval », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, t. 2, 1995, p. 279-317. Voir aussi Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir. L’invention de la loi salique (ve-xvie siècle), Paris, Perrin, 2006, p. 203-294.

25 Marie-Thérèse d’Alverny, « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme », Cahiers de civilisation médiévale, t. 78-79, 1977, p. 105-129.

26 Claude Thomasset, « De la nature féminine », dans Georges Duby, Christiane Klapisch-Zuber, Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. II, Le Moyen Âge, Paris, Plon, 1991, p. 55–81.

27 Alain Galonnier, Stercoris saccus : la représentation de la femme comme corps adjuvant et transgressif dans la pensée chrétienne à la basse Antiquité et au Moyen Âge, 2018 [En ligne : hal-01494143v3].

28 Gabriel Le Bras, « Le mariage dans la théologie et le droit de l’Église du xie au xiiie siècle », Cahiers de civilisation médiévale, t. 42, 1968, p. 191-202. Olivier Hanne, « Vivre en société, vivre marié : le mariage d’après les écrits de Lothaire de Segni », dans Claude Carozzi, Daniel Le Blévec, Huguette Taviani-Carozzi (dir.), Vivre en société au Moyen Âge, Aix-en-Provence, P. U. de Provence, 2007, p. 79-103. Adriano Oliva, « Essence et finalité du mariage selon Thomas d’Aquin pour un soin pastoral renouvelé », Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. 98-4, 2014, p. 601-668.

29 Didier Lett, « L’Occident médiéval » dans Sylvie Steinberg (dir.), Une histoire des sexualités, Paris, PUF, 2018 ; Jean Verdon, « Mariage et sexualité », dans Verdon (dir.), Être chrétien au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2018, p. 149-194.

30 Paul Tombeur, « Maternitas dans la tradition latine », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, t. 21, 2005, p. 139-149.

31 Sylvie Barnay, « Les manches de la Vierge : les apparitions mariales entre histoire et théologie », dans Jean-Pierre Delville, Joseph Famerée, Marie-Élisabeth Henneau (dir.), Marie, Figures et réceptions, Louvain-la-Neuve, Mame-Desclée, 2012, p. 45-57 ; Marie-Élisabeth Henneau, « Ide de Nivelles », dans Audrey Fella (dir.), Les femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, Paris, R. Laffont, Bouquins, 2013, p. 464-466.

32 Marie-Élisabeth, Henneau « Pouvoirs d’abbesses et abbesses au pouvoir dans l’Ordre de Cîteaux. Quelques cas de figures aux Pays-Bas et en Principauté de Liège à l’aube de la Renaissance », dans Éric Bousmar et al. (dir.), Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, Bruxelles, De Boeck (Bibliothèque du Moyen Âge, 28), 2012, p. 529-547.

33 Jean-Louis Flandrin, « Contraception, mariage et relations amoureuses dans l’Occident chrétien », Annales. Économies, société, civilisations, t. 24-6, 1969, p. 1370-1390 ; Jean-Claude Bologne, La naissance interdite. Stérilité, avortement, contraception au Moyen Âge, Paris, O. Orban, 1988 ; Véronique Beaulande-Barraud, « Sexualité, mariage et procréation. Discours et pratiques dans l’Église médiévale (xiiie-xve siècles) », dans Cécile Vanderpelen-Diagre, Caroline Sägesser (dir.), La Sainte Famille. Sexualité, filiation et parentalité dans l’Église catholique, Bruxelles, Éd. de l’U. de Bruxelles (Problèmes d’Histoire des Religions, 24), 2017, p. 19-29.

34 Parmi les exceptions, on signalera celui de Margherita Datini (1360-1423), qui a osé assumer publiquement son « non-désir » d’enfant. Voir à ce sujet Ann Crabb, « Ne pas être mère : l’autodéfense d’une Florentine vers 1400 », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, t. 21, 2005, p. 150-161.

35 Vern L. Bullough, « On being a male in the Middle Ages », dans Clare A. Lees, Thelma Fenster, Jo Ann McNamara (dir.), Medieval Masculinities. Regarding Men in the Middle Ages, Minneapolis, U. of Minnesota P., 1994, p. 31-45.

36 Didier Lett, « Enfants désirés, enfants indésirables dans la société médiévale (xiie-xive siècles) », L’Autre, t. 3-2, 2002, p. 218.

37 Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, La naissance dans l’Occident moderne. xvie-xixe s., Paris, Fayard, 1984.

38 Marcel Bernos, Femmes et gens d’Église dans la France classique (xviie-xviiie siècle), Paris, Cerf, 2003.

39 Bernardin de Paris, La religieuse dans son cloistre…, Paris, D. Thierry, 1678, p. 32-33.

40 Girard de Villethierry Jean, La Vie des Vierges ou les devoirs et les obligations des vierges chrétiennes, Paris, A. Pralard, 1693, p. 356-362.

41 Marie-Élisabeth Henneau, « La Querelle au couvent ? De l’inégalité des sexes dans les communautés de religieuses au xviie s. », dans Danielle Haase-Dubosc, M.-É. Henneau (dir.), Revisiter la Querelle des femmes : les discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de la Renaissance aux lendemains de la Révolution française. 1600-1750, Saint-Étienne, PU Saint-Étienne, Coll. L’école du genre, 2013, p. 67-79.

42 Voir, notamment, Jean-Marc Lejuste, « Vocation et famille : l’exemple de la Lorraine aux xviie et xviiie siècles », Chrétiens et sociétés, t. 18, 2012, p. 39-66 ; Alexandra Roger, « Contester l’autorité parentale : les vocations religieuses forcées au xviiie siècle en France », Annales de Démographie Historique, 2013/1, p. 43-67. Marie-Élisabeth Henneau, « Entrer en clôture… ou en sortir. L’écriture de la vocation à la vie cloîtrée chez les annonciades célestes », dans Albrecht Burkardt (dir.), Lexception et la Règle. Les pratiques dentrée et de sortie des couvents, de la fin du Moyen Âge au xixe siècle, Actes du Colloque international du CRIHAM, 26-27 novembre 2015, PU Rennes, 2022.

43 Marcel Bernos, « L’Église et l’amour humain à l’époque moderne », dans Marcel Bernos, Les sacrements dans la France des xviie et xviiie siècles. Pastorale et vécu des fidèles, Aix-en-Provence, P. U. de Provence, 2007, p. 245-264.

44 Maurice Daumas, Le mariage amoureux, histoire du lien conjugal sous l’Ancien Régime, Paris, A. Colin, 2004.

45 Catéchisme du Concile de Trente [1566], Paris, G. Desprez 1648, p. 384-385,

46 Ibid., p. 386.

47 Ibid., p. 383.

48 François de Sales, Introduction à la vie dévote [1609], Paris, S. Hure, 1648, p. 414-418.

49 Ibid., p. 431.

50 Ibid., p. 419. Claire Carlin, « François de Sales et le discours sur le mariage des corps au xviie siècle » dans Laetitia Dion et Cyril Chervet (dir.), Mariage des corps, mariage des esprits, Lyon, U. de Lyon Lumière-Lyon 2, 2009 [En ligne : https://drive.google.com/file/d/1eefwccy3HJd1G4-qbeBUXtHGq_ti7heg/view].

51 Agnès Walch, « La spiritualité conjugale : une tentative de dialogue entre clercs et laïcs dans le catholicisme français (xvie-xxe siècles) », Histoire, économie et société, t. 21-2, 2002, p. 145-160 ; Id, La spiritualité conjugale dans le catholicisme français (xvie-xxe siècle), Paris, Cerf, Histoire religieuse de la France, 2002.

52 Jean Cordier, La Famille sainte où il est traitté des devoirs de toutes les personnes qui composent une famille [1643], Lyon, P. André, 1667, p. 89.

53 Jeanne de Cambry, Traité de la réforme du mariage [ca 1626], paru en 1655, éd. Joan Smeaton, Site « Margot, Moyen Âge et Renaissance : Groupe de recherche-Ordinateur et Textes » [En ligne : http://margot.uwaterloo.ca/regime/reforme.pdf]; Marie-Élisabeth Henneau, « Jeanne de Cambry », dans Audrey Fella (dir.), Les femmes mystiques, op. cit., p. 198-200 ; Claire Carlin, « Jeanne de Cambry : Mystic and Marriage Counselor », dans Tomas Carr (dir.), The Cloister and the World : Early Modern Convent Voices, Charlottesville, Rookwood Press (EMF 11), 2007, p. 113-192.

54 Jeanne de Cambry, Traité de la réforme du mariage, op. cit., p. 14.

55 Ibid., p. 36.

56 Ibid., p. 69.

57 Jacques du Bosc, L’honneste femme, 2e partie, Paris, La Cie des libraires, 1665, p. 300.

58 Ibid., p. 298. Claire Carlin, « Les chagrins du mariage : réflexions sur une catégorie de topos au xviie siècle », dans Françoise Lavocat (dir.), Le mariage et la loi dans la fiction narrative avant 1800, Louvain, Éd. Peeters, 2014, p. 399-416.

59 François de Grenaille, L’honneste mariage, Paris, A. de Sommaville, 1640, p. 34-35.

60 Ibid., p. 24.

61 Jean Girard de Villethierry, La vie des gens mariez… [1695], Paris, F.-A. Pralard, 1699, p. 210.

62 Ibid., p. 215.

63 Anne-Marie Heitz-Muller, « Le corps des femmes et la maternité », dans Anne-Marie Heitz-Muller (dir.), Femmes et Réformation à Strasbourg (1521-1549), Paris, PUF, 2009, p. 181-240.

64 Jean Liébault, Le Thrésor des remèdes secrets pour les maladies des femmes…, Paris, J. Du Puys, 1585, p. 3.

65 Ibid., p. 4. Évelyne Berriot-Salvadore, Un corps, un destin. La femme dans la médecine de la Renaissance, Paris, Champion, 1993 ; Sarah Matthews-Grieco, « Corps et sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, t. I, Paris, Seuil, 2005, p. 167-234.

66 Nicolas Venette, Tableau de l’amour conjugal considéré dans l’estat du mariage, Parme, Franc d’Amour, 1687.

67 Jacques du Bosc, L’honneste femme, op. cit., p. 298-299.

68 Linda Timmermans, L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime [1995], Paris, Champion, 2005. p. 399-433.

69 Jean Cordier, La Famille sainte…, op. cit., p. 214.

70 Abbé Goussault, Le portrait d’une honneste femme raisonnable et véritablement chrétienne, Lyon, J. Lyons, 1694, p. 25.

71 Jean Delumeau (dir.), La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992.

72 Guillaume Le Roy, Devoir des mères avant et après la naissance, Paris, G. Desprez, 1675, p. 16.

73 Ibid., p. 17-18.

74 Ibid., p. 77.

75 Ibid., p. 83.

76 Yvonne Knibiehler, Les pères aussi ont une histoire, Paris, Hachette, 1987.

77 Richard Dognon, Le modèle du mesnage heureux en l’histoire du mariage de Sainct Joseph…, Paris, M. Soly, 1633, p. 173-178. Bernard Dompnier, « La dévotion à Saint Joseph au miroir des confréries (xviie-xviiie siècles) », dans Bernard Dompnier, Paola Vismara (dir.), Confréries et dévotions dans la catholicité moderne (mi xve-début xixe siècle), Rome, École française de Rome, 2008, p. 285-309.

78 Jean Delumeau, Daniel Roche, Histoire des pères et de la paternité, Paris, Librairie Larousse, 1990.

79 Cécile Vanderpelen-Diagre, Caroline Sägesser (dir.), La Sainte Famille, op. cit.

80 Mireille Laget, Naissances, l’accouchement avant l’âge de la clinique, Paris, Seuil, 1982.

81 Marie-France Morel. « L’amour maternel : aspects historiques », Spirale, t. 18-2, 2001, p. 29-55.

82 Le terme renvoie alors à la notion d’administration des biens ou de gouvernance d’une maisonnée.

83 Nicolas Caussin, La Cour sainte [1624], Paris, Cl. Sonnius et D. Bechet, 1647, t. I, p. 153-154.

84 Barbara Diefendorf, From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford U. P., 2004.

85 Mathieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité. La rue pour cloître (xviie-xviiis.), Paris, Fayard, 2011.

86 Jeanne de Chantal (François de Sales), Louise de Marillac (Vincent de Paul), Alix Le Clerc (Pierre Fourier).

87 [Marie Thérèse Peelmans], L’Oratoire des annonciades célestes contenant l’état du Verbe incarné pendant les neuf mois qu’il a été au ventre virginal de sa sainte Mère, commençant le vingt-troisième d’octobre jusqu’au jour de sa nativité et des pratiques pour l’adorer tous les jours de l’octave, Liège, A. Bronckart, [1686].

88 Bernard Hours, « L’Enfant Jésus dans la spiritualité des carmélites déchaussées françaises à l’époque moderne », dans Régis Bertrand (dir.), La Nativité et le temps de Noël, xviie-xxe siècle, Aix-en-Provence, P. U. de Provence, 2003, p. 23-41.

89 Guillaume Gazet, Le cabinet des Dames, Arras, G. Bauduin, 1602, p. 59-60. De nombreux traités paraissent également à l’intention des veuves à qui les clercs déconseillent tous de se remarier. Sur la condition des veuves sous l’Ancien Régime, voir Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Être veuve sous l’Ancien Régime, Paris, Belin, 2001.

90 Yvonne Knibiehler et al., De la pucelle à la minette. Les jeunes filles de l’âge classique à nos jours, Paris, Messidor, 1983. Bernos Marcel, « La jeune fille en France à l’époque classique », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, t. 4, 1996, p. 161-166.

91 Guillaume Gazet, Le cabinet des Dames, op. cit., p. 85-86.

92 Marie-Élisabeth Henneau, « Introduction » dans Danielle Haase-Dubosc et Marie-Élisabeth Henneau (dir.), Revisiter la « querelle des femmes », op. cit., p. 11. Elsa Dorlin, L’évidence de l’égalité des sexes : une philosophie oubliée du xviie siècle, Paris, L’Harmattan, 2001.

93 Elisja Schulte-Van Kessel, « Vierges et mères entre ciel et terre », dans Georges Duby, Michèle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. III, xvie- xviiie s., Paris, Plon, 1991, p. 141-174.

94 Gabrielle Suchon, Le célibat volontaire ou la vie sans engagement, Livre I, Chapitre XXIV, Paris, J. et M. Guignard, 1700, p. 199-200.

95 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « La femme seule à l’époque moderne : une histoire qui reste à écrire », Annales de démographie historique, t. 2 : Famille et parenté, 2000, p. 127-141. Geneviève Guilpain, Les célibataires, des femmes singulières. Le célibat féminin en France (xviie-xxie siècle), Paris, L’Harmattan (coll. « Questions contemporaines »), 2012.

96 Madeleine de Scudéry, Artamène ou le grand Cyrus, dixième partie, livre 2 [Paris, A. Courbé, 1656], Genève, Slatkine Reprints, 1972, p. 344-345 ; Roger Duchêne, Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes, Paris, Fayard, 2001. Claire Carlin, « Préciosité et théologie : l’amour conjugal dans Clélie et dans quelques traités catholiques sur le mariage », dans Delphine Denis, Anne-Élisabeth Spica (dir.). Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au xviie siècle, Arras, Artois P. U., 2002, p. 141-153.

97 Gabrielle Suchon, Le célibat volontaire, op. cit., p. 29-30.

98 Ibid., p. 28-29.

99 Ibid., p. 267.

100 Ibid., p. 205.

101 Ibid., p. 272.

102 Ibid., p. 273.

103 Paul Yonnet, « L’avènement de l’enfant du désir », Études, t. 412, 2010, p. 43-52.

104 Sylvie Steinberg (dir.), Une histoire des sexualités, op.cit.

105 Blum Carol et Hecht Jacqueline (dir.), Croître ou périr, Paris, Ined, coll. Études et enquêtes historiques, 2013.

106 Sabine Arnaud, « Une maladie indéfinissable ? L’hystérie, de la métaphore au récit, au xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, t. 65-1, 2010, p. 63-85.

107 Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?), 2017.

108 Isabelle Brouard-Arends, Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval (dir.) Femmes éducatrices au siècle des Lumières. Rennes, P. U. de Rennes, 2007.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Élisabeth Henneau, « Choix de vie, fécondités et procréation en question
dans l’Occident chrétien, des origines au xviie siècle »
Chrétiens et sociétés [En ligne], 28 | 2021, mis en ligne le 09 juin 2022, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/8313 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.8313

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Auteur

Marie-Élisabeth Henneau

Université de Liège

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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