Florence Buttay, Peindre en leur âme des fantômes. Image et éducation militante pendant les guerres de Religion
Florence Buttay, Peindre en leur âme des fantômes. Image et éducation militante pendant les guerres de Religion, Rennes, PUR, 2018, 376 p., ISBN : 978-2-7535-6528-9.
Texte intégral
1Après avoir conduit ses lecteurs à la poursuite de Fortune dans son premier livre, Florence Buttay change radicalement d’objet en traquant l’éducation des enfants dans le Paris ligueur de la fin du xvie siècle. Ce livre, issu du mémoire inédit de son Habilitation à Diriger des Recherches soutenue en 2018, propose une analyse de quatre recueils manuscrits produits par le collège jésuite de Paris, le collège de Clermont, en 1590 et 1592. Composés d’emblèmes, de poèmes, de calligrammes, d’énigmes, ces recueils sont l’œuvre des élèves parisiens, exposition de leur savoir, à destination de visiteurs prestigieux, en l’occurrence les nonces pontificaux envoyés à Paris pendant la Ligue. Ces tableaux, compositions en grand format mêlant textes d’élèves et dessins d’artistes, tous très différents les uns des autres, étaient initialement exposés dans l’enceinte du collège. Ils étalaient aux yeux des visiteurs une débauche d’érudition et de culture savante, celles des enseignants et des élèves, dans une mise en forme soignée et souvent luxueuse, alors que Paris était en plein siège et que tout manquait. Si la pratique de l’exposition n’était pas nouvelle dans le monde universitaire parisien des siècles précédents, à ce jour aucune œuvre de ce type n’est connue avant le xviie siècle. Qui plus est, retrouver de tels documents particulièrement onéreux dans un Paris agité par les spasmes des conflits religieux est surprenant. Les pièces ainsi produites furent ensuite rassemblées dans ces recueils et offertes aux envoyés pontificaux, trois à Henri Cajetan (1590) et une à Filippo Sega (1592).
2Plus que pour d’autres recherches historiques, ce livre est le fruit d’une rencontre originale et presque inattendue entre l’historienne et ses sources. Quatre recueils composent les sources principales de ce travail, quatre sources dans trois lieux différents mis en regard grâce à la connaissance très fine de Florence Buttay des inventaires des principales bibliothèques européennes. Deux sont conservés dans les fonds latins de la Bibliothèque Nationale, un à la Bibliothèque Casanatense de Rome, un dernier à la Bibliothèque Apostolique Vaticane (manuscrits Chigi). Ces documents n’avaient jamais été mis en regard les uns avec les autres, certains étant même totalement inconnus malgré la qualité de leur réalisation. C’est par le prisme des deux manuscrits romains que Florence Buttay a pu opérer des rapprochements et identifier leur origine commune. Éparpillés dans des fonds éloignés les uns des autres, ces recueils retrouvent dans ce livre leur sens originel. Ils font de ce travail d’abord une découverte documentaire qui reconstitue ce qu’un établissement scolaire garde rarement : le travail de ses élèves. À ce titre, l’analyse des méthodes jésuites à travers le prisme des exercices faits par leurs élèves éclaire un pan des processus pédagogiques de la fin du xvie siècle. Mais l’ambition de son auteur ne s’arrête pas là. S’inscrivant dans une historiographie portée par les travaux de Christian Jouhaud, elle propose de comprendre ces productions comme une action politique, elle « invite à considérer littérature et image polémiques des guerres de Religion comme des moyens d’action ». L’idée n’est pas de savoir si ces pièces représentent un courant de pensée ou une opinion, mais bien plus de savoir comment elles façonnent le parfait élève jésuite de la ligueuse Paris, comment elles transmettent à cette génération d’adolescents le goût d’un militantisme radical.
3Éduquer les enfants pendant les guerres de Religion relève d’un champ historiographique très récent : le dernier livre de Denis Crouzet, Les enfants bourreaux au temps des guerres de Religion (Albin Michel, 2020) ainsi qu’un programme de recherche de l’Université de Bordeaux-Montaigne jalonnent ce chantier à peine ouvert auquel se rattache ce travail. Il cherche à ouvrir des pistes de réflexions – la pédagogie jésuite, la vie dans un collège au temps de la radicalité religieuse, l’appropriation du savoir par les élèves – mais il veut aussi offrir aux chercheurs futurs ces sources nouvelles qui appellent à des rapprochements. La mise en relation de ces quatre recueils est le fruit de l’érudition personnelle de Florence Buttay, et le lecteur se dit que d’autres ouvrages de ce type sommeillent encore dans d’autres dépôts sans qu’on puisse être certain de leur existence. Ce livre est le produit d’un moment singulier dans la carrière d’un chercheur. Il se veut aussi jalon pour l’avenir. Il propose dans sa deuxième partie une édition de 25 affiches reproduites, transcrites et commentées. Elles ont été sélectionnées en fonction de topiques récurrentes et significatives – le coq, le navire, le jardin,…– clefs de lecture de nombreuses autres œuvres issues d’un imaginaire commun. Ce livre d’histoire s’appuie sur l’histoire de l’art, le goût de la résolution des énigmes, la connaissance du latin et nous fait ainsi entrer dans l’univers souvent hermétique des érudits du début de l’âge baroque. On touche ici à l’éducation d’une élite intellectuelle qui cultive la distinction sociale par son savoir.
4Sur le plan de l’histoire religieuse, ce livre invite à réfléchir sur deux aspects de la vie au Collège de Clermont à la fin du xvie siècle. Il revient d’abord sur le collège, ses enseignants jésuites et ses élèves. À côté d’une histoire des formes éducatives, on y voit la place de l’enseignement religieux et son imbrication dans la culture classique. Pris dans le contexte des affrontements des années 1590, on y voit un enseignement classique qui se met au service de l’engagement ligueur. Les élèves apprennent les éléments caractéristiques d’un discours polémique en plein développement pendant la Ligue, que ce soit sur le plan graphique ou discursif. On mesure ici combien les jésuites savent accorder le contenu de leur formation aux enjeux religieux et politiques de leur époque. Le second aspect, plus novateur, est celui de « l’éducation militante » dans une institution catholique plongée dans la Ligue. Les élèves apprennent à connaître un Henri IV critiqué, doté d’un pieu de chasse pour être systématiquement délégitimé. Ces militants en herbe d’un catholicisme radical ne sont pas des théologiens en formation, ils sont des hommes d’action dotés d’une culture polémique. Ils sont ainsi capables d’un engagement idéologique derrière la cause parisienne ainsi que d’argumenter et comprendre les ressorts d’une polémique confessionnelle. À côté des processions ligueuses bien connues et bien étudiées, à côté des mouvements émeutiers parisiens qui plongèrent la ville dans un climat de cité assiégée, ces affiches et les élèves du collège jésuite intègrent pleinement cet espace public théâtralisé qu’est celui de Paris durant la Ligue. Par leurs œuvres, par l’écho qu’ils donnent aux polémiques du moment, par leur engagement catholique, ils apparaissent comme un des éléments déterminants de cette radicalité ligueuse.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre-Jean Souriac, « Florence Buttay, Peindre en leur âme des fantômes. Image et éducation militante pendant les guerres de Religion », Chrétiens et sociétés, 27 | 2020, 207-209.
Référence électronique
Pierre-Jean Souriac, « Florence Buttay, Peindre en leur âme des fantômes. Image et éducation militante pendant les guerres de Religion », Chrétiens et sociétés [En ligne], 27 | 2020, mis en ligne le 19 mars 2021, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/7883 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.7883
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