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« Pour servir d’éclaircissement à ceux qui pourroient estre abusez par les artifices, cabales et colligations1 » : négocier l’autorité au sein des communautés de religieuses à l’époque moderne

Ghislain Tranié
p. 61-86

Résumés

Le concordat de Bologne et le concile de Trente entraînent un changement majeur dans la désignation de l’abbesse et de la supérieure des maisons de religieuses. L’élection triennale, la résignation et surtout la nomination royale s’invitent au cœur des communautés. Le jeu des élections s’en trouve troublé et les religieuses ne manquent pas de contester des modalités qui leur sont imposées. Ces contestations permettent d’observer la vivacité des communautés ou, au contraire, les crises qui les affectent. Car les contestations de désignation de l’abbesse dévoilent l’imaginaire partagé (ou discontinu) de l’autorité légitime au sein du couvent pour les religieuses, ainsi que le hiatus qui peut exister entre la conception de l’abbatiat pour la communauté et pour les différents acteurs extérieurs qui peuvent interférer.
En faisant le choix de la justice civile et, à partir du XVIIe siècle, de porter à la connaissance du public leurs contestations dans des mémoires judiciaires, les religieuses s’inscrivent dans des pratiques de négociations et de confrontation avec l’autorité royale (ou épiscopale) afin d’être reconnues dans leurs privilèges et comme des actrices légitimes face au Christ mais aussi dans le monde, malgré la clôture.

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Texte intégral

  • 1 Délibération capitulaire des religieuses, prieure et convent de l’abbaye de Notre-Dame de La Brell (...)
  • 2 Jean-Charles Thilorier, Plaidoyer pour la sœur St François de Mellet, Abbesse du Monastère des Rel (...)

[...] on a osé appliquer à la Dame St. François les expressions de St. Augustin contre des Religieuses qui avoient franchi les bornes du devoir, ou qui n’avoient porté dans la Religion que les restes de la corruption du siècle.
Me Thilorier, 28 avril 17582

  • 3 L’engagement des femmes dans le monde régulier connaît depuis une trentaine d’années un renouveau (...)

1l’abbesse ou la supérieure d’un couvent féminin revient souvent, à l’époque moderne, à interroger la nature de l’autorité possible pour une femme au sein de l’Église alors que la Réforme catholique semble plutôt s’ancrer sur des piliers masculins : l’évêque, le directeur spirituel et le prêtre. Pourtant, les abbesses des abbayes royales, les supérieures et prieures d’instituts d’envergures plus modestes ou voués à des missions plus spécifiques (la visite des malades, l’accueil des pénitentes, la vocation enseignante, etc.) exercent une autorité réelle et suscitent l’intérêt des rédacteurs de biographies spirituelles. Surtout, elles gouvernent un temporel qui fait des maisons de religieuses des acteurs économiques et sociaux de premier plan. À l’instar des hommes, ces femmes œuvrent au salut de l’Église et de la communauté des chrétiens à travers leur engagement au sein du monachisme3.

  • 4 L’incorporation des maisons régulières aux pratiques politiques, culturelles et sociales de la vil (...)
  • 5 Patrick Arabeyre, Brigitte Basdevant-Gaudemet (dir.), Les clercs et les princes. Doctrines et prat (...)
  • 6 Alain Tallon, La France et le concile de Trente (1518-1563), Rome, École française de Rome, 1997.

2La monarchie ne s’y trompe pas et incorpore peu à peu la charge abbatiale à la procédure bénéficiale dès le règne de François Ier grâce au concordat de Bologne (1516)4. Après René Choppin à la fin du xvie siècle, plusieurs juristes, avocats et spécialistes en droit civil et droit canon des xviie et xviiie siècles, entérinent le droit du roi à nommer les abbesses5. Pour les religieuses, l’abbesse demeure la tête d’un corps à guider dans une logique de salut et de reconnaissance de chacun de ses membres. Le concile de Trente leur permet encore de faire valoir leur suffrage, par l’élection triennale, mais sous un contrôle ecclésiastique étroit6.

3Deux logiques se dévoilent à l’occasion de la désignation de l’abbesse : celle des religieuses, pour lesquelles la tête doit procéder du corps ; et celle de l’État, pour lequel la tête doit faire fonctionner le corps. Chaque camp peut alors revendiquer ses propres critères d’idonéité et les opposer au moment de la désignation de l’abbesse. Face à ce qu’elles considèrent souvent comme de l’ingérence, les religieuses défendent le principe d’élection et contestent tout autre processus. Les recours au roi, à la justice civile et au tribunal d’un public lettré et versé dans la matière juridique dévoilent des religieuses de plus en plus promptes à faire valoir ce qu’elles estiment relever de leur droit, quel que soit le risque encouru. Exposer au grand jour une situation de crise devient ainsi une question salutaire pour des religieuses qui voient dans l’imposition d’une abbesse une rupture majeure avec l’ethos monastique et leur propre honneur de religieuse.

4Le décalage entre les dispositions culturelles et sociales des religieuses et les nouvelles aptitudes de l’État dans le processus de désignation de la supérieure constitue donc le cœur du problème. Toutefois, dans un premier temps, il faut inscrire le champ de la contestation dans un contexte de mutation du processus de désignation, entre élection, nomination et résignation de la charge d’abbesse ou de prieure. Un deuxième temps doit ensuite permettre de définir le champ des possibles pour des religieuses malcontentes, à partir de quelques exemples de contestation et d’appel à la justice. Enfin, un dernier temps doit être consacré aux appels incessants faits par les religieuses à leur parenté, à leur supérieur, au roi, et – de façon nouvelle avec le factum – au public : contester constitue ainsi moins une forme de révolte qu’un appel à négocier et à régler un contentieux.

Élire, nommer, résigner une charge. L’évolution des modes de désignation de la supérieure à l’époque moderne

  • 7 Grégory Goudot, Les origines et le monde. Réformes des réguliers, pouvoirs et société dans le dioc (...)

5À l’époque moderne, la supérieure d’une maison de religieuses peut être désignée selon trois modalités : l’élection (à vie ou pour un mandat triennal) par le chapitre des religieuses professes, la nomination par le supérieur (l’évêque ou un régulier) ou par le roi, la résignation de la dignité abbatiale en faveur d’une autre religieuse (avec l’autorisation du supérieur et de la communauté)7. L’élection diffère des deux autres modes de désignation en ce qu’elle procède d’abord de la communauté des religieuses, sous la supervision du supérieur ou de son délégué, et en ce qu’elle est un rituel politique qui vérifie la cohésion de la communauté (même si la brigue d’une religieuse, l’influence du supérieur ou des réseaux lignagers peuvent s’y faire sentir). Quel que soit le mode de désignation, la nouvelle supérieure doit obtenir du Saint-Siège des bulles de provision pour être investie. Ce n’est qu’à la suite de leur réception que la supérieure est bénie et reçoit les insignes de sa nouvelle charge.

  • 8 Jean-Marie Le Gall, Les moines au temps des réformes. France (1480-1560), Seyssel, Champ Vallon, 2 (...)
  • 9 Olivier Poncet, La France et le pouvoir pontifical (1595-1661). L’esprit des institutions, Rome, É (...)
  • 10 Olivier Poncet, « Un aspect de la conquête française de l’Artois : les nominations aux bénéfices m (...)

6Depuis la Pragmatique sanction de Bourges (1438), et à l’exception de certaines abbayes royales où le roi se réserve la nomination, l’élection est la règle, même si le roi peut recommander une religieuse. Les réformes monastiques du xve siècle tendent à confirmer cette situation : les Sentiments (1430) de Colette de Corbie prévoient ainsi une élection à vie pour les monastères de clarisses réformées. Cette situation est cependant bouleversée au début du xvie siècle par deux processus : la diffusion de la réforme monastique par des réformateurs extérieurs aux couvents à réformer et l’incorporation des maisons féminines au Concordat de Bologne (1516), avec les Indults de 1531 et de 1548. La réforme monastique constitue un bouleversement pour de nombreuses communautés : l’abbesse est le plus souvent destituée et la communauté en partie dispersée, afin que de nouvelles religieuses, choisies par le réformateur, accomplissent la réforme et procèdent à l’élection – triennale cette fois – d’une nouvelle supérieure. L’appui manifeste de la monarchie à ce processus de 1498 à 1525 infléchit le processus : le roi préfère en effet nommer une supérieure plutôt que de laisser se tenir des élections8. Le Concordat de 1516 réduit davantage la pratique élective, même si l’opposition d’une partie du clergé se fait sentir au moins jusqu’aux États généraux de 1560 : désormais les monastères de femmes passent sous le régime de la nomination royale, à l’exception des abbayes chefs d’ordre (comme Fontevrault où la pratique de la résignation constitue, aux xvie et xviie siècle, un mode intermédiaire entre l’élection et la nomination) et des maisons de clarisses urbanistes. L’absence de formulation explicite dans le texte concordataire amène François Ier et Henri II à requérir des Indults, consentis en 1531 puis en 1548, les confirmant dans leur droit de nomination. Henri III réaffirme encore son autorité en la matière par la déclaration royale du 21 mars 1580. Après cette date, le droit du roi devient la règle pour les abbayes, sauf mention d’un privilège concédé par la monarchie. Seules les clarisses conservent une certaine liberté élective même si la monarchie multiplie les démarches judiciaires afin d’y imposer la nomination royale9. Mais ce qui est compris comme une exception par les intéressées est interprété comme un privilège par la monarchie. Les dominicaines, également issues d’un ordre mendiant, revendiquent aussi cet état. Enfin, se pose la question des provinces non mentionnées dans le concordat de Bologne (Bretagne, Provence) et des territoires conquis par la suite, pour lesquels la nomination ou l’élection résultent de la négociation et du rapport de forces10.

7Le concile de Trente réintroduit en 1563, lors de la 25e session, la pratique de l’élection triennale, assortie de conditions sur l’idonéité des supérieures. Néanmoins sa réception en France ne vaut que pour les ordres féminins de la Réforme catholique (et par conséquent non intégrés dans le concordat de 1516) : Annonciades célestes, Bénédictines du Saint Sacrement, Carmélites déchaussées, Capucines, Ursulines, Visitandines. Les prieures des couvents de ces ordres nouveaux, placées sous la surveillance de l’évêque, ne constituent pas des enjeux de premier plan pour la monarchie, ne serait-ce qu’en raison de leur inscription dans un contexte urbain qui multiplie les possibilités d’intervention. Il ne faut sans doute pas non plus négliger le domaine temporel : ces maisons de religieuses possèdent des revenus souvent moins importants que les abbayes et les couvents inclus dans le concordat de Bologne. La monarchie tend ainsi à se concentrer sur les abbayes aux plus hauts revenus (Fontevrault, Saint-Pierre de Lyon, Saint-Pierre-les-Nonnains de Reims, les Dames de Saintes, etc.).

  • 11 Pierre Blet, « Le Concordat de Bologne et la Réforme tridentine », Gregorianum, t. XLV (1964), p.  (...)

8Au final, l’affirmation de l’autorité royale en matière de nomination ne doit pas masquer la pluralité des cas : les apanagistes bénéficient ainsi d’un réel droit de nomination au xviie siècle ; les protecteurs de communautés religieuses conservent un droit de patronage qui leur confère une capacité et une légitimité à intervenir jusqu’au xviiie siècle ; les évêques des xviie-xviiie siècles affirment leur autorité et recommandent des candidates au roi et aux communautés. Plusieurs configurations restent possibles11. Elles procèdent d’un renforcement de l’autorité royale, du contrôle gallican exercé par les évêques, et de la logique réformatrice (monastique et surtout tridentine).

« Étant toujours aussy jalouses de la conservation de notre liberté12 » : des religieuses soucieuses de leurs droits

La contestation, un mode récurrent d’expression au sein des monastères

  • 13 La succession par coadjutorerie concerne aussi bien les évêques que les abbesses. Il s’agit, pour (...)
  • 14 Sur le rite électif comme forme de politique au couvent, voir Frédéric Meyer, « Des règles de démo (...)

9Tout au long de l’époque moderne, les abbayes féminines résonnent du bruit et, parfois, de la fureur de religieuses contestant les nominations royales, les successions par coadjutorerie13 et même les élections. Ces situations ne sont pas nouvelles : déjà les laïcs interviennent lors des désignations des supérieures au Moyen Âge. Néanmoins la modernité surgit dans les couvents lors d’un changement de paradigme dans la relation de l’Église à l’État, dont la succession aux bénéfices ecclésiastiques est l’un des marqueurs. Avec le concordat de 1516, l’institution monastique quitte peu à peu le droit canon pour rejoindre celui du droit positif. L’élection cède la place à la nomination royale. Or les religieuses conçoivent jusque-là l’élection comme le moment de vérité de l’institution monastique14. Se voulant inspirées par Dieu, guidées par leurs exercices spirituels, appelées à donner leur suffrage en fonction de leur rang au sein de la maison (religieuses de chœur, converses, novices) et comme participantes à la communauté, elles attendent de l’élection la révélation d’un autorité juste et honorable, œuvrant à la continuité de la sororité. La nomination et la résignation en coadjutorerie entraînent souvent des difficultés : comment mesurer l’adéquation de la nouvelle abbesse à la communauté en l’absence des suffrages des religieuses ? et comment, pour ces dernières, reconnaître en l’abbesse leur mère supérieure naturelle ? De plus, le rejet croissant par les autorités, laïques comme ecclésiastiques, des élections dans les abbayes constitue un problème majeur pour des femmes, souvent issues de la noblesse et conscientes de leur rang, pour lesquelles toute décision se négocie, surtout si celle-ci doit actualiser le rang de chaque membre de la communauté.

  • 15 Olivier Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Seuil, 2014 (...)

10Dans ce contexte, la nomination peut être perçue comme une rupture avec le jeu du nombre, contestable dans une société d’ancien régime qui valorise la qualité, et comme un renforcement des jeux de privilèges et de la faveur au travers desquels la valeur de l’individu peut être mesurée. La potentielle déconnexion entre l’intérêt du souverain (ou du supérieur) et l’intérêt de la communauté – notamment lorsqu’une religieuse extérieure au couvent est désignée – peut susciter de requêtes judiciaires complexes car les religieuses sont dotées d’un capital lignager, social, culturel et juridique qui démultiplie leur agentivité15. Ainsi, alors que la nomination et la résignation en coadjutorerie progressent parmi les abbayes et les couvents du royaume, les contestations prennent une ampleur évidente aux xviie-xviiie siècles. Quelques cas de figures peuvent ainsi être repérés : les contestations s’y focalisent sur les nominations qui contreviendraient aux libertés du couvent, sur celles qui seraient intervenues à l’occasion d’une désignation faussée, sur celles qui confèreraient l’autorité à une religieuse perçue comme non idoine par son absence de vertu, son jeune âge ou son origine extérieure à la communauté ou l’ordre, et sur celles qui résulteraient du népotisme ou de la simonie.

Contester la désignation au nom des libertés du couvent

  • 16 De la fin du xvie siècle au début du xviiie siècle, plusieurs maisons de religieuses dont certaine (...)
  • 17 Fabienne Bliaux, « Clarisses colettines et clarisses urbanistes dans le nord de la France au xviie(...)

11La question des libertés du couvent agite fortement les religieuses de l’époque moderne parce qu’elle touche à l’essence même de l’autorité, aux modalités de sa délégation à l’abbesse et aux principes de sa désignation. Cet enjeu explique que plusieurs communautés concernées en viennent à se placer sur le terrain juridique malgré la complexité de la procédure. Celle-ci provient de la coïncidence entre l’institution judiciaire civile, peuplée de gens du roi, et l’enjeu réel de la procédure, à savoir décider de qui procède l’autorité au sein d’une abbaye et selon quelle modalité (l’élection ou la nomination)16. Publié en 1678, le plaidoyer d’Olivier Patru contre les clarisses urbanistes de l’abbaye Saint Jean-Baptiste du Moncel en est l’illustration. Le propos de l’avocat vise à démontrer le droit du roi à nommer aux bénéfices réguliers, y compris aux abbayes de femmes, afin de permettre à l’abbesse nommée par le roi, Claire-Charlotte de Rotondis de Biscaras, religieuse bénédictine de l’abbaye de Saint-Pierre à Reims et sœur de l’évêque de Béziers, de rentrer en possession de ce bénéfice, contre des religieuses qui refusent toute abbesse nommée, sans regarder son extériorité à l’ordre franciscain17. Cette querelle s’inscrit dans un double contexte juridique a priori favorable aux religieuses : la situation particulière de l’ordre franciscain (un ordre mendiant), et la promotion de l’élection triennale par la Réforme catholique. Pour Olivier Patru, l’affaire illustre l’illégitimité de l’élection. Celle-ci doit en effet être rejetée pour le désordre qu’elle introduit au sein de la communauté : calculer les suffrages sans peser les voix – c’est-à-dire la qualité de celles qui les expriment – revient à transgresser l’ordre social. L’autorité de l’abbesse serait par conséquent établie de façon négative : fondée sur le désordre et en dehors de toute norme sociale, elle ne pourrait produire que sa propre chute, faisant augurer celle de la société qui aurait permis une telle situation. Il s’agirait aussi d’une innovation scandaleuse au regard du droit du roi et de sa prééminence, fondant sa capacité juridique à nommer. Pour l’avocat, l’abbesse détient une autorité qui est un bénéfice temporel, une dignité nécessairement conférée par le prince :

  • 18 Olivier Patru, Plaidoyer d’Olivier Patru, Conseiller du Roy en ses conseils et Advocat au Parlemen (...)

Donc pour reprendre en peu de paroles tout ce discours, on a fait voir que par la Loy de la Royauté, le droit de nommer aux Prelatures de l’un & de l’autre sexe, appartient à nos Monarques. Qu’ils ont ce pouvoir cette autorité comme Rois. Qu’ils en ont usé à la veuë de toute l’Eglise, sans que l’Eglise ou les Conciles ayent reclamé contre cet usage. Que cette auguste preéminence n’est point si extraordinaire qu’elle ne leur soit commune en l’ancienne Loy, avec les Rois de Juda les plus renommez dans l’Escriture ; & parmi nous, non seulement avec l’Empereur & autres Princes de la Chrestienté ; mais encore avec le moindre Patron Laïque.
On a fait voir que par les Canons le choix des Abbesses, comme tout le reste de l’œconomie des Monasteres, ne dépend que des seuls Evesques, & que les Religieux ou Religieuses n’y ont nulle part, tellement que l’Election ne peut leur appartenir que par privilege, & ce privilege, la mesme main qui l’a donné le peut oster. Qu’ainsi soit qu’ils tiennent cette grace ou des Papes ou de nos Rois, le Concordat qui est l’ouvrage de ces deux Puissances, l’a indubitablement revoquée ; Qu’enfin dans la corruption de nos mœurs les Elections ne produisent communement que du desordre & du scandale18.  

  • 19 A. Reneault, art.cit., p. 92.

12Dans le cas où les religieuses gardent théoriquement le contrôle des élections à l’époque moderne, des contestations liées à des accusations d’élections faussées peuvent apparaître, révélant le plus souvent un cumul de dissensions internes au couvent et de pratiques d’influence sur l’élection par des lignages, des réseaux ou un agent extérieur au couvent. Les bénédictines du Saint-Sacrement en font l’amère expérience lors de l’élection du 20 mars 1735. Ce monastère est alors marqué par une division des moniales et par l’intervention d’autorité du roi. L’archevêque de Rouen, Mgr de Saulx-Tavannes, est conscient que sa candidate, la Mère Saint-Placide, prieure du monastère des bénédictines de Dreux – n’est pas assurée d’être élue. Aussi, afin d’écarter les récalcitrantes, l’archevêque préside lui-même à l’élection. L’intendant de la généralité, M. de la Bourdonnaye, se fait aussi annoncer et vient lire à la grille du couvent une lettre de cachet du roi qui exclut six moniales de l’élection. Dix autres religieuses prennent le parti des religieuses exclues et refusent l’élection19.

Contester au nom de la pesée des voix

  • 20 Joseph Gardère, Philippe Lauzun, « Le couvent des Dominicaines de Pont-Vert ou Prouillan à Condom  (...)
  • 21 Élie Haddad, Fondation et ruine d’une « maison ». Histoire sociale des comtes de Belin, Limoges, P (...)
  • 22 Bibliothèque nationale de France, Fr 4222, f°419-420v (1649).

13La plupart du temps, les contestations liées à une élection qui serait faussée proviennent d’une mésentente existante au sein du couvent. Les suffrages sont recueillis par des scrutatrices et non exprimés à voix haute devant la communauté. Ce procédé n’est guère compatible avec la pesée du suffrage revendiquée par les religieuses en cas de division, à ceci près que la collecte des suffrages ne s’effectue pas dans n’importe quel ordre. De plus, l’élection demeure sous la surveillance du supérieur ou de son représentant. L’élection dépasse donc les murs de la clôture. En ce sens, les élections qui persistent à l’époque moderne portent en elles un hiatus sur le sens à donner à l’élection : s’agit-il de désigner une abbesse susceptible de conduire une communauté de femmes ? une détentrice d’un bénéfice temporel à administrer ? ou une supérieure inter pares, réglant par sa prééminence un jeu d’abord social ou politique ? Cette situation se retrouve dans la première moitié du xviie siècle au monastère de religieuses dominicaines de Prouillan20. L’intervention du roi y est requise en 1649 en raison d’une bataille rangée entre deux clans, soutenant chacun leur abbesse : sœur Léonor d’Aphis d’un côté, et sœur Louise de Sérillac de l’autre. La première, religieuse au couvent depuis 1625, est choisie par une partie des religieuses. Issue d’une famille de parlementaires bordelais, elle a pour proches parents deux évêques de Lombez entre 1597 et 1627. L’appui familial est cependant précaire : elle doit plutôt son élection à son ancienneté. Dans l’autre camp, sœur Louise de Sérillac peut compter sur un puissant relais lignager. Fille du baron de la Serre et de Sérillac, elle a intégré un couvent quasi-lignager, à travers sœur Frize de Faudoas en 1542, sœur Antoinette de Faudoas de Sérillac (religieuse en 1603, prieure en 1610 et abbesse en 1625 et 1635) et sœur Olympe de Faudoas de Sérillac (entrée en 1606, mentionnée entre 1610 et 1635). Les Faudoas-Sérillac connaissent toutefois un revers de fortune qui entraîne la « ruine » du lignace21. Conserver le couvent de Prouillan doit donc permettre de limiter le déclin de la lignée. La solution imposée par le roi (en fait Mazarin et Anne d’Autriche) consiste dans le choix d’une troisième religieuse, issue d’un autre couvent de dominicaines22. L’abbesse nommée a le mérite de réunir la communauté... contre elle : il faut faire appel à la force pour imposer l’entrée de la nouvelle abbesse et procéder à son installation !

Contester au nom du principe d’idonéité

14Élection ou nomination, la désignation d’une religieuse perçue comme non idoine constitue un puissant motif de discorde entre les religieuses critiques et les autorités qui ont procédé à la désignation ou, dans le cas d’une élection, qui l’ont influencée. La démonstration des qualités, ou, à défaut, leur réputation, chez une religieuse fonde, pour ses consœurs en religion, sa capacité à accéder à l’abbatiat. Or ces qualités demeurent définies de façon très générale pour les femmes de l’époque moderne : une bonne abbesse doit d’abord être une mère pour sa communauté, qui écoute, conseille, rassemble et pacifie sa communauté, châtie les récalcitrantes, accueille les novices, consulte et suit les avis de son supérieur. Ces qualités peuvent avoir été éprouvées dans les différents offices présents au sein des abbayes (prieure, maîtresse des novices, zélatrice, etc.). Il importe donc aux religieuses de désigner à l’abbatiat une moniale capable de gouverner. Néanmoins, ce problème particulier pèse peu lorsque la discorde entraîne des religieuses à requérir une intervention extérieure, comme le rapporte le cas XIII du chapitre « Élection » du Dictionnaire des cas de conscience de Jean Pontas :

  • 23 Jean Pontas, Dictionnaire des cas de conscience, ou décisions des plus considérables difficultés t (...)

Un certain Couvent de Filles d’un Ordre mendiant situé au Diocèse d’Acqs, a été fondé il y a près de quatre siècles, par un roi de France, qui ne s’en est pas réservé la nomination, & qui a laissé libre l’élection de la Supérieure, conformément à la Regle & aux Statuts de cet Ordre. Ce Monastere a exercé ce droit d’élection depuis sa fondation jusqu’en 1700 sans aucune interruption : mais enfin quelques-unes des Religieuses s’étant laissées séduire par un esprit de schisme, ou par la sollicitation de quelques personnes de qualité, ont eu assez d’adresse & de crédit pour surprendre la religion du Roi, en lui persuadant que leur Couvent étant de fondation Royale, il étoit en droit d’en nommer la Supérieure & d’en faire agréer au Pape la nomination encore que l’usage de quatre siecles fût une preuve authentique que Sa Majesté n’avoit pas ce droit. Le Roi nomma donc pour Superieure de ce Monastere une Religieuse d’un autre Ordre, qui, par l’autorité de ce Prince, & sur un faux exposé, obtient à Rome l’expedition de ses Bulles, et se mit en possession de sa nouvelle dignité23.

15Parmi les critères fondant une abbesse idoine, l’âge de l’abbesse élue ou nommée entre aussi en considération et peut favoriser les cas de contestation auprès des instances ecclésiastiques ou du Grand Conseil. Certes, pour les abbesses, il est difficile de caractériser précisément qui est idoine ou ne l’est pas alors que, pour les dignités abbatiales masculines, le passage par tel séminaire, telle université et l’obtention de grades délivrés par la Faculté, fondent la capacité à recevoir un bénéfice ecclésiastique. L’élection, lorsqu’elle perdure, pose la question des responsabilités d’un éventuel manque de qualités de la part de la religieuse élue. Gaspard-François Berger de Moydieu en fait le constat dans son histoire manuscrite de l’abbaye de Saint-Pierre de Lyon, achevée en 1783 :

  • 24 Bibliothèque municipale de Lyon, ms. Coste 297 : Gaspard-François Berger de Moydieu, Tableau histo (...)

Malgré cela, il faut convenir que dans le secret du cloître, on ne répondoit pas toujours à la sagesse de cette intention, et que des passions de toute espèce s’élevoient quelquefois pour traverser l’opération du St Esprit destinée à déterminer le suffrage de ces assemblées. On avoit vu ces saintes filles, oubliant ce qu’elles devoient apporter de désintéressement dans ces occasions importantes, cabales pour leur compte ou pour celui de leurs amies, et s’abandonner à des mouvemens personnels, capables de les avilir elles-mêmes et de détruire toute l’économie domestique. On avoit vu des chapitres bruyants, entrecoupés de scènes orageuses, des chapitres où l’on ne s’entendoit point, prorogés lontemps et sans discrétion, différés au-delà des bornes la nomination des abbesses, et faire craindre que l’intrigue ou la violence ne passassent de bien loin par-dessus les règles, mais ordinairement les têtes étoient froides, le cœur bien mû, et le désir d’opérer la plus grande utilité de l’abbaye s’annonçoit en tout comme le sentiment dominant des capitulantes24.

  • 25 Délibération capitulaire des religieuses, op.cit., p. 1.

16Les cas de résignation introduisent une nouvelle problématique : comment être certain de ce que la coadjutrice désignée répond aux critères d’idonéité ? Si cette modalité de désignation demande l’assentiment du roi, qui consent à la succession (pour ne pas dire qu’il accorde la nomination), elle court le risque de mécontenter la communauté des religieuses dont les suffrages ne sont pas requis, ainsi que les réseaux qui pèsent habituellement sur l’élection et qui se voient opposer la faveur du prince. Cette configuration se retrouve à l’abbaye de Notre-Dame de Biaches (diocèse de Noyon), lorsque les religieuses bernardines entrent en conflit avec leur abbesse et sa coadjutrice. Ces moniales font imprimer une déclaration capitulaire préparée le 6 décembre 1668. L’objectif affiché est « la Défense du Droit & Privilège d’Election qui leur appartient, même au cas de destitution de leur Abbesse25 ». Des arguments de toute nature y sont avancés pour faire triompher la cause des religieuses, et faire de l’élection capitulaire un moment de vérité de l’institution monastique et de la légitimité de la communauté à consentir, sinon à choisir, l’abbesse :

  • 26 Ibid., p. 6.

Tout le monde sçait, que Dame Blanche d’Estourmel cy-devant notre Abbesse, ayant aussi bien dans le retour de son âge, que dans sa Jeunesse, mené une vie effroyable dans ce Lieu saint, il ne reste plus en notre Communauté aucune de celles qui ont esté suspectes de luy avoir trop facilement adhéré ; Et nous pouvons dire hardiment dans la bien-séance religieuse, que nous nous sommes conservées par l’aide du Ciel dans la pureté de nos vœux, comme l’or parmy les ferrailles, sans contracter aucune rouille. Mais cette Abbesse attira icy Sœur Marguerite de Vilechole de Vilosne, dite de S. Bernard, Religieuse professe de l’Abbaye-au-Bois, pour estre sa confidente, à l’occasion de ce que après une de ses couches, ayant esté reléguée en ce Lieu-là par Sentence d’un Commissaire de l’Ordre, pour y vivre certain temps comme simple Religieuse (ce qui fut fait par les soins de Madame du Frétoy sa propre Mère, pour éviter pis, & par la vigilance de Madame la Duchesse de Péquigny), elle forma une habitude singulière avec la Vilosne, qu’elle trouva propre à ses inclinations ; & après sa pénitence faite, l’ayant amenée céans avec elle, voulut diverses fois la faire stabiliser & adopter, ce qui fut toujours refusé par la Communauté. Mais depuis, après plusieurs menées, elle voulut la faire sa Coadjutrice avec future Succession à l’Abbaye, pour donner encore plus de force à leurs mal-heureuses intrigues26.

17La vigueur du plaidoyer contre des religieuses dépourvues de toute idonéité ne doit pas faire oublier l’objectif premier : empêcher la validation par le roi d’une transmission de l’abbatiat par résignation, et procéder à la destitution de l’abbesse responsable des désordres. S’il ne s’agit pas ici d’analyser les ressorts de cette guerre ouverte entre l’abbesse, sa coadjutrice et les religieuses, il faut au moins constater le scandale causé par la personnalité de la religieuse censée succéder à l’abbesse et, si l’on suit le raisonnement des religieuses, comprendre que la résignation n’est qu’un avatar de désignation permis par le principe de nomination, auquel seule l’élection pourrait permettre d’achever la querelle, car elle offrirait une source a priori collective et unanime d’autorité pour l’abbesse qui serait élue, et garantirait le retour à la stabilité et à l’observance de la vie conventuelle.

« Ma superbe commença à se réveiller pour me mettre dans les soins de mon intérêt27 » : des religieuses qui contestent pour mieux négocier

De la contestation à l’impossible élection : quand la désignation de l’abbesse renvoie la communauté à son devenir incertain

  • 28 Voir, par exemple, Michel Le Pesant (éd.), Arrêts du Conseil du roi. Règne de Louis XIV, inventair (...)

18À la mort d’une abbesse, le temps de la désignation de sa remplaçante correspond à une phase d’ouverture des possibles où des rituels de passage actualisent le statut de chaque religieuse au sein de la communauté. Le processus de désignation s’effectue à travers une série de rites de passage. Toute perturbation de ces rituels sonne alors pour les actrices de ces rituels comme une ingérence : qu’elle provienne de l’extérieur, et la communauté ne tarde pas à rappeler la liberté qui est la sienne à désigner une nouvelle abbesse (d’où l’insistance à défendre le droit à la libre élection par les religieuses) ; qu’elle provienne de l’intérieur de la communauté, et la situation devient insupportable car elle offense la communauté, l’ordre et le Christ. Le refus de prendre part à ces rites constitue aussi un scandale. Contester ouvertement une élection, une résignation ou une nomination royale expose la communauté concernée à une intervention d’autorité de la part de l’évêque ou du roi. Le salut, l’honneur et la réputation – autant spirituelle que sociale – des religieuses se trouvent alors remis en cause. Il convient donc, dans la mesure du possible, de trouver une solution qui préserve l’avenir de la communauté. Celle-ci prend souvent la forme d’un expédient qui paraît offrir un temps de respiration aux religieuses. Quitte à subir par la suite un revers de la part de l’autorité ou des religieuses qui s’estiment lésées et qui en appellent à l’évêque ou au roi. L’élection est donc, du point de vue des religieuses, le plus souvent préférable, malgré les risques qu’elle comporte : la dispersion des suffrages d’une part, qui peut dévoiler la division de la communauté, l’absence d’unanimité et de la sainte inspiration requise ; et l’entrée dans une série de perturbations juridiques d’autre part, dans les cas où l’élection suscite une contestation en validité de la part d’une candidate flouée ou d’un supérieur insatisfait – mais aussi dans les cas où le roi vient rappeler son droit à la nomination. Or les modalités de ce droit se précisent entre la fin du xvie siècle et le milieu du xviie siècle, par une série d’arrêts du Grand Conseil et du Conseil du roi28.

19Les problèmes inhérents à l’élection capitulaire peuvent être repérés tout au long de l’époque moderne. Toutefois, les périodes de crise comme celle allant de la fin des guerres de religion à l’adoption de la réforme dans la première moitié du xviie siècle, ou celle renvoyant à la question du recrutement des religieuses et à « l’utilité » du monachisme féminin au mitan du xviiie siècle, voient éclore des crises internes où la contestation, si elle n’est pas toujours publicisée, provoque de grandes passions au sein des communautés de religieuses.

  • 29 G. Reynes, op.cit., p. 77-95 ; Abbé Delettre, Histoire du diocèse de Beauvais depuis son établisse (...)

20L’abbaye royale de bénédictines de Saint-Paul-lès-Beauvais connaît ainsi une crise majeure entre 1596 et 1601. Lorsque l’abbesse Charlotte de Pellevé meurt, en 1596, les moniales se gardent bien d’en avertir Henri IV. Elles organisent les funérailles de l’abbesse de la façon la plus discrète possible. Elles procèdent ensuite à l’élection d’une nouvelle supérieure de façon capitulaire. Les suffrages mettent en lumière la division de la communauté puisqu’aucune religieuse ne se démarque. Les conditions pour une élection canonique ne sont donc pas remplies. Plusieurs anciennes font valoir la pesée de leur suffrage pour imposer leur candidate, sœur Catherine de Saint-Sauveur. Celle-ci est donc portée, sous les railleries des autres religieuses, à l’église où un Te Deum est chanté afin de l’introniser. La plus ancienne moniale, la Mère de Villeretz, profite du trouble pour se saisir des clés de l’abbaye. Elle appelle ensuite l’une de ses parentes, Jeanne de Mailly, religieuse à Maubuisson, prétendant qu’elle a reçu le brevet du roi et que les bulles de confirmation vont arriver de Rome. L’équivoque est alors à son comble et deux abbesses se retrouvent opposées sur le siège abbatial plusieurs semaines durant. Les conditions sont donc réunies pour une intervention royale : Henri IV nomme alors une novice de l’abbaye bénédictine de Beaumont-lès-Tours, sœur Madeleine de Sourdis, seulement âgée de quinze ans, et qui n’entre en fonction qu’en 160129. Les religieuses tentent d’éviter une confrontation avec le roi en prévenant une intervention vécue comme une ingérence et arguent de la précellence de l’élection, avant de convenir de leur échec du fait de la division de la communauté et d’accepter la nomination royale. Néanmoins, cette crise s’inscrit aussi dans une perspective politique, dont l’enjeu est la légitimité du pouvoir dans le royaume. Charlotte de Pellevé est en effet la nièce du cardinal de Pellevé, l’un des acteurs les plus éminents de la Ligue, qui meurt le 28 mars 1594, quelques jours à peine après l’entrée d’Henri IV à Paris. Charlotte de Pellevé a probablement fait de l’abbaye un refuge pour des religieuses liées à la Ligue : un tel contexte rend ainsi difficile l’acceptation d’une nomination royale en 1596. L’irruption d’une nouvelle candidate sous couvert d’un prétendu brevet royal aurait pu donner le change à un moment où Henri IV achève, de façon négociée, la reprise en main du royaume. Mais l’absence de compromis possible au sein de l’abbaye de Saint-Paul-lès-Beauvais empêche un tel expédient. C’est pourquoi le roi peut imposer sa propre candidate, proche parente de la maîtresse du roi (Gabrielle d’Estrées), de l’abbesse de Maubuisson (Angélique d’Estrées) et de l’archevêque de Bordeaux (le cardinal de Sourdis). À défaut de céder devant les demandes des religieuses, le roi promeut l’abbaye en lui donnant une abbesse bénéficiant de la faveur royale.

  • 30 Archives nationales, G9 166-5 (Commission des réguliers et des secours). Le couvent, fondé en 1638 (...)
  • 31 J.-Ch. Thilorier, Plaidoyer pour la sœur St François de Mellet..., op.cit., p. 2.

21Dans le diocèse de Dax, le couvent de clarisses de Tartas offre un autre exemple d’élection donnant lieu à une contestation interne, suivie d’une autre élection en forme d’expédient, qui ne peut cependant empêcher la dissolution de la communauté à brève échéance30. À la suite du décès à la fin de l’année 1756 de l’abbesse titulaire, les moniales se réunissent le 17 février 1757, sous la direction de trois pères franciscains : le provincial, son secrétaire et le gardien du couvent. Le climat dans lequel s’ouvre l’élection n’augure rien de bon, puisque le père provincial prend soin de bien préciser sa « pieuse exhortation relative aux circonstances31 ». Les douze religieuses sont conviées à donner leurs suffrages à deux reprises mais rien n’y fait. Le lendemain, deux nouveaux scrutins sont organisés. Le résultat demeure identique : la Mère Saint François de Mellet obtient 4 voix, la Mère Sainte Agnès de Mérignac 4 voix, la Mère Saint Pierre de Mérignac 1 voix et la Mère Saint Martin de Chambre 1 voix. Au bout de 6 scrutins, n’y tenant plus, et arguant des Constitutions franciscaines, le provincial nomme abbesse la Mère Saint François de Mellet. Le conflit éclate alors avec une partie des religieuses : trois d’entre elles refusent de prendre part, malgré les admonestations du Père, à l’élection des officières et s’emparent d’une partie des clés du couvent. Après le départ du provincial, les trois sœurs révoltées convainquent deux autres de la justesse de leur cause. Elles en appellent aux autres autorités provinciales – l’évêque de Dax et le lieutenant général de Tartas – qui donnent dans un premier temps suite à leur requête. Mais l’incapacité des religieuses révoltées à produire les pièces justificatives de l’exemption du couvent de l’autorité du provincial change la donne. La suite de la procédure judiciaire semble d’ailleurs donner raison au Père provincial et aux religieuses qui se sont abstenues de toute révolte. Le mal est pourtant fait. La communauté est désunie et le désordre y règne en maître :

22n maître :

  • 32 Ibid., p. 9.
  • 33 Ibid., p. 9-10.

La Cour comprend que cette fille si entreprenante ne bornoit pas toute son activité à inquiéter son abbesse, en lui suscitant mille affaires au dehors ; que son caractère devoit encore se manifester davantage dans l’intérieur du monastère, parce qu’il se présentoit de plus fréquentes occasions pour le développer : Et en effet il ne s’est passé presque aucun jour, où elle n’ait montré qu’elle avoit absolument perdu l’esprit de son état ; elle s’est fait un devoir dans toutes les occasions, d’accabler de mépris, d’injures, de menaces, la Dame de St. François ; elle lui a imposé silence par un flux de paroles outrageantes, & par un air de fureur, qu’elle ne quitte presque jamais, toutes les fois que l’Abbesse a voulu la rappeller à ses devoirs32.
La Sœur St. André Dupin n’ayant pas sonné le dernier coup de l’Office aussi promptement qu’elle le lui avoit ordonné, elle courut sur elle avec furie, & la retenant par sa robe en mettant les pieds dessus, elle saisit la corde, lui en donna cent coups, tout en appellant ses Sœurs à la réconciliation & à la prière. Une autre fois elle l’attaqua dans la cuisine, & lui coupa la lèvre avec la pelle du foyer ; deux Servantes & une autre Religieuse, qui accoururent aux cris de la Sœur Dupin, lui arrachèrent des mains cet instrument meurtrier, mais elles ne purent empêcher qu’elle ne prît un torchon, & ne l’en battît, avec tant de violence qu’elle tomba évanouie, & resta dans cet état pendant une heure33.

  • 34 Charles de Chauton, « Clarisses contre Cordeliers (1757) », Bulletin de la Société de Borda, Dax, (...)

23L’impossibilité de mener à bien l’élection, la tentative d’une élection non contestée par la plupart des religieuses (sept sur les douze religieuses ayant donné leur suffrage), l’incapacité à rétablir un climat assez serein au sein du couvent ont ainsi raison de l’abbesse nommée, qui cède sa place en 1758 à la Mère Saint Martin de Chambre. L’échec est patent. Plusieurs religieuses quittent le couvent et celles qui restent – quatre seulement – sont déconsidérées : le subdélégué de Dax rejette d’ailleurs la même année une pétition qu’elles lui ont adressée, au motif que l’évêque de Dax lui a fait connaître leurs abus, et notamment le fait qu’elles abusent de la faiblesse des gens des campagnes autour de Tartas au moyen d’étoles dont elles font commerce, prétendant que celles-ci seraient des reliques de contact34. La contestation atteint dans ce cas un stade extrême et la communauté est dissoute en 1774.

Intéresser le roi et l’évêque à une désignation négociée

24Afin d’éviter de telles extrémités, la plupart des communautés prennent le parti d’intéresser le roi ou le « public », selon la matière de leur cause et l’autorité à laquelle elles se trouvent opposées. Les religieuses se trouvent en effet la plupart du temps confrontées à l’affirmation de la nomination royale. Mais l’existence d’exemptions et de privilèges demeure inhérente à la société d’Ancien Régime et suscite de multiples motifs de querelle et de contestation.

  • 35 Le supérieur ecclésiastique peut également intervenir dans le processus de désignation de l’abbess (...)

25Demander justice au roi, requérir le Grand Conseil, faire publier des factums et s’adresser à un public lettré, versé dans la matière juridique et dans les modes de circulations des bénéfices temporels sont autant de possibilités qui s’ouvrent aux communautés de religieuses à l’époque moderne. La progressive inscription de l’Église dans l’État, qu’il est possible de déceler dans le processus qui s’étale depuis la mise en place de l’Assemblée du Clergé à la suite des Ordonnances d’Orléans (1560) jusqu’à la déclaration des Quatre Articles (1682), explique pour une large part ces nouvelles orientations. La diffusion de la nomination par le roi, justifiée par l’assimilation de l’abbatiat à un bénéfice, donne une publicité nouvelle aux modalités de la désignation ou, le cas échéant, aux troubles qu’elle suscite. Certes, le choix du roi s’inscrit, la plupart du temps, dans une logique de valorisation des familles de la noblesse solidement implantées dans la province ou la ville où se situe l’abbaye. Mais il lui faut aussi tenir compte d’un autre acteur qui, s’il est en général dévoué à la monarchie, peut infléchir le processus de nomination (et même d’élection), en sa qualité de supérieur d’un nombre croissant d’établissement de religieuses à l’époque moderne : l’évêque35. Or ce dernier peut, en sus des réseaux familiaux ou ecclésiastiques propres à la maison conventuelle concernée, chercher à imposer une candidate auprès des religieuses ou des officiers du roi. Le mémoire des bénédictines du Saint Sacrement de Rouen du 20 mars 1735, précédemment évoqué, en porte la marque. Les religieuses y déclarent en effet que l’archevêque de Rouen a tout fait pour contourner leur droit d’élection :

  • 36 A. Reneault, op.cit., p. 95.

Mgr L’archevesque a agi jusqu’au dernier moment comme s’il voulait détruire le droit électif de cette maison, et il a fait proposer de mettre sur les listes la prieure de nostre maison de Dreux ; ce que nous avons accepté par respect, par soumissions et par déférence, croyant à ce prix avoir la liberté d’élire, nous avons encore en cette occasion passé pardessus les règles et les loix36.

26Qu’il s’agisse du roi ou de l’évêque, les religieuses entendent donc être consultées. À cette condition, celles-ci ne dédaignent pas valider les choix du roi, comme l’indique l’élévation négociée à l’abbatiat de l’ordre de Fontevraud de Louise de Bourbon-Lavedan en 1611, suite à la médiation de l’évêque de Luçon, le futur Richelieu, afin d’éviter que le refus d’Antoinette d’Orléans de succéder à sa tante Éléonore de Bourbon ne se transforme en crise ouverte entre le roi et les religieuses. Mais dans les cas de crise ouverte, les requêtes en justice pour annuler une élection ou contester une nomination laissent entendre les voix des religieuses, pour peu que l’avocat rédigeant, pour les xviie et xviiie siècles, des factums se fasse leur porte-parole, en décrivant les peines et les passions, les inclinations et les calculs au sein de la communauté.

Contester : une affaire de passions ou de calcul ?

  • 37 La question de l’inadéquation entre la détention d’une autorité et la capacité à mener une vie en (...)

27Ce changement de paradigme peut dans un premier temps être observé dans une situation étrangère à toute crise, lorsqu’une religieuse se trouve élevée à l’abbatiat et qu’aucune autre religieuse ne vient troubler l’élection ou la nomination. L’exemple de la Mère Marguerite de Saint Xavier (1603-1647), prieure des ursulines de Dijon, montre combien le temps et le mode de la désignation à l’abbatiat peut être important pour chaque religieuse en particulier et pour la communauté de façon générale. Visiblement touchée et traversée de sentiments contradictoires, la Mère Marguerite de Saint Xavier ne réalise l’élection qui l’élève à la tête du couvent de Dijon qu’au moment où ses consœurs l’entourent et lui présentent leurs félicitations et leurs vœux d’obéissance. Le P. Jean-Marie du Vernon, son biographe, préfère d’ailleurs interrompre son récit pour mieux laisser parler la religieuse, qui décrit le « violent effort » qu’il lui faut consentir à la nouvelle de son élection. Car l’accession à une position d’autorité constitue littéralement une violence pour des religieuses peut-être dans le doute face aux responsabilités qui leur sont confiées, et en quête d’anéantissement à elles-mêmes et à toute velléité d’affirmation d’un soi qui rappelle bien trop le siècle37 :

  • 38 Ibid., p. 142.

Ma superbe commença à se réveiller pour me mettre dans les soins de mon propre interest, me faisant voir que je passerois pour une ambitieuse, si je ne pleurois comme les Superieures bien humbles : Je voulus essayer de donner quelques larmes ; mais aussitost je connus ma faute & en demeuray si confuse, que je ne sçavois où me mettre : J’eus une nouvelle peine pendant que mes Sœurs me baisaient la main en signe de soumission selon la coustume, m’estant advis que j’estais le Judas de la maison de Dieu y & qu’un jour ces ames qui se prosternoient devant moy me jugeroient, & s’éleveroient contre moy, pour me condamner à cause de ma grande superbe38.

28Événement majeur, parfois traumatique et souvent révélateur des qualités individuelles de la religieuse désignée à l’abbatiat, l’élection ou la nomination d’une nouvelle religieuse tient lieu de mesure de la réputation d’un couvent. Les passions susceptibles de s’exprimer, si elles ne sont pas réprimées par une indispensable humilité, pourraient placer le triennat qui débute pour la nouvelle prieure des ursulines de Dijon dans une fâcheuse posture. Ces mêmes passions, avec leurs contradictions, animent d’ailleurs autant les religieuses, les candidates potentielles et l’abbesse désignée. Elles se dévoilent même sans fard à l’occasion des élections faussées, des résignations imposées à la communauté ou des nominations non désirées et auxquelles la communauté oppose le principe d’élection. Ne cédons pas à la tentation de voir seulement dans ces religieuses confrontées à l’impossibilité d’assurer une élection conforme à leurs imaginaires des femmes ressassant sans cesse leur frustration face à une domination le plus souvent masculine. Il ne s’agit certes pas d’amoindrir la force des rapports de genre au sein des maisons de religieuses, tant les supérieurs peuvent y imposer leur candidate – comme ce fut le cas pour la Mère Marguerite de Saint Xavier. Mais il convient tout autant de faire l’hypothèse de ce que les religieuses sont des actrices exerçant une forme de rationalité dans leurs contestations et faisant la démonstration de cette rationalité à travers un ensemble de pratiques qui anticipent, contournent, dévoilent, affaiblissent voire subvertissent les acteurs autres qu’elles-mêmes dans ce moment essentiel pour la vie d’une abbaye royale ou d’un simple couvent.

  • 39 Philippe Luez, Port-Royal et le jansénisme. Des religieuses face à l’absolutisme, Paris, Belin, 20 (...)

29Les religieuses ne peuvent en effet pas seulement être perçues comme les miroirs possibles de la dévotion et la sainteté, comme y invitent les nombreuses biographies spirituelles du xviie siècle. Elles sont tout autant des actrices individuelles et collectives, insérées dans plusieurs réseaux (spirituels, sociaux voire politiques) qui tentent de soutenir leur rang et leur honneur et de les concilier avec le règne de la faveur qu’induisent la nomination et la résignation. Certes, le développement de la clôture dans le premier xviie siècle tend à circonscrire à l’espace intérieur du couvent toute contestation, voire à la criminaliser ou à la pathologiser lorsque la crise prend la forme de manifestations traumatiques ou de possessions diaboliques. Néanmoins, la mise en place d’une clôture plus resserrée entraîne également, de la part des religieuses, une pratique nouvelle de la communication, dans laquelle le parloir constitue un lieu privilégié, et où les relais extérieurs (les familles des religieuses, le procureur et l’avocat de la communauté en particulier) peuvent faire état des tensions intestines. Et si le temps de la désignation semble susciter une conflictualité focalisée sur des questions de personnes, elle vérifie en même temps la cohésion de la communauté. Contester l’élection, la résignation ou la nomination ne peut se faire que sous le regard de la communauté et du Christ. Solliciter le roi ou le public ne peut donc être une voie possible qu’à la seule condition de présenter l’action entreprise contre la désignation comme la seule possibilité de conserver leurs vœux pour les religieuses. En ce sens, le calcul qu’implique la contestation d’une désignation relève d’un imaginaire où les notions de succès ou d’échec importent moins que la soumission à une inspiration divine : celle d’obtenir une autorité légitime et susceptible de conduire la communauté pour la gloire du Christ. Les risques inhérents aux entreprises des religieuses, dont le destin de la communauté de Port-Royal-des-Champs est en quelque sorte le symbole sous le règne de Louis XIV, ne sauraient effrayer les religieuses, mues tant par leur honneur, celui de la communauté et, plus grave encore, celui de Dieu39.

Intéresser le roi à leur droit et le public à leur honneur : la politique des factums

30Ainsi prévenues d’une éventuelle impasse judiciaire, agissant sous le regard du Christ, et néanmoins certaines de leur bon droit, les religieuses en appellent au roi, à la justice civile et, à partir du xviiie siècle, à un public choisi, féru de la lecture des factums et des mémoires à vocation judiciaire. Ceux-ci présentent toujours une défense argumentée des privilèges de la communauté qui fait corps contre l’injustice qui lui serait opposée. Cette défense vise non seulement le particulier de la communauté visée, mais également, à un niveau plus large, interroge le statut de la religieuse dans l’Église et dans la société. Les religieuses n’ignorent rien des enjeux et des risques d’une telle démarche : en réfutant le droit du roi à nommer, les requérantes ne manquent pas de rappeler leur attachement à la distinction sociale et leur refus de toute innovation. Le préambule de l’un des factums produits en 1716 à l’initiative des dominicaines de Poissy, opposantes depuis 1668 à la nomination de prieures par le roi, donne une idée significative des objectifs d’une communauté en butte à une ingérence vécue comme une atteinte à leur corps et un abus portant atteinte à leurs privilèges :

  • 40 Mémoire pour les religieuses du prieuré royal de Saint-Louis de Poissy, ordre de saint Dominique, (...)

La demande que les Religieuses de Poissy ont faite à Monseigneur le Duc d’Orléans Régent, & dont l’examen a été renvoyé par Son Altesse Royale au Conseil de Conscience, se réduit à la simple permission de poursuivre en justice réglée le rétablissement d’un droit incontestable, dont elles ont été dépouillées par une pure surprise qu’on a faite à la religion du feu Roi, sans qu’elles ayent jamais été entendues, & nonobstant les protestations & oppositions qu’elles n’ont point cessé de faire contre la violence & l’oppression qu’on leur fait souffrir depuis plus de cinquante ans. […] On divisera ce Mémoire en deux parties. On fera voir dans la première, Que le droit d’Election des Prieures du Monastère de Poissy, dont les Religieuses demandent le rétablissement, est attaché à leur Maison, & qu’il est fondé sur le titre de sa fondation ; sur leur Institut, c’est-à-dire, sur les Constitutions, la pratique & l’usage de l’Ordre de saint Dominique dont elles ont fait profession ; sur leurs vœux par lesquels elles ont promis à Dieu de vivre selon la Règle & les Constitutions dudit Ordre ; sur la possession constante & perpétuelle où elles ont toujours été de ce droit jusqu’à l’innovation dont elles se plaignent, & contre laquelle elles ont réclamé ; & enfin sur divers Arrêts du Parlement & sur d’autres titres qui leur en assurent la jouissance, & qui ne permettent pas qu’elles en soient dépouillées. On fera voir dans la seconde partie, Que l’introduction des dernières Prieures non Electives ne s’est faite que par un violement manifeste de toutes les règles, & que toutes sortes de motifs exigent qu’on fasse cesser cet abus, & qu’on rétablisse ce célèbre Monastère dans son premier état40.

31Faire corps afin de défendre son droit ne peut être balayé du revers de la main par le Régent, qui s’empresse donc de reverser le dossier au Conseil de conscience, démontrant par là son intérêt pour la question mais également son intention de traiter l’affaire comme une affaire intéressant l’État. Le factum doit répondre aux attentes de l’instance susceptible de le recevoir, qu’il s’agisse du Grand Conseil, du Conseil du roi, du Conseil de conscience (dans le contexte de la polysynodie), du détenteur de la Feuille ou du parlement (dans le cadre d’un appel comme d’abus). Il est donc important de rappeler l’ensemble des faits, d’exposer les arguments opposés à la communauté et d’y répondre par un argumentaire juridique aussi précis que possible.

  • 41 La vente de la coadjutorerie n’est pas une pratique tenue en estime, même si elle est possible, mo (...)
  • 42 Délibération..., op.cit., p. 7.
  • 43 Ibid., p. 9.
  • 44 Ibid., p. 37.

32La perspective juridique ne suffit pas à emporter la partie : il importe pour les moniales comme pour les avocats de renforcer le mémoire judiciaire par un ensemble de remarques sur les atteintes à l’honneur des religieuses, tant du point de vue de la religion que de leur genre. Le factum se fait alors fort de dévoiler le scandale qui ébranle la communauté lorsque l’abbesse désignée ne répond pas aux exigences de sa charge. En 1668, la « délibération capitulaire » des bernardines de Notre-Dame de Biaches (diocèse de Noyon) vise sans doute à défendre le droit d’élection des religieuses. Il s’avère toutefois que la matière principale de leur mémoire touche à la moralité de toutes leurs adversaires, à commencer par l’abbesse sortante, dont elles dénoncent la « singuliere habitude ». Les bernardines croisent en fait les accusations de simonie et de dépravation contre la coadjutrice, sœur Marguerite de Vilechole de Vilosne ; mais aussi contre celle qui lui rachète son droit à la coadjutorerie et succession à l’abbatiat, sœur Élisabeth Burin, religieuse de Saint-Antoine-des-Champs à Paris41. La première serait, selon ses dires rapportés non sans malice par les religieuses, « un bijou de Province ». Il n’empêche qu’un commissaire député par l’abbé de Cîteaux la retrouve dans la demeure d’un maréchal de France à peu de distance de l’abbaye. La sœur de Vilosne aurait alors apostasié et fui, « après avoir rôdé tous les lieux fameux de Paris », en Amérique « avec un homme marié, d’où elle retourna en fort mauvais équipage, & se vint camper céans le jour de S. Mathias de l’année 1659, & rejoindre à l’Abbesse, sa chère amie & confidente42 ». La sœur Burin est traitée avec à peine plus d’égard : les religieuses la décrivent sous l’influence d’un jeune prêtre, « son bon ami, & qui avoit le secret de son cœur, comme elle a dit depuis dans l’une de ses lettres missives, qui a esté reconnue & arrosée de quelques larmes43 ». Qu’il s’agisse de manquements à la chasteté, à l’obéissance et à la clôture, ou que la gravité de l’affaire procède de simonie, la délibération vise toujours la corruption du siècle qui entraîne la communauté vers sa perte : « Voilà un tripotage le plus vicieux, & le plus mal pris qu’on put imaginer44 ».

33Les factums défendant les communautés de religieuses n’hésitent donc pas à s’inscrire dans une certaine forme d’actualité afin de mieux faire percevoir aux magistrats et au public l’abus auquel il faut mettre fin. Et si la question du peuplement féminin des colonies suscite l’intérêt au milieu du xviie siècle, il en va de même pour le jansénisme au xviiie siècle. L’avocat des clarisses de Tartas dénonce ainsi la façon dont les « révoltées » du couvent s’érigent en martyres, à l’image des jansénistes privés des derniers sacrements et provoquant la sympathie du public des Nouvelles ecclésiastiques. Ces religieuses révoltées contre leur supérieur franciscain font en effet dresser le 7 mai 1757 un acte au gardien du couvent :

  • 45 J.-Ch. Thilorier, op.cit., p. 6.

elles supposèrent que s’étant adressées au P. Bonneau, l’un des Directeurs désignés par le Provincial, il avoit fait refus de les entendre en Confession, jusqu’à ce que par préalable elles se fussent désistées de toute procédure tendante à réclamer la juridiction ordinaire ; à quoi ne pouvant, disent-elles, acquiescer, elles protestent du refus de sacremens qui leur est fait, & déclarent qu’elles se pourvoiront45.

34Il est cependant permis de douter de la véracité d’une telle anecdote. Car le factum rapporte que, dès le 10 mai, le clerc visé fait répondre devant notaire qu’aucun appel ne lui a été transmis et qu’il est prêt à entendre les sœurs en confession. En se comparant aux jansénistes, ces religieuses semblent cependant avoir franchi une ligne rouge, que le factum exploite en rapportant l’agacement du gardien du couvent, qui leur aurait déclaré :

  • 46 Ibid., p. 6.

Cessez donc (leur dit-il) mes très-chères sœurs, vos questions à cet égard ; on n’a jamais exigé, ni on n’exigera jamais ce département ; il ne vous sera même fait aucunes questions là-dessus ; tous les Religieux du Couvent, approuvés par votre Monastère, pensent comme moi, & ils vous le justifieront quand il vous plaira de l’éprouver46.

Conclusion

35Si le vœu d’obéissance est célébré dans la plupart des biographies de religieuses rédigées aux xviie et xviiie siècles, la pratique démontre en revanche que ce vœu ne vaut guère pour les rapports sociaux au sein des couvents de l’âge moderne. Certes, dans la majorité des cas, la nomination, la résignation ou l’élection ne provoquent pas de tensions. Mais elles n’en constituent pas moins des épreuves : le temps de la désignation de la supérieure est aussi un temps d’examen collectif. La communauté doit faire face aux pressions exercées depuis l’extérieur du couvent par des hommes (le roi, l’évêque, le directeur de conscience) et des lignages veillant à leurs intérêts. Elle doit également résoudre le problème de l’inadéquation entre l’idéal d’anéantissement de la religieuse dans le Christ, et la réalité d’une dignité susceptible de flatter l’orgueil de la religieuse. En la matière, la spécificité des tensions qui interviennent dans les couvents féminins réside sans doute dans un contexte – la présence de la clôture – et dans la possibilité, pour les religieuses, de faire usage de calculs et de passions qui énoncent la manière dont elles comptent véritablement sur Dieu.

  • 47 La notion d’incorporation de l’Église au sein de l’État dans la seconde modernité est au cœur de l (...)
  • 48 Bibliothèque municipale de Lyon, ms 1752, fol.1-215.

36Or, contester le pouvoir du roi ou de l’évêque au nom de Dieu n’est pas anodin dans la France d’Ancien Régime mais relève d’une volonté, bien comprise de la part des protagonistes, de négocier son devenir. Disputer au roi la désignation de la supérieure dévoile ainsi, de la part des religieuses, un besoin de voir le roi intervenir afin de résoudre une situation de crise. Désormais incorporées à la justice civile puis à l’État, les communautés de religieuses recherchent ainsi la reconnaissance de leurs privilèges47. Car l’élection demeure pour elles un élément constitutif de leur essence. Il importe donc de la défendre ou de la négocier en sorte que la nomination effectuée depuis l’extérieur de la communauté lui fasse honneur. Ce compromis repose sur la pratique et permet à des communautés d’affirmer sans sourciller l’importance de l’élection de leur abbesse alors que celle-ci n’y existe plus depuis bien longtemps. Une Histoire de la fondation, progrès et augmentation du Royal monastère de St Pierre de Lyon tirrée fidèlement des archives du dit lieu par le commandement de très Illustre et puissante dame Madame d’Albert de Chaulnes, abbesse en l’année 1660 illustre littéralement ce paradoxe, en incluant un commentaire long de 12 folios (l’une des sous parties les plus longues de l’ouvrage) sur la manière d’élire l’abbesse, alors que l’abbesse en fonction, Anne de Chaulnes, doit son élévation à l’abbatiat à la faveur du roi, comme presque toutes ses devancières à l’époque moderne48 !

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Notes

1 Délibération capitulaire des religieuses, prieure et convent de l’abbaye de Notre-Dame de La Brelle de Biaches-lez-Péronne,... diocèse de Noyon,... contenant l’histoire abrégée des troubles de leur maison,... avec la défense du droit et privilège d’élection qui leur appartient, même au cas de destitution de leur abbesse... (6 décembre 1668), s.l., n.d., p. 34 (Bibliothèque nationale de France, 4-FM-23212).

2 Jean-Charles Thilorier, Plaidoyer pour la sœur St François de Mellet, Abbesse du Monastère des Religieuses Sainte Claire de la Ville de Tartas ; pour la Sœur Sainte Agnès de Mérignac, Doyenne ; pour les Sœurs Saint Esprit de Vios, Saint Martin de Chambre, Saint Pierre de Mérignac, Dames de Chœur ; & pour les Sœurs Sainte Marie Lafite, Saint André Dupin, & Sainte Marguerite Lapeyre, Converses ; faisant la majeure partie dudit Couvent & Monastère de Tartas. Contre les Sœurs Saint Alexis de Bedora, Sainte Anne de Laburthe, Saint Dominique Dupin, & la Conception de Landresse. Et encore contre Mr. Louis-Marie Suarès d’Aulan, évêque de Dax, s.l., n.d. [Factum, 28 avril 1758], p. 34 (Bibliothèque nationale de France, FOL-FM-16048).

3 L’engagement des femmes dans le monde régulier connaît depuis une trentaine d’années un renouveau historiographique. Il constitue d’ailleurs l’axe 1 de l’ANR LODOCAT (2015-2019), développé lors de deux colloques actuellement en cours de publication. Le premier colloque, « Être femmes dans une Église d’hommes entre Italie du Nord et Pays-Bas méridionaux. Engagements, discours et réceptions, du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime », organisé à Liège du 18 au 21 octobre 2017 par Marie-Élisabeth Henneau et Julie Piront, consacre l’ensemble de son programme à cet axe. Le second, « Une piété lotharingienne : foi publique, foi intériorisée (xiie-xviiie siècles) », organisé à Lyon du 8 au 10 novembre 2017 par Catherine Guyon, Yves Krumenacker et Bruno Maes, explore également cet axe à travers plusieurs communications.

4 L’incorporation des maisons régulières aux pratiques politiques, culturelles et sociales de la ville et de l’État est en particulier analysée par Bernard Hours, Des moines dans la cité xvie-xviiie siècle, Paris, Belin, 2016.

5 Patrick Arabeyre, Brigitte Basdevant-Gaudemet (dir.), Les clercs et les princes. Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne, Paris, Publications de l’École nationale des Chartes, 2018 ; Bernard Barthet, Richesse du prince et bien commun au xviiie siècle. Économie et société dans les Mémoires de Trévoux (1701-1762), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015, p. 157.

6 Alain Tallon, La France et le concile de Trente (1518-1563), Rome, École française de Rome, 1997.

7 Grégory Goudot, Les origines et le monde. Réformes des réguliers, pouvoirs et société dans le diocèse de Clermont (xve-xviie siècles), Paris, Honoré Champion, 2016.

8 Jean-Marie Le Gall, Les moines au temps des réformes. France (1480-1560), Seyssel, Champ Vallon, 2001, Coll. « Époques ».

9 Olivier Poncet, La France et le pouvoir pontifical (1595-1661). L’esprit des institutions, Rome, École française de Rome, 2011, p. 51-64.

10 Olivier Poncet, « Un aspect de la conquête française de l’Artois : les nominations aux bénéfices majeurs de 1640 à 1668 », Revue d’histoire de l’Église de France, 82 (1996), p. 263-299.

11 Pierre Blet, « Le Concordat de Bologne et la Réforme tridentine », Gregorianum, t. XLV (1964), p. 241-279.

12 Auguste Reneault, « Élection d’une prieure au monastère des bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen. Incidents survenus à cette occasion et la part qu’y prit une fille de Pierre Corneille », René-Norbert Sauvage, Mélanges publiés par la Société de l’Histoire de Normandie. Quatorzième série. Documents publiés et annotés par Dom J. Laporte, 1938, p. 89-107, p. 96.

13 La succession par coadjutorerie concerne aussi bien les évêques que les abbesses. Il s’agit, pour l’évêque, l’abbé ou l’abbesse, de désigner un clerc – ou une religieuse – dans la perspective d’une future succession. Cette disposition suppose une négociation entre l’évêque, l’abbé ou l’abbesse en titre, le roi et le Saint-Siège. Au niveau abbatial, la coadjutorerie comporte deux dimensions : la sécurisation de la transmission d’un siège abbatial (rapprochant ainsi la coadjutorerie abbatiale du modèle épiscopal) d’une part ; la capacité pour l’abbesse à préparer au mieux une religieuse de son choix – et le plus souvent de sa parenté – à l’exercice de la charge abbatiale d’autre part. La coadjutorerie empêche en théorie l’expression de tout suffrage de la part des moniales, mais semble mettre à l’écart le roi dans le processus de désignation à l’abbatiat. En réalité, la coadjutorerie se présente comme une désignation royale par anticipation. De plus, il ne faut pas oublier que, pour l’abbesse, la coadjutorerie comporte l’avantage de pouvoir former à son gré une religieuse afin que celle-ci se trouve dans les meilleures dispositions au moment de lui succéder.

14 Sur le rite électif comme forme de politique au couvent, voir Frédéric Meyer, « Des règles de démocratie au couvent ? Les élections dans la famille franciscaine xviie-xviiie siècles. L’exemple des Récollets français », dans Paolo Cozzo e Franco Motta (dir.), Regolare la Politica. Norme, liturgie, rappresentazioni del potere fra tardoantico ed età contemporanea, Roma, Viella, 2016, p. 211-229.

15 Olivier Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Seuil, 2014, p. 174-178 ; Corinne Péneau, « Pour une histoire des élections médiévales et modernes », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20, 2010, p. 127-133.

16 De la fin du xvie siècle au début du xviiie siècle, plusieurs maisons de religieuses dont certaines très renommées s’engagent dans de telles contestations. Les clarisses de la première règle de saint François (abbaye de Longchamp), les urbanistes de Saint-Jean-Baptiste du Moncel, les dominicaines de Prouillan et de Poissy, etc., figurent parmi les communautés qui n’hésitent pas à résister aux nominations royales.

17 Fabienne Bliaux, « Clarisses colettines et clarisses urbanistes dans le nord de la France au xviie siècle », Mémoires de la Fédération des sociétés d’Histoire et d’archéologie de l’Aisne, 1999, tome XLIV, p. 25-45.

18 Olivier Patru, Plaidoyer d’Olivier Patru, Conseiller du Roy en ses conseils et Advocat au Parlement. Pour Dame Claire Charlotte de Rotondis de Biscaras, Religieuse de Sainct Pierre de Rheims de l’Ordre de Sainct Benoit, nommée par le Roy à l’Abbaye de Sainct Jean Baptiste du Montcel de l’Ordre des Urbanistes de Saincte Claire, au Diocèse de Beauvais. Contre la Communauté des Religieuses, Opposantes à l’execution du Brevet de Sa Majesté. Et contre les Dames Religieuses de Long-champ, & autres Communautez du mesme Ordre. À Paris, Chez Olivier Billaine, au second Pillier de la grand’-Salle du Palais, au grand Cesar, 1678, p. 111 (Bibliothèque nationale de France, 4-FM-28327).

19 A. Reneault, art.cit., p. 92.

20 Joseph Gardère, Philippe Lauzun, « Le couvent des Dominicaines de Pont-Vert ou Prouillan à Condom », Bulletin de la Société archéologique du Gers, 5e année, 1904, p. 190-198. Le monastère des dominicaines de Pont-Vert ou de Prouillan, près de Condom (Gers), ne doit pas être confondu avec celui de Prouille, berceau de la branche féminine de l’ordre dominicain, et situé dans l’ancien diocèse de Saint-Papoul (dans l’Aude actuelle). Fondé en 1280, la communauté recrute parmi les jeunes filles de la noblesse gasconne, ce qui lui donne un certain relief. Aux xviie-xviiie siècles, l’importance du couvent se mesure à la présence en son sein de religieuses issues de la parenté de Blaise de Montluc. L’une des filles du maréchal, Marguerite de Montluc, en est l’une des prieures dans la seconde moitié du xvie siècle. Dans la première moitié du xviie siècle, plusieurs religieuses sortent de la maison de Faudoas de Sérillac, issue des Montluc.

21 Élie Haddad, Fondation et ruine d’une « maison ». Histoire sociale des comtes de Belin, Limoges, Pulim, 2009.

22 Bibliothèque nationale de France, Fr 4222, f°419-420v (1649).

23 Jean Pontas, Dictionnaire des cas de conscience, ou décisions des plus considérables difficultés touchant la Morale & la Discipline Ecclésiastique. Tirées de l’Ecriture, des Conciles, des Peres, des Décrétales des Papes, & des plus célèbres Théologiens & Canonistes. Par le feu Messire Jean Pontas, Prêtre, Docteur en Droit Canon de la Faculté de Paris, & Sous Pénitencier de l’Eglise de Paris. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée par l’auteur ; Qui, outre plusieurs nouvelles Décisions, y a ajouté des Discours préliminaires, contenans les Définitions, les Divisions, les Principes & les Maximes qui conviennent à la Matière de chaque Titre ; avec une Table générale des Matières, & celles des Conciles : Des Papes : Des Auteurs cités, & des trois cens neuf Titres qui composent tout l’Ouvrage, Paris, Sevestre, 1741, tome second, col.58-61.

24 Bibliothèque municipale de Lyon, ms. Coste 297 : Gaspard-François Berger de Moydieu, Tableau historique de l’Abbaye royale de Saint-Pierre, Second manuscrit, revu, corrigé et augmenté. 1783, tome I, p. 268-270.

25 Délibération capitulaire des religieuses, op.cit., p. 1.

26 Ibid., p. 6.

27 P. Jean-Marie de Vernon, Vie de la Vénérable Mère Marguerite de Saint Xavier, Paris, George Josse, 1665, p. 142 ; cité par Geneviève Reynes, Couvents de femmes. La vie des religieuses cloîtrées dans la France des xviie et xviiie siècles, Paris, Fayard, 1987.

28 Voir, par exemple, Michel Le Pesant (éd.), Arrêts du Conseil du roi. Règne de Louis XIV, inventaire analytique des arrêts en commandement. Tome 1 (20 mai 1643-8 mars 1661), Paris, Archives nationales, 1976.

29 G. Reynes, op.cit., p. 77-95 ; Abbé Delettre, Histoire du diocèse de Beauvais depuis son établissement au 3ème siècle jusqu’au 2 septembre 1792, Beauvais, Imprimerie d’Achille Desjardins, 1843, p. 367-368. L’abbaye de Beaumont-lès-Tours est une véritable pépinière d’abbesses. Plusieurs religieuses sont en effet choisies pour succéder aux abbatiats de Montmartre, de Saint-Pierre de Lyon et de Saint-Paul-lès-Beauvais notamment dans les premières années du xviie siècle.

30 Archives nationales, G9 166-5 (Commission des réguliers et des secours). Le couvent, fondé en 1638 dans le contexte de la reconquête catholique d’une ancienne place de sûreté protestante, connaît en effet une existence plutôt brève : après la crise intervenue en 1757-1758, le couvent se dépeuple et est finalement supprimé par lettres patentes de Louis XV suivant l’arrêt du Conseil d’État du 20 mars 1774, malgré la demande de secours effectué auparavant.

31 J.-Ch. Thilorier, Plaidoyer pour la sœur St François de Mellet..., op.cit., p. 2.

32 Ibid., p. 9.

33 Ibid., p. 9-10.

34 Charles de Chauton, « Clarisses contre Cordeliers (1757) », Bulletin de la Société de Borda, Dax, 1962, t. 2, p. 163-174.

35 Le supérieur ecclésiastique peut également intervenir dans le processus de désignation de l’abbesse ou de la prieure. Dans ce cas cependant, l’élection demeure dans la plupart des cas et n’est pas remplacée par la nomination royale. Les ecclésiastiques présents lors des élections influencent, de manière plus générale, l’élection. Sur ce point, voir Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité xviie-xviiie siècle. La rue pour cloître, Paris, Fayard, 2011, p. 260-269.

36 A. Reneault, op.cit., p. 95.

37 La question de l’inadéquation entre la détention d’une autorité et la capacité à mener une vie en religion la plus régulière possible constitue un problème concret pour les moniales et les sœurs. Les biographies de religieuses abordent souvent ce problème. Elles trouvent même dans l’élection un mode de résolution possible, dans la mesure où l’accès à l’autorité est conféré par la communauté, inspirée par l’Esprit saint. Pour des exemples de traitement de cette question à travers des biographies, voir notamment Marie-Hiéronyme Chausse, Histoire de l’établissement et du progrès du premier monastère des religieuses annonciades célestes de la ville de Lyon, fondé par Madame Gabrielle de Gadagne, comtesse de Chevrière, etc. Contenant un Abrégé de la vie des Religieuses qui y sont mortes depuis le commencement de la fondation du Monastère jusques à présent. Sçavoir depuis l’an MDCXXIV jusques à MDCXCVIII. Dédié à Monseigneur l’Archevêque de Lyon. Divisé en deux parties, Et composé par la R. M. Marie Hiéronyme Chausse Religieuse du même Monastère, Lyon, Vve Chavance, 1699.

38 Ibid., p. 142.

39 Philippe Luez, Port-Royal et le jansénisme. Des religieuses face à l’absolutisme, Paris, Belin, 2017.

40 Mémoire pour les religieuses du prieuré royal de Saint-Louis de Poissy, ordre de saint Dominique, diocèse de Chartres, s. l. n. d. (1716), p. 1-2.

41 La vente de la coadjutorerie n’est pas une pratique tenue en estime, même si elle est possible, moyennant les autorisations de l’abbesse, de la coadjutrice en titre, du supérieur de la maison religieuse et, pour les abbayes royales, du roi. Dans ce cas, le scandale provoqué par la coadjutrice peut expliquer l’autorisation donnée. Derrière l’insistance des religieuses sur cette question de la vente d’une dignité se trouve un point juridique important que leur a sans doute rappelé leur avocat. Les pratiques entourant la coadjutorerie se retrouvent en effet souvent invoquées pour justifier des appels comme d’abus. Ceux-ci d’autant mieux reçus par les parlements que les magistrats associent aisément pratique de la coadjutorerie et abus juridique destiné à diluer un cas litigieux de dévolution ou d’exercice des bénéfices ecclésiastiques. Voir par exemple Jean du Fresne, Audiences du parlement depuis l’Année mil six cens vingt-trois jusques en mil six cens cinquante-sept, avec les Arrests intervenus en icelle. Reveu & augmenté en cette derniere Edition de plusieurs Arrests & Reglemens sur Procès par écrit, placez selon l’ordre des temps. Par Me Jean du Fresne, Avocat en Parlement. Tome premier. À Paris, Chez Guillaume de Luyne, Libraire Juré, au Palais sous la montée de la Cour des Aides, à la Justice. 1692, p. 374-375.

42 Délibération..., op.cit., p. 7.

43 Ibid., p. 9.

44 Ibid., p. 37.

45 J.-Ch. Thilorier, op.cit., p. 6.

46 Ibid., p. 6.

47 La notion d’incorporation de l’Église au sein de l’État dans la seconde modernité est au cœur de l’étude de Catherine Maire, L’Église dans l’État. Politique et religion dans la France des Lumières, Paris, Gallimard, 2019, Coll. Bibliothèque des Histoires.

48 Bibliothèque municipale de Lyon, ms 1752, fol.1-215.

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Pour citer cet article

Référence papier

Ghislain Tranié, « « Pour servir d’éclaircissement à ceux qui pourroient estre abusez par les artifices, cabales et colligations » : négocier l’autorité au sein des communautés de religieuses à l’époque moderne »Chrétiens et sociétés, 27 | 2020, 61-86.

Référence électronique

Ghislain Tranié, « « Pour servir d’éclaircissement à ceux qui pourroient estre abusez par les artifices, cabales et colligations » : négocier l’autorité au sein des communautés de religieuses à l’époque moderne »Chrétiens et sociétés [En ligne], 27 | 2020, mis en ligne le 19 mars 2021, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/7701 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.7701

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Auteur

Ghislain Tranié

Sorbonne UniversitéCentre Roland Mousnier

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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