L’expérience enthousiaste d’un savant du XVIIIe siècle
Le monde de Nicolas Fatio de Duillier
Résumés
Mathématicien et astronome, membre de la Royal Society of London, le genevois Nicolas Fatio de Duillier fut aussi le farouche défenseur des French Prophets, huguenots réfugiés à Londres au début du xviiie siècle. Grâce à une riche correspondance et de nombreux papiers conservés, nous pouvons plonger au sein de ses expériences savantes et religieuses, qui apparaissent inextricablement liées. Le concept d’expérience permet de lier l’étude des pratiques à celle des représentations et des discours, et de croiser échelle individuelle et échelle collective. Tenant de la théologie naturelle comme plusieurs de ses contemporains britanniques et fort d’une culture biblique précise et enrichie tout au long de sa vie, Fatio n’hésite pas à croiser les Écritures avec ses observations astronomiques, des commentateurs de tous bords religieux et des écrits des Anciens. Il développe ainsi une vision du monde englobante, dont le principe et le ferment sont la Providence. Celle-ci se manifeste non seulement dans les événements historiques de l’histoire des hommes mais aussi dans le monde naturel au travers des lois de la nature, par des phénomènes plus ponctuels et dans le fait même d’effectuer des découvertes. En recherche de sens et de reconnaissance, la Providence devient aussi pour Fatio le moteur d’une mise en récit de soi, tant du point de vue personnel que du point de vue savant.
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- 1 Sur Nicolas Fatio de Duillier, voir Bernard Gagnebin, « De la Cause de la Pesanteur. Mémoire de Ni (...)
1Nicolas Fatio de Duillier, savant genevois membre de la Royal Society et ardent défenseur des French Prophets de Londres, un groupe millénariste formé en grande partie d’anciens camisards réfugiés à Londres au début du xviiie siècle, offre, grâce à un beau corpus de sources pour la plupart conservées à Genève, un cas d’étude intéressant pour qui s’intéresse aux liens entre savoirs et religions au moment de la « révolution scientifique »1.
Portrait de Nicolas Fatio de Duillier (1664-1753), pastel, 41 cm x 31 cm

Bibliothèque de Genève, https://bge-geneve.ch/iconographie/oeuvre/0067
2Issu de la bourgeoisie genevoise récente (son père obtient la bourgeoisie pour lui-même et ses fils alors que Nicolas a 8 ans), le jeune Fatio de Duillier suit des cours à l’Académie de Genève sous la houlette de Jean-Robert Chouët et manifeste un vif intérêt pour l’astronomie, qui le conduit à développer rapidement une correspondance avec le célèbre astronome Jean-Dominique Cassini, de l’Académie des Sciences de Paris. Il voyage ensuite vers l’Angleterre, où il devient membre de la Royal Society de Londres, tout en entretenant des relations privilégiées voire intimes avec le mathématicien hollandais Christiaan Huygens et avec Isaac Newton. Son intérêt pour les mathématiques le pousse à s’intéresser à la navigation, mais aussi à la botanique. Toutefois, après un début de carrière fulgurant, Fatio de Duillier peine à trouver des moyens de subsistances, et perd progressivement la notoriété de ses jeunes années, même s’il poursuit ses travaux savants jusqu’à la fin de sa vie.
3Le parcours de Fatio de Duillier est aussi celui d’un hétérodoxe, ou encore d’un enthousiaste, pour reprendre une terminologie d’époque. Formé dans le giron de l’Église réformée genevoise, il s’en est progressivement détaché, jusqu’à suivre les Prophètes français et à se mettre à dos les Églises françaises du Refuge londonien. Parcours religieux et parcours savant sont fortement intriqués, tant du point de vue des individus et réseaux fréquentés que des intérêts et recherches menées.
4S’intéresser à son expérience religieuse enthousiaste revient à observer et analyser l’ensemble des pratiques, pensées et expressions qui touchent à la question d’une transcendance divine, en l’occurrence hors du cadre des Églises officielles. Fortement marquée par la question de la Providence, qui prend une importance accrue au cours de sa vie, l’expérience enthousiaste de Fatio devient le lieu d’un discours sur le monde des hommes et sur le monde naturel, et sur lui-même, en tant qu’individu et que savant. Elle imprègne sa vision du monde et s’exprime de ce fait également dans son expérience savante, tant dans les théories que dans les pratiques. Elle est enfin un répertoire d’expressions d’une identité individuelle face au reste du monde. Étudier l’expérience enthousiaste de Fatio de Duillier dépasse ainsi largement le cadre de l’histoire religieuse et apporte des éléments pertinents dans une étude d’histoire des savoirs et d’histoire de la construction de l’individu.
5L’expérience enthousiaste de Fatio rassemble donc une expérience religieuse (au sens de l’ensemble des rapports entretenus avec une transcendance divine) et une expérience savante (représentations et pratiques permettant la connaissance du monde), et s’inscrit dans les enjeux religieux et savants de la fin du xviie et du xviiie siècle. Discours sur le monde et discours de soi se croisent et s’entremêlent ainsi au sein de l’expérience enthousiaste de Fatio de Duillier.
Dieu, la Bible et le monde : l’univers mental de Fatio de Duillier
La Bible : source de savoirs incontournable pour le savant
- 2 William Seward, Anecdotes of some distinguished Persons, vol. 4, Londres, 1796, p. 426.
6La Bible joue un rôle essentiel dans la manière dont Fatio envisage le monde. Elle occupe une place très importante dans ses travaux, et ce très tôt, dès que la question de son avenir fut posée. À l’en croire, son père souhaitait faire de lui un pasteur : il reçoit donc l’enseignement y correspondant, à commencer par des cours de latin et de grec et des rudiments d’hébreu ; il suit aussi les cours des professeurs de l’Académie2. Ces études lui donnent une première connaissance approfondie de la Bible, dans la tradition réformée.
7En octobre 1683, il écrit dans ses carnets de notes personnels surnommés « brouillards » :
- 3 Bibliothèque de Genève (BGE), ms. Jallabert 47 vol. I f° 296.
Lorsque Josué fit arrêter le soleil et la lune l’on peut remarquer que si la terre tourne et qu’elle s’arrêtait il devait arriver que le soleil et la lune parussent aussi immobiles et qu’un miracle suffisait au lieu de deux. Mais le soleil étant levé Josué n’avait pas besoin de la Lune et il semble qu’il n’ait dit et toi Lune arrête toi que comme poussé de Dieu à dire une chose qui allait être faite par la cession du mouvement de la terre3.
- 4 Peter Harrison, The Bible, Protestantism and the rise of natural science, Cambridge, Cambridge Uni (...)
- 5 Edward Bernard, De Mensuris et Ponderibus Antiquis. Libri Tres, Oxford, E. Theatro Seldonio, 1688.
8Le miracle effectué par Josué avait été l’un des arguments scripturaires utilisés contre Galilée4 et Fatio connaissait les travaux du savant italien. Il en propose lui une interprétation héliocentriste, réduisant à la phrase anecdotique l’imprécation de Josué, auquel il suffisait en fait d’arrêter le mouvement de la terre et non pas de la lune et du soleil – économie de miracle permise par l’héliocentrisme. Cela relève peut-être de l’exercice de formation, mais c’est néanmoins révélateur de l’univers intellectuel dans lequel fut formé le jeune Fatio de Duillier : un univers intellectuel dans lequel on pouvait confronter la Bible aux grandes lois naturelles et à la raison. Peu de temps après son arrivée en Angleterre en 1687, il séjourne quelques mois à Oxford où il rencontre Edward Bernard, professeur savilien d’astronomie. Il lui soumet un travail portant sur les dimensions de la mer d’airain de Salomon, un bassin circulaire situé à l’entrée du temple de Jérusalem, publié l’année suivante dans l’ouvrage De Mensuris et Ponderibus Antiquis5. Pour réaliser cette étude, Fatio utilise quatre sources textuelles différentes, deux bibliques (le Livre des Rois et les Chroniques) et deux textes anciens (Eusèbe de Césarée et Flavius Josephe). Puis il propose sa propre description, fondée sur la comparaison des textes et des calculs géométriques ; il l’accompagne d’une représentation, publiée dans l’ouvrage. L’exercice relève donc à la fois de la critique textuelle et de la géométrie. À la fin du texte, il écrit
- 6 Nicolas Fatio de Duillier, « Extrait d’une Lettre Latine de M. N. Fatio de Duillier à M. Bernard, (...)
Qu’il me soit permis de me plaindre en un mot de l’injustice de ceux qui censurent témerairement & condamnent sans raison l’Ecriture Sainte, puis qu’ils ne peuvent pas, ou ne veulent pas en examiner la verité avec soin. Cette manière d’agir si injuste ne seroit pas même excusable, à l’égard d’Ecrits purement humains6.
- 7 Le premier à utiliser ces méthodes humanistes de critique textuelle pour étudier les textes hébreu (...)
9Cette affirmation inscrit Fatio dans le courant critique de l’orthodoxie protestante qui se développe au xviie siècle notamment autour de l’académie de Saumur en France et dont les théologiens insistent alors sur l’historicité des textes bibliques et sur leur contexte de production. Pour eux, la Bible peut être une source de connaissances géographiques, historiques et d’histoire du droit7. Pour Fatio, certains textes bibliques peuvent être analysés au prisme des mathématiques, et confrontés à des textes païens pour aboutir à la connaissance – ici matérielle – d’une époque.
- 8 Paul-Yves Pezron, L’Antiquité des tems rétablie et défenduë contre les Juifs et les Nouveaux Chron (...)
- 9 Ibid., « Avertissement », n. p.
- 10 BGE ms. fr. 602 f° 73r.
- 11 Voir notamment Scott Mandelbrote, « A Duty of the Greatest Moment: Isaac Newton and the Writing of (...)
- 12 Richard H. Popkin, « Newton et l’interprétation des prophéties » dans Jean-Robert Armogathe, Le Gr (...)
- 13 François Laplanche, « Débats et combats », art. cit. p. 124 ; Scott Mandelbrote, « “The Doors shal (...)
- 14 Il évoque lui-même des « odd thoughts » ; Isaac Newton, H. W. Turnbull (éd.), The Correspondence o (...)
10Il s’intéresse également à la chronologie. Alliant les nouvelles observations astronomiques à l’approche critique de la Bible, plusieurs savants tentent à l’époque de proposer une chronologie nouvelle et plus précise de l’histoire de la Création. Fatio a lu notamment L’Antiquité des Temps rétablie contre les Juifs et les Nouveaux Chronologistes, publiée en 16878, qui prend part au débat plus large sur les origines du monde. Si l’ouvrage possède une dimension nettement polémique, qui dénonce les erreurs des Juifs contemporains, des chronologistes et des protestants qui sont attachés au texte hébreu tandis que l’auteur ne jure que par le texte de la Septante et les textes patristiques9, Fatio ne semble pas s’en offusquer et admire plutôt le travail que cela représente10. Il lit l’ouvrage en 1693, et c’est dans ces mêmes années que Newton l’initie à ses travaux bibliques11. Depuis plusieurs années, le savant britannique travaille en particulier sur l’interprétation de prophéties présentes dans le livre de Daniel et dans l’Apocalypse12. Si l’intérêt pour les prophéties s’était particulièrement développé en Angleterre au moment des épisodes révolutionnaires du milieu du xviie siècle13, à la fin du siècle, ces pratiques étaient regardées avec davantage de suspicion et elles se cantonnaient au privé ou au confidentiel, du moins dans le cas de Newton. Fatio se passionne pour ce travail et exprime rapidement des « pensées surprenantes14 » :
- 15 Ibid. Je traduis.
Mais je suis à la fois convaincu et persuadé que le livre de Job, presque tous les Psaumes et le livre des proverbes, et l’histoire de la Création sont autant de prophéties, dont la plupart ont trait à notre époque, et à des époques récemment passées ou à venir15.
- 16 Ibid., p. 245.
- 17 Richard Popkin, « Newton et l’interprétation des prophéties », art. cit. p. 751.
- 18 Scott Mandelbrote, « A Duty of the Greatest Moment », art. cit. p. 299.
11Dans ces lignes Fatio révèle sa volonté de poursuivre plus avant les travaux de Newton, en étendant la recherche des prophéties à l’ensemble de la Bible. Son enthousiasme n’est pas partagé par son maître, qui craint que le jeune Suisse ne se complaise trop dans des interprétations fantaisistes16. En effet, là où Newton cherchait des prophéties précises et déjà accomplies17, Fatio multiplie les exemples, cherche des schémas récurrents et s’emploie à sonder la Bible dans son intégralité. Il guette des correspondances avec le monde qui l’entoure, convaincu qu’une partie de ces prophéties bibliques doit s’accomplir de son vivant. Cette hâte de Fatio étant incompatible avec l’extrême prudence et patience de Newton18, leur collaboration dans ce domaine s’interrompt. Cela ne marque toutefois pas la fin des études bibliques de Fatio, qui continue à étudier précisément les textes jusqu’à la fin de sa vie. Le Livre de la Révélation et le Livre de la Nature sont pour Fatio inextricablement liés. Quelle place le Créateur peut-il alors avoir au sein de ces deux livres ?
Dieu dans le système du monde
12Dieu est conçu par Fatio comme l’un des grands principes fondateurs du monde : c’est ainsi qu’il l’exprime dans un manuscrit de travail daté d’environ 1730 :
- 19 BGE ms. fr. 603 f° 8/2.
Quand on remonte jusques aux premières Idées qui font comme la Base & la Source de tout ce qui existe, on ne trouve rien dont l’Existence soit nécessaire si ce n’est Dieu ; L’Espace ; Et le Temps ; qui tous trois aussi sont absolument Infinis. […]
L’Espace est immobile. C’est le Lieu de la Presence de Dieu, le Throne de sa Vertu, le grand Theatre où il fait toutes ses Operations. Comme il est partout infiniment simple il est aussi partout parfaitement semblable à lui-même.
Dieu est l’Intelligence Supérieure, la Conoissance parfaite une Source Eternelle & Universelle & tres pure de Pensées & d’Idées : une volonté toute-puissante […] & l’Universelle Vérité. Le gouvernement le Souverain la Vie & (la Vérité qui existe). Il n’y a aucun Lieu où sa Presence ne soit. La Vertu est partout. Elle est entière dans les Cieux ; Et l’est dans la Terre ; dans la Chambre où je suis : Elle l’est dans chaque partie la plus petite de l’Espace. Et Dieu y fait tout ce qu’il veut, il y aperçoit tout ce qui s’y fait, & et tout ce qu’il y faut faire. Ainsi il est impossible de separer la Pensée de l’Espace. Tout l’Espace est tres animé : et son Ame, sa Vie, sa Vertu c’est Dieu lui-même pour l’Espace. La creation de quelque matiere ou de quelque etre que ce soit dans l’Espace, n’en peut éteindre ou exclure la Vertu & la Presence, & les Connoissances de Dieu. Il pourroit dans les moindres Atomes créer en petit des Mondes formés au moins en grande partie sur l’Idée du monde que nous connoissons19.
13La divinité est omniprésente dans l’univers, et, quoi que distincte de l’espace, elle l’habite et en occupe toute partie, elle y crée le mouvement et la vie. L’ensemble de la Création n’est qu’une émanation directe de Dieu, dans un espace vide.
14Son travail sur la cause de la pesanteur l’amène à repenser le système du monde – système qui selon lui ne fonctionne que grâce à une divinité omniprésente : révéler ce système revient donc à mettre en avant la présence de Dieu dans le monde. C’est du moins ce qu’il prétend quand il écrit, à propos de son poème latin envoyé à l’Académie royale des sciences de Paris, en 1730 :
- 20 The Newton Project, porté par l’université d’Oxford, propose une version en ligne de lettres de Ne (...)
[…] parce que ma théorie prouve l’intervention d’un pouvoir Très-Haut qui gouverne dans la totalité de l’Espace infini, je l’ai écrit sous la forme d’un poème ; en espérant qu’il soit un antidote aux livres de Lucrèce, qui ont causé tant de maux dans ce pays et probablement beaucoup aussi dans le reste du monde20.
15Devenir le nouveau Lucrèce, voilà l’ambition de Fatio de Duillier. C’est un projet qu’il reformule en 1745 dans une lettre adressée à son neveu :
- 21 BGE, ms. fr. 602 f° 183r.
Il [Lucrèce] bannit l’Intervention de Dieu dans le Cours de la Nature : Mais je demontre que sans la Volonté d’un Dieu Tout-Puissant, et sans son Opération continuelle dans la Nature, tout y retomberoit aussi töt dans le Néant21.
16Dieu garantit la permanence des lois de la nature et de leur fonctionnement, et le savant communique à ses pairs les plus fondamentales d’entre elles, pour améliorer diverses techniques, notamment de navigation, mais surtout pour honorer la sagesse divine. Cette gratitude envers la divinité se trouve déjà dans un travail antérieur de Fatio, portant sur l’amélioration de la culture des arbres fruitiers par la construction de murs inclinés, publié sous forme de traité en 1699 :
- 22 Nicolas Fatio de Duillier, Fruit-Walls improved, R. Everingham, Londres, 1699, p. xvii et xviii. J (...)
Il ne serait pas juste d’exposer ces riches présents que l’auteur de la Nature nous offre, sans exprimer ce que l’on doit à sa magnificence et à sa grandeur. Qui peut ne pas admirer sa Sagesse suprême et infinie qui produit en chaque endroit une variété immense de productions pleine de grâce et d’excellence, jusqu’à recouvrir toute la surface de la Terre et à émerger du sol même ? Et de là, on constate que, malgré leurs différentes propriétés, elles dessinent toutes merveilleusement leur vie et l’esprit qui les anime ; ce qui ne manque pas d’émerveiller quiconque considère cette opération surprenante22.
17Derrière la variété et la richesse des productions terrestres, l’unité de leur développement et des procédés qui en sont la cause fascinent Fatio. L’unité dans la diversité est représentable grâce aux mathématiques, puisque dans cet ouvrage, il souhaite montrer comment ces dernières permettent d’améliorer toutes les techniques de jardinage grâce à des principes généraux. Malgré la diversité, c’est dans la simplicité que se niche la divinité.
18Mais la présence divine se révèle aussi dans les cieux. À la fin des années 1730, Fatio se consacre à la recherche d’une formule mathématique permettant de calculer la parallaxe du soleil, ce qui, selon ses dires, ne tarde pas à être mené à bien. Cette découverte est pour lui essentielle en ce qu’elle permet non seulement de calculer l’espace entre le soleil et différents corps célestes, à commencer par la terre, mais aussi de donner une idée plus juste de leur taille respective, et donc de proposer une vision juste de la manière dont est organisé le système solaire (plus juste que celle proposée par ses prédécesseurs ou contemporains, Newton en tête). Cette image plus juste étant, évidemment, plus à même d’honorer le Créateur.
- 23 « But when we shall proceed to explain the true Frame and Disposition of the most magnificent Stru (...)
Mais quand nous nous appliquerons à expliquer la vraie structure et disposition de la plus magnifique structure du système solaire, nous verrons la Sagesse divine briller d’un éclat bien plus vif que dans le système commun, obscurci jusqu’à présent par quelques erreurs intolérables23.
19C’est également ce qu’il dit à Cassini II, auquel il écrit en 1737 :
- 24 BGE ms. fr. 602 f° 268.
Ma Théorie nous présente un Nouveau Systeme du Monde, tres different des Idées ordinaires qu’on en a ; mais plus beau et digne de Dieu, que celui qu’on a tant vanté, jusques à aujourd’hui24.
20Cette grandeur du Créateur se manifeste par la disposition des corps célestes de laquelle, par l’action de la loi de la gravité, résulte un parfait équilibre :
- 25 « I cannot but observe the great Wisdom and Goodness of the Creator, in placing two so very great (...)
Je ne peux qu’observer la grande Sagesse et Bonté du Créateur, qui a placé ces deux globes si grands que sont la Terre et la Lune, au milieu des planètes dépourvues de satellites : pour ces planètes, elles jouent le rôle, dans une grande mesure, d’une lune comme la nôtre. Et d’autre part, le Soleil étant bien plus petit que ce que l’on supposait, son pouvoir d’attirer les étoiles fixes, dont le nombre et la distance demeurent similaires à ce qu’ils étaient, se trouve réduit en proportion25.
21Quelques années plus tard, il se passionne pour les comètes. L’équilibre entre les différentes trajectoires des comètes suscite son admiration et sa piété mais aussi une forme d’effroi face à la simplicité avec laquelle le moindre changement, ne serait-ce qu’infime, de trajectoire pourrait conduire à la destruction de la Terre, et rompre l’équilibre parfait.
- 26 Ibid. Je traduis.
Considérant la théorie des comètes dans son ensemble, comme la position de l’humanité est précaire ! Comme elle dépend de la bonté immédiate de Dieu, de sa prévoyance et Providence ! Comme facilement, soudainement et naturellement ce Globe qu’est notre Terre, et d’autres globes célestes, ainsi que toutes les créatures que l’on trouve sur eux, peuvent servir d’exemples de sa Justice ; tout comme les Globes des comètes elles-mêmes26 !
- 27 Susanna Seguin, Science et religion au xviiie siècle : le mythe du déluge universel, Paris, Honoré (...)
- 28 Ibid. p. 143.
22L’étude des comètes doit ainsi générer chez les astronomes et dans le public une repentance et un renouveau de la piété, car c’est par le moyen des comètes que la colère divine se manifestera et que la fin des temps adviendra. Dans ces années, Fatio est totalement acquis à la théologie naturelle, et considère que les phénomènes naturels viennent valider les récits présents dans la Révélation. Son étude des comètes l’entraîne à se questionner sur des thèmes comme l’ancienneté de la Création et l’âge de la Terre, le sens à attribuer aux fossiles par rapport au Déluge et la durée réelle des six jours de la Création. Ces sujets sont discutés par d’autres savants de cette époque et font l’objet de débat, comme les fossiles et l’origine des reliefs terrestres, étudiés à l’Académie des Sciences de Paris dans les années 1715-171827. Les fossiles font aussi l’objet de nombreuses publications28.
- 29 BGE ms. fr. 603 f°34r.
23Touchant la durée réelle de la Création, un document non-daté que l’on trouve dans les papiers de Fatio propose une approche intéressante29. Il s’agit d’une sorte de calendrier circulaire articulé autour d’un losange central dans lequel est écrit « Creatio », qui se lit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre en partant du bas. Il est composé de six sections principales, chacune associée à un jour de la semaine, à deux mois, mais aussi à des observations astronomiques et à des couleurs. De nombreuses références à des textes sont mentionnées : le texte biblique de la Création sert de base à chaque partie. Le Psaume 104 est mentionné à deux reprises, mais on trouve également des auteurs anciens : Virgile et ses Géorgiques, Hésiode et les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis. À ces références s’ajoutent tout un ensemble d’auteurs hermétiques, alchimistes revendiqués : Raymond Lulle, Sendivogius, Jean d’Espagnet, Thomas Norton, Thomas Charnock, Petrus de Silento. Enfin, sont mentionnés les travaux de l’agronome Jean-Baptiste La Quintinie, que Fatio a probablement lu au moment où il travaillait sur les arbres fruitiers. Comparant et croisant ces diverses sources, Fatio en arrive à la conclusion suivante :
- 30 Ibid. Je traduis.
Il apparaît ainsi que les six jours de la Création contiennent l’espace de toute une année. J’ai trouvé cela en lisant les livres mystiques des philosophes, grâce auxquels, avec ce qui est ici exposé, il apparaît clairement que Moïse était initié à ces grands mystères30.
24Cette interprétation métaphorique des six jours permet à la fois de résoudre le problème des fossiles (qui ont pu résulter d’événements naturels antérieurs à la création de l’Homme) et de rendre compatible le récit de la Création, en particulier le passage sur les astres, avec la science newtonienne. C’est ce qu’explique Fatio dans un article de 1742 :
- 31 Edward Cave, « Mr Facio's Answer to the Objection taken from the Motion of Comets, of their Bignes (...)
Si on met de côté toute signification mystique, et si vous le permettez, plus véritable, le récit que fait Moïse du 4e jour, pris dans son sens populaire, n’impliquerait-il pas que les étoiles fixes, qui commencent alors à être visibles depuis la Terre, ont en fait été créées non seulement au cours de la nuit du quatrième jour naturel, mais bien plus longtemps avant ? Les rayons de la lumière n’ont-ils pas besoin de beaucoup plus de temps qu’une nuit pour venir des étoiles fixes jusqu’à la terre, en particulier d’après le système newtonien ? Sinon, les rayons de la lumière par lesquels les étoiles fixes, en particulier les plus éloignées, deviennent visibles, doivent avoir voyagé vers la terre depuis plus longtemps que la création des étoiles fixes elles-mêmes31.
25Si ce « calendrier » n’est malheureusement pas daté, il est néanmoins révélateur de l’intérêt que portait Fatio au récit de la Création, et aux liens qu’il entendait faire avec son étude de la philosophie naturelle. Le recours à une grande variété d’auteurs de différentes époques et de différents statuts révèle non seulement l’étendue de la culture de Fatio, mais aussi une conception globale de la connaissance. Par différents savoirs, il est possible de révéler des vérités ultimes, qui permettent au savant de se rapprocher de son Créateur. De ce point de vue, la philosophie naturelle et l’alchimie sont au service de la Révélation.
26Les comètes l’invitent également à s’intéresser au Déluge, tout comme son contemporain William Whiston, avec qui il correspond pendant plusieurs années. En 1743, dans une de ses publications sur les comètes Fatio écrit :
- 32 Edward Cave, « Mr. Fatio on Comets », Miscellaneous Correspondence, II, Londres, 1743, p. 97. Je t (...)
Quant à la comète de 1680 je ne peux que considerer que la conclusion de Mr Whiston est très probable, quand il conclut que son passage près de la Terre a été la cause physique du Déluge. Et le soin particulier de l’Esprit de Dieu à mentionner non seulement l’année et le mois, mais aussi le jour même du mois à cette occasion, semble avoir volontairement pavé la voie pour cette extraordinaire découverte, et comme confirmation de la Révélation divine ; que ce soit cette comète ou toute autre qui ait occasionné le Déluge32.
- 33 Sur William Whiston et ses travaux, voir Hélène Metzger, Attraction universelle et religion nature (...)
- 34 Susanna Seguin, op. cit. p. 71.
- 35 Ibid.
- 36 Genèse, VII, 11.
- 37 Susanna Seguin, op. cit. p. 73.
- 38 Ibid.
- 39 David Kubrin, « Newton and the Cyclical Cosmos: Providence and the Mechanical Philosophy », Journa (...)
27Adoptant une démarche comparable à celle de Thomas Burnet et John Woodward, William Whiston avait entrepris, dans un ouvrage de 1696 intitulé A New Theory of the Earth, de faire correspondre le récit biblique, et notamment celui de la Genèse et du Déluge, avec les théories newtoniennes33. En effet, contrairement à ses prédécesseurs, Whiston n’attribue pas le Déluge à une faiblesse interne du globe, mais à un événement extérieur : le passage d’une comète, celle observée par Halley en 168034. La vapeur d’eau présente dans le sillage de la comète aurait été attirée par la Terre et provoqué les pluies diluviennes, tandis que l’attraction de la comète sur la Terre aurait déformé le globe, le fracturant et libérant ainsi les eaux souterraines35. La précision du texte biblique sur la date du Déluge (an 600 de la vie de Noé, second mois, dix-septième jour36) permet d’établir qu’il s’agit bien de la comète de Halley, et pour Fatio, cette précision du texte est un indice évident laissé aux hommes pour atteindre cette connaissance. Si le Déluge a été provoqué par une comète, Whiston envisage également que cette même comète produira la conflagration de la Terre lors du Jugement Dernier37, et étant donné les remarques de Fatio précédemment mentionnées, il est probable qu’il adhère également à ce point de vue. Si tous deux attribuent aux comètes le déclenchement des étapes cruciales du devenir humain, ils reconnaissent également que c’est Dieu lui-même, ou Sa Providence, qui préside aux trajectoires de ces objets célestes38. En cela, ils rejoignent Newton qui considère que les comètes sont des moyens envoyés par Dieu pour régénérer un cosmos sinon naturellement déclinant39.
28Comme plusieurs de ses contemporains, surtout britanniques, Fatio de Duillier développe au fil des ans une pensée clairement ancrée dans la théologie naturelle. Si ses démarches (observations astronomiques et calculs mathématiques) et ses objectifs (comprendre le véritable système du monde, en donner une représentation la plus véritable possible) s’inscrivent nettement dans une approche empirique et savante, ils restent subordonnés à un dessein spirituel, et sont avancés comme des preuves de la Révélation. Révélation qui toutefois doit elle aussi être analysée, critiquée, et décryptée, au moyen d’une panoplie de savoirs très variés. Le travail du savant devient alors de révéler le dessein divin, et Fatio de Duillier considère qu’il a lui-même été choisi par la Providence pour accomplir cette noble tâche.
Fatio de Duillier, savant providentiel
- 40 Peter Harrison, The Bible, Protestantism and the rise of natural science, Cambridge, Cambridge Uni (...)
- 41 Alexandra Walsham, Providence in Early Modern England, New-York, Oxford University Press, 1999, p. (...)
- 42 Ibid., p. 333.
- 43 Michael Heyd, Be sober and reasonable. The critique of enthusiasm in the seventeenth and early eig (...)
- 44 David Kubrin, « Newton and the Cyclical Cosmos », art. cit. p. 326-327.
29Fatio se construit une identité de savant à la fois témoin et acteur de la Providence divine. Dans la République des Lettres et le monde savant des xviie et xviiie siècles, la Providence fait débat. La recherche des causes naturelles (les « lois » de la nature), préconisée notamment par Bacon puis Descartes, vient remettre en cause la nécessité d’une action divine directe nécessaire au bon fonctionnement de l’univers40. Ce passage d’une approche qualitative à une approche quantitative de la nature vient poser de manière urgente la question de la Providence dans la deuxième moitié du xviie siècle et au xviiie siècle. L’affirmation de la Réforme, le développement de cultures confessionnelles différenciées et les nombreux conflits armés qui touchent l’Europe contribuent également à questionner le rôle de la Providence dans l’histoire des hommes. En Angleterre, le providentialisme est particulièrement important dans l’affirmation d’une culture réformée sous les Tudors et les Stuarts, même s’il recouvre des concepts et expressions variées41. Il prend une tournure particulièrement conflictuelle pendant la guerre civile, et son usage devient peu à peu polémique et critiqué42. À partir de la deuxième moitié du xviie siècle et au siècle suivant, son expression « enthousiaste » est dénoncée tant par les théologiens que par les savants, notamment lorsqu’on cherche à la déceler dans des manifestations prophétiques43. Cependant plusieurs savants, sous l’égide d’Henry More, de Robert Boyle puis d’Isaac Newton, brandissent la nécessité de la Providence, rejetant un cartésianisme qu’ils accusent de bannir Dieu du monde naturel. Si le mécanisme remplace toute action providentielle par des causes mécaniques, il exclut Dieu du monde et peut conduire à la remise en cause de la Création même ; en d’autres termes, le mécanisme peut conduire à l’athéisme44. La Providence de l’époque moderne s’exprime donc dans des champs et sous des formes variées. On la cherche tantôt dans l’histoire des hommes, tantôt dans la nature. On la décèle dans les miracles, dans les événements extraordinaires et inexplicables, dans les catastrophes naturelles, ou dans les lois naturelles révélées par les nouvelles pratiques savantes.
30Nicolas Fatio de Duillier accorde une place importante à la Providence dans le monde. D’une conception assez classique visible dans son intérêt pour l’histoire et les événements contemporains, elle prend peu à peu une envergure nouvelle, en particulier lors de sa rencontre avec les French Prophets, et devient pour lui une manière de donner du sens et de valoriser son action individuelle dans le monde des hommes et des savoirs savants.
Le savant témoin de la Providence : le défenseur des French Prophets
- 45 Cf. la lettre écrit à sa sœur le 3 février 1693 : « notre religion […] est fausse, quoi que beauco (...)
- 46 Sur les French Prophets de Londres, voir Hillel Schwartz, Knaves, Fools, Madmen, and that subtile (...)
31Quand, en 1706, il rencontre trois huguenots réfugiés à Londres qui prophétisent, Fatio a consommé sa rupture avec les Églises officielles et adhère à une vision du monde qui n’est pas incompatible avec les phénomènes prophétiques et les inspirations45. Dès le mois d’août, il devient le secrétaire et transcrit les inspirations de ceux que l’on appelle désormais les French Prophets46. Quand ces derniers sont attaqués et dénoncés comme imposteurs, Fatio prend leur défense et leur reste fidèle. Il n’hésite pas à comparaître avec eux au tribunal et paie pour les éditions de leurs avertissements et inspirations.
- 47 On peut penser notamment à Maximilien Misson et au chevalier Bulkeley, qui publient des textes et (...)
32Mais au nom de quoi fait-il cela ? Les (trop) rares textes dans lesquels Nicolas Fatio de Duillier exprime son point de vue et donne des arguments en faveur des prophètes sont ceux de sa correspondance, en particulier celle avec son frère ; quelques autres lettres complètent ce corpus réduit, car contrairement à d’autres, Fatio ne publie rien pour leur défense47. Ces quelques lettres, rédigées dans un contexte polémique, sont toutefois très riches et apportent des éléments intéressants sur le regard porté par un savant sur le phénomène.
33Car c’est bien en tant que savant que Fatio entend défendre l’authenticité des French Prophets. Il mobilise trois types d’arguments : des arguments fondés sur sa bonne connaissance des textes bibliques, qui ont pour but de prouver qu’aucun passage de l’Écriture n’exclut la possibilité d’une communication directe de Dieu avec les hommes via les prophètes, et que ces phénomènes ne doivent pas être cantonnés aux Églises des premiers temps ; des arguments fondés sur ce qu’il voit lui-même, sur ce qu’il observe en tant que témoin de faits irréfutables ; et des arguments fondés sur ses propres qualités de savant et sur sa réputation.
- 48 Michael Heyd, Be sober and reasonable, op. cit. p. 31.
34Sa bonne connaissance des textes bibliques lui permet de s’appuyer sur plusieurs passages pour affirmer que, contrairement à ce que préconise l’orthodoxie réformée, le temps des prophètes ne s’est pas arrêté avec la période apostolique48, et même que
- 49 Cette lettre a subsisté sous la forme de la minute conservée par Fatio. Elle est écrite en très pe (...)
Si vous consultez la Raison, l’Ecriture et les bonnes Tables Chronologiques vous verrez Monsieur que l’Etat naturel, et même l’Etat ordinaire de l’homme, c’est qu’il y ait des hommes Inspirés ou une communication immédiate ouverte entre le Ciel et la Terre. À peine trouve-t-on un temps avant notre Seigneur où l’on n’ait pas une entière certitude qu’il y avait sur la terre des gens inspirés pour ne rien dire de ceux dont les Noms ont échappé à l’histoire49.
- 50 Origène, Elie Bouhéreau (trad.), Traité d’Origène contre Celse ou Défence de la Religion Chrétienn (...)
35Les inspirés font partie intégrante de l’Église chrétienne, de son histoire et sont nécessaires à l’accomplissement des prophéties présentes dans les Écritures, en particulier à celles de l’Apocalypse. Nier leur nécessité est une apostasie. Dans cette lettre datée du 21 octobre 1709, Fatio s’adresse à M. P. Perret de Genève. Mais par-delà son destinataire officiel, elle a probablement vocation à le justifier auprès de la société genevoise, en particulier des pasteurs. Cela peut expliquer l’argumentation savante déployée, qui recourt aux Écritures mais également à d’autres textes, révélant ainsi (volontairement) sa culture érudite dans le domaine religieux. Fatio cite notamment le traité d’Origène contre Celse dans sa traduction française, en particulier le passage dans lequel Celse décrit les prophètes et prophétesses qu’il a vus, et qui selon lui, sont incompréhensibles et n’ont rien de divin. Mais loin de suivre Origène qui accuse Celse de mentir quand il prétend avoir vu les prophètes car « de son tems, il n’y avoit plus aucuns Prophétes, pareils aux anciens50 », Fatio prend pour argent comptant le témoignage historique du païen Celse. Il affirme ainsi
- 51 BGE ms. fr. 602 f° 272. Grâce à la mention de la page, on peut affirmer que c’est bien la traducti (...)
Ce livre contient à la page 282 un passage du Paien Celse qui écrivoit environ l’an 160 dans lequel il est évident qu’il y avoit […] un tres grand nombre d’inspirés Chrétiens ; qu’ils parloient au nom et en la personne de Dieu, disant Je suis Dieu, je suis le fils de Dieu ou l’Esprit de Dieu : qu’ils avoient les gestes et agitations des Inspirés, et que les choses qu’ils prononçoient étoient touiours les mêmes que quelques unes et les principales de celles que les inspirés nous disent aujourd’hui51.
- 52 Theodor Harmsen, « Dodwell, Henry (1641-1711) », Oxford Dictionary of National Biography, 2004, ve (...)
36Le témoignage de Celse est donc considéré par Fatio comme une source historique, indépendamment du contexte polémique sur la nature divine ou non des agitations constatées. Sont également mentionnés les travaux d’Henry Dodwell, théologien irlandais défenseur des Églises face aux non-conformistes52. On ne sait à quel texte précisément Fatio fait allusion, mais il lui fait référence en ces termes
- 53 BGE ms. fr. 602 f° 272.
Mr Dodwell savant Docteur de l’Eglise Anglaise a écrit un Traité pour prouver que dès le 1er Siècle et même encore dans le 2e siècle il n’y avait personne qui fut reçu à enseigner dans l’Eglise Chrétienne que des Inspirés53.
37Il s’appuie donc sur l’autorité d’un théologien reconnu, non pas pour prouver l’existence des prophètes à son époque, mais pour souligner le précédent historique que constituent les phénomènes d’inspirations dans l’Église des premiers temps, au-delà de l’époque apostolique. Étant donné les attaques de Dodwell contre ceux qui entendaient se passer d’Église, il est probable qu’il ait été farouchement opposé aux French Prophets. Fatio n’hésite donc pas à se servir des travaux de potentiels adversaires, qu’il réutilise à ses propres fins. Cette lettre adressée à M. Perret constitue la seule défense érudite des prophètes de la part de Fatio. Il est pourtant intéressant de noter que son frère aîné Jean-Christophe tente de l’attirer à plusieurs reprises sur ce terrain-là, en multipliant dans ses lettres les références aux Écritures. Mais Nicolas Fatio de Duillier refuse de le suivre et mobilise d’autres arguments.
38Ces arguments qu’il oppose à son frère sont fondés sur son expérience personnelle des faits ; arguments auxquels son interlocuteur ne peut bien sûr pas répondre, n’étant pas un témoin direct. C’est d’ailleurs ce qu’il lui reproche le plus fortement : juger sans connaître, juger sans voir par lui-même, en termes parfois assez forts :
- 54 BGE ms. fr. 602 f° 114.
Qui vous a établis mes juges pour ce que je fais en Angleterre ? Si vous êtes mes juges, où sont vos informations, où sont vos diligences pour entendre des faits ? […] Vos yeux pour avoir une poutre devant eux sont-ils devenus capables de voir distinctement comme à travers d’un télescope jusqu’à un fétu qui est dans le mien ? […] Et que vous fassiez tout cela sans examiner et sans connaissance de cause ? Avez-vous lu ce qui s’est imprimé ici ? Savez-vous le nombre de gens de qualité et autres qui sont déjà visités ici de l’Esprit de Dieu ? Connaissez-vous le nombre ? Vous a-t-on dit ce qu’en pense la Reine54 ?
39Dans son argumentation, il met en avant sa position de témoin direct des faits, et le rôle que ses sens jouent dans l’appréhension de l’événement :
- 55 BGE ms. fr. 601 f° 152v.
O combien plus sûrement en jugeons-nous que vous ne le pouvez faire, nous qui savons bien ce qui vous arrête, mais qui avons vu, senti et entendu les choses sur lesquelles vous ne pouvez juger que témérairement et sans connaissance de cause55.
- 56 Barbara Shapiro, A Culture of Facts: England, 1550-1720, Ithaca et Londres, Cornell University Pre (...)
- 57 Michael Heyd, Be sober and reasonable, op. cit. p. 27.
40Le poids de l’argument repose sur la valeur attribuée aux sens, en particulier la vision (via l’observation) dans la détermination des faits. Né dans le domaine juridique, le concept de « faits » s’est développé depuis le milieu du xvie siècle dans tous les champs du savoir, y compris dans la religion et la philosophie naturelle, en particulier celle promue par Bacon. Ce dernier souhaitait en effet débarrasser la philosophie naturelle de la littérature, de la mythologie et des symboles pour l’asseoir sur des « faits », constatés au premier chef par les sens, en particulier la vue56. Cela dit, le simple témoignage des sens ne suffit pas : il doit être corroboré par plusieurs témoins et par d’autres sources d’autorité. Dans le cas de Fatio, c’est l’histoire et les précédents prophétiques dans l’histoire religieuse qui viennent soutenir son discours. Tous les faits qu’il décrit, tous les miracles mentionnés dans ses lettres sont similaires à ceux constatés à l’époque apostolique. Don des langues, conversion des pécheurs, guérison des malades, transmission de l’Esprit par imposition des mains, multiplication incroyable des inspirés sont autant de dons extraordinaires de Dieu qui dans la Bible constituaient des preuves irréfutables de l’authenticité de celles et ceux qui se disaient prophètes57. Il ajoute à ses arguments les persécutions qu’ils et elles subissent, qui les rapprochent des figures de martyrs. Fatio insiste sur sa proximité avec les phénomènes, la constance et durée de ses observations, la précision de ses prises de notes. Toutes ces démarches, associées à la volonté de démasquer l’imposture font de Fatio un témoin solide de ces faits.
- 58 BGE ms. fr. 602 f° 115r.
Je l’ai examiné à fonds. Il n’y a aucune supposition ni aucun composé de supposition dessus qui rende raison de tous les faits innombrables que je connais, ou encore de leur 20e partie, que celle-ci seule que c’est ici l’ouvrage de Dieu. Dans cette supposition tout s’explique exactement toutes les difficultés disparaissent, ou sont capables de recevoir des réponses tout à fait solides58.
- 59 Barbara Shapiro, A Culture of Facts, op. cit. p. 145.
41Cette conclusion est la plus simple et la plus globale pour rendre compte de l’ensemble des faits constatés. Rationnellement, Fatio choisit donc l’hypothèse la plus probable, en accord avec les principes de la philosophie naturelle qui stipulent alors que si la certitude absolue est hors de portée, un haut degré de probabilité pouvait satisfaire le savant59. Toutefois, Fatio, par un acte de foi, passe de la haute probabilité à la certitude lorsqu’il affirme
- 60 BGE ms. fr. 602 f° 115r.
Or que Dieu commence activement de répandre son Esprit sur la terre et d’y établir son règne c’est ce que je sais comme les choses que je connais avec le plus de certitude60.
42Il n’hésite pas, par ailleurs, à faire valoir ses qualités personnelles et notamment savantes comme autant d’éléments justifiant les prophètes.
- 61 BGE ms. fr. 602 f° 114r.
Est-il possible que me connaissant, et sachant combien je suis capable d’être exact, et combien j’ai à perdre si je me jette dans l’erreur, vous preniez de gaité de cœur le parti de m’attaquer […]61 ?
43Son engagement auprès des prophètes met en jeu sa réputation savante et dès lors, il faut la défendre. Son « exactitude » lui semble un argument suffisant pour lui permettre de juger de ces phénomènes, et il n’hésite pas à écrire à son correspondant genevois en 1709
- 62 BGE, ms. fr. 602 f° 272. L’intégralité de cette minute de lettre étant rédigée en abréviations trè (...)
Or pour juger sainement d’un fait comme celui-ci je préférois les qualités d’un Philosophe ou d’un Mathématicien qui se seroit donné tout entier à l’examen avec exactitude, à celles d’un Ecclésiastique qui auroit dédaigné de s’abaisser jusque-là, surtout si le 1er n’avoit aucune intention que celle d’être sincere ; et s’il avoit donné un tems considérable à l’Etude de la Religion et de l’Ecriture62.
44Il est évident que Fatio parle ici de lui-même, de sa sincérité et de son étude approfondie de la Bible. L’exactitude est une qualité qui revient à plusieurs reprises dans la lettre :
- 63 Ibid. Je souligne.
Que si de ma part je ne vois pas qu’il ait rien manquer pour rendre mon examen tout à fait exact et severe, Je sais d’un autre coté que Dieu a exaucé les prières ardentes que je lui ai faites pour me faire connoitre la vérité, et qu’il a même quelquefois daigné par sa grace me repondre d’une manière surnaturelle et miraculeuse. […] Vous voiez bien Mr que l’exactitude que je vous ai fait espérer dans cette Lettre n’est point celle de la méthode ni du style ; […] C’est assez pour un homme comme moi, de la seule exactitude de la vérité63.
45Ainsi, aux yeux de Fatio, les qualités propres au philosophe naturel ou au mathématicien, et en particulier le souci de l’exactitude, font de celui-ci le meilleur juge possible des « faits » qui se déroulent, indépendamment de tout souci littéraire et même de toute méthode. La vérité est censée se révéler d’elle-même dans ses écrits. Son indépendance vis-à-vis de l’Église, contrairement à l’ecclésiastique, vient renforcer sa sincérité et la valeur de son analyse. Fatio considère donc qu’en tant que philosophe et mathématicien, il est tout autant, voire davantage, capable que les théologiens de produire des discours et des analyses dans le domaine des manifestations divines et même dans celui des Écritures. Il est cependant intéressant de voir que le recours au surnaturel n’est pas totalement absent de son argumentation, puisqu’il mentionne les prières qu’il a adressées à Dieu à plusieurs reprises et la réponse divine qu’il a obtenue. Cela rejoint l’idée que le savant, par ses travaux, est l’intermédiaire privilégié que la Providence choisit pour révéler des secrets au monde.
le savant prophète de la Providence
46Fatio donne une dimension très personnelle à cette conviction.En 1738, il écrit à Portalès :
Ainsi, il a plu à l’adorable Providence qui gouverne toutes choses, de permettre à l’humanité de connaître par mes moyens (quoi que je sois très indigne d’une telle distinction) ce secret extrêmement grand et utile. Bien que les plus grands philosophes et mathématiciens et astronomes aient été tous ensemble dans le noir, et se soient grandement trompés à ce propos ; et n’aient pu voir ce que je rends maintenant parfaitement simple et intelligible, même à M. Allut notre ami, et aux capacités réduites des hommes, femmes et enfants.
- 64 BGE, ms. fr. 602 f° 178. Je traduis. Jean Allut est l’un des premiers French Prophets. Fatio vit c (...)
À cette victoire que me procure Dieu Tout-Puissant, aucun homme vivant n’a contribué à quelque degré que ce soit. Et je la dois seulement à sa divine Providence, et à l’aide ponctuelle des très bons astronomes que sont le père et le fils Dougharty. Car les observations sont faites depuis leur maison64.
47Plusieurs remarques se dégagent de ces extraits : tout d’abord, les découvertes savantes effectuées sont pour Fatio le résultat d’une action de la Providence, voire une émanation directe de la volonté du Créateur. Elles s’apparentent ainsi à des révélations, et constituent un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité. Elles sont révélées à l’époque de Fatio pour une raison précise, bien que le but demeure inconnu. Fatio insiste sur l’écart qui le sépare de tous les autres savants, mathématiciens et astronomes, qui malgré leurs qualifications et qualités, se trouvent dans l’obscurité. Lui et lui seul est dans la lumière et se trouve en mesure de communiquer la vérité sous une forme simple et accessible à toutes et tous. C’est une victoire entièrement personnelle que lui concède Dieu, puisque qu’il n’a pas recours aux travaux ou à l’expertise de ses contemporains pour arriver à ses découvertes. Ce faisant, il s’exclut du contexte savant des collaborations, débats et controverses, en expansion au xviiie siècle, pour se présenter comme un prophète. Cette personnalisation extrême de la découverte savante, et cette « providentialisation » des découvertes trouvent leur expression ultime dans la lettre que Fatio adresse à son neveu en 1745 :
- 65 BGE, ms. fr. 602 f°183r.
Personne ne sauroit être plus etonné que moi-même de voir à quelles estranges et abstruses Verités m’ont conduit mes Demonstrations. Il est vraisemblable que le tems les auroit pû decouvrir à d’autres, au moins en partie. Mais, il me semble que la Providence a eu des Raisons particulières, pour vouloir que ce fût moi qui les apperçusse le premier65.
48Il ne développe jamais ces « raisons particulières » de son élection providentielle pour apporter au monde des vérités. Il est possible que ce discours récurrent soit une stratégie de sa part pour compenser la frustration générée par le refus de reconnaissance intellectuelle, politique et financière dont il affirme être victime. C’est sûrement un moyen d’attirer l’attention sur ses travaux, à une époque où, contrairement à ses prétentions, il n’a plus qu’une audience britannique, publiant ponctuellement dans des périodiques de diffusion nationale : le Gentleman’s Magazine et ses numéros de Miscellanea. L’importance revendiquée de ses découvertes contraste ainsi fortement avec la diffusion réelle qu’elles ont.
49Fatio se considère ainsi comme un acteur privilégié de la Providence, rôle d’autant plus important que si l’urgence eschatologique qu’il ressentait au plus fort de son aventure avec les French Prophets s’est apaisée, il reste néanmoins persuadé de vivre une époque particulière de transformations providentielles, une sorte de nouvelle Révélation.
50En effet, en 1737, il parle à Portalès des
- 66 BGE, ms. fr. 602 f° 171r.
Découvertes très importantes qu’il m’a fallu faire ; et auxquelles nos Astronomes n’étoient aucunement en disposition de penser. J’ai de très fortes raisons pour être convaincu que la Providence et même une volonté immédiate de Celui qui gouverne toute chose, avait réservé la connoissance de ces mystères là au genre humain pour nos jours66.
51La même année, dans sa lettre au jeune Cassini, il écrit encore :
Peut être aurez-vous quelque curiosité de voir ici une Table de ce que j’ai découvert pour la Perfection ou l’Avancement de l’Astronomie et de la Navigation. Car le Tems est venu que Dieu a bien voulu mettre à la portée des Hommes, des Mystères très profonds, qu’Il avoit jusqu’à maintenant tenus cachés. […] [Jean-Dominique Cassini] se contenta de dire, Qu’il voioi bien que Dieu ne vouloit pas communiquer cette Connoissance aux Hommes [la parallaxe du soleil]. Il avoit raison : Mais c’est que le Tems n’en étoit pas encore venu. Tems qui étoit réservé pour le 1/12 de Juillet de l’Année mille sept cent trente cinq.
- 67 Stephen D. Snobelen, « The True Frame of Nature : Isaac Newton, heresy and the reformation of Natu (...)
- 68 Ibid.
- 69 Sur cette question, voir le chapitre 6 de Rob Iliffe, Priest of Nature, op. cit. p. 189-218.
52Fatio met en lien direct les découvertes qu’il affirme avoir faites avec un projet divin de révélation. Si le procédé sert évidemment à mettre en avant son propre rôle, il peut aussi avoir une signification plus profonde. Fatio pense-t-il vraiment qu’une forme de nouvelle révélation est en train d’advenir dans le monde naturel par la volonté de Dieu ? C’est possible, et il n’aurait pas été le seul. Plusieurs proches de Newton, à commencer par William Whiston, ont pu considérer que les découvertes savantes de ce dernier étaient des preuves d’un avancement vers la perfection de la connaissance, et par conséquent vers le temps du Millenium67. Newton lui-même considérait qu’il devait s’investir dans une « double réforme », à la fois de la théologie et de la philosophie naturelle68, son objectif étant de retrouver la prisca sapientia des anciens, perdues à cause de la corruption du christianisme par le catholicisme69. Si Fatio de Duillier ne semble pas réellement adepte de cette théorie de la science primitive, quoiqu’il considère, on l’a vu, que Moïse possédait les connaissances des alchimistes, l’idée d’un double mouvement, tant dans le monde naturel que dans le spirituel semble avoir été importante pour lui. C’est en tout cas ce qu’il explique à son neveu en 1745 :
- 70 BGE, ms. fr. 602 f° 183r&v.
Pendant qu’elle [la Providence] travaille dans le spirituel à faire un Monde nouveau ; elle renverse dans le système Astronomique des Savans, la plupart de ses Fondemens ; et nous decouvre une Terre toute nouvelle et beaucoup plus glorieuse, et un Ciel tout nouveau, duquel elle nous donne en Toises et en Piés une très exacte mesure70.
53Contrairement à Newton, Fatio ne semble pas considérer qu’il s’agit d’une réforme – au sens du retour à un savoir originel perdu et corrompu par le temps, mais plutôt d’un renversement des valeurs et repères, pour ainsi dire une révolution. Le lien est très net entre les découvertes savantes (et en particulier une forme de mathématisation du monde) et le renouveau de la vie spirituelle attendu par Fatio dès avant sa rencontre avec les French Prophets. De ce double mouvement, Fatio apparaît à la fois comme le témoin privilégié, comme il avait pu l’être pour les prophètes lors de leurs inspirations, et comme un acteur clef, accomplissant ainsi une forme de vocation. S’il n’est pas seul à penser que le spirituel et le naturel sont intrinsèquement liés (cette idée dirigeant toute entreprise de connaissance du monde depuis les temps les plus anciens du christianisme et se renouvelant en Angleterre avec les travaux de théologie naturelle), ils sont déjà moins nombreux à considérer les découvertes savantes comme les preuves de l’accomplissement d’un dessein providentiel et de l’imminence du Jugement, et encore moins à reconnaître le rôle que Fatio prétend tenir dans ce mouvement. Quoi qu’il en soit de sa frustration individuelle, Fatio considérait, comme plusieurs de ses contemporains, que le monde naturel et le monde spirituel, et ainsi la philosophe naturelle et la théologie, étaient les deux faces d’un même monde, soumis à l’action directe de Dieu ou à sa Providence.
- 71 Les travaux les plus récents sur Newton insistent sur l’intrication très forte entre ses recherche (...)
54Si Fatio est un cas particulier relativement original et plaisant à suivre dans ses pérégrinations savantes et enthousiastes, l’étudier a surtout pour objectif de contribuer à la mise en lumière de ces milieux savants du xviiie siècle très marqués par la religion, en particulier en Angleterre. Des figures comme Newton, sur lequel les recherches sont très renouvelées ces dernières années71, mais aussi William Whiston ont des parcours comparables à celui de Fatio, et viennent tous remettre en cause la séparation nette entre science et religion sur laquelle on a longtemps fondé la définition de la « modernité ».
Notes
1 Sur Nicolas Fatio de Duillier, voir Bernard Gagnebin, « De la Cause de la Pesanteur. Mémoire de Nicolas Fatio de Duillier présenté à la Royal Society le 26 février 1690 », Notes and Records of the Royal Society of London, vol. 6, mai 1949, p. 105-124 ; Charles Domson, Nicolas Fatio de Duillier and the Prophets of London. An Essay in the Historical Interaction of Natural Philosophy and Millenial Belief in the Age of Newton, New York, Arno Press, 1981; Scott Mandelbrote, « The heterodox career of Nicolas Fatio de Duillier » dans John Brooke et Ian MacLean, Heterodoxy in early modern science and religion, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 263-296 ; Rob Iliffe, « Servant of two masters. Fatio de Duillier between Christiaan Huygens and Isaac Newton » dans Eric Jorink et Ad Maas, Newton and the Netherlands. How Isaac Newton was fashioned in the Dutch Republic, Leyde, Leyden University Press, 2012, p. 67-91; Noémie Recous, « S’intégrer dans la République des Lettres. Le cas de Nicolas Fatio de Duillier (1681-1688) », Revue historique, n° 677, 2016, p. 83-111.
2 William Seward, Anecdotes of some distinguished Persons, vol. 4, Londres, 1796, p. 426.
3 Bibliothèque de Genève (BGE), ms. Jallabert 47 vol. I f° 296.
4 Peter Harrison, The Bible, Protestantism and the rise of natural science, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 112.
5 Edward Bernard, De Mensuris et Ponderibus Antiquis. Libri Tres, Oxford, E. Theatro Seldonio, 1688.
6 Nicolas Fatio de Duillier, « Extrait d’une Lettre Latine de M. N. Fatio de Duillier à M. Bernard, docteur en Théologie à Oxford, du 1er de Décembre 1687 touchant la Mer d’airain », Bibliothèque universelle et historique de l’année 1689, 14, 3e édition (1738), p. 424-425.
7 Le premier à utiliser ces méthodes humanistes de critique textuelle pour étudier les textes hébreux de l’Ancien Testament est Louis Cappel, professeur d’hébreu à l’académie de Saumur entre 1613 et 1657, qui met en doute l’origine divine des points-voyelles. François Laplanche, « Débats et combats autour de la Bible dans l’orthodoxie réformée » dans Jean-Robert Armogathe, Le Grand siècle et la Bible, Paris, Beauchesne, 1989, p. 128.
8 Paul-Yves Pezron, L’Antiquité des tems rétablie et défenduë contre les Juifs et les Nouveaux Chronologistes, Amsterdam, chez Henri Desbordes, 1687.
9 Ibid., « Avertissement », n. p.
10 BGE ms. fr. 602 f° 73r.
11 Voir notamment Scott Mandelbrote, « A Duty of the Greatest Moment: Isaac Newton and the Writing of Biblical Criticism », The British Journal for the History of Science, vol. 26, 1993, p. 281–302.
12 Richard H. Popkin, « Newton et l’interprétation des prophéties » dans Jean-Robert Armogathe, Le Grand Siècle et la Bible, op. cit. p. 750. Pour une approche globale des travaux bibliques de Newton, voir aussi Rob Iliffe, Priest of Nature. The Religious world of Isaac Newton, New-York, Oxford University Press, 2017.
13 François Laplanche, « Débats et combats », art. cit. p. 124 ; Scott Mandelbrote, « “The Doors shall fly open” : Chronology and Biblical Interpretation in England, c. 1630-c. 1730 », dans K. Killeen, H. Smith, and R. Willie (dir.), The Oxford Handbook of the Bible in Early Modern England, New-York, Oxford University Press, 2015, p. 176-195.
14 Il évoque lui-même des « odd thoughts » ; Isaac Newton, H. W. Turnbull (éd.), The Correspondence of Isaac Newton, vol. 3, 1688-1694, Cambridge, Cambridge University Press, 1961, p. 242.
15 Ibid. Je traduis.
16 Ibid., p. 245.
17 Richard Popkin, « Newton et l’interprétation des prophéties », art. cit. p. 751.
18 Scott Mandelbrote, « A Duty of the Greatest Moment », art. cit. p. 299.
19 BGE ms. fr. 603 f° 8/2.
20 The Newton Project, porté par l’université d’Oxford, propose une version en ligne de lettres de Newton : http://www.newtonproject.ox.ac.uk/ Je traduis et mets en italiques.
21 BGE, ms. fr. 602 f° 183r.
22 Nicolas Fatio de Duillier, Fruit-Walls improved, R. Everingham, Londres, 1699, p. xvii et xviii. Je traduis.
23 « But when we shall proceed to explain the true Frame and Disposition of the most magnificent Structure of the Solar System, we shall see the divine Wisdom to shine in it with a far brighter Lustre, than in the common System, clouded as yet with some intolerable Errors. » L’article dont est tirée la citation ne possède pas de titre à proprement parler mais on le trouve dans Edward Cave, The Gentleman’s Magazine, vol. VII, août 1737, p. 490 et suivantes. La citation se trouve p. 491.
24 BGE ms. fr. 602 f° 268.
25 « I cannot but observe the great Wisdom and Goodness of the Creator, in placing two so very great Globes as the Earth and the Moon, amidst the Planets destitute of satellites; for which Planets they supply, in a great Measure, the office of a Moon like ours. And on the other hand, the Sun being so much smaller than it was supposed; Its power in attracting the fixed stars, whose number and distance remain still the same as they were, must needs be diminished accordingly. » Royal Society, RS EL/F2/26, lettre de Fatio à Charles Portalès, 25 octobre 1736.
26 Ibid. Je traduis.
27 Susanna Seguin, Science et religion au xviiie siècle : le mythe du déluge universel, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 147.
28 Ibid. p. 143.
29 BGE ms. fr. 603 f°34r.
30 Ibid. Je traduis.
31 Edward Cave, « Mr Facio's Answer to the Objection taken from the Motion of Comets, of their Bigness, and of their Number; and how greatly their near Passages or Schoks are to be feared », Miscellaneous Correspondence, I, Londres, 1742, p. 66. Je traduis.
32 Edward Cave, « Mr. Fatio on Comets », Miscellaneous Correspondence, II, Londres, 1743, p. 97. Je traduis.
33 Sur William Whiston et ses travaux, voir Hélène Metzger, Attraction universelle et religion naturelle chez quelques commentateurs anglais de Newton, II. Newton, Bentley, Whiston, Toland, Paris, Hermann et Cie, 1938 ; James E. Force, William Whiston, honest newtonian, Cambridge, Cambridge University Press, 1985; Susanna Seguin, op. cit.
34 Susanna Seguin, op. cit. p. 71.
35 Ibid.
36 Genèse, VII, 11.
37 Susanna Seguin, op. cit. p. 73.
38 Ibid.
39 David Kubrin, « Newton and the Cyclical Cosmos: Providence and the Mechanical Philosophy », Journal of the History of Ideas, vol. 28 n° 3, 1967, p. 325-346.
40 Peter Harrison, The Bible, Protestantism and the rise of natural science, Cambridge, Cambridge University Press, p. 183-184.
41 Alexandra Walsham, Providence in Early Modern England, New-York, Oxford University Press, 1999, p. 2 et 331.
42 Ibid., p. 333.
43 Michael Heyd, Be sober and reasonable. The critique of enthusiasm in the seventeenth and early eighteenth centuries England, Leyde, Brill, 1995.
44 David Kubrin, « Newton and the Cyclical Cosmos », art. cit. p. 326-327.
45 Cf. la lettre écrit à sa sœur le 3 février 1693 : « notre religion […] est fausse, quoi que beaucoup meilleure que la religion romaine. La vérité et l'Eglise de Dieu depuis longtemps rampent persécutée et accablée sous les intrigues des Princes et des Ecclésiastiques. » BGE, ms. fr. 602 f° 85v.
46 Sur les French Prophets de Londres, voir Hillel Schwartz, Knaves, Fools, Madmen, and that subtile effluvium : a study of the opposition to the French prophets in England, 1706-1710, Gainesville (États-Unis d’Amérique), University Presses of Florida, 1987 ; Id. The French prophets : the history of a millenarian group in eighteenth-century England, Berkeley, University of California Press, 1980 ; Yves Krumenacker, « Les French Prophets, Français ou Anglais ? » dans Anne Dunan-Page et Marie-Christine Munoz-Teulié, Les Huguenots dans les Iles britanniques de la Renaissance aux Lumières. Écrits religieux et représentations, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 227-243 ; Lionel Laborie, Enlightening Enthusiasm. Prophecy and religious experience in Early eighteenth-century England, Manchester, Manchester University Press, 2015.
47 On peut penser notamment à Maximilien Misson et au chevalier Bulkeley, qui publient des textes et pamphlets pour prendre la défense des prophètes.
48 Michael Heyd, Be sober and reasonable, op. cit. p. 31.
49 Cette lettre a subsisté sous la forme de la minute conservée par Fatio. Elle est écrite en très petits caractères et entièrement en abréviations. BGE ms. fr. 602 f° 272.
50 Origène, Elie Bouhéreau (trad.), Traité d’Origène contre Celse ou Défence de la Religion Chrétienne contre les accusations des Païens, Amsterdam, Henry Desbordes, 1700, p. 283.
51 BGE ms. fr. 602 f° 272. Grâce à la mention de la page, on peut affirmer que c’est bien la traduction de Bouhéreau publiée en 1700 que Fatio a eue entre les mains.
52 Theodor Harmsen, « Dodwell, Henry (1641-1711) », Oxford Dictionary of National Biography, 2004, version en ligne. URL: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/7763
53 BGE ms. fr. 602 f° 272.
54 BGE ms. fr. 602 f° 114.
55 BGE ms. fr. 601 f° 152v.
56 Barbara Shapiro, A Culture of Facts: England, 1550-1720, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2003, p. 107-109.
57 Michael Heyd, Be sober and reasonable, op. cit. p. 27.
58 BGE ms. fr. 602 f° 115r.
59 Barbara Shapiro, A Culture of Facts, op. cit. p. 145.
60 BGE ms. fr. 602 f° 115r.
61 BGE ms. fr. 602 f° 114r.
62 BGE, ms. fr. 602 f° 272. L’intégralité de cette minute de lettre étant rédigée en abréviations très succinctes, ces transcriptions sont le résultat d’un travail minutieux de reconstitution qui pourrait abriter quelques erreurs.
63 Ibid. Je souligne.
64 BGE, ms. fr. 602 f° 178. Je traduis. Jean Allut est l’un des premiers French Prophets. Fatio vit chez lui et son épouse Henriette dans la campagne de Worcester, à partir de 1716, et jusqu’en 1739 (date probable du décès de celui-ci). Dougharty père est un mathématicien et un enseignant d’origine irlandaise installé à Worcester à partir de 1711. Voir Ruth Wallis, « Dougharty [Doharty] John (1677-1755) », Oxford Dictionary of National Biography, 2004, version en ligne, URL: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/7853
65 BGE, ms. fr. 602 f°183r.
66 BGE, ms. fr. 602 f° 171r.
67 Stephen D. Snobelen, « The True Frame of Nature : Isaac Newton, heresy and the reformation of Natural Philosophy » dans John Brooke et Ian MacLean, Heterodoxy in early modern science and religion, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 224.
68 Ibid.
69 Sur cette question, voir le chapitre 6 de Rob Iliffe, Priest of Nature, op. cit. p. 189-218.
70 BGE, ms. fr. 602 f° 183r&v.
71 Les travaux les plus récents sur Newton insistent sur l’intrication très forte entre ses recherches savantes en astronomie et mathématiques, ses travaux bibliques et ses travaux alchimiques, autant de facettes d’une seule et unique vision du monde, d’une soif de savoirs et d’une poursuite effrénée de vérité. Voir notamment Rob Iliffe, Priest of Nature. The religious worlds of Isaac Newton, op. cit. et William R. Newman, Newton the Alchemist. Science, enigma and the quest for Nature’s “secret fire”. Princeton, Princeton University Press, 2019.
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Titre | Portrait de Nicolas Fatio de Duillier (1664-1753), pastel, 41 cm x 31 cm |
Crédits | Bibliothèque de Genève, https://bge-geneve.ch/iconographie/oeuvre/0067 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/7514/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 162k |
Pour citer cet article
Référence papier
Noémie Recous, « L’expérience enthousiaste d’un savant du XVIIIe siècle
Le monde de Nicolas Fatio de Duillier », Chrétiens et sociétés, 27 | 2020, 101-124.
Référence électronique
Noémie Recous, « L’expérience enthousiaste d’un savant du XVIIIe siècle
Le monde de Nicolas Fatio de Duillier », Chrétiens et sociétés [En ligne], 27 | 2020, mis en ligne le 19 mars 2021, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/7514 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.7514
Droits d’auteur
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