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Rémy Madinier, L’urne, l’étoile et le croissant. Le Masjumi 1945-1960. Un parti démocrate musulman dans l’Indonésie contemporaine

Thèse pour le doctorat en Histoire, sous la direction de Claude Prudhomme, Université Lumière-Lyon 2, 15 décembre 2000
Claude Prudhomme
p. 199-202

Texte intégral

Jury : Mme Andrée Feillard (CNRS), MM. Marcel Boneff (CNRS), Marc Gaborieau (EHESS, CNRS, Président), Christian Henriot (Université Lumière Lyon 2), Claude Prudhomme (Université Lumière Lyon 2).

1À travers la monographie du Masjumi, qui fut avant 1960 le plus grand parti musulman du plus grand pays musulman du monde, Rémy Madinier nous fait effectuer un passionnant voyage au cœur l’histoire indonésienne des années 1940-1950. Le plan chronologique permet de se familiariser avec une évolution politique complexe mais déjà porteuse des débats actuels sur les rapports entre islam et démocratie. Le lecteur découvre le climat d’enthousiasme et les illusions suscitées par la révolution des années 1940, avec pour point d’orgue l’indépendance en 1949, puis les déceptions électorales des années 1950 et la chute du parti en 1960. La relation difficile et concurrentielle du Masjumi avec le Parti National Indonésien (PNI) de Soekarno, qui finit par s’imposer, met en relief les différences qui séparent les deux voies possibles pour la construction de l’ État dans ce pays musulman.

2Le premier chapitre, consacré à l’enfance du parti, décrit les héritages multiples du Masjumi. On comprend d’emblée ce que le parti doit à la rencontre entre les filiations indonésiennes et les influences extérieures, musulmanes (réformisme) ou occidentales. La thèse montre en effet, contre un certain orientalisme, que l’apparente étrangeté d’un projet d’islamisation de l’ État-national moderne est loin d’être absolue. À l’image de l’archipel indonésien, le Masjumi est largement ouvert aux idées venues du monde indien, arabo-musulman et occidental.

3Les trois chapitres suivants reconstituent avec rigueur et finesse les trois étapes d’une utopie politique accouchée dans la douleur de la lutte pour l’indépendance, puis affrontée à l’exercice du pouvoir, et enfin condamnée par ses propres contradictions plus que par des contraintes extérieures. En 1955, le verdict populaire est sans appel. Le Masjumi espérait, en tant que parti musulman dans un pays à 90 % musulman, obtenir la majorité des votes. Il doit au contraire subir un affront dont il ne se remettra pas. Les statistiques religieuses, qui gomment depuis toujours les croyances locales, sont en grande partie responsables de cette illusion. Mais cette défaite est également due à la présence d’un électorat laïque, un phénomène que l’on constate ailleurs (Pakistan).

4Cette reconstitution minutieuse d’un parcours collectif, où le rôle des leaders et la mécanique politique sont privilégiés, n’est pas pour autant un retour à une histoire événementielle. Si elle restitue les faits et leur enchaînement, c’est pour mettre en évidence leur enracinement social et culturel. Elle introduit de multiples éclairages sur la place du politique, la conception du pouvoir, l’obtention ou la perte de la légitimité dans la culture indonésienne. Elle procède à une relecture critique des catégories religieuses appliquées à la démocratie, opération nécessaire pour donner à cette expérience, aujourd’hui enjeu de mémoire, la place qu’elle n’occupe pas encore dans l’histoire de l’Indonésie. Les chapitres V et VI analysent plus particulièrement la spécificité musulmane du Masjumi, sa perception de l’ État islamique, puis de la société islamique, but ultime du combat politique.

5La force de ce travail est de donner sens à l’histoire d’un échec grâce à un essai d’interprétation qui passe par deux phases. La première consiste dans une réflexion méthodique sur le concept d’ État islamique qui est défini, avec bonheur, comme un slogan, un programme et une réalité. La manière dont est analysée la double référence à l’identité musulmane et à l’idéal démocratique est exemplaire. Sans doute elle n’épuise pas la question de l’appropriation de la modernité occidentale et de l’islamisation éventuelle de la démocratie. Mais elle oblige à sortir des discours généraux pour entrer dans la réalité d’une expérience originale. Elle propose une étude de cas où avorte la mise en œuvre d’un ambitieux projet d’islamisation qui entendait mener de front l’encadrement des masses et la construction d’un État islamique.

6Malgré les sollicitations venues d’une actualité brûlante, Rémy Madinier se refuse cependant à entrer dans les débats qui divisent aujourd’hui ceux qui revendiquent l’héritage du Masjumi. Il préfère s’interroger sur les raisons d’un échec qu’il attribue à la fois aux insuffisances de la pensée et à l’absence d’une autorité régulatrice incontestable. Il démonte la quête d’une impossible conciliation entre un État moderne démocratique pluraliste et un fondement religieux. La solution du Pantjasila, imposée par Soekarno, c’est-à-dire d’un Etat pluri-religieux, apparaît de ce point de vue un compromis bien plus habile et fécond que l’utopie rêvée par le Masjumi autour de la sacralisation d’une sharia immuable. Face à la montée de l’aile la plus radicale, les modernistes du parti sont incapables de faire triompher la nécessité de l’itjihad, (effort de recherche et d’interprétation des textes fondateurs) qui est pourtant leur mot d’ordre puisqu’ils se réclament du maître à penser des réformistes arabo-musulmans, l’égyptien Mohammed Abduh depuis le début du XXe siècle. Ils ne peuvent pas davantage se mettre d’accord sur l’institution qui pourrait être habilitée à prononcer cet itjihad. L’auteur parle de schizophrénie pour qualifier cet écartèlement entre la volonté d’aller au-delà des textes sacrés, volonté incarnée par une tendance prête à négocier, et le radicalisme religieux du courant salafiyya (Persis) qui finit par dominer le parti jusqu’à son interdiction par Soekarno en 1960.

7Le rapprochement opéré in fine avec l’intransigeantisme catholique, qui présente de nombreuses analogies par ses ambitions morales, sociales, totalisantes, pourra surprendre. Il a en tout cas le mérite de relativiser la spécificité indonésienne et d’inciter à de larges comparaisons autour du concept d’islam intégral tel qu’il est mis en œuvre par le Masjumi.

8Ce travail d’histoire est aussi essentiel pour comprendre les récents développements en Indonésie, notamment la « guerre sainte » des Moluques, dirigée aujourd’hui par un élève d’une école coranique du Persis. Or, cette « guerre sainte » est désapprouvée par la Muhammadiyah (ancien pilier du Masjumi), en partie au nom de l’héritage de Mohammed Abduh. Les dissensions apparues dans les années 1950 trouvent ainsi aujourd’hui seulement leur aboutissement. Le travail de Rémy Madinier rend ces débats actuels particulièrement limpides.

9Par la largeur de ses vues et la rigueur de son argumentation, cette thèse démontre encore tout l’intérêt pour la recherche historique française de s’ouvrir davantage au plus grand pays musulman du monde et à l’Océan Indien. Marc Gaborieau, président du jury, a suggéré d’entreprendre des comparaisons à partir de cette thèse dans deux directions.

10La première est celle des discussions qui se sont déroulées entre les deux guerres dans le monde musulman, Inde comprise, sur l’articulation entre Islam et politique. Les positions prises alors par les futurs dirigeants du parti Majsumi montrent clairement qu’ils se définissaient comme modernistes ; et qu’ils avaient intériorisé les principaux thèmes de réflexion des modernistes arabes comme la « consultation » (shûrâ), et le « consensus » (ijmâ’).

11La seconde direction est celle du débat constitutionnel qui conduit à opérer un rapprochement avec le Pakistan après l’indépendance. Le candidat a bien noté ( p. 356) l’intérêt des dirigeants du parti Majsumi pour le Pakistan qu’ils percevaient dès 1952 (i.e. avant qu’il ne soit officiellement proclamé tel) comme un « État islamique ». Il série aussi remarquablement tous les éléments du débat sur les rapports de l’islam et de l’État. Les similitudes entre Indonésie et Pakistan apparaissent en particulier dans les discussions sur l’épithète « islamique », sur l’usage des termes Coran, Sunna et Sharî’a dans les textes constitutionnels, sur les institutions propres à mettre l’État en conformité avec l’idéal coranique (Cour Suprême ? Parlement ? …)….

12La discussion qui s’en est suivie avec le candidat a fait apparaître qu’en dépit d’une problématique commune avec celle de leurs homologues pakistanais, les leaders indonésiens ont dû s’adapter au contexte spécifique de l’Insulinde en raison du poids des minorités chrétiennes dans certaines régions de l’Indonésie et de la nécessité pour le parti musulman de faire alliance avec les partis chrétiens contre les politiciens non religieux. Les Indonésiens ont ainsi dû adopter une attitude beaucoup plus conciliante que celle des Pakistanais à l’égard des minorités non musulmanes.

13Rémy Madinier prouve au total que l’éloignement géographique et les obstacles linguistiques ne sauraient décourager un jeune enseignant-chercheur français quand il est déterminé et passionné. Sa thèse est enfin d’une grande importante pour les étudiants et intellectuels indonésiens qui connaissent mal leur propre histoire et n’ont pas les connaissances nécessaires pour critiquer ses manipulations dans le débat politique. Il faut souhaiter que cette étude soit rapidement publiée en français et traduite en Indonésien.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Prudhomme, « Rémy Madinier, L’urne, l’étoile et le croissant. Le Masjumi 1945-1960. Un parti démocrate musulman dans l’Indonésie contemporaine »Chrétiens et sociétés, 8 | 2001, 199-202.

Référence électronique

Claude Prudhomme, « Rémy Madinier, L’urne, l’étoile et le croissant. Le Masjumi 1945-1960. Un parti démocrate musulman dans l’Indonésie contemporaine »Chrétiens et sociétés [En ligne], 8 | 2001, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/6652 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.6652

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Auteur

Claude Prudhomme

Centre André Latreille - Université Lyon 2

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