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Dossier bibliographique
Recensions

Jonathan Smyth, Robespierre and the Festival of the Supreme Being. The search for a republican morality

Paul Chopelin
p. 224-229
Référence(s) :

Jonathan Smyth, Robespierre and the Festival of the Supreme Being. The search for a republican morality, Manchester, Manchester University Press, Studies in Modern French History, 2016, 181 p.

Texte intégral

1La fête de l’Être suprême, célébrée le 20 prairial an II (8 juin 1794), par un décret de la Convention, dans toutes les communes de France, figure parmi les épisodes les plus célèbres de la Révolution française. Associée à la figure de Robespierre, son promoteur, elle est évoquée dans toutes les biographies de l’Incorruptible, mais peu de travaux lui avaient été spécifiquement consacrés. En 1892, l’historien républicain militant Alphonse Aulard publie Le culte de la Raison et le culte de l’Être suprême, qui interroge les impasses politiques du projet cultuel robespierriste, dans une lecture très marquée par le conflit religieux des années 1880. L’histoire universitaire se penche à nouveau sur la question en 1974, lors du colloque de Clermont-Ferrand consacré aux fêtes révolutionnaires et au cours duquel Jean Deprun analyse la fête de l’Être suprême avec les outils conceptuels de la sociologie religieuse. Cette rencontre scientifique voit surtout s’opposer Mona Ozouf, qui termine sa thèse sur les fêtes révolutionnaires (éditée en 1976 chez Gallimard), à Albert Soboul et Michel Vovelle, qui lui reprochent une approche trop littéraire, centrée sur les seuls discours imprimés. Plus tard, dans 1793, la Révolution contre l’Église (1988), M. Vovelle donne, à partir du corpus des adresses envoyées à la Convention, sa propre interprétation de la fête de l’Être suprême, présentée comme la clôture de la vague « déchristianisatrice » de l’an II. Jonathan Smyth a décidé de reprendre les pièces du dossier, en relevant, dans les archives nationales, dans les archives municipales (Amiens, Angers, Bordeaux, Lyon, Strasbourg) et départementales (Maine-et-Loire, Nord et Pas-de-Calais), ainsi que dans la presse parisienne et provinciale, tout ce qui pouvait avoir trait à l’organisation et à la réception de la fête : circulation des instructions, préparatifs matériels, procès-verbaux décrivant son déroulé, discours prononcés à cette occasion. Son objectif est de dépasser les schémas historiographiques préconçus et de laisser parler les acteurs, pour comprendre le sens qu’ils donnaient à une fête qui, et c’est un point à souligner, n’a jamais fait l’objet d’un discours interprétatif officiel.

2Le premier chapitre revient sur les motivations qui poussent Robespierre à rédiger son rapport, présenté le 18 floréal an II (7 mai 1794), au nom du Comité de salut public, « sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales », à l’origine du vote du décret sur l’Être suprême. J. Smyth interprète ce discours comme un programme de pacification et de réconciliation, visant à éteindre la guerre civile par la promotion d’une morale républicaine universelle, à laquelle les opposants les moins radicaux pourraient se rallier. Jugeant les sociétés populaires affiliées au Club des Jacobins inaptes à propager ce discours de paix, car trop compromises dans les excès répressifs de la fin de l’année 1793, il estime qu’une grande fête nationale, prise en main par les autorités constituées, sous la supervision directe de la Convention et des représentants en mission, serait le meilleur moyen de mobiliser la masse des citoyens autour de ce projet politique. L’objectif est également de renouer avec les processions de la Fête-Dieu, interdites depuis l’année précédente et auxquelles la population catholique, majoritaire, reste très attachée. Même si l’intention n’est pas clairement formulée, il y a chez Robespierre la volonté de proposer un rituel collectif de substitution, d’autant que la date choisie pour célébrer l’Être suprême (8 juin) correspond cette année-là à celle la fête de la Pentecôte. J. Smyth relève avec pertinence les points communs avec les processions chrétiennes : un cortège soigneusement organisé, un itinéraire destiné à marquer symboliquement l’organisation spatiale de l’espace civique et une arrivée sur la place principale de la ville ou du village pour un moment de communion politique, en discours et en musique, point d’orgue de la journée.

3Le chapitre 2 se penche sur les réceptions locales du décret du 18 floréal. Pour la première fois, les administrations – départements, districts, communes – reçoivent des instructions extrêmement détaillées sur le déroulement de la fête, à partir du programme élaboré par Jacques-Louis David. La population ne doit pas rester simple spectatrice comme dans les précédentes célébrations, à l’instar de la fête de l’union du 10 août 1793 : tous les habitants sont censés participer activement aux préparatifs et participer au cortège, qui ne laissera personne à l’écart. Loin d’être une simple figuration, abstraite et lointaine, l’unité nationale doit être une réalité vécue, à travers l’expérience d’une célébration collective et consensuelle. Contrairement à celle de la fête de la Raison, l’annonce, beaucoup plus cadrée, de la Fête de l’Être suprême suscite immédiatement l’enthousiasme des autorités locales et des sociétés populaires, qui envoient plus de mille adresses en quelques semaines à la Convention. Des députations venues d’une large région parisienne se pressent à la barre de l’Assemblée pour témoigner de vive voix de leur adhésion au décret. Pendant les préparatifs et après la célébration de la fête, les communes envoient au Comité d’instruction publique des exemplaires de discours, de chants et de poèmes rédigés pour l’occasion. Conservées dans les archives de la Convention, ces pièces témoignent de l’engouement d’une large part de la population pour cette fête qui, loin d’être subie, a suscité beaucoup d’initiatives originales. De ce point de vue, l’initiative de Robespierre a été un succès complet, jamais égalé depuis la Fête de la Fédération de 1790. Il est intéressant de noter, mais l’auteur ne creuse pas cette piste, que ce sont deux évêques constitutionnels députés, membres du Comité d’instruction publique, Henri Grégoire, puis Noël-Gabriel Villar, qui sont chargés d’enregistrer les pièces de circonstances rédigées en l’honneur de l’Être suprême, envoyées par les municipalités et les sociétés populaires.

4Le troisième chapitre s’attache à décrire le déroulement de la fête à Paris le 20 prairial. Le sujet est connu et bien documenté, notamment sur le plan iconographique, mais J. Smyth propose une synthèse bienvenue, qui tient compte de tous les documents produits sur le sujet. Les monuments éphémères, notamment la montagne factice élevée sur le Champ de Mars, alors Champ de la Réunion, font l’objet d’une description très précise. En revanche, les témoignages, largement postérieurs, évoquant les critiques subies ce jour-là par Robespierre de la part de ses adversaires à la Convention, auraient sans doute mérité une étude un peu plus poussée.

5Beaucoup plus neuf est le quatrième chapitre consacré aux célébrations locales. Selon les termes des instructions de David, la fête doit commencer sur une place où, à l’issue d’une série de discours à ce sujet, des représentations de l’athéisme seront détruites pour laisser la place à une figure de la sagesse. Le cortège civique, largement ouvert à toutes les composantes de la population, s’ébranlera jusqu’à une seconde place, où une montagne, symbole de l’unité du peuple français, aura été érigée et où l’Être suprême sera célébré. Cette fête doit avoir lieu en plein air, dans des espaces ouverts, pour permettre au plus grand nombre de personnes de participer à l’événement et faire de cette communion patriotique, autour d’une morale religieuse commune, un vrai moment d’émotion collective. Dans la pratique, faute d’espaces suffisamment accessible ou par simple désir de réutiliser des installations préexistantes, héritées notamment de la fête de la Raison, plusieurs célébrations se terminent dans l’espace clos d’une église reconvertie pour l’occasion en temple de l’Être suprême. Dans les petites communes, la fête se déroule dans un cadre unique, l’hôtel de ville ou la place du marché, où l’on a installé deux dispositifs scénographiques distincts, mais proches l’un de l’autre. J. Smyth pointe également des variantes liées à des contextes locaux spécifiques : présence de mots d’ordre plus bellicistes dans les communes de la frontière ou à proximité des zones d’insurrection royalistes, participation plus ou moins importante des femmes, discours mettant davantage en valeur que d’autres la notion d’Être suprême, etc. Ces différences sont essentiellement dues à des contraintes matérielles – délais très courts pour assimiler et mettre en œuvre les instructions parisiennes –, davantage qu’à un désir de se démarquer du décret du 18 floréal et du programme politique contenu dans le rapport de Robespierre. Les célébrations locales témoignent d’une large adhésion au programme de réforme morale prôné par la Convention. Rares sont ceux qui, à l’instar de Jullien à Bordeaux ou de Fillon à Angers, font le choix délibéré de ne pas parler du tout de l’Être suprême et occultent le projet d’établir une morale religieuse commune.

6La question du financement, objet du cinquième chapitre, permet également de mesurer le degré d’investissement des communes dans la fête. À Paris, il appartient au Comité d’instruction publique de la Convention d’organiser et donc de financer la cérémonie sur son budget propre. C’est l’occasion pour J. Smyth de revenir sur le financement des fêtes révolutionnaires à Paris depuis celle du 10 août 1793, sur le désinvestissement progressif de la commune et sur le rôle des maîtres d’œuvre engagés pour ces occasions. La fête de l’Être suprême a coûté 710 600 livres, un peu moins que les 950 000 livres engagées pour la fête du 10 août 1793, laquelle avait nécessité la construction d’un plus grand nombre de monuments éphémères. Les archives consultées par J. Smyth ne permettent pas d’avoir de chiffres précis pour les fêtes provinciales, à l’exception du cas amiennois parfaitement documenté (4 243 livres). Certaines villes, comme Lyon ou Bordeaux, qui doivent témoigner de leur réintégration dans le corps civique après leur participation aux révoltes pro-girondines de 1793, consacrent de grosses sommes à la fête, quitte à aggraver leur déficit financier.

7Les commentaires des contemporains sur la fête sont abordés dans le sixième chapitre. J. Smyth a utilisé les comptes-rendus envoyés par les municipalités à la Convention et ceux parus dans la presse. Tous insistent sur le beau temps qui régnait ce jour-là, témoignage incontestable de la protection divine dont bénéficie la France régénérée par ses institutions républicaines. Le champ lexical de la joie et de l’euphorie domine largement : les commentateurs s’accordent à dire qu’une nouvelle ère vient de s’ouvrir, annonçant le règne de la vertu et la fin du régime judiciaire d’exception. Les témoignages postérieurs, sujets à caution, tant la fête de l’Être suprême a été mobilisée par la légende thermidorienne, auraient mérité un examen critique un peu plus approfondi. J. Smyth relève qu’aucun compte-rendu officiel de la fête parisienne n’a été publié. Lors de la séance de la Convention du 21 prairial, lendemain de la fête, la rédaction en a été retardée à l’initiative du député Pierre Pocholle. Celui-ci met notamment en cause, « les inscriptions placées sur les différentes faces du rocher de la liberté […] qui seraient propres à donner, de l’Être suprême, une idée contraire à celle que nous devons en avoir ». Le caractère très général du décret du 18 floréal – le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme – pose le problème de la définition de l’Être suprême, sur laquelle les Conventionnels ne s’accordent pas. Au temps de la sécularisation, le politique achoppe ici sur la question du dogme. Comment définir officiellement une divinité sans contrevenir à la liberté de conscience ? J. Smyth ne s’étend malheureusement pas sur cette question passionnante. Une chose est sûre : le Comité d’instruction publique ne soumet aucun texte rectificatif et aucun compte-rendu officiel n’est finalement adopté.

8Dans un dernier chapitre, l’auteur revient sur les retombées politiques de la fête et sur son rôle dans l’organisation de l’opposition à Robespierre à la Convention, mais cette question est traitée de façon très brève, sans réellement renouveler le sujet à partir de sources neuves. Le même constat s’applique à l’évocation de la mémoire de l’événement au xixe siècle, sur lequel on aurait aimé en savoir davantage.

9La bibliographie de fin d’ouvrage est difficilement utilisable en l’état, puisqu’elle rassemble pêle-mêle sources imprimées (comme l’Essai sur les fêtes nationales de Boissy d’Anglas), travaux universitaires, essais politiques et ouvrages non-critiques, comme les biographies de Robespierre de Pierre Bessand-Massenet et d’Henri Guillemin. L’auteur aurait par ailleurs trouvé de nombreux renseignements utiles – ainsi que d’autres sources – dans les récentes études d’histoire religieuse qui, depuis le colloque de Chantilly de 1986 (Pratiques religieuses, mentalités et spiritualités dans l’Europe révolutionnaire, dir. B. Plongeron, Brepols, 1988), intègrent quasiment systématiquement la question des fêtes révolutionnaires dans leur réflexion. Il faut également déplorer l’absence des récentes biographies de Robespierre, comme le collectif Robespierre. Portraits croisés (Armand Colin, 2013) qui propose une bibliographie à jour sur Robespierre et la question religieuse. Bien que regrettables, ces quelques carences ne sont que peu de choses au regard des apports incontestables de cet ouvrage à la connaissance des fêtes révolutionnaires et, plus globalement, de l’histoire du fait religieux pendant cette période. La moisson effectuée par l’auteur dans les dépôts d’archives nationaux et locaux indique que le sujet est encore loin d’être épuisé.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Chopelin, « Jonathan Smyth, Robespierre and the Festival of the Supreme Being. The search for a republican morality »Chrétiens et sociétés, 26 | 2020, 224-229.

Référence électronique

Paul Chopelin, « Jonathan Smyth, Robespierre and the Festival of the Supreme Being. The search for a republican morality »Chrétiens et sociétés [En ligne], 26 | 2019, mis en ligne le 28 février 2020, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/6511 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.6511

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