Navigation – Plan du site

AccueilNuméros25VariaMission und Kartographie

Varia

Mission und Kartographie

La cartographie allemande au service de la mission
Mission und Kartographie. German cartography at the service of missions
Jean-Michel Vasquez
p. 171-194

Résumés

Si les missions catholiques allemandes ont eu une durée relativement brève, en revanche, elles ont inspiré de nombreux travaux cartographiques car leur personnel était envoyé dans des endroits encore insolites et rarement représentés. L'article suivant vise à repérer ce type de productions dans les revues spécialisées, pour évaluer la place qui leur est réservée. La période est celle de l'expansion coloniale, mais aussi de l'évangélisation qui s'arrête brutalement dans le cas allemand avec la première guerre mondiale. Pourtant, en consultant les atlas de missions, qui constituent un objet cartographique typé et daté, on constate que leurs auteurs sont souvent des missionnaires allemands, au point qu'il faille les envisager comme une spécialité germanique. Comment passe-t-on de quelques cartes isolées à une pratique qui a pu intéresser la mission, voire la missiologie dans ses débuts ?

Haut de page

Notes de l’auteur

Le titre de cette communication est emprunté à l’article du Père Karl Streit, in Zeitschrift fûr Missionswissenschaft, 1930, xxe siècle, p. 276-280.

Texte intégral

  • 1 Pour une approche renouvelée sur le sujet, voir Carine Dujardin, Claude Prudhomme (dir.), Mission e (...)
  • 2 Sur les ambiguïtés entre la mission et l’expansion coloniale, étudiées au niveau des individus, voi (...)

1Même si les missions catholiques allemandes ont eu une durée relativement brève, elles ont inspiré de nombreux travaux cartographiques, car leur personnel était envoyé dans des endroits encore insolites et rarement représentés. Cet article vise à repérer ce type de productions dans les revues spécialisées pour évaluer la place qui leur est réservée. La période est celle de l’expansion coloniale, mais aussi de l’évangélisation qui s’arrête brutalement dans le cas allemand avec la Première Guerre mondiale. Pourtant, en consultant les atlas de missions, qui constituent un objet cartographique typé et daté, on constate que leurs auteurs sont souvent des missionnaires allemands, au point qu’il faille les envisager comme une spécialité germanique. Comment passe-t-on de quelques cartes isolées à une pratique qui a pu intéresser la mission, voire la missiologie dans ses débuts1 ? Peut-on d’ailleurs parler d’une cartographie missionnaire allemande, motivée par l’expansion2 ? La fin forcée des missions a-t-elle poussé la cartographie à adopter un regard universel ? Si les questions sont nombreuses, il s’agit ici d’interroger très modestement la cartographie missionnaire allemande selon trois moments de maturité en s’appuyant sur des illustrations.

Les cartes dans Die Katholischen Missionen

Une publication spécialisée

  • 3 La revue Die Katholischen Missionen est publiée de 1873 à 1998 par les éditions Herder à Fribourg e (...)

2Die Katholischen Missionen3 (KM) constitue l’équivalent allemand de Missions Catholiques (MC), l’hebdomadaire illustré lancé en 1868 par l’Œuvre de la Propagation de la Foi, l’association lyonnaise chargée de collecter des fonds pour l’évangélisation. Deuxième publication étrangère après la publication italienne, datée de 1873, elle se démarque par son rythme de parution, une fois par mois, et son contenu, moins important en volume avec 250 pages pour 660 pour l’édition française. Les Katholischen Missionen ne sont pas une simple sélection des récits publiés en France, car elles disposent de leur propre édition. Sinon, cette publication reprend les mêmes rubriques que son modèle : les nouvelles des missionnaires, les dons adressés à l’Œuvre, quelques publicités, et surtout l’importante correspondance envoyée par les missionnaires, toujours illustrée par des croquis très précis, relayés à partir des années 1890 par des photographies. Chaque illustration est recensée dans une table des matières annuelle, qui paraît avec le numéro de janvier, puis celui de septembre à partir de 1896. Un supplément, Beilage für die Jugend, disposant de sa propre pagination, cherche à susciter des vocations en s’adressant spécifiquement à la jeunesse. Enfin, les Katholischen Missionen se démarquent aussi en publiant régulièrement des tableaux statistiques pour rendre compte à leurs lecteurs de l’état des missions. Chaque numéro se penche sur une circonscription qu’il dévoile selon les recensements habituels : nombre de baptisés, nombre de prêtres, d’écoles, etc. Ainsi, cette publication allemande correspond pleinement à la définition que donnaient les Missions Catholiques en 1870 :

  • 4 Missions Catholiques, n° 24, 28 janvier 1870, p. 30. Rapporté par Richard Drevet, Laïques de France (...)

Ce bulletin forme le recueil authentique, le seul authentique, des documents relatifs à l’histoire contemporaine des conquêtes de l’Église et du dévelop-pement de la Foi dans les pays infidèles ou hérétiques. Là s’amassent, lentement mais sans interruption, tous les matériaux de l’histoire générale des missions au xixe siècle4.

3La compilation de ces nouvelles provenant du monde entier et le caractère insolite des récits confèrent à la revue une certaine autorité, inégalée dans le domaine de l’information catholique. À partir de 1876, la revue publie aussi des cartes de géographie, comme le montre la liste ci-dessous :

Karten in Die Katholischen Missionen 1876-1914

Karte von Neucaledonien, Februar 1876

Die Katholischen Missionen Süd-Afrika’s, November 1878

Situationplan zu den Viktoriafällen des Zambesi, Oktober 1881

Karte der Westküste Afrika’s von Gabun bis zum Kongo, Mai 1882

Karte des Damaralandes, Mai 1882

Karte des Nil-Delta, Oktober 1882

Kartenskizze zu den klöstern in der Wüste von Nitrien, November 1883

Karte von Yunnan, Februar 1884

Karte von Tong King, März 1884

Karte der Sandwich Inseln, May 1887

Deutsch Ost-afrika, Januar 1889

Kartenpfizze des Lukullaflusses, Otktober 1889

Der Tanganyka und seine Uferstämme, Februar 1891

Kartenpfizze von Pare und Umgebung, November 1893

Karte von Ober Cimbebasien, November 1894

Karte des Missionsgebiets von Araukanien, August 1896

Missonen der Weissen Väter in Aequatorial Afrika, August 1897

Skizze von Alaska, April 1898

Karte der deutschen Südenkolonien, August 1899

Kartenpfizze von Togo, April 1900

Karte der katholischen Missionen in China, Januar 1901

Plan von Peking, März 1901

Kolorierte Karte von Kaiser Wilhelmsland, Januar 1904

Karte der Transsibirischen Bahn, Mai 1904

Karte von Neu-Pomern, Juni 1904

Karte von Hochebene von Huilla, April 1906

Karte von britisch Neu Guinea, November 1906

Karte die Mekka und Baghdadbahn, Juli 1907

Karte von Raffa, November 1908

Karte von Zentral-Madagaskar, Oktober 1909

Karte von Tsingtan, März 1911

Eisenbahnkarte von Afrika, Februar 1914

  • 5 Sur le caractère scientifique des cartes missionnaires, voir Jean-Michel Vasquez, La cartographie m (...)
  • 6 16 cartes sur 32 pour les KM, 160 sur 300 pour les MC.
  • 7 Sur 16 cartes, 14 portent sur l’Afrique noire. Les Missions Catholiques présentent la même spéciali (...)
  • 8 La carte est une réédition de la carte parue dans les MC. La mission d’Alaska peut témoigner d’une (...)

4Tout d’abord, la carte est un document rare dans les Katholischen Missionen, contrairement à l’édition française qui lui réserve une place plus importante en raison de sa valeur scientifique et commerciale5. En près de quarante ans, seule une trentaine de cartes sont publiées dans la revue allemande, contre dix fois plus dans la version française. Le rythme est donc à peine annuel pour l’édition allemande, bimestriel pour l’édition française. Cela représente pour le lecteur allemand une carte pour 300 pages écrites approximativement, et une pour 100 pour le lecteur français. En revanche, comme dans l’édition française, ces cartes se répartissent également entre l’espace africain et le reste du monde6. Si la revue a le devoir de rendre compte de l’universalité de l’évangélisation, elle doit aussi se résoudre à ne publier que les travaux qui lui ont été adressés. Or, le déploiement des missionnaires allemands est encore restreint et limité aux seules colonies germaniques, car Rome confie la direction des missions au personnel issu de la puissance tutélaire, dans l’intérêt des missions. Cette liste réunit donc tous les espaces extra-européens qui préoccupent l’opinion publique allemande, selon trois catégories. Tout d’abord, elle reflète la Weltpolitik de Guillaume II, en cartographiant toutes les colonies allemandes : Afrique orientale, Togo, Cameroun, Sud-Ouest africain, Shandong, Nouvelle Poméranie, Îles Sandwich... L’Afrique se distingue, car elle constitue la plus grande surface de l’empire, comme pour la France. Elle est donc l’espace le plus représenté, et notamment dans sa partie subsaharienne7. Ensuite, cette liste présente des régions a priori sans souveraineté européenne et que convoitent les intérêts allemands : la Cimbebasie ou le Damaraland par exemple, et les cartes du spiritain français Duparquet dressées en 1882 sont aussitôt traduites, car elles sont inédites sur le Sud-Ouest africain. Les cartes du Zambèze en 1881, de la Nitrie en 1883, de la Nouvelle-Guinée britannique, du Tonkin et du Yunnan se rattachent à cette catégorie. Enfin, d’autres documents témoignent de l’approche pragmatique menée par l’expansion allemande : plusieurs cartes se résument au tracé des chemins de fer, essentiels pour exploiter les régions, mais aussi, indirectement, prévoir les futurs lieux de commerce qu’il faudra occuper par la mission, en Chine, en Russie, en Perse, en Afrique, au Chili. Quelques rares documents portent sur des espaces dénués d’intérêt politique et de personnel germanique, comme l’Alaska ou la mission de Madagascar central8. Comme pour son équivalent français, la revue est intimement liée aux progrès de la colonisation, qu’elle met parfois en scène en lui associant les marques habituelles de l’évangélisation. Par exemple, elle publie la carte des Spiritains de 1882 dévoilant la voie française découverte par Savorgnan de Brazza pour se rendre de la côte atlantique jusqu’au Stanley Pool, en amont des chutes du fleuve Congo. Et, comme pour lui répondre, la carte du fleuve Lukula en 1889 localise avec précision le tracé du fleuve qui permet lui aussi de rejoindre le Pool, mais plus au sud et sans traverser le territoire français. Les intérêts de la colonisation et de l’évangélisation sont intimement mêlés et les KM rendent compte de cette situation pour convaincre des Européens éloignés.

Pour un type bien spécifique de cartes

5Les cartes des KM ne disposent pas du même statut que celles des MC : elles ne sont pas vendues à l’unité et la revue n’en tire aucune recette, car aucune ne semble inédite, aucune n’est le fruit d’une exploration insolite ou le résultat de plusieurs années d’excursions, riche de toponymes inconnus qui raviraient les géographes en chambre de l’Europe. Pourtant, les missionnaires allemands sont eux aussi situés dans des endroits isolés qui n’ont jamais été cartographiés, en Nouvelle-Guinée comme en Afrique. Et chacune de leurs excursions donne lieu à des croquis qui enrichissent leur connaissance du milieu et des populations environnantes. Alors que font-ils de leurs cartes ? Il faut constater qu’à la différence de la France, les cartes missionnaires disposent finalement d’un bien meilleur accueil de la part des milieux scientifiques qui reconnaissent sans crainte l’apport de leur cartographie. Les meilleurs itinéraires sont ainsi reproduits dans la célèbre revue de cartographie, les Petermann’s Mitteilungen, éditée chaque année à Gotha par la maison Justus Perthes avec lequel travaille l’Institut de géographie.

Fig. 1 - Carte du Marungu et de l’Utembue, 1/300 000e

Fig. 1 - Carte du Marungu et de l’Utembue, 1/300 000e

Petermann’s Mitteilungen

  • 9 Paul Langhans est employé par l’Institut de géographie de Justus Perthes à Gotha. Il est l’auteur d (...)
  • 10 Dans l’ordre chronologique : West Usambara, 1887, Taffel 20 ; Reiseroute der Missionäre, 1898, Tafe (...)

6Entre les mains de cartographes reconnus, comme Paul Langhans9, elles font l’objet d’un soin particulier qui transforme un modeste croquis en un objet digne d’exposition : couleur, typographie précise et soignée et surtout recensement dans la prestigieuse revue, diffusée auprès de toutes les sociétés de géographie du monde. D’ailleurs, une rapide étude des cartes publiées par la revue du Dr Petermann entre 1880 et 1914 permet d’identifier des productions missionnaires : la plupart portent sur l’Afrique orientale confiée aux Pères blancs, sont à grande échelle inférieure au 1/500.000e et témoignent d’une connaissance approfondie du territoire10. Par exemple, cette carte du Marungu et de l’Utembue (fig. 1), situés dans le vicariat apostolique du Haut-Congo, sur la rive occidentale du fleuve Tanganyka, levée au 1/300 000e, trace les chemins fréquentés par les missionnaires, les villages et les ruisseaux traversés, les stations et les chapelles installées. D’autres indications sont portées, sur la nature africaine, sur l’activité agricole, sur la topographie avec de nombreuses altitudes, ou sur les ports dans lesquels la navigation lacustre peut faire relâche. Ces cartes chorographiques fourmillent d’informations que les géographes de Gotha ont pleinement appréciées. Cela signifie que lorsqu’une carte missionnaire est suffisamment riche d’un point de vue informationnel, elle échappe aux KM pour être publiée par les Petermann’s Mitteilungen, qui lui assurent une belle impression, ainsi qu’une publicité vraiment scientifique.

  • 11 Missionen des Weissen Väter in Aequatorial-Afrika, Katholischen Missionen, août 1897.

7Que reste-t-il alors au mensuel ? Comme la revue conserve le monopole sur l’information missionnaire, comme les mouvements de personnel, les fondations d’églises, les modifications des circonscriptions ecclésiastiques, elle peut se spécialiser dans la représentation de la hiérarchie religieuse, sans craindre la moindre concurrence. Chaque vicariat ou préfecture apostolique tenu par un personnel allemand peut faire l’objet d’une carte qui expose son organisation intérieure : la carte des Missions confiées aux Pères Blancs en Afrique Équatoriale11 (fig. 2) expose par exemple le découpage de toute l’Afrique orientale en six vicariats, et leurs subdivisions en districts. Sont aussi portées les stations où résident les missionnaires, par le figuré habituel de la croix latine, doublé d’un vocable chrétien, avec un toponyme souligné sur la carte. Le lecteur découvre que la région est tenue par 23 stations, soit près de 4 par circonscription.

Fig. 2 - Carte des Missions confiées aux Pères Blancs en Afrique équatoriale,

Fig. 2 - Carte des Missions confiées aux Pères Blancs en Afrique équatoriale,

Katholischen Missionen, août 1897

  • 12 Skizze von Alaska, April 1898. La carte présente le vicariat apostolique de l’Alaska, déjà découpé (...)

8Cette présentation veut donner des gages sur la réussite de la mission en Afrique équatoriale. Elle est la preuve d’une plantatio ecclesiae réussie, d’une évangélisation qui progresse en surface, avec pas moins de 6 vicariats tenus par 23 stations, mais aussi en profondeur : sur un carton agrandissant la région du Kawende de l’Ufipa à une échelle cinq fois plus grande, le lecteur découvre les développements les plus récents du vicariat du Tanganyka, sur la rive orientale du fleuve. Cet agrandissement permet de recenser pas moins de 10 postes secondaires autour de la seule station de Karema, toutes baptisées d’un vocable chrétien. Riche de plus de 50 toponymes, ce carton n’est pas anodin : il invite à reconsidérer la carte générale, qui ne rend finalement pas compte de l’activité missionnaire comme des connaissances toponymiques accumulées. Cet agrandissement offre une image plus réaliste de la mission, en dévoilant les premiers points d’appui sur le territoire au plus près des habitants. Il facilite en quelque sorte la lecture de la grande carte et détaille le processus d’évangélisation en rappelant tous les efforts nécessaires pour faire apparaître une seule croix latine sur la carte. Quant aux lecteurs intéressés par les progrès géographiques, ils peuvent consulter les Petermann’s Mitteilungen pour parcourir la mission à une échelle encore plus grande. La revue publie d’autres documents pour rendre compte d’une christianisation qui progresse, sur tous les continents et jusqu’aux limites du monde connu12.

9Si les Katholischen Missionen publient des cartes spécifiques sur la hiérarchie, elles ne reprennent pas à leur compte le projet français visant à répertorier par de grandes cartes murales le déploiement missionnaire mondial. En effet, pendant plus de quarante ans, les Missions Catholiques ont offert à leurs souscripteurs chaque année une grande carte destinée à exposer les progrès de l’évangélisation : en Afrique, en Chine, aux États-Unis, en Australie, pour couvrir tout l’espace extra-européen. Mais les Katholischen Missionen ne font pas référence à ces Wandkarten. Pour permettre à leurs lecteurs d’apprécier les progrès du catholicisme dans toutes les contrées où se sont déployés des missionnaires, la revue allemande a fait le choix de publier un atlas, dix ans à peine après ses débuts.

Les atlas des missions

« Pour suivre la marche de l’évangélisation »

  • 13 Sur l’accueil du Katholischer Missions Atlas, Missions Catholiques, n° 861, 4 novembre 1885 ; « Val (...)
  • 14 Die Kirchliche Eintheilung in Süd-Africa, 1/25.000.000e, Taffel 11, in Katholischer Missions Atlas, (...)

10En 1884, l’éditeur des KM, la maison Herder située à Fribourg en Brisgau et désormais spécialisée dans le fait religieux, fait paraître un Katholischer Missions Atlas. L’auteur est le jésuite allemand Oscar Werner. Il a travaillé pendant deux longues années dans les archives de la Congrégation de la Propagande à Rome et n’oublie pas de remercier son préfet, le cardinal Simeoni, pour lui avoir ouvert « les trésors des archives de son palais ». L’atlas comporte 19 cartes en couleurs, accompagnées par quarante pages de textes, des tableaux statistiques et des schémas chronologiques qui rappellent les divisions des missions en circonscriptions. Ce recueil de cartes répond à un souci qu’éprouvait le lecteur des KM en parcourant son mensuel et découvrant les récits des missionnaires sans pouvoir les localiser avec précision. D’ailleurs, pour augmenter sa valeur et lui donner plus de sens, l’éditeur Herder vend l’atlas avec les trois derniers volumes du mensuel, soit les années 1881, 1882 et 1883. L’auteur a fait le choix de présenter la totalité des missions pour montrer l’universalité de l’évangélisation. Il ne s’est pas focalisé sur les missions allemandes et ses 19 Tafeln couvrent uniformément tout le domaine de la Propagande. Cette approche, conforme au discours universalisant de l’Église et d’ailleurs encouragée par Rome, facilite sa traduction et sa diffusion dans toute l’Europe. En France, l’ouvrage est aussitôt traduit par Valérien Groffier, secrétaire des publications de l’Œuvre à Lyon et présenté comme le véritable Atlas des Missions Catholiques, si souvent annoncé. Grâce à lui, la revue tient enfin la promesse qu’elle fit à ses lecteurs en 1872 en publiant sa première carte sur la Chine : elle s’engageait à fournir un recueil de toutes les cartes pour couvrir toutes les missions du monde13. Sur la carte de l’Afrique australe14 (fig. 3), le lecteur comprend les choix adoptés par le père Werner. Tout le territoire est couvert par la hiérarchie catholique, subdivisé en une vingtaine de vicariats et préfectures apostoliques. Toutes les missions sont représentées selon la même nomenclature : leur nom, leurs limites et leur résidence épiscopale. Il en ressort une impression d’uniformité. Les puissances européennes ont disparu, leur personnel religieux aussi, ainsi que les différentes congrégations engagées sur ce continent. Le pavage de l’Afrique en champs de mission ressemble à celui des diocèses en Europe. C’est la hiérarchie ecclésiastique qui est finalement représentée.

Fig. 3 - Carte de l’Afrique australe, 1/25.000.000e,

Fig. 3 - Carte de l’Afrique australe, 1/25.000.000e,

Katholischer Missions Atlas, pl. 11

L’atlas des missions, une spécialité allemande ?

  • 15 Hans Bardtke, « Grundemann Peter Reinhold », Deutsche Biographie, 7, 1966, p. 221 f.
  • 16 Allgemeiner Missionsatlas nach Originalquellen, Gotha, 1867, [en ligne : http://mdz-nbn-resolving.d (...)

11Le Katholischer Missions Atlas est une réponse des publications catholiques aux milieux protestants, qui ont recueilli vingt ans de cartes missionnaires, ce qui semble leur faire du tort. Cette compétition des Églises dans la diffusion de l’information chrétienne est importante, car elle détermine souvent les choix de publications. Les premiers atlas protestants sont l’œuvre de Peter Reinhold Grundemann (1876-1924)15. Son premier recueil de cartes paraît en 1867 aux éditions Justus Perthes16 : il bénéficie du matériel typographique de l’Institut de géographie du Pr Petermann, auquel l’auteur est associé depuis deux ans. L’ouvrage comporte 72 cartes, en couleurs.

Fig. 4 - Carte de la mission du Gabon

Fig. 4 - Carte de la mission du Gabon

Allgemeiner Missionsatlas nach Originalquellen, 1867

  • 17 Petermann’s Mitteilungen depuis 1855 et Geographisches Jahrbuch à partir de 1884.
  • 18 Notamment le célèbre Stieler Hand atlas, régulièrement actualisé par le Pr Petermann.
  • 19 Numa Broc, « La géographie française face à la science allemande (1870-1914) », Annales de géograph (...)
  • 20 Ibid.
  • 21 La démarche inverse existe aussi. C’est celle qu’adoptent les congrégations missionnaires après 190 (...)

12Alors, qu’elle soit protestante ou catholique, comment expliquer que la cartographie allemande soit à ce point initiatrice ? Un rapide recensement des atlas de mission parus entre 1860 et 1900 montre ainsi que la moitié sont d’origine germanique, alors même que les missionnaires allemands sont encore peu déployés ? Sans doute, la culture géographique, plus importante en Allemagne qu’ailleurs, explique cette situation. La géographie est très tôt considérée comme une science. Le spécialiste français des explorations, Numa Broc, a fait remarquer que l’Allemagne représentait, après le choc de la défaite de 1870, un « exemple et un modèle pour la science française ». Les raisons de cette supériorité ? Son réseau universitaire, l’Institut de géographie à Gotha qui collecte des informations du monde entier pour les diffuser à l’aide de ses revues spécialisées17, les nombreuses publications d’atlas18. « Aucun pays européen ne bénéficie avant 1914 d’une telle infrastructure dans le domaine de la recherche, de l’enseignement, des publications19 ». En 1900, commentant le congrès international de géographie de Berlin, le géographe français Lucien Gallois reconnaît qu’« en Allemagne, la géographie est cultivée pour elle-même comme une science désintéressée. Alors que la tendance de l’époque est à considérer la géographie comme devant être pratique, l’Allemagne n’en reste pas moins fermement attachée à la vraie tradition géographique20 ». Manifestement, Gallois sous-estime les ambitions coloniales de l’Allemagne et idéalise une science géographique qui se placerait à l’abri de toute utilisation politique. Mais ce désintéressement dont il parle explique peut-être les choix cartographiques de Grundemann et Werner, qui traitent de toutes les missions, sans distinction ni préférence nationale. Ce souci d’une objectivité et d’une neutralité mue par la seule recherche scientifique, se marie parfaitement du côté catholique avec la nécessité de présenter l’image d’une mission uniforme, hiérarchisée et centralisée21.

  • 22 Ibid, Die Corisco und Gabun-Missionen.
  • 23 Missions Weltkarte, Leipzig, 1869.

13Comme le montre le document sur la mission du Gabon22 (fig. 4), Grundemann ne représente pas les limites de la mission, qui reste l’apanage de l’Église catholique et romaine. En revanche, il prend soin de présenter les forces en présence : d’un côté sur le littoral, les congrégations protestantes
– à l’époque seules deux sociétés américaines – ainsi que les puissances coloniales – Français et Espagnols qui se partagent le contrôle de la rive –, ce qui laisse supposer plusieurs combinaisons entre ces quatre protagonistes ; en face, à l’intérieur, des populations africaines nommées et localisées. Mais l’hydrographie assez bien relevée, notamment pour l’Ogowé, atteste que des excursions ont déjà été menées vers l’intérieur. Cette représentation donne un avantage flagrant aux protestants en décourageant les entreprises catholiques, rendues illégitimes parce que chronologiquement postérieures. En Afrique, comme dans toutes les contrées que découvrent les Européens, pour l’exploration comme pour la mission, le premier arrivé remporte le contrôle du terrain. Grundemann fait paraître un second recueil deux ans plus tard, réactualisé23. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des premiers missiologues.

Des atlas des missions aux atlas de l’Église

  • 24 Oscar Werner, Orbis terrarum Catholicus sive totius ecclesiae Catholicae et occidentis et orientis (...)
  • 25 Ibid.
  • 26 À Lyon, les publications de l’Œuvre de la Propagation de la Foi ont déjà produit un Planisphère des (...)
  • 27 Karl Streit, Katholischer Missionsatlas, Verlag des Missionsdrückerei in Steyl Post Kaldenkirchen ( (...)

14« Offrir la représentation complète du théâtre général de l’évangélisation »24. C’est le sens que le père Werner donne à sa démarche. Et cartographier la mission donne une belle occasion de présenter une Église catholique conquérante, dynamique, expansionniste, qui prend pied sur tous les continents pour prêcher à toute créature. Cette image performante de l’Église catholique réhabilite en quelque sorte la situation qu’elle connaît alors en Europe, où elle est mise à mal, en raison de la déchristianisation des mentalités amorcée au xixe siècle et accélérée à la fin du siècle, notamment en France. Car s’il perd du terrain sur le vieux continent, le catholicisme en gagne sur les autres, précisément grâce à la mission, comme le prouvent les nombreux tableaux statistiques. Les publications à grand tirage célèbrent l’expansion religieuse comme l’expansion coloniale, réunies dans un même objectif de civilisation. Ainsi, si l’on considère les territoires de mission confiés à la Propagande comme des territoires en voie de christianisation, ils méritent de figurer aux côtés des terres déjà christianisées d’Europe : les vicariats apostoliques d’Asie et d’Amérique sont donc présentés à la suite des diocèses de la hiérarchie ordinaire d’Europe, comme un prolongement évident. Les atlas peuvent ainsi réunir, au moins dans l’esprit de leurs lecteurs, des territoires que la Curie romaine s’efforce encore de distinguer. En 1890, cinq ans après son atlas des missions, le père Werner propose une première synthèse avec l’Orbis terrarum Catholicus25, qu’il justifie par une réalité désormais évidente d’un point de vue statistique : en comptabilisant les missions, le nombre de catholiques dépasse celui des deux autres Églises chrétiennes réunies. Et le nombre total de chrétiens dépasse celui du bouddhisme ainsi que de l’islam. Le christianisme serait donc la première religion sur terre, avec une nette longueur d’avance pour le catholicisme. L’Orbis terrarum Catholius devient l’objet visuel par excellence pour apprécier l’expansion et la gloire du christianisme26. Il donne aussi une empreinte territoriale à la notion de catholicité. Vingt ans après l’atlas du père Werner, le verbite Karl Streit adoptera la même démarche en publiant tout d’abord un atlas des missions, suivi sept ans après d’un atlas de la hiérarchie ecclésiastique27.

La cartographie missionnaire, au service de la missiologie ?

15Les cartes de géographie n’ont pas comme seule fonction de localiser les missions. En représentant leur territoire, elles facilitent l’exercice d’appropriation auprès des décideurs, invités à penser l’espace pour mieux l’organiser. La carte offre une image complète de la mission et favorise le contrôle de son territoire, même symbolique. Avec elle, il est possible de repérer les points forts et les obstacles de la mission, les zones à contrôler, celles qui nécessitent plus de personnel, les nouveaux centres de population. La carte sert aussi à envisager des divisions, des ajouts, des échanges de territoires, autant de modifications qui caractérisent les jeunes missions en plein essor. Ainsi, la cartographie profite au début du xxe siècle de la reconnaissance de la géographie comme d’une science auxiliaire de la missiologie, au même titre que l’ethnologie ou la linguistique. Mais ses promoteurs souhaitent davantage : la cartographie des missions mérite d’être considérée comme une science autonome, affranchie de la géographie, au regard de l’utilité qu’elle procure à la missiologie.

Un savoir issu de l’expérience de terrain

  • 28 Sur son apport à l’ethnologie et la missiologie, voir An Vandenberghe, « Entre mission et science : (...)
  • 29 Robert Streit, Les Missions catholiques ; statistiques et graphiques des missions catholiques d’apr (...)
  • 30 Ibid, « La station, centre du modèle d’évangélisation », p. 80.
  • 31 Les archives de l’Œuvre de la Propagation de la Foi regorgent de lettres qui attestent que leurs au (...)

16Les premiers missiologues sont allemands, comme le rappelle Marc Spindler. Ce sont les figures célèbres du père Wilhelm Schmidt, svd, fondateur en 1906 de la revue Anthropos28 ; du père Joseph Schmidlin, premier professeur en 1914 à enseigner la science de la mission à l’université de Munster ; du père Robert Streit, OMI, auteur de la colossale Bibliotheca Missionum, élaborée de 1913 à 1930 et réunissant tous les travaux missionnaires. Schmidlin et Streit ont joué un rôle déterminant lors de l’exposition vaticane des missions en 1925, en recueillant des expériences issues de toutes les missions du monde entier, devenant autant de matériaux pour la missiologie naissante. Chargé d’en résumer l’esprit dans une brochure traduite dans toutes les langues29, le père Streit réserve à la cartographie une place non négligeable. Utilisant des cartes que les Capucins d’Araucanie au Sud Chili ont adressées à Rome, l’auteur produit un document de synthèse pour illustrer le rôle central que joue la station dans l’organisation de la mission30. Elle rayonne sur son environnement, à la tête d’une hiérarchie composée d’églises, de chapelles ou de simples postes secondaires. L’ensemble constitue un réseau qui devient l’armature de la mission, selon un plan général méthodique et rationnel. Le centre quasi géométrique du dispositif serait occupé par l’église de Traiguen. En multipliant les fondations, il est possible d’occuper tout l’espace de la mission. La carte du père Streit rapporte les fondations d’églises récentes, celles d’après 1900, ce qui rend l’expérience plus réaliste. Elle prend soin de ne mentionner aucun toponyme local, de telle sorte que le lecteur a le sentiment de parcourir un modèle d’organisation, reproduisible n’importe où dans le monde. Cette carte résume les considérations que partagent les missionnaires quand ils fondent une nouvelle station. Celle-ci n’est pas installée n’importe où. Au contraire, elle est le résultat d’une réflexion, souvent collective, qui prouve que l’espace de la mission est pensé, que le personnel est réparti de manière plus rationnelle, dans le but ultime d’assurer son meilleur développement. En réalité, les missionnaires ont toujours eu sur le terrain ce type de considérations, comme le prouvent leurs correspondances du xixe siècle31. Mais désormais, elles sont prises en compte, modélisées et enseignées dans les écoles de formation par la missiologie dans un souci de plus grande efficacité.

  • 32 Karte des Missionsgebiets von Araukanien, KM, August 1896.

17Ce retour d’expérience des Capucins au Chili, élevé au rang de modèle d’évangélisation, n’est pas fortuit. Le père Streit a simplement choisi parmi toutes les missions un exemple réussi qui prospère, tenu par des missionnaires allemands. Les Katholischen Missionen ont rendu compte plusieurs fois de cette mission d’Araucanie, publiant déjà une première carte en 189632 (fig. 5).

Fig. 5 - Carte de la mission d’Araucanie

Fig. 5 - Carte de la mission d’Araucanie

Katholischen Missionen, août 1896.

18Contrairement à la précédente, celle-ci rend compte de la nature chilienne, avec des toponymes locaux, notamment sur les nombreux lacs de la région. À cette époque, la hiérarchie est déjà en bonne voie et la légende distingue les stations établies (Bereits gegründete Missions-Station) de celles à édifier (Erst zu gründete Missions-Station). Le plan est ambitieux, car il s’agit d’occuper tous les villages, de telle sorte qu’à la fin, le figuré de la croix latine désignât chaque communauté villageoise : la population et son territoire se retrouvent complètement encadrés. Le lecteur peut ainsi constater que la mission d’Araucanie compte en 1896 pas moins de 16 stations et en projette 9 autres, notamment dans sa partie centrale. Ce document délivre aussi une information essentielle avec le tracé du chemin de fer, qui doit traverser toute la région du sud au nord pour la relier à Santiago. Le lecteur peut constater que parmi les prochaines stations, 4 seront desservies par la voie ferrée. Cette carte reflète l’approche pragmatique sur le terrain qui consiste à occuper les lieux les plus fréquentés en anticipant leur prochaine localisation. La position de la station principale est appelée par exemple à se déplacer, de Valdivia, site initial sur la côte Pacifique, encore considérée comme le centre de la mission en 1896, jusqu’à Traiguen vers l’intérieur, comme l’atteste trente ans plus tard la carte modélisée du père Streit. Le déplacement des activités oblige les missionnaires à redéployer leur encadrement.

Un savoir accumulé et enseigné

  • 33 Katholischer Missionsatlas, Verlag des Missionsdruckerei in Steyl Post Kaldenkirchen (Rhld), 1906, (...)

19La reconnaissance d’une cartographie utile à la mission et la missiologie a été défendue par le père Karl Streit, svd. Cartographe et statisticien, il est l’auteur en 1906 d’un nouveau Katholischer Missionsatlas, publié par l’imprimerie de sa congrégation à Steyl aux Pays-Bas et traduit en français33. Ses 28 planches reprennent celles du père Werner, mais en les actualisant, car la mission s’est considérablement développée en vingt ans. Et comme son prédécesseur, le père Streit associe ces circonscriptions extraordinaires aux terres chrétiennes ordinaires dans un Atlas hierachicus, publié en 1913 naturellement par les éditions Herder. Avec ses 37 planches et ses 125 pages de texte, l’atlas est censé restituer l’empreinte la plus exacte de la hiérarchie catholique sur terre.

Fig. 6 Carte de l’Afrique orientale

Fig. 6 Carte de l’Afrique orientale

Atlas hierarchicus, n°23, 1913.

  • 34 Afrika, Blatt V, in Atlas hierarchicus, n° 23, Freiburg im Breisgau, 1913.

20Comme le montre cette carte de l’Afrique orientale34 (fig. 6), le fonds toponymique de la carte de géographie générale a été préservé, ainsi que le réseau hydrographique. Simplement, la hiérarchie ecclésiastique a été rajoutée en plaquant les limites et les noms de circonscriptions. C’est un compromis cartographique entre les documents habituels des atlas de géographie et ceux qui rapportent exclusivement et plutôt sèchement la hiérarchie ecclésiastique, comme l’ouvrage de Werner. Le père Streit ajoute aussi les séminaires, les écoles de formation, les résidences de missionnaires et les lieux de pèlerinage, autant d’informations ponctuelles qui n’altèrent en rien l’uniformité générale du découpage.

  • 35 Raymond Janin, « Atlas hierarchicus », Les Échos d’Orient, 1930, vol. 29, n° 160, p. 491‑492. Le co (...)
  • 36 Afrika, Blatt V, in Atlas hierarchicus, n°30, Freiburg im Breisgau, 1929.

21En 1929, paraît une nouvelle édition revue et augmentée de l’Atlas hierarchicus. L’ouvrage comporte 68 pages, 65 pages de statistiques, 31 cartes doubles colorées et 3 pages de cartons supplémentaires. Il est élaboré grâce aux informations de l’Annuaire pontifical et traduit en quatre langues : l’allemand, l’italien, le français et l’espagnol. Ce second atlas paraît nécessaire, car « le premier est devenu rapidement inexact à la suite des bouleversements que le monde entier a connus depuis une quinzaine d’années. De plus, les missions ont pris dans l’intervalle un développement considérable »35. Ces deux éditions offrent un point de vue exceptionnel sur la représentation spatiale des possessions allemandes avant et après leur disparition. Ainsi, en comparant la carte de l’Afrique orientale de 1913 à celle de 192936 (fig. 7), le lecteur peut constater sur les cartons de l’Afrique politique la disparition des colonies allemandes. En revanche, les missions allemandes ont été remplacées par d’autres, sans que le départ des missionnaires ne remette en cause l’évangélisation. Du moins, c’est le message assez réconfortant qu’adresse l’atlas. Ainsi, sur la carte de 1929, apparaissent toujours distinctement les vicariats de l’Afrique orientale. D’ailleurs, l’ensemble des grandes circonscriptions n’a pas été chamboulé et le continent conserve son découpage d’avant-guerre, comme le montrent les noms et les délimitations. Durant cette période, le christianisme a progressé en profondeur, sans remettre en cause l’intégrité territoriale des missions, ce qui le rend peu perceptible, surtout à l’échelle de ces cartes au 1/10 000 000e. En définitive, la consultation de l’atlas produit une impression générale rassurante d’uniformité et de pérennité. Alors que localement, le personnel a parfois été complètement renouvelé, les stations déplacées ou simplement fermées.

Fig. 7 - Carte de l’Afrique orientale

Fig. 7 - Carte de l’Afrique orientale

Atlas hierarchicus, n°30, 1929.

  • 37 « Mission und Kartographie », in Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft, 19 (...)
  • 38 L’auteur mentionne aussi la « très bonne carte » du père Hubert Hansen, svd, sur l’Afrique du Sud e (...)
  • 39 Des recherches consisteraient à repérer les travaux cartographiques dans les revues spécialisées co (...)
  • 40 Henrico Emmerich, Atlas societatis verbi divini, Austria, 1952.
  • 41 Id., Atlas missionum, Éditions du Vatican, 1958, 44 planches.
  • 42 Le projet de constituer une vaste bibliographie à l’échelle de l’Europe sur le sujet date de 1961. (...)

22Un an plus tard, Karl Streit défend la cartographie missionnaire dans un article de la célèbre revue de missiologie dirigée par le père Schmidlin, Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft37. Il dresse un plaidoyer pour la reconnaissance de cette cartographie, en rappelant qu’elle s’enrichit de travaux antérieurs : un premier atlas italien de l’histoire de l’Église, les travaux d’Oscar Werner, la carte de Madagascar du jésuite Roblet, les grandes cartes murales offertes en France par les Missions Catholiques, etc.38 Streit insiste sur la nécessité de tenir les cartes de la hiérarchie à jour, pour éviter ce que les statistiques dénoncent : des circonscriptions vacantes, dépourvues de dirigeants ou de personnel suffisant. La cartographie offre selon lui un moyen pertinent pour évaluer la hiérarchie ecclésiastique et repérer ses manquements, comme une espèce de veille, dans l’intérêt de l’évangélisation. Pour l’exercer, le père Streit a fondé quelques années auparavant un Institut de cartographie missionnaire (Missionskartographisches Institut), dans l’établissement des Verbites Saint-Gabriel à Mödling près de Vienne en Autriche, sans doute inspiré par l’Institut de géographie du professeur Petermann à Gotha. L’Institut prévoit des actualisations permanentes de l’Atlas hierarchicus, des cartes murales (Missionswandkarten), des cartes sur l’histoire des missions, des expositions, des publications. Il doit assurer la reconnaissance de la cartographie missionnaire comme science à part entière. Mais sa principale difficulté reste son financement : la collecte de renseignements, la formation et les publications coûtent cher et le père Streit n’hésite pas à encourager ceux qui le souhaitent à fournir à l’Institut des cartes, des croquis, des statistiques. Si son domaine réservé est peu concurrencé par des publications extérieures, il n’intéresse pas beaucoup le public, assez peu séduit par ce type de cartes. Il est alors difficile en guise d’épilogue d’évaluer le succès qu’a rencontré l’Institut de cartographie de Mödling, notamment dans le domaine de la missiologie39. En revanche, le père Streit a formé d’autres verbites qui ont continué ses travaux. Henrico Emmerich a réuni dans un recueil toutes les missions confiées à sa congrégation40. Puis il reprend en 1958, trente-huit ans après, l’Atlas hierachicus de son professeur41. Anton Freytag est quant à lui l’auteur d’un Atlas du monde chrétien en 1959. Quelques années plus tard, l’Institut a aussi participé à un vaste recensement européen des cartes ecclésiastiques, mais sans que le projet n’aboutisse42.

23Le savoir-faire cartographique allemand est indéniable. À la fin du xixe siècle, l’Allemagne dispose d’un avantage manifeste dans cette discipline, qu’elle considère d’ailleurs depuis longtemps comme une science. Dans leur mission, les prêtres allemands ont mis leur pratique et leurs connaissances au service de leur apostolat. D’autres les ont placées au service de l’Église et des fidèles, en représentant la hiérarchie ecclésiastique, universelle, et en se détachant soigneusement des cartes nationales produites lors de l’expansion coloniale. Mais ce mouvement s’est amorcé bien avant la guerre, dès 1890. La représentation de la hiérarchie ecclésiastique n’a donc pas été un refuge pour les missionnaires cartographes. Pourtant, si elle s’est placée au service de la mission, la cartographie semble avoir du mal à enrichir la missiologie, car en se spécialisant dans la seule représentation de la hiérarchie, elle s’est enfermée dans un registre limité, difficile à renouveler. Du côté français, le poids de l’empire colonial et l’engouement du public pour les terres exotiques ont obligé en quelque sorte les missionnaires à cartographier la colonisation en même temps que leur mission : leurs cartes, souvent chorographiques, possèdent plus d’indications sur les explorations que sur l’évangélisation. Or, c’est précisément ce qui n’existe plus dans les cartes allemandes : avec la disparition des colonies en 1920, les missionnaires ne sont plus obligés par cette fonction colonialiste et leurs documents traitent désormais de sujets plus neutres mais aussi plus universalistes comme l’empreinte de la hiérarchie ecclésiastique.

Haut de page

Notes

1 Pour une approche renouvelée sur le sujet, voir Carine Dujardin, Claude Prudhomme (dir.), Mission et science ; missiologie revisitée 1850-1940, Louvain, Leuven University Press, 2015.

2 Sur les ambiguïtés entre la mission et l’expansion coloniale, étudiées au niveau des individus, voir Jean-Marie Bouron, Bernard Salvaing (dir.), Les missionnaires, entre identités individuelles et loyautés collectives (xixe-xxe siècles), Paris, Karthala, 2016, 341 p.

3 La revue Die Katholischen Missionen est publiée de 1873 à 1998 par les éditions Herder à Fribourg en Brisgau. Elles deviennent les KM Forum Weltkirche en 1999.

4 Missions Catholiques, n° 24, 28 janvier 1870, p. 30. Rapporté par Richard Drevet, Laïques de France et missions catholiques au xixe s. : l’Œuvre de la Propagation de la Foi, enjeux et développement lyonnais, 1822-1922, thèse Université Lyon 2, 2002.

5 Sur le caractère scientifique des cartes missionnaires, voir Jean-Michel Vasquez, La cartographie missionnaire en Afrique. Science, religion et conquête (1870-1930), Paris, Karthala, 2011, chapitre IV.

6 16 cartes sur 32 pour les KM, 160 sur 300 pour les MC.

7 Sur 16 cartes, 14 portent sur l’Afrique noire. Les Missions Catholiques présentent la même spécialisation.

8 La carte est une réédition de la carte parue dans les MC. La mission d’Alaska peut témoigner d’une évangélisation qui touche tous les continents, malgré les contraintes climatiques extrêmes. Celle de Madagascar central, confié aux Pères de La Salette, est la reproduction d’une carte parue dans les MC la même année et montrant une circonscription particulièrement encadrée. Mais l’original adressé à l’Œuvre de la Propagation de la Foi présente un plus grand nombre de toponymes, car tous les villages pourvus d’une chapelle, une centaine, sont nommés.

9 Paul Langhans est employé par l’Institut de géographie de Justus Perthes à Gotha. Il est l’auteur d’un Deutscher Kolonial Atlas en 1897 et d’une Deutsche Flottenwandkarte en 1900 qui lui valent le titre de professeur en 1900. Langhans a développé des conceptions géopolitiques sur l’ethnocentrisme germanique. Engelmann Gerhard, « Langhans, Paul », in Neue Deutsche Biographie, 13, 1982, p. 603.

10 Dans l’ordre chronologique : West Usambara, 1887, Taffel 20 ; Reiseroute der Missionäre, 1898, Tafel 9 ; Ost Afrika, 1899, Taffel 1 ; Marungu und Utembue, 1902, Taffel 2 .

11 Missionen des Weissen Väter in Aequatorial-Afrika, Katholischen Missionen, août 1897.

12 Skizze von Alaska, April 1898. La carte présente le vicariat apostolique de l’Alaska, déjà découpé en 7 districts, alors que son territoire intérieur est encore inconnu. À son extrémité occidentale, qui est aussi celle du continent américain, le vicariat compte une dizaine de stations. Elles incarnent la devise de la mission catholique, portée jusqu’aux extrémités du monde.

13 Sur l’accueil du Katholischer Missions Atlas, Missions Catholiques, n° 861, 4 novembre 1885 ; « Valérien Groffier », in Missions Catholiques, n° 3097, 1er novembre 1929.

14 Die Kirchliche Eintheilung in Süd-Africa, 1/25.000.000e, Taffel 11, in Katholischer Missions Atlas, op cit.

15 Hans Bardtke, « Grundemann Peter Reinhold », Deutsche Biographie, 7, 1966, p. 221 f.

16 Allgemeiner Missionsatlas nach Originalquellen, Gotha, 1867, [en ligne : http://mdz-nbn-resolving.de/urn:nbn:de:bvb:12-bsb10807482-6].

17 Petermann’s Mitteilungen depuis 1855 et Geographisches Jahrbuch à partir de 1884.

18 Notamment le célèbre Stieler Hand atlas, régulièrement actualisé par le Pr Petermann.

19 Numa Broc, « La géographie française face à la science allemande (1870-1914) », Annales de géographie, 1977, t. 86, n° 473, p. 71-94. Lire aussi les anecdotes à propos de l’autorité scientifique qu’exercent les Petermann’s Mitteilungen sur les universitaires français : Vincent Berdoulay, La formation de l’école française de géographie, Paris, CTHS, 1981.

20 Ibid.

21 La démarche inverse existe aussi. C’est celle qu’adoptent les congrégations missionnaires après 1900 en produisant l’atlas de leurs propres missions, présenté comme un album de famille : c’est le cas des Jésuites en 1900, des Spiritains en 1903 puis 1931, de la Société des Missions évangéliques de Paris en 1908, des Franciscains en 1915, des Pères blancs en 1931.

22 Ibid, Die Corisco und Gabun-Missionen.

23 Missions Weltkarte, Leipzig, 1869.

24 Oscar Werner, Orbis terrarum Catholicus sive totius ecclesiae Catholicae et occidentis et orientis conspectus geographicus et statisticus, Herder, Freiburg im Breisgau, 1890, 266 p.

25 Ibid.

26 À Lyon, les publications de l’Œuvre de la Propagation de la Foi ont déjà produit un Planisphère des croyances religieuses et des missions chrétiennes en 1882. Son auteur, Valérien Groffier, veut promouvoir le caractère universel du catholicisme en présentant une empreinte spatiale qui lui est favorable. Le même Valérien Groffier ajoutera aux 19 cartes du Katholischer Missions atlas deux premiers planisphères des missions catholiques en 1883 et en 1885, de manière à apprécier les gains territoriaux dus au soutien financier de l’Œuvre.

27 Karl Streit, Katholischer Missionsatlas, Verlag des Missionsdrückerei in Steyl Post Kaldenkirchen (Rhld), 1906, 28 Taffeln ; Atlas hierarchicus, Herder, Fribourg en Brisgau, 1913, 125 pages, 37 planches.

28 Sur son apport à l’ethnologie et la missiologie, voir An Vandenberghe, « Entre mission et science : la recherche ethnologique du père Wilhelm Schmidt svd et le Vatican (1900-1939) », Missions et sciences sociales, n° 19, décembre 2006, p. 25-36.

29 Robert Streit, Les Missions catholiques ; statistiques et graphiques des missions catholiques d’après l’exposition missionnaire vaticane, Paris, Desclée de Brouwer, 1928.

30 Ibid, « La station, centre du modèle d’évangélisation », p. 80.

31 Les archives de l’Œuvre de la Propagation de la Foi regorgent de lettres qui attestent que leurs auteurs ont nourri une réflexion sur le territoire qui leur a été confié. Dans les rapports annuels, on recourt souvent à des arguments territoriaux, doublés de considérations ethnologiques, pour justifier de nouvelles stations et réclamer une aide plus importante.

32 Karte des Missionsgebiets von Araukanien, KM, August 1896.

33 Katholischer Missionsatlas, Verlag des Missionsdruckerei in Steyl Post Kaldenkirchen (Rhld), 1906, 28 planches. Sur le père Streit, voir la biographie de l’Österreichisches Biographisches Lexicon, Bd 13 (Lfg.62, 2010), S.392f.

34 Afrika, Blatt V, in Atlas hierarchicus, n° 23, Freiburg im Breisgau, 1913.

35 Raymond Janin, « Atlas hierarchicus », Les Échos d’Orient, 1930, vol. 29, n° 160, p. 491‑492. Le compte-rendu constate les nombreuses erreurs, dans les statistiques comme dans les cartes, mais reconnaît qu’une telle entreprise de collecte ne peut éviter ces maladresses.

36 Afrika, Blatt V, in Atlas hierarchicus, n°30, Freiburg im Breisgau, 1929.

37 « Mission und Kartographie », in Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft, 1930, xx, S. 276-280, Munster.

38 L’auteur mentionne aussi la « très bonne carte » du père Hubert Hansen, svd, sur l’Afrique du Sud en 1903. À ne pas confondre avec le géographe dessinateur français Jules Hansen, auteur de nombreuses cartes sur les colonies.

39 Des recherches consisteraient à repérer les travaux cartographiques dans les revues spécialisées comme Zeitschrift fur Missionswissenschat ou lors des Semaines de missiologie de Louvain du père Charles.

40 Henrico Emmerich, Atlas societatis verbi divini, Austria, 1952.

41 Id., Atlas missionum, Éditions du Vatican, 1958, 44 planches.

42 Le projet de constituer une vaste bibliographie à l’échelle de l’Europe sur le sujet date de 1961. Le premier volume, qui porte sur l’Allemagne et l’Autriche, date de 1963. Bibliographie de cartographie ecclésiastique, t. 1 : Allemagne, Autriche, Leiden, Brill, 352 p. Un second volume est paru sur la Pologne.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 - Carte du Marungu et de l’Utembue, 1/300 000e
Crédits Petermann’s Mitteilungen
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-1.png
Fichier image/png, 9,5M
Titre Fig. 2 - Carte des Missions confiées aux Pères Blancs en Afrique équatoriale,
Crédits Katholischen Missionen, août 1897
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,9M
Titre Fig. 3 - Carte de l’Afrique australe, 1/25.000.000e,
Crédits Katholischer Missions Atlas, pl. 11
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Titre Fig. 4 - Carte de la mission du Gabon
Crédits Allgemeiner Missionsatlas nach Originalquellen, 1867
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 448k
Titre Fig. 5 - Carte de la mission d’Araucanie
Crédits Katholischen Missionen, août 1896.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 2,7M
Titre Fig. 6 Carte de l’Afrique orientale
Crédits Atlas hierarchicus, n°23, 1913.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 7,1M
Titre Fig. 7 - Carte de l’Afrique orientale
Crédits Atlas hierarchicus, n°30, 1929.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/docannexe/image/4726/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 7,6M
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Vasquez, « Mission und Kartographie »Chrétiens et sociétés, 25 | -1, 171-194.

Référence électronique

Jean-Michel Vasquez, « Mission und Kartographie »Chrétiens et sociétés [En ligne], 25 | 2018, mis en ligne le 08 juin 2022, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4726 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4726

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search