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Dossier bibliographique
Recensions

Monique Venuat, Ruxandra Vulcan (dir.), La naissance des académies protestantes (Lausanne, 1537 – Strasbourg, 1538) et la diffusion du modèle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2017, 347 p.

Yves Krumenacker
p. 245-248

Texte intégral

  • 1 Voir notamment Yves Krumenacker, Boris Noguès (éd.), Protestantisme et éducation dans la France mod (...)

1L’humanisme de la Renaissance voit la naissance d’établissements d’enseignement supérieur en rupture avec les universités traditionnelles, les académies, plus souples, orientées vers les besoins nouveaux de la formation des élites, ne conférant pas de grades, même si certaines ont ensuite eu des privilèges d’université. C’est dans ce contexte que, dans toute l’Europe, apparaissent des académies réformées. L’éducation protestante est assez bien connue pour les xviie-xviiie siècles1, beaucoup moins pour ses origines. C’est pourquoi un colloque s’est tenu à Clermont-Ferrand les 11 et 12 juin 2010, dont les actes paraissent seulement sept ans plus tard, mais dans un beau volume pourvu d’une bibliographie abondante (mais s’arrêtant en 2012), d’une carte et d’une liste des académies (malheureusement incomplètes : il manque par exemple Orthez, Montpellier et Montauban, Helmstedt n’apparaît que sur la carte) et d’un index. L’introduction du volume, due à R. Vulcan, met en évidence la diffusion des modèles strasbourgeois et lausannois, les méthodes employées dans ces académies, leur laïcisation, leur fragilité en raison du lien qu’elles ont avec des princes ou des municipalités, mais aussi l’importance de leurs réseaux.

2En ouverture, E. Campi présente la Prophétie de Zurich : en 1523 (et non 1529, comme indiqué par erreur dans le texte), Zwingli transforme les prébendes du Grossmünster Chorherrenstift en chaires de professeurs consacrées à l’exégèse biblique, ce qui n’est effectivement réalisé qu’en juin 1525. L’école se développe sous la direction de Bullinger et aboutit à des réalisations majeures en exégèse, traduction de la Bible et étude des langues orientales. La première académie protestante francophone est celle de Lausanne, fondée en 1537. La correspondance de Viret, étudiée par M. Bruening, montre bien les problèmes de logement des étudiants, leur comportement, les disputes théologiques avec Zébédée et Bolsec. L’académie de Strasbourg, fondée en 1538, rayonne dans tout le monde germanophone. M. Holý étudie les membres de la noblesse de Bohême et de Moravie qui y étudient, soit au gymnase, soit à l’école supérieure, y apprennent le français, y nouent des contacts, y commencent souvent leur grand tour européen. Jean Sturm, à Strasbourg, a insisté sur l’enseignement de la musique et introduit la pratique théâtrale en latin et en grec, de pièces antiques comme de pièces tirées de la Bible (E. Weber). Il attache aussi beaucoup d’importance à l’éloquence, l’art de bien parler pour être efficace, ce qui l’amène à prêter attention à la douceur du style (V. Montagne). L’évolution entre la première et la deuxième génération de la Réforme est présentée par R. Vulcan à travers les personnages de Viret, représentant l’humanisme cicéronien, et de Lambert Daneau, illustrant la nouvelle dialectique liée à une rhétorique judiciaire. Une autre évolution se fait avec Pierre de la Ramée (1515-1572) qui envisage l’ensemble des disciplines sous l’angle de la dialectique afin de fonder une science universelle. Le ramisme s’est ensuite étendu à toute l’Europe protestante (en dehors de Genève et Heidelberg). G. Eckert montre que la Dialectique de Ramus doit être interprétée comme un texte éminemment politique.

3La seconde partie du livre est consacrée à la diffusion des modèles. F. Moreil évoque l’influence genevoise sur les trois académies de Nîmes, Orange et Die. W. Mährle montre l’influence strasbourgeoise en Allemagne du sud : forte dans les régions protestantes du Cercle de Souabe, surtout quand Sturm, ses collaborateurs ou ses élèves participent à la réforme de l’enseignement, plus faible dans le Cercle de Franconie plus marqué par Melanchthon, et dans les villes (à l’exception, pendant un court moment, d’Altdorf, dont l’académie dépend de Nuremberg). En Hongrie et en Transylvanie, le modèle des écoles de Saxe réformées par Melanchthon est prépondérant, même si l’influence strasbourgeoise est sensible à travers la formation en rhétorique classique grâce aux étudiants qui y ont séjourné ou indirectement par l’imitation du modèle de Lauingen sur le Danube (lui-même inspiré par Strasbourg) ; il faut différencier les centres scolaires luthériens où l’on enseigne le trivium et le quadrivium des écoles réformées qui introduisent la philosophie et la théologie, sans doute sous l’influence suisse et celle des collèges jésuites. Mais, malgré plusieurs tentatives, aucune académie n’a pu voir le jour au xvie siècle. En Transylvanie, la première académie naît en 1630 à Weissenburg (Alba Julia), inspirée de Herborn, elle-même émanant des modèles strasbourgeois et genevois (M. Fata). J.-A. Bernhard examine le cas particulier des collèges hongrois de Sárospatak et de Pápa, des écoles humanistes dans les années 1530 qui se tournent vers la Réforme dans l’optique de Melanchthon ; elles n’ont donc rien à voir avec les académies de Lausanne ou de Zurich, qui sont des produits de la Réforme. D. S. Larangé évoque l’école supérieure de Herborn, fondée en 1584 par Johann VI de Nassau-Dillenbourg, un frère de Guillaume d’Orange : une académie calviniste, caractérisée par un enseignement ramiste, millénariste, avec une théologie fédéraliste. W. Frijhoff brosse un tableau très complet des établissements néerlandais, insistant notamment sur les écoles illustres, souvent mal connues, et sur l’université de Leyde ; faut-il parler d’« académies protestantes » ? La situation particulière des Provinces-Unies, bien rappelée au début de l’article, fait qu’il n’y a pas d’exclusive confessionnelle, ni chez les enseignants ni chez les étudiants, et que la théologie a un rôle assez secondaire. Une tentative de « calvinisation » se fait cependant jour au xviie siècle. G. Menk, dans le dernier chapitre, décrit tout le réseau des académies calvinistes en Europe, ce qui permet de bien voir le rôle majeur de centres comme Herborn et Leyde.

4Cet ouvrage nous en apprend beaucoup sur l’enseignement supérieur protestant au xvie et au début du xviie siècle. Beaucoup des textes proviennent de chercheurs étrangers et ont été traduits de l’allemand ou de l’anglais. Mais on peut déplorer des redites. Le système strasbourgeois est par exemple décrit à plusieurs reprises et l’étude des étudiants hongrois à Strasbourg est faite deux fois (par M. Holý et M. Fata). Des panoramas généraux sur la situation des différents États ne s’imposaient pas dans un ouvrage aussi spécialisé. Mais surtout, on se demande dans quelle mesure la problématique de départ est bien respectée, même si la conclusion de R. Vulcan tente d’y revenir. En effet, la diffusion des modèles lausannois et strasbourgeois n’est la plupart du temps qu’à peine mentionnée, un peu plus pour Strasbourg et le rôle déterminant de Jean Sturm, très peu pour Lausanne. En revanche l’influence de Melanchthon et du modèle wittenbergeois apparaît bien souvent, de même que nombre de chapitres insistent sur l’importance du ramisme. Autrement dit, plus que la diffusion de deux modèles particuliers, nous avons de multiples exemples de la formation de réseaux dans l’Europe protestante de la première modernité.

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Notes

1 Voir notamment Yves Krumenacker, Boris Noguès (éd.), Protestantisme et éducation dans la France moderne, Lyon, LARHRA-RESEA, Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires n° 24, 2014.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Krumenacker, « Monique Venuat, Ruxandra Vulcan (dir.), La naissance des académies protestantes (Lausanne, 1537 – Strasbourg, 1538) et la diffusion du modèle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2017, 347 p. »Chrétiens et sociétés, 25 | -1, 245-248.

Référence électronique

Yves Krumenacker, « Monique Venuat, Ruxandra Vulcan (dir.), La naissance des académies protestantes (Lausanne, 1537 – Strasbourg, 1538) et la diffusion du modèle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2017, 347 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 25 | 2018, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4714 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4714

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Auteur

Yves Krumenacker

LARHRA, UMR 5190, Université de Lyon (Jean Moulin – Lyon 3)

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