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Dossier bibliographique
Recensions

Nathalie Szczech, Calvin en polémique. Une maïeutique du verbe, Paris, Classiques Garnier, 2016, 1257 p.

Yves Krumenacker
p. 242-245

Texte intégral

1Cet ouvrage est la publication, à peine remaniée et allégée, d’une thèse soutenue en 2011 à l’université Paris 4 sous la direction de Denis Crouzet. On peut d’emblée s’interroger sur la nécessité d’éditer un aussi gros livre, plutôt que d’en faire une version condensée tout en permettant parallèlement aux lecteurs pour qui c’est indispensable la possibilité de lire le texte complet de la thèse. On risque en effet d’être rebuté par la taille d’un volume dont le titre n’est pas d’une clarté absolue et dont le sujet semble avoir été déjà travaillé. On aurait pourtant tort d’ignorer le travail de N. Szczech qui offre de nouvelles perspectives sur la biographie de Calvin à partir d’un corpus relativement peu étudié, au moins d’un point de vue historien, les œuvres polémiques – avec cette difficulté que le genre n’existe pas vraiment, qu’il s’agit de traités, d’opuscules, de libelles inscrits dans une logique de combat (N. Szczech en étudie cinquante-sept) dont il s’agit en outre de préciser la stratégie de destination (ce qui diffère de la réception des œuvres comme de la propagande) et donc les diverses postures de l’auteur. Chaque œuvre doit pour cela être précisément contextualisée et analysée de manière historienne en empruntant les outils des sociologues, des anthropologues, des littéraires, des linguistes, des historiens du livre. On devine l’ampleur des lectures de N. Szczech pour se situer dans une histoire sociale du langage… L’objectif, dont on pressent l’importance, est de déterminer comment Calvin, jeune humaniste, est devenu celui qu’on considère comme le réformateur Calvin. Pour cela, en dehors des œuvres polémiques, N. Szczech mobilise une quantité impressionnante de sources, surtout publiées mais aussi manuscrites dont les procès criminels et les registres du consistoire de Genève, et une très importante bibliographie en français, anglais et allemand.

2À quelles conclusions aboutit-on ? Le premier écrit, pris longuement en compte, est la préface de la Psychopannychia, de 1534. Calvin est alors sans légitimité, médiocrement apprécié des humanistes depuis son édition du De Clementia de Sénèque, et sans vrai réseau érudit et amical. Il se présente comme un modeste mais sérieux membre d’une sodalitas humaniste et apparaît inséré dans un réseau évangélique parisien alors en butte à la répression et d’autant plus désireux de se distancier des thèses les plus radicales. Calvin manifeste ainsi son engagement dans la cause évangélique à une date où nombre de ses biographes en font déjà un réformé. Dans les écrits des années 1535-1537, il se pose en intellectuel en dehors des camps confessionnels. Aucun lien avec les réformateurs neuchâtellois n’est mis en avant, Calvin publie chez de jeunes éditeurs humanistes bâlois, il participe vraisemblablement à des sociabilités savantes mais ne semble pas intégré à l’Église. Dans leur forme matérielle, ses écrits se rapprochent plus d’œuvres humanistes que des écrits réformateurs du groupe de Neuchâtel. C’est en humaniste qu’il aborde le champ religieux. Grâce à une comparaison avec un vaste corpus de textes évangéliques et du groupe de Neuchâtel, N. Szczech montre de manière convaincante que Calvin s’adresse à un public lettré, sans souci missionnaire ni volonté de s’adresser au plus grand nombre. Il convient donc de parler de glissements plus que de rupture pour caractériser son évolution religieuse. Il s’agit surtout pour lui d’intervenir en lettré dans les principales controverses du moment en montrant certes sa proximité avec les réformateurs, mais surtout en s’assurant une place dans le monde des humanistes soucieux d’une réforme de l’Église. Il n’est pas encore prêt pour un engagement pastoral qu’il retarde le plus possible. À Bâle, il a surtout des rapports intellectuels avec les réformateurs. À Genève, lors de son premier séjour, il est nettement dans l’ombre de Farel, il n’entre sans doute dans le ministère pastoral que début 1537 et, même s’il est de plus en plus actif, il n’est pas encore au premier plan.

3Sa mission pastorale s’affirme cependant, et plus encore à Strasbourg où il a une véritable fonction ecclésiastique fondée sur son aptitude à interpréter les Écritures. Calvin peut alors s’insérer dans un réseau institutionnel d’Églises et ses compétences théologiques sont reconnues par les réformateurs suisses, ce qui lui permet d’être présent à des disputes (notamment l’affaire Caroli en 1536) et à des colloques, c’est-à-dire à des joutes orales. Mais une production imprimée demeure et ses ouvrages commencent à être connus et traduits en diverses langues vernaculaires. À Genève comme à Strasbourg, il obtient un statut officiel, à la fois professeur de théologie et pasteur, assumant ainsi un double ministère fondé sur ses compétences mais compris également par lui comme le fruit d’un appel divin. Calvin a une vision extensive de son ministère, apostolico-évangélique et missionnaire, voyant Genève comme le point de départ de l’établissement du Royaume de Dieu. Les imprimés polémiques de ces années 1538-1541 se caractérisent par leur diversité : emploi du latin ou de langues vernaculaires, genres variés (catéchisme, commentaires, occasionnels, etc.), avec des mises en livre et des mises en pages plurielles, signature, anonymat ou usage de pseudonymes, car Calvin s’adresse désormais à des publics très divers. C’est qu’il agit comme porte-parole des pasteurs de Berne, de Genève, de Bucer, du comte de Furstenberg ; mais cela lui permet aussi de s’intégrer dans un groupe en rupture avec l’Église romaine et de rompre ainsi avec les milieux évangéliques, dont il n’attend plus rien.

4Pendant la période suivante, Calvin est le principal ministre de Genève. S’il n’abandonne pas totalement la production manuscrite ni les joutes oratoires, il a surtout recours à l’imprimé. La polémique en latin est très importante ; elle permet souvent d’approfondir des points traités par les différentes éditions de l’Institution de la Religion chrétienne à destination de lettrés non francophones de toute l’Europe, tandis que des traductions en français, en italien, en tchèque permettent à un public moins savant de s’ouvrir aux controverses théologiques. Mais, pour la période 1542-1564, une petite majorité des éditions est en français et certains titres sont traduits dans d’autres langues ; ce français est généralement simple, bien adapté à un public de non théologiens. Le problème pour Calvin est de conserver son autorité de pasteur tout en se livrant à la polémique, où il simplifie les choses, amalgame différents types d’adversaires, crée des catégories artificielles (les « nicodémites »), se moque de ses opposants et les ridiculise. Il justifie l’usage d’un rire modéré, de même qu’il assume une violence verbale qui gêne pourtant même ses partisans. C’est qu’il revendique une posture prophétique qui le fait se dégager du groupe des pasteurs en montrant, en dévoilant l’erreur plus qu’en démontrant systématiquement la vérité ; la violence est pour lui nécessaire pour convertir les cœurs d’un peuple qu’il voit rétif à la Parole de Dieu.

5Le dernier chapitre se veut prospectif et appelle à des analyses plus approfondies. Il entend montrer, à travers un parcours en trois étapes chronologiques, que les traités polémiques de 1542 à 1563 sont un élément essentiel de la confessionnalisation calvinienne en construisant une identité réformée. La démonstration d’ores et déjà paraît très convaincante et s’inscrit dans la ligne des travaux qui font de la controverse un facteur identitaire plus qu’une stratégie de conversion. Au cours des années 1540, Calvin précise sa doctrine et insiste sur les comportements, en attaquant le papisme, les autres courants réformateurs et surtout l’évangélisme français (dont N. Szczech montre au passage toute son importance encore après l’affaire des Placards) ; il s’agit de fonder une orthodoxie et une orthopraxie en se séparant des autres. Une seconde séquence débute avec la défaite des princes luthériens à Mühlberg, la désunion des Suisses, l’échec d’une alliance française, les oppositions à Calvin à Genève même ; pour le réformateur, c’est le signe que Satan est à l’œuvre et qu’il y a une urgence à réformer l’Église. Ses traités sont plus violents et précisent la doctrine calviniste par opposition aux zwingliens, aux luthériens et à tous ceux qui le contestent (Bolsec, Servet, etc.) ; il appelle les réformés au martyre et cherche à entraîner les autorités politiques genevoises derrière lui, confessionnalisant ainsi sa Réforme. Avec le début des années 1560, la Réforme se structure en France, principal champ de mission pour Calvin, et ses partisans espèrent la voir triompher dans le royaume. Les traités polémiques clarifient alors la doctrine et cherchent à donner du mouvement une image respectable tout en dénonçant violemment ses adversaires et en refusant tout compromis. Calvin semble laisser la porte ouverte à tous les possibles, laissant Dieu œuvrer à côté des élites réformées ou soutenir l’ardeur du plus grand nombre. N. Szczech ne tranche pas vraiment sur les opinions possiblement monarchomaques du réformateur, préférant noter les évolutions et les contradictions de son discours à la veille des guerres de religion.

6Ce livre offre aussi une belle leçon de méthodologie, en se situant toujours sur un horizon des possibles ; N. Szczech étudie chaque texte en faisant abstraction de la suite de l’histoire, en refusant de voir Calvin comme un futur réformateur, mais en le situant exactement dans le contexte qui est le sien. Elle ne fige pas les camps confessionnels, en un temps où ils sont encore en construction, elle évite de parler de protestantisme ou de catholicisme. Ce faisant, elle nous aide à une meilleure compréhension de cette époque complexe. C’est une belle réussite, mais qui nécessiterait, pour être davantage accessible, une écriture plus concise. N. Szczech a du mal à ne pas développer tous les sujets qu’elle rencontre (la question des ministères, l’imprimerie à Genève, l’évangélisme, l’opposition genevoise à Calvin, etc.). Ses analyses sont souvent justes et dignes d’intérêt, mais elles auraient pu faire l’objet d’articles séparés afin que le lecteur puisse se concentrer sur l’essentiel de la thèse. Or celle-ci est d’une grande importance pour mieux connaître Calvin, son évolution dont on voit qu’elle est plus lente qu’on ne la présente habituellement, la complexité des positionnements des milieux réformateurs, la compréhension de soi qu’a Calvin ministre de Genève.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Krumenacker, « Nathalie Szczech, Calvin en polémique. Une maïeutique du verbe, Paris, Classiques Garnier, 2016, 1257 p. »Chrétiens et sociétés, 25 | -1, 242-245.

Référence électronique

Yves Krumenacker, « Nathalie Szczech, Calvin en polémique. Une maïeutique du verbe, Paris, Classiques Garnier, 2016, 1257 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 25 | 2018, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4706 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4706

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Auteur

Yves Krumenacker

LARHRA, UMR 5190, Université de Lyon (Jean Moulin – Lyon 3)

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