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Dossier bibliographique
Recensions

Pauline Dulay-Haour, Désert et Refuge : sociohistoire d’une internationale huguenote. Un réseau de soutien aux « Églises sous la croix » (1715-1752), Paris, Honoré Champion, coll. Vie des Huguenots no 77, 2017, 502 p.

Yves Krumenacker
p. 221-224

Texte intégral

1P. Haour s’est imposée, depuis déjà longtemps, comme une des meilleures spécialistes d’Antoine Court et du Refuge protestant, grâce à sa parfaite connaissance de l’énorme masse documentaire que constitue la collection Court conservée à la Bibliothèque de Genève. Elle l’a complétée par d’autres fonds français et anglais ainsi que par de très nombreuses sources imprimées pour nous offrir non une simple étude du réseau de soutien aux Églises réformées clandestines en France, mais une véritable histoire des rapports entre le Désert et le Refuge, entre les huguenots restés en France et ceux qui l’ont fuie pour s’établir à l’étranger.

2En 1685, la Révocation de l’édit de Nantes a créé un véritable traumatisme chez les protestants français, mais encore plus chez ceux qui, restés en France, ont eu l’impression que les pasteurs les avaient abandonnés. P. Haour analyse finement les débats internes au protestantisme et les incompréhensions entre Désert et Refuge autour de la question des assemblées clandestines ; les huguenots restés en France, dont Court se fait le porte-parole, revendiquent de pratiquer leur foi, ce qui suppose qu’ils soient aidés par les pasteurs établis à l’étranger qui, eux, stigmatisent leur lâcheté et leur tiédeur et ne leur proposent que de fuir « Babylone ». Mais l’important, pour les partisans comme pour les adversaires français de la tenue des assemblées, est d’obtenir le soutien des grandes Églises du Refuge, notamment Genève et La Haye. C’est en partie pour les rassurer que Court et Corteiz veulent rétablir une discipline stricte dans des communautés davantage enclines au nicodémisme. L’insistance de Court et Corteiz sur l’instruction et l’encadrement des fidèles apparaît ainsi sous un nouveau jour. Ils finissent par gagner la partie : autour de 1719-1721, l’image des Églises « sous la Croix » devient positive au sein même du Refuge. Cela tient aux protestations de loyalisme politique affirmées par les porte-parole des Églises de France et au non-ralliement des protestants à l’Espagne en 1719, lors de l’éphémère guerre entre la France et l’Espagne, ainsi qu’au rétablissement d’un ordre ecclésial et qu’à la lutte contre les dissidences. Les lettres de sympathie en provenance du Refuge se multiplient au début des années 1720, des pasteurs de Genève, Zurich ou Vevey offrent des arguments dans le combat contre les hétérodoxies, le « fanatisme » ou la prédication des femmes, et le professeur genevois Pictet apporte son soutien en publiant en 1721 sa Lettre sur ceux qui se croyent inspirez, largement diffusée au Désert et longuement analysée par P. Haour. À cette aide doctrinale s’ajoute un soutien matériel : des livres, dès 1719, envoyés de Genève et de Hollande ; de l’argent, en quantité très modeste. Mais, craignant les réactions de la France, Genève ne publie pas la Relation historique des horribles cruautez... de Court, imprimée à Zurich seulement en 1722.

3Un réseau d’aide aux Églises se met lentement en place. Il s’appuie sur des liens anciens : l’Église de Genève, celles des Provinces-Unies, la Grande-Bretagne s’efforcent très tôt d’aider les galériens et les prisonniers et tentent en vain lors des négociations de la paix d’Utrecht de changer la législation française ; les ambassades des Provinces-Unies et de Grande-Bretagne à Paris célèbrent des cultes en français. Court et un de ses compagnons, Benjamin Du Plan, profitent des inquiétudes suscitées par la Déclaration de 1724 pour interpeler les puissances étrangères auprès de qui Du Plan est nommé, en mai 1725, député des Églises. Une de ses tâches principales est de recueillir de l’argent, le « fonds de l’hoirie ». Il va en Suisse puis, à partir de 1731, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, en Suède et obtient des pensions et des donations plus ponctuelles pour plusieurs milliers de livres. Ces fonds, placés chez des banquiers pour qu’ils rapportent des dividendes, servent surtout au séminaire de Lausanne destiné à former les futurs pasteurs de France, ainsi qu’aux besoins des Églises. Une des difficultés pour l’historien, mais dont P. Haour se tire très bien, est la pratique du secret. Les Églises wallonnes ont des exigences précises quant aux dons qu’elles effectuent, tandis que Londres voudrait qu’on rende des comptes sur les dépenses faites. Mais les donateurs veulent, par sécurité, rester secrets et le Comité de Genève, qui gère les fonds, doit rester discret sur le fonctionnement des Églises clandestines afin de les préserver. Il faut pourtant informer sur leur existence pour affirmer à la monarchie que le protestantisme français n’est pas mort, d’où un projet d’histoire des Églises par Court en 1733, la publication en 1746 de La nécessité du culte public par le pasteur de La Haye La Chapelle et, la même année, de Popery always the Same de Jaques Serces, représentant des huguenots à Londres. Il importe en effet d’avoir accès au roi pour modifier la politique religieuse. Les Églises du Désert, lors du synode de 1744, décident de présenter une requête au roi ; mais les comités du Refuge s’y opposent, jugeant qu’il faut se contenter d’une tolérance de fait ; toujours en 1744, le projet de faire rédiger une Apologie par Court est au contraire accepté, mais après beaucoup d’hésitations. Le Refuge préfère monter un projet d’émigration qui prend corps en 1752, mais sans grand succès. Tout cela témoigne de la volonté du Refuge de contrôler les Églises françaises. Celles-ci doivent alors soutenir leur réputation pour continuer à bénéficier des secours. Il leur faut donc montrer que les fidèles n’hésitent pas à s’assembler, mais de manière prudente. De son côté, Court est accusé d’avoir un style trop fougueux. Mais le principal problème concerne Du Plan, soupçonné de sympathies pour les « inspirés », qui doit sans cesse s’en défendre tout en justifiant un piétisme modéré et dont la présence à Londres après 1744 alors que Serces l’a remplacé dans sa mission provoque toute une polémique. Mais, si les puissances étrangères veulent bien soutenir les huguenots, c’est dans la discrétion. Elles refusent, pour la plupart, d’exercer des pressions sur le gouvernement français lors des différentes négociations diplomatiques du xviiie siècle (contrairement à ce qui s’était fait, sans succès, du temps de Louis XIV). La Grande-Bretagne et les Provinces-unies s’opposent à la présence au Congrès d’Aix-la-Chapelle (1748) d’un représentant des Églises de France, le major de Montrond.

4Le dernier chapitre est peut-être le plus intéressant, car il se demande qui dispose de l’autorité. P. Haour ne parvient pas vraiment à conclure, mais elle s’attaque à une question fondamentale avec beaucoup de sagacité en s’interrogeant sur les processus de décision. Il s’avère que si les Églises ont en théorie l’initiative et si leurs synodes sont souverains, dans les faits, elles dépendent beaucoup des opérateurs, les comités de Genève, Lausanne, Londres et La Haye et, derrière eux, de leurs bienfaiteurs. Genève, toujours sous la menace française, semble avoir plus d’importance que Lausanne et Londres que La Haye. Mais cette hiérarchie n’est pas fixée, elle évolue selon les périodes et elle n’est pas perçue par tous de la même manière.

5On le voit à travers ce résumé, cet ouvrage, issu d’une thèse de l’EPHE, offre un regard neuf sur le rétablissement des Églises réformées en France au xviiie siècle, parce que centré en grande partie sur les rapports complexes entre Désert et Refuge, deux domaines généralement étudiés indépendamment l’un de l’autre. Il se fonde sur des sources connues depuis longtemps, mais généralement peu exploitées jusqu’ici et dont les longues et nombreuses citations qui parsèment le livre, ainsi que les lettres éditées en annexe, montrent toute la richesse. Il bénéficie de l’acquis d’une historiographie qui, depuis une vingtaine d’années, a profondément renouvelé l’étude du Désert. Il démontre clairement qu’il n’est plus possible d’étudier la réorganisation du protestantisme français au xviiie siècle sans tenir compte des liens avec ses « tuteurs » (le terme est significatif) de l’extérieur. Il faut noter enfin l’absence presque totale de l’Allemagne dans ce livre : le Refuge allemand n’est pas concerné par ce réseau de soutien aux Églises clandestines. Il a sa propre organisation, sous la protection de princes, avec de nombreux privilèges, et il ne communique pas avec les comités d’aide. Cela ne veut pas dire qu’il ignore totalement les huguenots restés en France : on connaît des circulations de livres, des correspondances, des missions piétistes, qui attestent de diverses relations. Autrement dit, P. Haour nous montre le fonctionnement d’un réseau d’aide au Désert, sans doute le plus important et le mieux documenté, mais ce n’est pas le seul. Il faudrait pouvoir prolonger son travail pour mieux comprendre la survie du protestantisme français.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Krumenacker, « Pauline Dulay-Haour, Désert et Refuge : sociohistoire d’une internationale huguenote. Un réseau de soutien aux « Églises sous la croix » (1715-1752), Paris, Honoré Champion, coll. Vie des Huguenots no 77, 2017, 502 p. »Chrétiens et sociétés, 25 | -1, 221-224.

Référence électronique

Yves Krumenacker, « Pauline Dulay-Haour, Désert et Refuge : sociohistoire d’une internationale huguenote. Un réseau de soutien aux « Églises sous la croix » (1715-1752), Paris, Honoré Champion, coll. Vie des Huguenots no 77, 2017, 502 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 25 | 2018, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4660 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4660

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Auteur

Yves Krumenacker

LARHRA, UMR 5190, Université de Lyon (Jean Moulin – Lyon 3)

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