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Comment devient-on une congrégation enseignante ? Le cas de Notre-Dame de Sion

How does one become a teaching congregation? The case of Our Lady of Zion
Angela Xavier De Brito

Résumés

Malgré un charisme tourné vers la conversion des juifs, la congrégation de Notre-Dame de Sion a plutôt acquis la réputation d'être une congrégation enseignante à part entière. Cet article cherche à savoir quelles raisons ont conduit les sœurs de cette congrégation à construire leur œuvre autour des pensionnats, pourquoi elles ont choisi d’y accueillir de jeunes pensionnaires issues des élites locales et surtout, comment elles ont accédé aux compétences et aux diplômes indispensables à l’exercice du métier d’enseignantes. La partie la plus ardue de cette recherche a consisté à trouver les indicateurs qui auraient permis de connaître le niveau de formation des sœurs. Les sources empiriques sur ce sujet manquent cruellement, dans la mesure où les sœurs de Sion ne conservent pas systématiquement les documents relatifs à ce sujet, comme le font les congrégations dont le charisme est proprement l’enseignement. Seule une recherche exhaustive dans les correspondances et dans les journaux, et notamment dans les livres des inscriptions et les ménologes m’a permis de connaître quelles sœurs avaient bénéficié d'une quelconque formation profane, de quels facteurs dépendaient leurs diplômes et comment l’accès au savoir a évolué au sein de la congrégation.

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Texte intégral

  • 1 Ma José Rosado Nunes, « Freiras no Brasil », dans Mary del priore, Carla bassanezzi (dir.), Históri (...)
  • 2 Ana Maria Bidegain, « Una historia silenciada, no reconocida, ignorada, ocultada, invisibilizada. L (...)

1De nombreux auteurs, à l’instar de Nunes, se sont évertués à démontrer que, malgré la représentation de « personnes claustrées non productives » qu’on avait des sœurs au xixe siècle, celles-ci « ont été les premières femmes à avoir un travail, quand la plupart de la population féminine était encore au foyer »1. Ceci est surtout vrai pour les congrégations de vie active, dont « le charisme s’exprimait généralement par la réalisation d’une œuvre sociale visant à répondre aux besoins d’un groupe social déterminé »2, tels les pensionnats ou les hôpitaux.

  • 3 Rebecca Rogers, Les bourgeoises au pensionnat. L’éducation féminine au xixe siècle, Rennes, PUR, 20 (...)

2En France, les pensionnats catholiques étaient surtout l’œuvre d’un certain nombre de congrégations féminines enseignantes, à l’instar des Ursulines ou des Dames du Sacré-Cœur. Leur charisme exigeait l’accès à la culture et, à partir du xxe siècle, à une éducation formelle qui leur fournirait les diplômes nécessaires à cette tâche. Dotées d’une « dimension missionnaire »3, ces congrégations se sont répandues de par le monde, exerçant une influence considérable.

  • 4 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Règles, 1863, p. 9.
  • 5 Céline Poynard-Hirsch, Notre-Dame de Sion. Fondations et fermetures, Sion, 2016.
  • 6 Dominique Dinet, « L’éducation des filles de la fin du 18e siècle jusqu’en 1918 », Revue des scienc (...)

3Cet article se centre sur la congrégation de Notre-Dame de Sion qui, malgré un charisme originel tourné vers « la conversion des enfants d’Israël »4, a fondé, jusqu’aux années 1900, une centaine de pensionnats5, acquérant la réputation d’être une congrégation enseignante à part entière. Mais Sion n’est pas une exception. « D’autres ordres qui n’avaient pas l’éducation pour finalité, telles les Visitandines, les Dominicaines ou les Bénédictines » ont également accueilli « de jeunes pensionnaires issues des élites locales »6.

  • 7 Je remercie la congrégation de Notre-Dame de Sion et l’aide compétente de Mme Poynard-Hirsch.

4La question centrale porte sur la manière dont les sœurs de Sion ont eu accès aux compétences et aux diplômes nécessaires à l’enseignement. La partie la plus ardue de ce travail a consisté à trouver les indicateurs qui pourraient renseigner sur leur niveau de formation. Les sources empiriques sur ce sujet manquent cruellement. Seules les congrégations se définissant d’emblée comme enseignantes archivaient systématiquement la trace des activités de formation de leurs membres. Les congrégations dont le charisme n’était pas l’enseignement, même quand elles fonctionnaient comme telles, semblent y accorder peu d’importance. Les archives de Sion ne conservent que de rares documents à ce sujet7. J’ai dû surtout recourir aux livres des inscriptions et aux ménologes pour savoir quelles sœurs avaient bénéficié d’une formation profane et si leurs diplômes dépendaient de leur origine familiale, des exigences légales ou d’une stratégie interne à la congrégation, faute d’une incitation de l’Église.

Le développement de la congrégation de Sion

  • 8 me Bénédicta nds, Le Très Révérend Père Marie-Théodore Ratisbonne (1802-1884). Fondateur de la Soci (...)
  • 9 me Carmelle nds, Théodore Ratisbonne. Correspondance et documents, 1840-1853, Rome, 1977, p. 12

5Théodore Ratisbonne fonde la congrégation de Sion dans le dessein d’œuvrer à la conversion des juifs, mais différentes raisons amènent la congrégation à s’éloigner de son charisme originel. La trajectoire de leur fondateur est émaillée de références à l’enseignement dès sa jeunesse. Il a d’abord pris la direction des écoles du Consistoire, que son père avait fondées. Ses deux mentors, Louise Humann et Louis Bautain, se sont eux aussi dévoués à l’enseignement. La communauté fondée par Bautain à Strasbourg y avait ouvert « un pensionnat privé […] et une école primaire »8, et ses membres reprennent le collège de Juilly dès qu’ils arrivent à Paris9.

  • 10 Asile fondé par Théodore pour convertir et instruire des fillettes israélites pauvres.
  • 11 Sophie Stouhlen, Journal de Notre-Dame de Sion, 1845-1852, le 21 décembre 1846.
  • 12 Premier Concile Vatican (1869-1870). Constitution dogmatique sur la foi catholique, 3e session, le (...)
  • 13 me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 71.

6Partant, il oriente d’emblée vers l’enseignement les femmes de la bourgeoisie alsacienne qu’il recrute. Sophie devient directrice d’une école primaire pour filles et à Paris, elles travaillent dans le néophytat10 de la rue Plumet. L’orientation vers l’enseignement s’appuiera également sur le souci de faire de l’argent dans la conjoncture d’extrême pénurie que la congrégation a traversée dans ses premières années, suite à la banqueroute du notaire de Théodore11. En 1870, les exhortations du premier Concile du Vatican (1869-1870)12 prônant le resserrement de la clôture « même dans les communautés non sujettes à elle » rendront plus difficile la conversion des juifs. Bref, à cette époque, Sion était encore une « communauté récente, pauvre et sans appui, apparemment sans avenir, parce que destinée à la conversion des juifs »13. L’enseignement était peut-être leur seul espoir de survivre.

L’ordre des priorités s’intervertit

  • 14 Voir tableau II, p. 13.
  • 15 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Ménologes..., vol. 1, 1853-1909 ; vol. 2, 1909-1919 ; vol. 3, 1919-1925.
  • 16 Jeu de mots avec l’expression anglaise Last but not least.

7L’origine de classe des premières sœurs de Sion va également peser dans ce sens. Comme la plupart des congrégations, Sion recrutait notamment « dans l’élite religieuse urbaine » : jusqu’au début du xxe siècle, la majorité des sœurs étaient issues de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie françaises14, dont le niveau culturel était élevé. Entre 1853 et 1909, 61,5 % des sœurs de chœur appartenaient à la noblesse et à la haute bourgeoisie catholiques et aux classes hautes protestantes et/ou israélites, pourcentage qui s’élève à 80 % entre 1909 et1919 et à 85,7 % entre 1919 et 192515. Théodore fonde la Société des Pères Missionnaires de Sion dans le but d’étendre « parmi les hommes […] ce qui existe déjà pour les filles », soit le pensionnat. Censée s’adonner « à l’étude des sciences et des langues orientales, à l’enseignement et enfin aux missions apostoliques », la conversion des juifs est last and least, pour parodier l’expression anglaise16.

  • 17 Marguerite Aron, Prêtres et religieuses de Sion, Paris, Bernard Grasset, 1936, p. 80.
  • 18 Dominique Dinet, op.cit. [en ligne : http://rsr.revues.org/1795]
  • 19 Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Article Filles, Paris, Hach (...)
  • 20 Enquête nationale sur l’enseignement secondaire des garçons, 1864. Annexe sur les pensionnats de fi (...)
  • 21 Me Bénédicta nds, op. cit., t. II, p. 181.

8Donc, malgré leur charisme, « les Dames de Sion se trouvèrent dès l’origine à faire de l’éducation »17. Au néophytat, seule Louise-Catherine, qui avait fréquenté pendant un an le pensionnat d’Arbois, disposait d’une quelconque scolarité formelle. Mais à cette époque, ne pas avoir de diplôme n’était pas forcément un handicap aux activités enseignantes. « En 1863, 69 % des maîtresses publiques n’étaient pas titulaires d’un brevet délivré par l’État »18. En 1864, la circulaire du 29 juillet 1819 détermine que « les lettres d’obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’État »19, injonction que renforce l’art. 49 de la loi Falloux (1850). Ainsi, « la vaste majorité des maîtresses travaillaient sans posséder de diplôme d’enseignement officiel autre qu’une lettre d’obédience »20. Mais voilà le hic : la jeune communauté de Sion n’était pas tout à fait encore une congrégation, car l’Église n’avait reconnu ses Règles que de manière provisoire. Encore moins « vouée à l’enseignement », puisque sa mission officielle était la conversion des juifs. Elle n’était même pas « reconnue par l’État »21, qui ne le fera qu’en 1856. Les sœurs commencent alors à enseigner dans de petites structures de charité, censées ne pas être contrôlées par le gouvernement.

  • 22 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise Catherine Weywada, le 27 août 1837.
  • 23 Les frères Ratisbonne étaient appelés Notre Père (Théodore) et Père Marie (Alphonse).
  • 24 Sophie Stouhlen, op.cit., le 12/02/1847.
  • 25 Me Carmelle nds, op.cit., p. 38.

9Entre septembre 1844 et avril 1845, le nombre d’élèves du néophytat double. En 1837, Théodore prônait déjà « une éducation chrétienne pour la classe élevée de la société »22 et dix années plus tard, en cohérence avec son frère, le Père Marie23 lance l’idée qu’un pensionnat pourrait être « une ressource financière pour notre maison »24. En juin 1847, Théodore achète la maison de la rue du Regard et accepte d’y héberger quelques élèves internes appartenant aux classes aisées, dont les mensualités contribueraient « au maintien de la congrégation, de l’établissement et des classes pauvres »25.

  • 26 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 88.

10Il semblerait que le destin de la congrégation va basculer à ce moment-là. Pour la première fois, ces fillettes, qui occupaient le même espace, se distingueront entre elles par la couleur de leur costume. Les néophytes se vêtiront de bleu, tandis que les élèves du pensionnat naissant, de plus en plus recrutées dans les classes aisées, s’habilleront en noir, pour se distinguer de ces pauvres juives éduquées par charité. En 1854, lors du déménagement à la rue Notre-Dame des Champs, « la maison Geoffroy, tout à fait distincte du néophytat, fut assignée aux pensionnaires »26. En 1863, le transfert du néophytat à Grandbourg entraînera la complète séparation des deux populations d’élèves.

  • 27 Rebecca Rogers, op.cit., p. 155.
  • 28 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 83.
  • 29 L’actuel et l’ancien ministres de l’Instruction publique.
  • 30 Me Bénédicta nds, op.cit., t.I, p. 451 ; t. II, p. 84-85
  • 31 Sophie Stouhlen, op.cit.,1845-1852, mai 1847.

11Pour donner au pensionnat le statut d’« institution » – « ces écoles destinées aux filles des classes supérieures »27 – Sophie Stouhlen, la supérieure, se voit obligée à « obtenir le concours d’une pieuse séculière qui, par son diplôme, deviendrait un point d’appui pour l’enseignement »28. Or, Louise-Hortense Foulon possédait dès 1846 un brevet supérieur, qui lui donnait « le droit de tenir une institution ». Dès qu’elle a présenté « au préfet de la Seine une demande d’autorisation légale pour l’ouverture d’un pensionnat », Théodore mobilise son capital social. La baronne de Barante, dont il était le directeur spirituel, « s’efforça d’intéresser à cette œuvre des personnages dont l’appui pouvait être utile, notamment les contes de Salvandy et de Falloux du Coudray29 ». Le titre de maîtresse de pension ne tarda pas à lui être « officiellement octroyé »30. En mai 1847, Sophie écrit dans son Journal : « Nous sommes maintenant tout à fait en règle ; il ne nous faut plus que des pensionnaires »31.

  • 32 Me Carmelle nds, op.cit., p. 18-19.
  • 33 France. Legirel CNRS. Législation concernant les activités religieuses et l’organisation des cultes(...)

12Un autre effet de conjoncture semble inciter la congrégation à se tourner chaque fois plus vers l’enseignement. « Les écoles privées pour les filles deviennent une nécessité, car les lycées d’État ne leur ouvriront leurs portes qu’en 1880 »32. En appui à la loi Falloux, le décret du 31 janvier 1852 facilite la reconnaissance légale des congrégations religieuses qui se destinaient à l’éducation33, stimulant leur développement dans ce sens.

  • 34 Il s’agit de la Sacrée Congrégation de la Propagande.
  • 35 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine Weywada, le 9/11/1856.

13Dès 1856, le fondateur affirme clairement « la priorité donnée aux pensionnats » – toujours dans le vague espoir de leur rattacher un jour un catéchuménat. Et il renchérit : « La Propagande34 elle-même a déjà compris que nous ne pourrons travailler à l’œuvre de conversion des juifs que lorsque nous aurons été solidement posés ; […] et avant de créer le catéchuménat, il nous faut le pensionnat »35. Ce ne sont pas des paroles en l’air : il s’agit bien de la politique de la congrégation.

  • 36 Marguerite Aron, op.cit., p. 81-82.
  • 37 Jean-Baptiste Reutlinger, Notre Dame de Sion et les Juifs. De la conversion à la rencontre, maîtris (...)
  • 38 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 7-8.

14En effet, dès le départ, Théodore regardait l’enseignement comme une partie essentielle de sa mission. Mais si au début, il l’envisageait comme une manière d’intégrer positivement les jeunes juifs à la société chrétienne, il deviendra rapidement un instrument destiné au recrutement des élites. S’éloignant progressivement « du premier dessein des fondations d’origine », les sœurs se consacrent « aux pensions élégantes, aux grands pensionnats d’élèves sélectionnées »36. « L’orientation vers l’enseignement […] devient même essentielle, compte-tenu du déclin progressif du nombre de néophytes d’origine juive à partir de 1854 »37. Les justifications avancées étaient que les juifs étaient devenus craintifs, voire méfiants. Théodore lui-même s’en plaint : « Dans les premiers temps de Sion, j’ai baptisé des centaines d’Israélites : le mouvement depuis s’est ralenti. Que faire ? Nous ne pouvons que prier et attendre »38. Certes, les sources consultées indiquent une baisse des conversions, mais il me semble que ce serait plutôt la préférence accordée à l’enseignement, alliée aux restrictions imposées à la mobilité des sœurs, qui feront qu’elles se consacrent de moins en moins à la conversion des Juifs.

L’enseignement requiert du personnel qualifié

  • 39 Céline Poynard-Hirsch, op.cit., 2016.
  • 40 François Delpech, « Notre-Dame de Sion et les juifs. Réflexions sur le Père Théodore Ratisbonne et (...)
  • 41 Marcel Bernos, Femmes et gens d’Église dans la France classique xviie-xviiie siècle, Paris, Cerf, 2 (...)
  • 42 Charlotte Klein nds, Da conversão ao diálogo. As irmãs de Sion e os judeus. Um paradigma das relaçõ (...)

15La congrégation se développera donc autour de ses pensionnats. Dans les cinq premières décennies de son existence (1850-1900), Sion fonde 41 établissements39 et devient « une congrégation essentiellement féminine et enseignante »40. L’enseignement y était « centré sur la religion et imbibé par elle »41, une idéologie exportée avec chaque nouvelle filiale. Le fonctionnement de ces pensionnats requérait néanmoins un personnel qualifié et de « rarissimes sœurs possédaient un quelconque diplôme »42. Sion ne recrutait pas ses membres en fonction d’une exigence culturelle explicite car, quelle que soit la vision qu’en avait la société, les sœurs de Sion se voyaient toujours, en principe, comme vouées à la conversion des juifs.

  • 43 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Ménologes..., vol. 1, 1853-1909, p. 134.
  • 44 Maria Alzira Colombo, « A relação da congregação de Notre-Dame de Sion com seu carisma. Do antissem (...)
  • 45 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine Weywada, le 4 avr. 1848.

16Les premiers travaux de la congrégation ont certes été choisis en fonction de son charisme originel. Quand Théodore envoie Louise-Catherine et Rosalie Heumann à Thann, en 1847, « pour diriger les écoles pour les enfants des ouvriers des usines de M. Kœssler »43, il pensait qu’il y aurait peut-être des juifs entre eux, puisque l’Alsace-Lorraine concentrait alors 40 % de la population juive de France44. Si Théodore y met fin au bout de deux ans, c’est parce qu’il ne voyait pas « en quoi votre dévouement est utile à l’objectif spécial de notre œuvre »45.

  • 46 Me Carmelle nds, op.cit., p. 317.

17La même année, à la demande du curé de Saint-Merri, les sœurs de Sion reprennent l’externat Saint Michel, dans le Marais. Pour elles, cela équivaudrait à « dresser leur tente au centre du quartier-général des juifs »46. Rose Valentin en fut nommé supérieure et on lui adjoignit comme maîtresses Victorine Le Boisne (Sr. Me Victorine) et Rosalie Heumann (Sr. Marie), deux sœurs qui venaient de rentrer de Thann. Sr. Marie possédait depuis 1847 un diplôme du degré supérieur, et Sr. Me Victorine venait juste d’acquérir le brevet du 1er degré en 1849. Ceci illustre bien combien les sœurs diplômées étaient rares.

  • 47 Sœurs Notre-Dame de Sion, Journal de l’externat Saint Michel, le 24 sept. 1849, le 8 juin 1850.

18Malgré les nombreuses difficultés de départ, elles réussissent à se concilier la confiance des familles. « Le chiffre des élèves s’éleva de 36 à 65 à la fin du mois de décembre 1847 […] et atteignit la centaine en une seule année ». Ayant établi contact avec une quarantaine de familles juives, « les religieuses de Sion ont amené 26 baptêmes ». Fin 1850, sous la pression de l’abbé Annat, « elles ouvrent le collège Sainte-Anne, […] où l’on parvint même à réunir les éléments d’un petit pensionnat ». Le décès de l’abbé mettra fin à cette expérience. Les sœurs reprennent encore un troisième externat mais, un an plus tard, elles « abandonnent les trois établissements »47.

  • 48 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 489.
  • 49 Théodore Ratisbonne, Lettre à Rose Valentin, le 18 sept. 1849.

19Assurément, ces années n’ont pas été stériles des points de vue théorique et pratique. Outre le contact avec les familles israélites, « ces externats ont contribué à former de bonnes maîtresses enseignantes » et, de manière plus globale, leur a fait comprendre « que l’éducation de la jeunesse, même chrétienne, ne serait point exclue des œuvres de la congrégation »48. Mais, l’enseignement en tête, Théodore pensait déjà aux « fondations subséquentes »49.

L’enseignement devient la seule et unique priorité

  • 50 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 7.
  • 51 Jean-Baptiste Reutlinger, op.cit., p. 55.

20La Règle de 186350 dit textuellement que les sœurs de Sion sont « pour la plupart destinées à l’enseignement » – couchant ainsi par écrit le nouveau statut de l’enseignement. Dès 1878, sous la direction de Sr. Me Rose, la congrégation connaît une deuxième phase de développement « centrée sur les activités d’enseignement »51. Cette date va marquer le début du mouvement de qualification des premières sœurs. Le premier pensionnat étant devenu une réalité, il faudrait les préparer au métier d’enseignantes, en rajoutant la formation pratique aux diplômes nécessaires.

  • 52 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 87 ; p. 85.

21La première initiative dans ce sens a été un programme d’études sous la direction de professeurs judicieusement choisis, que les sœurs Me Louisa et Me Rose ont organisé entre 1849 et 1852. En 1858, Théodore se réfère à la congrégation de Sion, déjà reconnue par l’État, comme « une communauté consacrée à l’enseignement » (Sion, Brochure de propagande, 1858). Néanmoins, les élèves n’affluaient pas encore, même si quelques amis de Théodore, tels le comte de Leusse et le baron de Bussières, y avaient inscrit leurs enfants. À l’époque, « c’était chose difficile de percer l’obscurité dont le nom de Sion était encore enveloppé et d’arriver à prendre rang à Paris, parmi tant d’institutions anciennes et justement renommées » (Me Bénédicta, 1905, II,). Dans l’attente des élèves, Sr. Me Louisa « se mit en devoir de s’assurer des collaboratrices, en préparant aux examens de la Sorbonne les plus intelligentes des jeunes filles confiées à ses soins »52.

  • 53 André Chervel, Marie-Madeleine Compère, « Les humanités dans l’histoire de l’enseignement français  (...)
  • 54 Sœurs Notre-Dame de Sion, Organisation des classes et des études, 1872.

22Dès 1872, Théodore va introduire des cours de latin et de grammaire latine dans le curriculum de la première classe des pensionnats de Sion. Cette matière était alors réservée aux seuls garçons, censés les préparer aux « professions attachées pour la plupart au service de l’État qui ont un rapport avec le pouvoir, ou du moins, avec l’autorité ». Ce faisant, il allait à l’encontre du décret du 31 décembre 1853, qui soumettait l’enseignement des femmes « aux dispositions qui régissent l’instruction primaire »53. Il convient néanmoins de dire qu’à Sion, l’apprentissage du latin visait simplement la compréhension des offices de l’Église et du style de la Bible54, dans le cas hautement probable qu’elles deviennent religieuses. Cet enseignement va néanmoins avoir l’effet pervers d’approfondir le clivage entre sœurs de chœur et sœurs converses, déjà introduit par leur éducation première.

  • 55 Sophie Stouhlen, op.cit., le 21 juin 1851. 
  • 56 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 87.
  • 57 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 166.

23Les Lettres sioniennes de Grandbourg permettent d’entrevoir un changement des habitudes scolaires au sein de la congrégation. Sœurs et élèves cherchent à se qualifier. Outre le programme d’études de la rue du Regard, dès 1851, les novices de la congrégation qui se destinaient à l’enseignement pouvaient bénéficier de deux heures d’étude quotidiennes55. Peu de temps après, l’arrivée des « trois Marie » va renforcer l’équipe du pensionnat : Marie Le Grom (Sr. Me Aimée), Marie Valentin (Sr. Me Électa) et Marie Amélie Bernard (Sr. Me Amélie)56. Deux d’entre elles possédaient déjà deux diplômes : Marie Le Grom avait passé en 1849, « avec les honneurs »57, le premier examen de l’Hôtel de Ville de Paris et avait reçu, en 1852, le diplôme du second degré de Versailles. Marie Amélie Bernard, une néophyte, passa, elle aussi, en 1849, le premier examen de l’Hôtel de Ville de Paris et reçut en 1850, ensemble avec Marie Valentin, le diplôme du premier degré de Versailles. Quelques élèves ont été reçues aux examens du Luxembourg – trois en 1875, trois autres en 1879 – ou aux examens de l’Hôtel de Ville – une élève en 1878, deux en 1880 – dont la première réussit, en 1880, les épreuves de l’examen supérieur « avec un succès remarquable » (Sion, Lettres sioniennes, vol. I, vol. II).

  • 58 Sœurs Notre-Dame de Sion, Lettres sioniennes de Grandbourg, vol. II (1880-1886).
  • 59 Céline Poynard-Hirsch, op.cit., 2016.

24Peu à peu, l’enseignement dispensé à Sion commence à être reconnu à la fois par l’Église et par les pouvoirs publics. En 1880, le doyen de Corbeil loue « les fructueuses années d’éducation forte, complète et chrétienne données dans les pensionnats de Notre-Dame de Sion ». Quatre ans plus tard, en 1884, l’inspecteur primaire affirme n’avoir rien à redire « ni sur notre méthode, ni sur nos livres, ni sur notre local puisque, si les choses n’étaient pas aussi bien qu’elles peuvent être, les parents ne nous confieraient pas leurs enfants ». En 1885, trois enfants de l’ouvroir se présentent au Certificat d’études et la plus jeune d’entre elles, « en raison du bon rang de son admission, a eu le droit de concourir à Versailles à une bourse d’études départementale »58. Amorcée en 1856, l’expansion internationale de Sion ne s’arrêtera plus : jusqu’en 1900, environ 70 % des pensionnats seront fondés à l’étranger59.

  • 60 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 320.

25Comme il fallait s’y attendre, engluées dans leur culture de classe et absorbées par leurs fonctions enseignantes, les sœurs de la communauté oublient trop souvent « de faire connaître la parole de vie aux juifs »60. Sion se tourne donc vers l’éducation des élites françaises, et les sœurs tardent de plus en plus à rattacher aux pensionnats un catéchuménat. En 1859, Théodore tente de justifier l’orientation qu’il imprime à la congrégation :

  • 61 Théodore Ratisbonne, « Préface », Manuel de la Mère Chrétienne. Paris, Olmer, 1859.

Peut-être en considérant le grand nombre d’instituts voués à l’éducation, serait-on tenté de croire que le Père Théodore eut pu circonscrire celui de Notre-Dame de Sion à l’objet spécial que Dieu proposait en le suscitant. Mais si l’on considère que l’esprit de cet institut est essentiellement apostolique, on se convaincra que nul moyen, nulle forme d’apostolat ne pouvait être exclu de sa mission61.

  • 62 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 267.
  • 63 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 9.
  • 64 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise Catherine Weywada, le 27 août 1837.
  • 65 Olry Terquem, La vérité israélite, 1861.

26Le projet de Règle rédigé de la main de Théodore en décembre 1847 est approuvé par l’archevêque de Paris. Mais quel serait, en définitive, le charisme de la congrégation ? Il ne peut pas y avoir de doute là-dessus : ce que Théodore sollicite du Pape Grégoire XVI en 1842 est « la mission positive de travailler à la conversion des juifs »62. Néanmoins, la deuxième version de cette même Règle, approuvée par Rome en 1863, mentionne déjà deux objectifs : la conversion des juifs et l’enseignement de jeunes chrétiennes, avec une réserve qui dit tout : « La conversion des enfants d’Israël […] n’a rien d’exclusif ». Si « les sœurs doivent établir des rapports avec les familles juives pour leur apporter consolation et lumière » et créer « des maisons maternelles pour l’éducation gratuite des jeunes filles israélites », elles doivent également diriger « des pensionnats et des ouvroirs destinés aux jeunes chrétiennes de toutes les classes de la société »63. À cette même date, l’enseignement du pensionnat est réservé aux seules « jeunes chrétiennes ». De là à passer « à la classe élevée de la société », comme Théodore le suggérait en 183764, il n’y a qu’un pas. Comment avoir accès aux juifs après les restrictions que Théodore leur impose, suite au premier Concile du Vatican ? Il semble oublier les innombrables conversions qu’il a réalisées au chevet de malades juifs, au point d’être accusé de « baptisalgie »65.

Des fondations à foison

  • 66 Me bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 88 ; t. I, p. 517-518.

27Trois sœurs « imprimèrent une impulsion déterminante à la réputation de Sion comme congrégation enseignante » : Sr. Me Émilie, Sr. Me Louise et Sr. Me Rose. La tâche la plus difficile incomba à Sr. Me Émilie, directrice du pensionnat de Paris, dont l’évolution ne commença qu’environ un quart de siècle après sa fondation. Chargée de la direction de Grandbourg jusqu’en 1856, Sr. Me Louise « s’efforça de solidifier les bases du pensionnat avant d’augmenter le nombre d’élèves. [Quand elle l’a quitté], l’estime et la confiance du dehors lui étaient acquises ». Sr. Me Rose, qui la succéda, fit beaucoup « pour son accroissement et pour l’organisation des classes »66. À son départ, l’établissement avait plus que doublé le nombre initial d’élèves.

  • 67 Il s’agit de Sr. Me Louise, Sr. Me Rose, Sr. Me Paul, Sr. Me Laure et Sr. Me Gonzalès.
  • 68 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 30.
  • 69 Sœurs Notre-Dame de Sion, III Chapitre Général, 1878, s.p.
  • 70 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 30.
  • 71 A.-Thérèse giraud nds, Histoire des Chapitres Généraux, Lyon, Atelier audiovisuel de N.-D. de Sion, (...)

28Les sœurs qui ont dirigé la congrégation entre 1860 et 193267 étaient avant tout des éducatrices. Le rythme des fondations du xixe siècle s’est maintenu pendant le xxe, les années de guerre exceptées. De grands pensionnats destinés aux filles des classes privilégiées ont été fondés partout, notamment à l’étranger. « La congrégation et le Chapitre s’inquiètent de la formation et des diplômes des religieuses pour pouvoir assumer ces œuvres et agréer ces demandes incessantes »68. Aussi l’installation des Sœurs de Sion dans des pays étrangers entraîne « une préoccupation avec les diplômes des sœurs, [censées] être formées à l’enseignement tel qu’il se faisait » localement69. Les sœurs ont même été contraintes à refuser un certain nombre de propositions, comme celle que leur a adressée, en 1872, le supérieur de la Mission italienne « pour diriger les écoles Sainte-Brigitte au sein de la City de Londres, avec une rémunération de 1 500 francs par religieuse » ; et celle des autorités civiles françaises, pour diriger des écoles communales, parce qu’elles pensaient ne pas avoir « les moyens de remplir dignement l’œuvre qui nous est proposée »70. La politique de formation de la congrégation semble néanmoins avoir réussi car, en 1897, pendant le VIe Chapitre Général, Sr. Me Paul a pris la décision d’adopter les programmes officiels de chaque pays jusqu’à la fin du secondaire71.

  • 72 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 7-8 ; p. 9 ; p. 17-18.

29Le foisonnement des pensionnats entraîne, sans doute, un certain abandon de la mission principale. Dès 1872, Théodore lui-même reconnaît que « l’œuvre de la conversion des juifs a été un peu entravée pendant quelques années ». N’empêche, quand il définit les commissions de ce même chapitre, on aura du mal à ne pas remarquer qu’aucune ne concerne la conversion des juifs. Mais Théodore pensait quand même, de temps à autre, à la mission principale de la congrégation… Par exemple, à Londres, il préconise que la maison de Holloway « se circonscrive dans cette œuvre spéciale si bénie de Dieu, les conversions, attirer les petites israélites et les petites protestantes, les arracher des ténèbres du judaïsme et de l’hérésie »72.

  • 73 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 5 ; p. 44-45 ; p. 30.

30L’accent sur l’enseignement se justifie alors parce qu’une fois de plus, la congrégation traversait une autre « crise financière [et] la maison-mère se trouvait dans une position très pénible ». Théodore fait son mea culpa, pendant les séances des 20 et 21 septembre 1862 du Conseil Général, pour avoir permis « des dépenses inconsidérées », en commandant un trop grand nombre de constructions, dont il a confié la direction « aux Pères Marie et Hugo [qui] ont construit sur un plan trop splendide pour une communauté religieuse ». Il censure également Sr. Me Bénédicta, supérieure de Grandbourg, d’y avoir « construit un peu à la légère, sans se rendre assez compte des dépenses qui nécessitent des emprunts »73. Enfin, s’il reconnaît du bout des lèvres ses responsabilités, il essaie quelque peu de s’en dédouaner sur les autres.

Les stratégies de formation de la congrégation de Sion

  • 74 Rebecca Rogers, op.cit., p. 196.

31Les nouvelles fondations requéraient que la congrégation définisse une stratégie de formation. Malgré les efforts consentis, de nombreuses sœurs avaient encore le profil classique des femmes du xixe siècle, où l’origine sociale était la principale source de culture. En règle générale, rien ne se faisait au sein de la congrégation pour suppléer à ce manque, car « le but principal de leur noviciat était la formation spirituelle, et non pas l’instruction »74. C’est encore sous l’égide de Théodore, en 1872, que la congrégation des sœurs semble, pour la première fois, attribuer au noviciat un rôle dans la formation des sœurs enseignantes :

  • 75 Sœurs Notre-Dame de Sion, Organisation des classes et des études, 1872.

Les meilleures maîtresses enseignantes seront toujours celles qui, ayant reçu dans nos pensionnats de bonnes leçons, feront comme elles ont vu faire. Si l’on veut former des maîtresses au noviciat, le mieux à faire semble être, non de leur enseigner des méthodes, mais de leur donner de véritables leçons, bien suivies75.

  • 76 Rebecca Rogers, op.cit., p. 197.

32Et pourtant, le nombre de sœurs de chœur diplômées à Sion oscillait toujours entre le quart et le dixième des effectifs, selon les époques. Selon les Livres des inscriptions, dans la période 1846-65, seules 25,2 % des sœurs avaient un quelconque diplôme. Et ce nombre va encore baisser dans les deux périodes suivantes : en 1865-1873, 19,3 % étaient diplômées ; en 1873-1880, seules 11.3 % l’ont été. Elles étaient encore moins nombreuses à avoir deux diplômes : cinq sœurs, dans la première période ; quatre dans la deuxième et deux, dans la troisième. Dans la période 1865-1873, quand 19,3 % des sœurs de Sion avaient un diplôme, 28 % des sœurs de Saint-Joseph en avaient un et 45 % de celles de la Sainte-Famille de Lyon76.

Tableau I - Sœurs de chœur de Sion selon leur qualification

Nb de sœurs de chœur

1846-1865

1865-1873

1873-1880

Total
1846-1880

Sœurs
diplômées

27 (25,2 %)

18 (19,3 %)

15 (11,3 %)

60 (18,4 %)

dont sœurs ayant plus d’un diplôme

5 (18.5 %)

4 (22.2 %)

2 (13.3)

11 (18.3 %)

Sœurs
sans diplôme

80 (74,8 %)

75 (80,7 %)

102 (88,7 %)

257 (81,6 %)

Total

107 (100 %)

93 (100 %)

117 (100 %)

315 (100 %)

Source : Sion, Livre des inscriptions, vols. I, II, III.

33S’il est vrai que les Ménologes nous éclairent à propos de la classe sociale et du profil de formation des sœurs de Sion, ces ouvrages n’en donnent qu’une indication, puisque la sélection des sœurs y était assez arbitraire. Chaque catégorie sera illustrée par des exemples.

  • 77 Sœurs Notre-Dame de sion, Ménologes..., vol. 1, p. 202.

34Parmi celles qui appartiennent à la noblesse et à la haute bourgeoisie catholiques, je prendrai d’abord le cas de Léonie Hibon (Sr. Me Paul), supérieure générale entre 1885 et 1903. Issue de la haute bourgeoisie catholique, elle eut une éducation d’élite à la maison. « Dans le milieu cultivé de sa famille », elle a acquis « l’amour du travail intellectuel, se mit à l’étude du latin, fit des traductions des Pères de l’Église, goûta les charmes de la grande littérature », en acquérant « une instruction, moins technique peut-être, mais plus rare que celle des aspirantes aux brevets ». La culture de sa famille lui permit également de développer sa belle voix et son goût musical. Elle fut ensuite envoyée en externat chez les Dames du Saint-Sacrement, à Saint-Omer. Sans diplômes, son niveau culturel lui permit « d’être pendant longtemps chargée des cours d’histoire au pensionnat de la maison-mère »77.

  • 78 Sœurs Notre-Dame de Sion, « Rapport de l’API », XI Chapitre Général, 1925, vol. II.

35Marie Pauline de Burgues de Missiessy (Sr. Me Théodorine II), issue également d’une famille d’origine noble très catholique, a fait de brillantes études au pensionnat de Sion et réussit les examens des brevets élémentaire et supérieur en 1874. Elle a été maîtresse de classe d’histoire et de philosophie et maîtresse générale des études depuis son noviciat. Nommée directrice des études en 1887, elle obtint brillamment le certificat d’aptitude au professorat des Écoles normales en 1890 et fut nommée première assistante de la maison d’Anvers. Élue capitulaire en 1919, l’abandon des cours lui fut un véritable sacrifice. Sa vie religieuse fut pareillement partagée entre l’enseignement et l’œuvre d’Israël, où elle s’est fait remarquer par le plaidoyer pour l’action directe qu’elle a adressé à la congrégation en 192578.

Tableau II - Sœurs de chœur de Sion selon l’origine sociale

Ménologes

1853-1909

1909-1919

1919-1925

1925-1931

1931-1946

Total

Noblesse et haute bourgeoisie

46

9

11

4

4

74

Petite bourgeoisie catholique

9

-

3

-

2

14

Classes pauvres catholiques

3

3

6

6

4

22

Israélites du Caté-

chuménat

9

3

-

-

-

12

Israélites haute/petite

bourgeoisie

-

2

-

-

1

3

Protestants haute/petite

bourgeoisie

3

1

1

-

-

5

Sans information

5

1

-

7

6

19

Total

75

19

21

17

17

149

Source : Sion, Ménologes, vols. I à V

  • 79 Emmanuel Bousson de Mairet, Annales historiques et chronologiques de la ville d’Arbois, départ. du (...)
  • 80 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. I, p. 133-134.

36Louise-Catherine Weywada (Sr. Me Louise) est le meilleur exemple de celles qui appartenaient à la petite bourgeoisie catholique. Éduquée d’abord au sein de son foyer, Théodore l’a placée ensuite « au pensionnat d’Arbois [dirigé par] les Filles de Marie »79, où elle a reçu « une éducation très soignée ». Elle a consacré toute sa vie à l’enseignement. Ayant travaillé dans les établissements du réseau de Bautain à Strasbourg, elle a ensuite enseigné dans les écoles de Thann et obtint le diplôme du premier degré en 1849. Elle a dirigé plus tard les pensionnats de Grandbourg et de Constantinople80 et devint la deuxième supérieure générale de la congrégation, en 1860.

  • 81 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. I, p. 148-150.

37Rose Valentin (Sr. Me Rose), « un grand cœur servi par une intelligence d’élite », en est un autre exemple. Éduquée au sein d’une « famille des plus chrétiennes » de Strasbourg, elle rejoignit la communauté de Sion à trente ans. Ayant reçu en 1850 le diplôme du premier degré à Versailles, elle a été, avec Louise-Hortense Foulon (Sr. Me Louisa), l’une des responsables du mouvement d’études de la rue du Regard (1849-1852). Mise à la tête des externats de Saint-Merri jusqu’en 1851, elle a ensuite remplacé Louise-Catherine à la direction de Grandbourg81 et a dirigé le pensionnat de Constantinople de 1859 à 1872. Elle devint supérieure générale entre 1872 et 1885.

38Celles appartenant aux classes pauvres catholiques étaient souvent éduquées dans des orphelinats, à l’instar de Victorine Leboisne (Sr Me Victorine I), qui a obtenu le diplôme du premier degré en 1849, tenu les classes de l’externat Saint-Michel et nommée maîtresse de classe à la Maison-mère. Celles qui ont réussi à faire des études ont fréquenté des écoles gratuites, comme Sophie Renou (Sr. Me Étienne I) ou Célestine-Élisa Fichet (Sr. Marie Asella), enseignant plus tard dans les ouvroirs.

  • 82 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 113.
  • 83 Les élèves du néophytat se partageaient en trois classes : Bethléem, pour les plus jeunes ; Emmaüs, (...)

39Les petites juives confiées au néophytat de Sion pouvaient parfois avoir une trajectoire d’ascension sociale assez inouïe. Admises par charité dès l’enfance, elles étaient socialisées « à la piété et aux vertus chrétiennes, en même temps qu’elles se pénétraient d’un profond amour pour Sion et pour les œuvres de la congrégation »82. Les plus intelligentes et les plus dociles d’entre elles étaient ensuite inscrites gratuitement dans les pensionnats de Sion, pouvant devenir sœurs de chœur et occuper des postes élevés. Quatre élèves étaient dans ce cas. Anna Elisabeth Würmser (Sr. Me Alphonsine) a fait une belle carrière au sein de la congrégation : ayant enseigné en 1848 dans la classe de Bethléem83, elle fut nommée sous-maîtresse des novices deux ans plus tard. En 1852, elle devint maîtresse des novices, poste qu’elle occupa pendant 32 ans. Eugénie Marx Mayer (Sr. Me Lucie), que Théodore appelait « sa brebis de prédilection », fut admise en 1843 dans le néophytat de la Providence, à Paris et, même sans diplômes, nommée directrice du pensionnat Saint-Joseph, en 1856. Louise Amélie Franck (Sr. Me Pierre, n.56), l’une des premières enfants d’Israël admises au catéchuménat de Sion et baptisées en 1843, a su profiter davantage des opportunités qui lui ont été offertes : elle a reçu le diplôme du second degré à la Sorbonne en 1856 et a enseigné la grammaire et l’histoire dans les classes d’Emmaüs. L’année suivante, elle s’est inscrite au pensionnat de Sion, tout en étant chargée de la classe de Nazareth. Transférée à Grandbourg en 1862, elle a été nommée membre de la Commission d’études de la congrégation.

40Sarah Picard-Samuel (Sr. Me Suzanne), qui n’avait aucun diplôme, a été chargée de la classe de Bethléem en 1847. Sa fille, Julie Ermance Samuel (Sr. Me Madeleine), également sans diplômes, a été nommée maîtresse de classe à l’externat Sainte-Anne, en 1853, et directrice du pensionnat Saint-Joseph, en 1854. D’autres israélites converties n’ont pas eu la même chance : elles sont devenues sœurs converses, comme Sarah Martha Stamm (Sr. Me Martha) et sa sœur Caroline (Sr. Me Gaspard).

41Avec un nombre assez réduit de sœurs diplômées, la congrégation était bien forcée à utiliser les talents des non diplômées dans de nombreuses œuvres. Elles étaient parfois placées comme maîtresses de classe au néophytat et surtout chargées de transmettre l’amour de Sion aux jeunes juives. Élisa Adelaïde Blum (Sr. Me Claire), chargée de la classe d’Emmaüs en 1848 et maîtresse de l’école gratuite en septembre 1853, et Émilie Heumann (Sr. Me Noémi), chargée de la classe d’Emmaüs en 1849 et maîtresse de classe de l’externat Sainte-Anne en 1851, de l’école gratuite et de l’ouvroir, en sont de bons exemples.

42Les carrières de Me Amélie Bernard (Sr. Me Amélie) et de Marie Le Grom (Sr. Me Aimée) ont été plus cohérentes avec leur niveau de formation. Ayant toutes les deux réussi l’examen de l’Hôtel de Ville de Paris en 1849, elles ont conquis un autre diplôme – du second degré pour Sr. Me Aimée, du premier degré pour Sr. Me Amélie. Elles ont été par la suite nommées maîtresses de classe, la première à Saint-Michel, à Grandbourg et au pensionnat de Paris, dont elle fut la directrice en 1872 ; la deuxième au pensionnat de Constantinople, dans les années 1850-60.

  • 84 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 145-146.

43Certaines sœurs, comme Louise-Hortense Foulon (Sr. Me Louisa) et Rosalie Heumann (Sr. Marie), avaient un niveau de scolarité inhabituel pour l’époque, mais nous n’avons pas pu évaluer de manière fiable leur appartenance sociale. La première, restée « pendant un an sous la direction de l’abbé Ratisbonne » (Me Bénédicta, 1905, I, p. 381), reçut en 1846 un diplôme du degré supérieur, qui a permis à la congrégation d’ouvrir son premier pensionnat, où elle fut maîtresse de pension et maîtresse générale des études. Elle s’est consacrée à l’enseignement depuis sa jeunesse, quand elle a organisé avec Rose Valentin le premier plan d’études de la congrégation, jusqu’à ses 75 ans, quand « elle donnait encore des leçons de dessin au pensionnat et présidait les examens chez les pensionnaires, aussi bien que chez les externes et les orphelines des classes élémentaires »84. La deuxième a, elle aussi, obtenu un diplôme supérieur en 1847, qui lui permit d’être directrice des études en 1851 et maîtresse de la 1ère classe au pensionnat Sainte Mathilde, en 1853. En 1861, elle fut nommée responsable des cours au noviciat et au pensionnat.

Tableau III - Diplômes obtenus par les Sœurs de Sion

Nombre des diplômes

Vol. I

1846 à 1865

Vol. II

1865 à 1873

Vol. III

1873 à 1880

Total de sœurs

diplômées

Sœurs ayant un seul diplôme

22

14

13

49

Sœurs ayant deux diplômes

5

4

1

10

Sœurs ayant trois diplômes

-

-

1

1

Total diplômées

27

18

15

60

Source : Notre-Dame de Sion. Livre des Inscriptions, vols. I, II, III.

44Nous avons peu d’informations concernant l’appartenance sociale d’un certain nombre de religieuses sans diplôme, y compris des sœurs hospitalières, telles Rachel Blum (Sr. Me Adelaïde), Henriette Morelle (Sr. Me Henriette), Florentine Doutrelepont (Sr. Me Flore), Alexandrine Beaudran (Sr. Me Agnès), Virginie Sophie Bleton (Sr. Me Honorine), Céleste Piquard (Sr. Me Stanislas II), Eugénie Duber (Sr. Me Hyacinthe) et Françoise Marie Claire Pelouze (Sr. Me Marthe).

  • 85 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 153-155.

45Sans avoir, à leur tour, aucun diplôme, Clémentine Desjardins (Sr. Me Clémentine I) et Julie Ermance Samuel (Sr. Me Madeleine) ont été nommées maîtresses de classe et même directrices de pensionnat dans les années 1850. Je fais l’hypothèse que l’attribution de ces postes est redevable à leur relation personnelle avec Théodore : Clémentine avait dirigé, en 1843, à Rome, pendant quelques années, l’éducation du baron Théodore de Bussières, ami intime de Théodore, et elle seconda celui-ci, en outre, « dans l’instruction chrétienne de Mme Würmser »85. Julie Ermance Samuel faisait partie d’une famille israélite, dont la mère, Sarah Samuel-Picard (Sr. Me Suzanne), convertie par Théodore, entra dans la congrégation et dont le fils, Pe Alphonse Samuel, est aussi devenu prêtre de Sion.

46Quelques sœurs d’origine étrangère établies à Paris et dépourvues de diplômes employaient leurs talents dans l’enseignement de leur langue maternelle, mais également dans les visites aux malades, dans des leçons d’écriture, de dessin, de piano, d’orgue ou de chant. Tel fut le cas de Catherine Antoni (Sr. Me Nazaréna), allemande, maîtresse d’anglais et de musique à Grandbourg ; Julia Radway (Sr. Me Hélène), anglaise, maîtresse d’anglais à Paris ; Me Augustine Bénédick (Sr. Me Barnabé), américaine, chargée des leçons de dessin et d’anglais à Paris ; Me Stéphanie Schaeffer (Sr. Me Joséphine) et Me Claire Dumont (Sr. Me Raphaël), maîtresses de classe, de piano et d’ouvrage à Grandbourg en 1856 ; Hectorine Année (Sr. Me Antoinette), qui a cumulé les fonctions d’infirmière et maîtresse de dessin à Paris et à Grandbourg ; Catherine Christine Badelli (Sr. Me Euphémie) a été maîtresse de dessin à Paris et à Constantinople ; Me Marguerite George (Sr. Me Bernard), Me Stéphanie Valentin (Sr. Me Ambroisine) et Rosine Amélie Duvigneau (Sr. Me Onésime) ont, à leur tour, été chargées des classes de dessin et de grammaire à Paris et à Grandbourg.

La réputation de Sion

47Les écrits de l’époque montrent bien comment Sion acquiert progressivement une réputation de congrégation enseignante et finit par être socialement perçue comme telle. D’abord par les membres de leur propre congrégation :

  • 86 Témoignage de Sr. T., dans Marguerite aron, op. cit., 1936, p. 156-157.

Enseignantes ? Oui, bien sûr, nous le sommes ; en bien de lieux, de bien de personnes, nous ne sommes même connues que comme enseignantes […]. C’est le goût des âmes, le désir de conduire les âmes à Dieu qui a fait de nous des enseignantes86.

  • 87 A.-Thérèse giraud nds, op.cit., p. 8.
  • 88 Supérieure générale de 1950 à 1963.
  • 89 Sœurs Notre-Dame de Sion, Conseil Général du 4/10/1953.

48Jusqu’au XVe Chapitre Général, en 1951, les sœurs éducatrices étaient considérées « comme une branche de la congrégation au même titre que les contemplatives ou les Ancelles »87 – ce qui amènera Sr. Marie Félix88 à dire « qu’il n’y a pas à Sion de sœurs vouées à l’enseignement »89. L’Église et les autres congrégations les perçoivent également ainsi. Différents ordres s’adressent à Sion lorsqu’il s’agit de fonder des écoles pour jeunes filles ou lui transfèrent les œuvres d’enseignement dont ils ne peuvent ou ne veulent plus s’occuper.

  • 90 Sophie stouhlen, op. cit., le 21 octobre 1852.
  • 91 Sœurs Notre-Dame de Sion, IVe Chapitre Général, 1885.

49Il convient de remarquer que, dès le début de son histoire, Sion reprenait les écoles que d’autres congrégations souhaitaient abandonner, comme celles du Marais. Quand Alexis Revenaz, un riche mécène, décide, en 1850, d’offrir sa propriété de Grandbourg « à une communauté enseignante qui eut des garanties de stabilité », il se tourne d’abord vers les Sœurs du Bon Secours. Celles-ci refusent l’offre, en alléguant qu’il n’était pas compatible avec leur charisme de soigner les malades, et l’orientent vers Sion. C’est également à Sion que les Sœurs de Nevers vont repasser leur externat de Saint Merri en 185290. Quand M. Étienne, supérieur des Filles de la Charité, décide de « circonscrire sa congrégation à la sphère qui lui avait été assignée dès l’origine, le soin et l’instruction des pauvres », c’est à Sion en tant que congrégation enseignante qu’il s’adresse pour céder leurs pensionnats de Constantinople et de Smyrne. En 1880, ce sont encore les religieuses de Sion que les Frères des écoles chrétiennes contactent, quand ils apprennent que la ville d’Alexandrie « avait besoin d’un institut pour l’éducation des jeunes filles »91.

  • 92 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 9.
  • 93 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes... t. II, p. 6-7
  • 94 Alphonse Ratisbonne, Lettre à Sr. Louisa, le 9 mai 1847.

50Impossible ne pas remarquer que, tandis que certaines congrégations faisaient un effort de cohérence envers leur charisme original, Sion, vouée à la conversion des juifs, ramassait allègrement toutes ces institutions d’enseignement, sous l’œil bienveillant, voire même à l’incitation du fondateur et de son frère. La remarque consignée dans les Règles92 que « le zèle des religieuses de Sion […] n’a rien d’exclusif » semble être une porte ouverte au détournement de leur mission : Théodore se hâte d’accepter ces offres comme « un don de la Providence ». Bref, les documents même de la congrégation de Sion la définissent d’abord comme une congrégation enseignante et accessoirement apostolique93. En 1847, le Père Marie écrit que « le pensionnat, cette importante entreprise, [est] de la plus haute importance pour le développement de l’œuvre de Sion »94.

  • 95 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 152-153.
  • 96 Sœurs Notre-Dame de Sion, « Rapport de l’API », XIe Chapitre général, 1925, vol. I.

51La réputation de Sion comme congrégation enseignante se répand dans toute l’Europe. Quand il souhaite fonder un pensionnat dans la ville de Worthing (Sussex), Mgr Grant, évêque de Southwark, enjoignit la supérieure de Sion à Londres à ce que, rapidement « un couvent de Notre-Dame de Sion y soit construit, avec son pensionnat et ses écoles »95 – ce qui a été fait en 1862. Même en Amérique Latine, c’est toujours vers Sion en tant que « congrégation enseignante » que les évêques ou les membres des élites locales se dirigent pour demander la fondation d’un pensionnat : au Costa Rica, en 1878-1880 ; au Brésil, en 1888. Quand Théodore dit aux membres de la congrégation que « la mission d’aller aux juifs n’exclut pas l’apostolat des nations », son esprit missionnaire expansionniste le fera « perdre de vue [leur] but primitif », qui ne sera récupéré que dans les années 1960. Si tel n’était pas le cas, Sr. Me Théodorine II, responsable de l’Association de prières pour Israël, ne se verrait pas contrainte à dénoncer « notre peu d’empressement à agir dans le sens des fins principales de notre institut », ce qui provoque « la surprise, sinon le scandale » chez les chrétiens, leur faisant « se demander quel est donc le but de cette congrégation »96.

En guise de conclusion

  • 97 Assemblée Nationale. Chambre des députés ‎(Extraits). Annales, Débats parlementaires, vol. 72, n° 2 (...)
  • 98 Patrick Cabanel, Jean Dominique Durand (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses français (...)
  • 99 Chantal Paisant, De l’exil aux tranchées 1901, 1914-1918. Le témoignage des sœurs. Paris, Karthala, (...)

52La congrégation de Sion cultive ainsi, pendant plus d’un siècle (1843-1960), une réputation de congrégation enseignante. Le statut officiel de congrégation mixte dont elle a bénéficié depuis 1856 lui permettait de combiner l’enseignement à d’autres activités charitables, dites hospitalières, qui requéraient des sorties à l’extérieur. Malgré les débats passionnés à la Chambre des députés, au début du xxe siècle, sur la possibilité de « modifier les statuts des congrégations mixtes, en leur retirant le droit d’enseigner »97, la loi de 1904 « n’a pas remis en cause l’autorisation concernant le secteur hospitalier »98. Ce statut a permis à Sion de continuer à exister en tant que congrégation enseignante entre 1904-1906. Mais ce répit a été de courte durée, Grandbourg a finalement été obligé de fermer ses portes en 190699.

  • 100 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine, le 4 avril 1848.
  • 101 Me Carmelle nds, Théodore Ratisbonne, op. cit., p. 317-318.
  • 102 Sion, Discours de M. Revenaz, le 4 juin 1857.

53La congrégation est restée, en effet, fidèle à son charisme originel pendant ses premières années. Les Sœurs de Sion ont accepté la mission de Thann (1847-1849) pour se rapprocher des juifs et se sont retirées parce que « tout rapprochement avec les juifs […] s’est averé impossible »100. Les raisons qui les ont fait reprendre les écoles du Marais (1849-1853) sont déjà plus ambigües : elles veulent certes se rapprocher des juifs, mais souhaitent également « arracher la classe moyenne des mains des maîtresses mercenaires »101. Néanmoins, aucune motivation liée aux juifs ne les conduit à accepter la donation de Grandbourg : car il s’agissait surtout « d’évangéliser les pauvres et d’améliorer leurs conditions »102.

  • 103 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872.
  • 104 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles écrites de la main de Théodore, 1847.
  • 105 me Benedicta nds, op. cit., t. I, p. 489.

54Tout compte fait, Sion n’a fonctionné comme congrégation mixte que jusqu’en 1872, quand la Règle elle-même a pratiquement empêché les sœurs d’aller vers les juifs, en leur interdisant toute action à l’extérieur103. Et pourtant, la version originale de la Règle104 prévoyait qu’elles devaient « établir des rapports avec les familles juives, pour leur apporter consolation et lumière ». L’enseignement était censé faciliter l’œuvre de conversion, comme dans les écoles du Marais, où le contact avec des familles israélites avait amené de nombreux baptêmes105.

  • 106 Sœurs Notre-Dame de Sion, Livre des inscriptions..., vol. I, 1846-1865.
  • 107 Église catholique. « Constitution dogmatique sur la foi catholique », Premier Concile du Vatican, 3(...)
  • 108 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles..., 1847, p. 9.
  • 109 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 133-134.

55Les sœurs hospitalières vont disparaître à partir de 1865. Je fais l’hypothèse que cette catégorie a duré tant que Théodore pensait que l’Église l’approuvait. Présentes dans le premier volume des Livres des Inscriptions106, leur absence s’y fait sentir après cette date. Même dans cette première période, les sœurs qui s’y consacraient n’étaient pas nombreuses. Nous n’en avons relevé que douze, dont quatre étaient titulaires d’un diplôme du premier degré : Marie Valentin (Sr. Me Électa), Adèle Joachin Boucher (Sr. Me Adèle), Emma Victorine Lachère (Sr. Me Augustine) et Marie Lagarmitte (Sr. Me Jean-Baptiste). Parmi les huit qui n’avaient pas de diplômes figurait Florentine Doutrelepont (Sr. Me Flore), qui s’est chargée jusqu’à sa mort des visites aux malades d’Évry, une des clauses du contrat de donation de Grandbourg. Je fais l’hypothèse que la disparition des sœurs hospitalières obéit à une conjoncture qui touchait particulièrement les congrégations féminines, quand les ultramontains ont instauré au sein de l’Église un climat de lutte contre les libertés modernes, qui aboutit à la convocation du premier Concile du Vatican. Majoritaire, cette tendance réussit à approuver des normes qui renforcent la discipline ecclésiastique107. Fils soumis de l’Église, Théodore va changer sa position du tout au tout. Si pour lui, au départ, ces visites étaient si souhaitables qu’il les a introduites dans la Règle de 1847 – qui disait que « la clôture absolue [n’était] pas compatible avec la vocation des religieuses de Sion » et prévoyait des sorties à l’extérieur, même si cela devait se faire « dans des circonstances exceptionnelles »108 –, en 1872, il insiste assez lourdement pour que « les visites aux malades, pauvres ou riches, doivent être assez rares. […] Les religieuses de Sion ne sortent pas. Il vaut mieux s’assujettir à une petite gêne que d’ouvrir les portes aux abus »109.

  • 110 Angela Xavier de Brito, L’influence française dans la socialisation des élites féminines brésilienn (...)

56Les sœurs se limitent alors à enseigner, tout en priant Dieu pour qu’il hâte la conversion du peuple juif. L’attentisme de la congrégation se manifeste même quand Hitler décrète l’extermination en masse. Seuls de rares membres y font exception. L’apostolat des juifs se limitait presque partout aux membres de l’API. Dans certaines succursales, il se réduisait même à quelques sœurs isolées, à l’instar de Sr. Maurita, professeure de géographie à Rio de Janeiro dans les années 1950-1960, pour qui « l’obligation de faire cours l’éloignait de sa mission principale110 ». La congrégation ne se rapprochera de son charisme originel qu’en 1965, lors du Concile Vatican II.

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Notes

1 Ma José Rosado Nunes, « Freiras no Brasil », dans Mary del priore, Carla bassanezzi (dir.), História das mulheres no Brasil, São Paulo, Contexto, 2009, p. 482.

2 Ana Maria Bidegain, « Una historia silenciada, no reconocida, ignorada, ocultada, invisibilizada. La vida religiosa femenina en la historia brasileña y hispanoamericana », REVER, Revista eletrônica de estudos de religião, vol. 14, n° 2, 2014, p. 13-73. [en ligne : https://revistas.pucsp.br/rever/article/view/21743/16017].

3 Rebecca Rogers, Les bourgeoises au pensionnat. L’éducation féminine au xixe siècle, Rennes, PUR, 2007, p. 179.

4 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Règles, 1863, p. 9.

5 Céline Poynard-Hirsch, Notre-Dame de Sion. Fondations et fermetures, Sion, 2016.

6 Dominique Dinet, « L’éducation des filles de la fin du 18e siècle jusqu’en 1918 », Revue des sciences religieuses, 85/4, 2011 [en ligne : http://rsr.revues.org/1795].

7 Je remercie la congrégation de Notre-Dame de Sion et l’aide compétente de Mme Poynard-Hirsch.

8 me Bénédicta nds, Le Très Révérend Père Marie-Théodore Ratisbonne (1802-1884). Fondateur de la Société des Prêtres de la Congrégation de Notre-Dame de Sion, Paris, Librairie Veuve Ch. Poussielgue, 1905, t. I, p. 477.

9 me Carmelle nds, Théodore Ratisbonne. Correspondance et documents, 1840-1853, Rome, 1977, p. 12

10 Asile fondé par Théodore pour convertir et instruire des fillettes israélites pauvres.

11 Sophie Stouhlen, Journal de Notre-Dame de Sion, 1845-1852, le 21 décembre 1846.

12 Premier Concile Vatican (1869-1870). Constitution dogmatique sur la foi catholique, 3e session, le 24 avril 1870.

13 me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 71.

14 Voir tableau II, p. 13.

15 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Ménologes..., vol. 1, 1853-1909 ; vol. 2, 1909-1919 ; vol. 3, 1919-1925.

16 Jeu de mots avec l’expression anglaise Last but not least.

17 Marguerite Aron, Prêtres et religieuses de Sion, Paris, Bernard Grasset, 1936, p. 80.

18 Dominique Dinet, op.cit. [en ligne : http://rsr.revues.org/1795]

19 Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Article Filles, Paris, Hachette, 1887 Consulté le 9 jan. 2016. URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2730.

20 Enquête nationale sur l’enseignement secondaire des garçons, 1864. Annexe sur les pensionnats de filles, dans Rebecca Rogers, op.cit., p. 179.

21 Me Bénédicta nds, op. cit., t. II, p. 181.

22 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise Catherine Weywada, le 27 août 1837.

23 Les frères Ratisbonne étaient appelés Notre Père (Théodore) et Père Marie (Alphonse).

24 Sophie Stouhlen, op.cit., le 12/02/1847.

25 Me Carmelle nds, op.cit., p. 38.

26 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 88.

27 Rebecca Rogers, op.cit., p. 155.

28 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 83.

29 L’actuel et l’ancien ministres de l’Instruction publique.

30 Me Bénédicta nds, op.cit., t.I, p. 451 ; t. II, p. 84-85

31 Sophie Stouhlen, op.cit.,1845-1852, mai 1847.

32 Me Carmelle nds, op.cit., p. 18-19.

33 France. Legirel CNRS. Législation concernant les activités religieuses et l’organisation des cultes, 2016. Consulté le 26 juin 2016. URL : http://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article477.

34 Il s’agit de la Sacrée Congrégation de la Propagande.

35 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine Weywada, le 9/11/1856.

36 Marguerite Aron, op.cit., p. 81-82.

37 Jean-Baptiste Reutlinger, Notre Dame de Sion et les Juifs. De la conversion à la rencontre, maîtrise, Faculté d’histoire, Univ. Paris I, 2002, p. 36.

38 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 7-8.

39 Céline Poynard-Hirsch, op.cit., 2016.

40 François Delpech, « Notre-Dame de Sion et les juifs. Réflexions sur le Père Théodore Ratisbonne et sur l’évolution de la congrégation de Sion depuis les origines », dans François Delpech, Sur les juifs. Études d’histoire contemporaine, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1983, p. 337.

41 Marcel Bernos, Femmes et gens d’Église dans la France classique xviie-xviiie siècle, Paris, Cerf, 2003, p. 110.

42 Charlotte Klein nds, Da conversão ao diálogo. As irmãs de Sion e os judeus. Um paradigma das relações católico-judaicas ?, São Paulo, polycopié, s/d., p. 6.

43 Notre-Dame de Sion, Sœurs, Ménologes..., vol. 1, 1853-1909, p. 134.

44 Maria Alzira Colombo, « A relação da congregação de Notre-Dame de Sion com seu carisma. Do antissemitismo teológico a uma relação de estima e respeito para com os judeus ». Revista Brasileira de História da Educação, vol. 15, n° 3, set.-dez. 2015, p. 145.

45 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine Weywada, le 4 avr. 1848.

46 Me Carmelle nds, op.cit., p. 317.

47 Sœurs Notre-Dame de Sion, Journal de l’externat Saint Michel, le 24 sept. 1849, le 8 juin 1850.

48 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 489.

49 Théodore Ratisbonne, Lettre à Rose Valentin, le 18 sept. 1849.

50 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 7.

51 Jean-Baptiste Reutlinger, op.cit., p. 55.

52 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 87 ; p. 85.

53 André Chervel, Marie-Madeleine Compère, « Les humanités dans l’histoire de l’enseignement français », Histoire de l’éducation, 74-1, 1997, p. 25.

54 Sœurs Notre-Dame de Sion, Organisation des classes et des études, 1872.

55 Sophie Stouhlen, op.cit., le 21 juin 1851. 

56 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 87.

57 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 166.

58 Sœurs Notre-Dame de Sion, Lettres sioniennes de Grandbourg, vol. II (1880-1886).

59 Céline Poynard-Hirsch, op.cit., 2016.

60 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 320.

61 Théodore Ratisbonne, « Préface », Manuel de la Mère Chrétienne. Paris, Olmer, 1859.

62 Me Bénédicta nds, op.cit., t. I, p. 267.

63 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 9.

64 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise Catherine Weywada, le 27 août 1837.

65 Olry Terquem, La vérité israélite, 1861.

66 Me bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 88 ; t. I, p. 517-518.

67 Il s’agit de Sr. Me Louise, Sr. Me Rose, Sr. Me Paul, Sr. Me Laure et Sr. Me Gonzalès.

68 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 30.

69 Sœurs Notre-Dame de Sion, III Chapitre Général, 1878, s.p.

70 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 30.

71 A.-Thérèse giraud nds, Histoire des Chapitres Généraux, Lyon, Atelier audiovisuel de N.-D. de Sion, 1999.

72 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 7-8 ; p. 9 ; p. 17-18.

73 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 5 ; p. 44-45 ; p. 30.

74 Rebecca Rogers, op.cit., p. 196.

75 Sœurs Notre-Dame de Sion, Organisation des classes et des études, 1872.

76 Rebecca Rogers, op.cit., p. 197.

77 Sœurs Notre-Dame de sion, Ménologes..., vol. 1, p. 202.

78 Sœurs Notre-Dame de Sion, « Rapport de l’API », XI Chapitre Général, 1925, vol. II.

79 Emmanuel Bousson de Mairet, Annales historiques et chronologiques de la ville d’Arbois, départ. du Jura, depuis son origine jusqu’en 1830, Arbois, Imprimerie de Mme Javel, 1856. [en ligne : https://books.google.fr/books?id=RWE5jvPiOmEC&dq=pensionnat%20d'Arbois&hl=fr&pg=PA18#v=onepage&q&f=false]

80 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. I, p. 133-134.

81 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. I, p. 148-150.

82 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 113.

83 Les élèves du néophytat se partageaient en trois classes : Bethléem, pour les plus jeunes ; Emmaüs, pour les moyennes ; Nazareth, pour les grandes (Bénédicta, op.cit., t. I, p. 574).

84 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 145-146.

85 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes..., vol. 1, p. 153-155.

86 Témoignage de Sr. T., dans Marguerite aron, op. cit., 1936, p. 156-157.

87 A.-Thérèse giraud nds, op.cit., p. 8.

88 Supérieure générale de 1950 à 1963.

89 Sœurs Notre-Dame de Sion, Conseil Général du 4/10/1953.

90 Sophie stouhlen, op. cit., le 21 octobre 1852.

91 Sœurs Notre-Dame de Sion, IVe Chapitre Général, 1885.

92 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles, 1863, p. 9.

93 Sœurs Notre-Dame de Sion, Ménologes... t. II, p. 6-7

94 Alphonse Ratisbonne, Lettre à Sr. Louisa, le 9 mai 1847.

95 Me Bénédicta nds, op.cit., t. II, p. 152-153.

96 Sœurs Notre-Dame de Sion, « Rapport de l’API », XIe Chapitre général, 1925, vol. I.

97 Assemblée Nationale. Chambre des députés ‎(Extraits). Annales, Débats parlementaires, vol. 72, n° 2, Imprimerie du Journal Officiel, 1904, p. 875. Consulté le 26 juin 2016. URL : http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/cb32694473t/date.

98 Patrick Cabanel, Jean Dominique Durand (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Paris, Cerf, 2005, p. 159.

99 Chantal Paisant, De l’exil aux tranchées 1901, 1914-1918. Le témoignage des sœurs. Paris, Karthala, 2014, p. 258.

100 Théodore Ratisbonne, Lettre à Louise-Catherine, le 4 avril 1848.

101 Me Carmelle nds, Théodore Ratisbonne, op. cit., p. 317-318.

102 Sion, Discours de M. Revenaz, le 4 juin 1857.

103 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872.

104 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles écrites de la main de Théodore, 1847.

105 me Benedicta nds, op. cit., t. I, p. 489.

106 Sœurs Notre-Dame de Sion, Livre des inscriptions..., vol. I, 1846-1865.

107 Église catholique. « Constitution dogmatique sur la foi catholique », Premier Concile du Vatican, 3e session, le 24 avril 1870.

108 Sœurs Notre-Dame de Sion, Règles..., 1847, p. 9.

109 Sœurs Notre-Dame de Sion, II Chapitre général, 1872, p. 133-134.

110 Angela Xavier de Brito, L’influence française dans la socialisation des élites féminines brésiliennes. Le Collège Notre-Dame de Sion à Rio de Janeiro, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 206.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Angela Xavier De Brito, « Comment devient-on une congrégation enseignante ? Le cas de Notre-Dame de Sion »Chrétiens et sociétés [En ligne], 25 | 2018, mis en ligne le 09 juin 2022, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4556

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