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Nouvelles recherches sur le catholicisme moderne, dossier coordonné par Bernard Hours

Évangélismes croisés. Réforme épiscopale, renouveau spirituel et construction des frontières religieuses en France et en Italie au xvie siècle

Crossed evangelisms. Episcopal reform, spiritual renewal and the construction of religious borders in France and Italy in the 16th century
Guillaume Alonge
p. 7-30

Résumés

L’article s’intéresse au mouvement de réforme de l’Église qui se développe dans la première partie du XVIe siècle en Europe auquel on a donné le nom d’Évangélisme. Il s’agit d’un vaste champ de comportements qui fut celui d’une partie consistante des hiérarchies catholiques et de bon nombre d’humanistes de l’époque, convaincus de l’exigence d’une réforme radicale de la vie religieuse ancrée sur le rôle des évêques, plutôt que des papes, mais fidèles à une idée non schismatique de l’Église. L’attention se pose notamment sur deux évêques catholiques – le génois Federico Fregoso et le véronais Ludovico di Canossa – tous deux impliqués dans les tentatives de réforme et au centre de réseaux spirituels et politiques à mi-chemin entre la France et l’Italie, entre un catholicisme plus conservateur et la Réforme tolérante de certains humanistes.

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Texte intégral

  • 1 Pierre Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, vol. I-IV, Paris, Hachette, 1905-1935, vol. 3 (...)
  • 2 Thierry Wanegffelen, Ni Rome ni Genève (des fidèles entre deux chaires en France au xvie siecle), P (...)
  • 3 Pour une réflexion sur le terme d’évangélisme voir Guillaume Alonge, « Évangélisme du Seizième sièc (...)

1Depuis un siècle déjà, Pierre Imbart de la Tour a attiré l’attention sur le mouvement de réforme de l’Église interne au catholicisme qui surgit dans la première partie du Seizième siècle, auquel il donna le nom d’Évangélisme1. Il s’agit d’un vaste champ de comportements qui fut celui d’une partie consistante des hiérarchies catholiques et de bon nombre d’humanistes de l’époque, convaincus de l’exigence d’une réforme radicale de la vie religieuse fondée sur le rôle des évêques, plutôt que des papes, mais fidèle à une idée non schismatique de l’Église. Plus récemment Thierry Wanegffelen en reprenant en main le dossier, à propos de ces hommes qui ne se sentaient « ni avec Rome ni avec Genève », a parlé d’un « plat pays de la croyance ». « Un plat pays » situé entre les deux « citadelles confessionnelles » en construction2. Toutefois pendant trente ans, de 1517 à 1547, ces hommes jouèrent un rôle de premier plan et furent des acteurs majeurs de la vie religieuse et politique dans la curie romaine tout comme à la cour du roi de France3.

  • 4 Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi, Alain Tallon (éd.), La Réforme en France et en Italie, Rome (...)

2J’emploie le terme d’« évangélismes croisés » parce que l’idée est non seulement de comparer la manière dont a évolué l’évangélisme dans deux contextes différents, en France et en Italie – piste qui a d’ailleurs déjà été explorée4 –, mais aussi de mettre ces deux histoires parallèles en perspective croisée. Je veux dire par là qu’il me semble intéressant de faire émerger non seulement les ressemblances, qui sont assez évidentes, mais surtout l’existence de contacts, d’échanges, d’influences directes entre les deux contextes.

Federico Fregoso, un cardinal luthérien ?

  • 5 Guillaume Alonge, Condottiero, cardinale, eretico. Federico Fregoso nella crisi politica e religios (...)

3Mon point de départ sera l’étude d’un cas, celui du cardinal génois Federico Fregoso, figure majeure de la vie politique et religieuse du xvie siècle, qui joua un rôle important dans le tissage de liens entre le mouvement de l’évangélisme français et les milieux réformateurs de la péninsule5. La famille Fregoso est une des deux familles les plus en vue de la ville de Gênes : avec leurs rivaux les Adorno, les Fregoso se partagent, pendant des siècles, la charge de doge. Bien évidemment quand ce sont les Adorno qui prennent le pouvoir, l’autre famille est contrainte de quitter la ville et de partir en exil. C’est ce qui se passe quand Federico est tout jeune : à la mort de son père Agostino, qui avait été un « condottiero » au service de la papauté, Federico abandonne sa ville natale avec son frère aîné Ottaviano et sa mère Gentile da Montefeltro. Il s’installe à la cour de son grand-père, le duc d’Urbino Federico da Montefeltro, grand mécénat et parfaite incarnation de ces princes de la Renaissance, passionnés de culture et d’art, qui aiment s’entourer des plus grands artistes de leurs temps. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si Federico porte son nom. J’insiste sur la structure familiale de Fregoso parce qu’il est important de voir comment cette élite aristocratique de la péninsule parvient, par des mariages croisés d’un État à l’autre, à construire et à renforcer non seulement des liens diplomatiques mais également des réseaux de solidarité plus vastes que l’horizon de sa propre ville natale. Grâce au fait qu’ils sont les neveux du duc, Federico et Ottaviano occupent une place à part dans cette petite mais très vivante cour d’Urbino. À la mort de leur grand-père c’est leur oncle, et demi-frère de leur mère, Guidobaldo da Montefeltro, qui prend le relais et devient le nouveau duc. Ce changement n’implique finalement aucun bouleversement majeur pour les Fregoso, qui restent étroitement liés au pouvoir ducal.

  • 6 Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano, éd. par Walter Barberis, Turin, Einaudi, 2017 ; Fre (...)
  • 7 Christopher S. Celenza, Bridget Pupillo, « La rinascita del dialogo », in Sergio Luzzatto e Gabriel (...)
  • 8 Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano, vol. 3 : L'autore (e i suoi copisti), l'editor, il (...)

4Dans un milieu cultivé et riche en nouveautés culturelles et artistiques, ils reçoivent leur formation militaire, diplomatique et culturelle, côtoyant les illustres représentants de la Renaissance italienne, tels que Baldassar Castiglione, l’auteur du Courtisan, Pietro Bembo, le père de la langue italienne, ou encore le peintre Raphaël. Sur cette période de la vie de Federico les documents traditionnels sont peu nombreux, ce qui n’est pas le cas pour son séjour à Urbino, sur lequel les témoignages littéraires abondent. Le plus important d’entre eux est justement le Livre du Courtisan de Castiglione, dans lequel Federico et son frère Ottaviano figurent parmi les personnages principaux6. Castiglione les choisit en effet comme interlocuteurs de son dialogue. Bien évidemment il s’agit d’une fiction littéraire, mais, comme c’est souvent le cas au xvie siècle et notamment dans l’œuvre de Castiglione, le « personnage en papier » montre plusieurs affinités avec son double « en chair »7. En travaillant sur le texte de Castiglione, et sur ses différentes versions – le Courtisan fut en effet réécrit trois-quatre fois pendant vingt ans, à partir de 1509 jusqu’à sa publication en 1528 à Venise – on s’aperçoit que les caractères des personnages évoluent parallèlement à l’évolution de leur statut social et politique8. Il y a donc dans l’œuvre de Castiglione un souci de vraisemblance et une attention particulière à faire correspondre les personnages littéraires avec leur double réel. Il faut également remarquer que le choix de Castiglione de mettre en scène les deux frères Fregoso plutôt que d’autres courtisans d’Urbino nous donne une idée de l’importance et de la considération sociale dont Federico et Ottaviano pouvaient jouir dans cette cour et plus en général dans l’élite culturelle et politique de la péninsule.

  • 9 Carlo Dionisotti, « Chierici e laici », in Id., Geografia e storia della letteratura italiana, Turi (...)

5Malgré sa taille modeste, Urbino est une cour stratégique au sens où elle dépend directement du pouvoir pontifical, non seulement pour son lien féodal avec Rome ou sa proximité géographique avec la ville éternelle mais surtout pour le lien de sang qui relie le pape guerrier Jules II au duché. Le frère du pontife romain, Giovanni della Rovere, a épousé la sœur de Gentile, c’est-à-dire Giovanna da Montefeltro, fille elle aussi, mais légitime dans son cas, du duc Federico. De cette union est né en 1490 Francesco Maria della Rovere, le neveu du duc Guidobaldo, qui à cause de l’absence d’héritiers directs est choisi comme successeur au trône : c’est Francesco Maria, un cousin de Federico et Ottaviano, qui devient en 1508 le nouveau duc d’Urbino. S’instaure à partir de ce moment-là un lien direct entre Rome et Urbino : Jules II est en effet l’oncle de Francesco Maria. Cette saga familiale nous aide à comprendre l’itinéraire biographique de Fregoso, qui correspond d’ailleurs à celui de bon nombre d’hommes de sa génération. Federico et cette « génération du Courtisan » quittent les États régionaux de la péninsule et se dirigent vers le centre de la Chrétienté, Rome, désormais le seul lieu de pouvoir – avec Venise – encore capable de garder une autonomie et une certaine initiative politique vis-à-vis des grandes monarchies européennes, qui depuis quelques années déjà ont fait de l’Italie leur terrain de chasse préféré9.

6Vers 1507, Fregoso se rend à Rome, où le pape Jules II le nomme évêque de Salerne et de Gubbio et recourt à lui pour de délicates missions diplomatiques ; il est à cette époque l’incarnation du prélat de la Renaissance, intéressé par les enjeux politiques, les études littéraires, l’art (c’est lui qui accueille dans son palais romain Raphaël) et sensible aux joies sensuelles, mais beaucoup moins à son rôle de pasteur d’âmes. À cause de sa proximité avec le parti du roi de France, les Espagnols l’empêchent de se rendre dans son diocèse de Salerne, dans le Royaume de Naples ; il demande toutefois à ses vicaires sur place d’accomplir une visite pastorale en 1511. C’est, à cette date, le seul indice d’une quelque forme de préoccupation spirituelle le concernant. En 1513, après l’échec de plusieurs tentatives, son frère Ottaviano parvient à reprendre le pouvoir dans sa ville natale, Gênes, dont il devient le doge. Federico décide alors de quitter Rome pour aider son frère dans cette nouvelle aventure politique. De fait Federico devient l’alter ego de son frère et pendant presque dix ans il jouera un rôle de premier plan dans l’administration de la République ligurienne. En 1516 il participera même à une grande expédition navale, à la tête d’une flotte pontificale, génoise et française, contre les pirates qui infestent la Méditerranée et qui empêchent la circulation du commerce. Nous sommes donc face à un archevêque guerrier, qui, tout comme son premier protecteur le pape Jules II, ne dédaigne pas d’endosser une armure, d’avoir dans une main la croix du Christ et dans l’autre une épée.

  • 10 Sur l’emprisonnement et la mort d’Ottaviano voir Guillaume Alonge, « Il testamento di Ottaviano Fre (...)

7Les Fregoso conduisent une politique d’autonomie à l’égard des autres puissances italiennes et s’éloignent du pape Léon X, bien que celui-ci ait joué un rôle déterminant dans leur retour à Gênes. En 1515 ils décident même de bouleverser le système des alliances, d’abandonner le lien privilégié avec Rome, Milan et le roi d’Espagne, et s’accordent avec François Ier : à partir de ce moment-là leur destin sera lié pour toujours à celui du Royaume de France. Ottaviano renonce à sa charge de doge pour devenir « gouverneur de Gênes » au nom du jeune souverain Valois. En effet quand les troupes impériales conquièrent et pillent la ville en 1522 c’est à la cour du roi que Federico Fregoso se réfugie. Ottaviano au contraire est fait prisonnier : il mourra en 1524 après deux ans de détention dans la forteresse d’Ischia10. Pour l’archevêque de Salerne, c’est le début d’un exil qui durera sept ans et qui représentera un tournant décisif dans sa trajectoire biographique. Federico s’engage encore pendant quelques temps avec les partisans de sa faction, aux côtés des troupes françaises dans l’espérance de reconquérir sa ville natale. Mais il devra y renoncer : François Ier a désormais d’autres projets pour Gênes et il lui préfèrera des gouverneurs exclusivement français. La fin de toute implication dans les affaires diplomatiques et militaires correspond à un intérêt croissant pour la réflexion religieuse, l’étude des textes sacrés, l’activité pastorale. En effet le roi a nommé Fregoso en 1525 abbé de l’abbaye bénédictine Saint-Bénigne de Dijon. C’est là qu’il décide de se retirer en 1527, après s’être installé longuement à Lyon les années précédentes. À cette date le gentilhomme génois connaît une véritable et profonde crise spirituelle : son abandon de tout intérêt mondain relève sans doute de cet évènement marquant de sa trajectoire biographique. Pour le comprendre il faut s’arrêter un instant sur les fréquentations et sur les lectures qu’il fait dès son arrivée en France, à la cour du roi et dans le milieu lyonnais. Les influences spirituelles auxquelles Fregoso s’expose peuvent se réduire – de manière un peu schématique bien sûr – à trois noms principaux. Jérôme Savonarole, le moine dominicain brulé sur le bûcher à Florence à la fin du xve siècle ; un autre moine, augustin cette fois, Martin Luther, père de la Réforme protestante ; et puis Jacques Lefèvre d’Etaples, l’humaniste chrétien leader intellectuel du cercle évangélique qui s’organise autour de la sœur du roi, Marguerite, duchesse d’Angoulême et plus tard reine de Navarre.

  • 11 Stefano Dall’Aglio, Savonarola in Francia, circolazione di un’eredità politico-religiosa nell’Europ (...)
  • 12 L’intérêt de Fregoso pour Savonarole est d’ailleurs confirmé par une lettre qu’il écrit en 1531, un (...)
  • 13 Guillaume Alonge, « Le “Trattato dell’oratione” du cardinal Federico Fregoso : la genèse lyonnaise (...)

8C’est à Lyon que Fregoso fréquente les fuoriusciti toscans, adversaires des Médicis et disciples de Savonarole dont ils ont hérité l’aspiration à une vie religieuse renouvelée et purifiée et une position politique républicaine. La pensée et les textes du frère dominicain sont diffusés dans le Royaume par des imprimeurs et par des gentilshommes, tels que Battista della Palla, qui les fait connaitre à la sœur de François Ier, Marguerite, dès 152111. Dans cette dynamique de circulation européenne de sensibilités religieuses réformatrices, un rôle capital est joué par un autre dominicain, le théologien hébraïsant Sante Pagnini, lui aussi disciple de Savonarole. Pagnini s’installe en France, à Avignon et puis à Lyon, à peu près à la même époque que Fregoso. Grâce à l’aide financier de ce dernier, il établit et publie une nouvelle traduction de la Bible à partir du texte hébreux et grec, avec l’objectif déclaré de corriger les erreurs de la Vulgate de Saint-Jérôme. Pagnini devient ainsi un auteur respecté dans les milieux protestants allemands et suisse, sa traduction biblique et ses ouvrages érudits circulent d’une part et d’autre de la frontière confessionnelle. C’est bien Pagnini qui introduit Fregoso à l’étude du grec, et probablement à la lecture des œuvres de Savonarole, notamment à propos de la prière mentale, un thème qui sera au cœur d’un traité du prélat génois12. Dans le Pio et christianissimo trattato dell’oratione, publié posthume une première fois en 1542 à Venise, Fregoso montre de bien connaitre la réflexion du dominicain ferrarais dont il emprunte plusieurs images bibliques, certaines expressions, et dont il reprend la prédilection pour la prière mentale et le mépris pour des pratiques religieuses répétitives et mécaniques. Dans ce même traité on remarque l’influence exercée sur Fregoso par Martin Luther qui est cité à plusieurs reprises. D’ailleurs, dans la maison lyonnaise de Fregoso pendant plusieurs mois est hébergé un partisan luthérien, le flamand Michael Bentin, qui organise avec la collaboration d’Anémond de Coct et de Guillaume Farel un marché clandestin de propagation des pamphlets protestants traduits en français13. Le lien avec Bentin montre l’esprit de tolérance et la curiosité intellectuelle du futur cardinal, et suggère son adhésion à certaines positions théologiques du père de la Réforme, malgré son choix de rester fidèle à l’Église romaine sur le plan ecclésiologique. Bentin tout comme Pagnini étaient en contact avec le réseau de Marguerite de Navarre et Jacques Lefèvre d’Etaples, très influent à la cour de France et répandu un peu partout dans le Royaume. Fregoso aussi se noue d’amitié avec certains membres de ces milieux évangéliques, s’inspire de leur programme réformateur et de leurs vues spirituelles. Grâce à l’appui de Marguerite, plusieurs amis de Fregoso font une carrière considérable à la cour de France, comme le démontrent les cas de Giovan Gioachino da Passano, homme de confiance des frères Fregoso et puis ambassadeur du roi à Londres et à Venise. Un autre parcours couronné par le succès est également celui de l’humaniste Benedetto Tagliacarne dit Theocrenus, le secrétaire personnel de Federico, qui devint un précepteur très apprécié à la cour ; c’est à Tagliacarne que François Ier confie l’éducation de ses enfants à partir de 1524.

  • 14 Guillaume Alonge, Nicolas Balzamo, « Savonarole en Picardie. Autour de Girolamo Arsagi (1485-1542)  (...)
  • 15 Richard M. Douglas, Jacopo Sadoleto 1477-1547, Humanist and Reformer, Cambridge, Harvard University (...)

9Ces fréquentations et ces lectures spirituelles au cours du séjour à la cour de France poussent Fregoso à se retirer brusquement de l’activité politique, à renoncer à tout projet de reprendre le contrôle de sa ville natale grâce à l’appui de l’armée royale, et à se consacrer de manière exclusive aux études sacrées. C’est à ce moment de sa trajectoire biographique et au contact des milieux évangéliques français que le prélat génois se forme son idée de réforme de l’institution ecclésiastique. Dans le royaume de France il découvre un épiscopat, autonome du pouvoir de la papauté romaine et soutenu par l’autorité royale, qui envisage un radical effort de renouveau de la vie spirituelle des clercs et des fidèles laïques. Grâce au réseau de prédicateurs et d’imprimeurs dont s’entoure Marguerite de Navarre, il approfondie la connaissance des positions luthériennes, prend conscience de la nécessité de mettre fin aux abus disciplinaires et aux dérives théologiques de la curie romaine, et se plonge dans l’étude de la Bible en grec et en hébreu. Les deux acquisitions principales de son séjour français sont sur le plan de la doctrine la conviction de la centralité de la grâce de Dieu et l’inutilité des œuvres humaines dans le procès de salut de l’âme ; sur le plan ecclésiologique le rôle d’une reformatio in membris, qui parte de l’élan réformateur des évêques plutôt que du centre romain. Grâce à son prestige politique, social et culturel Fregoso devient un exemple et un modèle dont s’inspirent d’autres prélats italiens à la cour, comme ce fut le cas pour Girolamo Arsago, lui aussi savonarolien et évêque réformateur de Nice, proche des milieux évangéliques14. Mais certainement l’homme le plus étroitement lié à Fregoso fut l’évêque de Carpentras Jacques Sadolet, qui après avoir quitté Rome quelques mois à peine avant le sac de 1527, entreprend un parcours de réorientation de ses intérêts. Sous l’influence de l’ami génois auquel il était lié par des sentiments d’amitiés dès le début du siècle, et qui l’avait accueilli dans sa résidence romaine pendant le pontificat de Jules II, Sadolet commence à s’intéresser à l’étude des Psaumes et à l’exégèse biblique ; à partir de son séjour à Carpentras il adhère aussi à cette réforme de l’Église menée par les évêques et devient un acteur majeur du dialogue européen interconfessionnel, à la recherche d’un compromis avec les protestants15.

  • 16 Sur la notion contestée de réforme catholique voir Massimo Firpo, « Rethinking “Catholic Reform” an (...)
  • 17 Sur le réseau de Marguerite et de Lefèvre voir l’excellent travail de Jonathan A. Reid, King’s sist (...)
  • 18 Paul V. Murphy, Ruling Peacefully: cardinal Ercole Gonzaga and Patrician Reform in Sixteenth-Centur (...)

10La période française de Fregoso se termine à la fin des années vingt. En 1529, à l’occasion de la mort de sa mère Gentile da Montefeltro, Fregoso décide de quitter l’abbaye de Dijon, revient en Italie et s’installe à Gubbio, le diocèse dont il est l’évêque depuis plusieurs décennies et dans lequel jusqu’à cette date il ne s’était jamais rendu. Gubbio est un endroit qui lui convient d’autant plus que la petite ville d’Ombrie se trouve à l’intérieur du duché d’Urbino, sous le contrôle politique de ses anciens maîtres, le duc Francesco Maria della Rovere et sa femme Eleonora Gonzaga, issue de la puissante famille de Mantoue et sœur du cardinal Ercole Gonzaga. Avec le soutien politique des ducs, Fregoso s’engage alors dans une sérieuse tentative de réforme de son diocèse ; il remet de l’ordre dans les monastères, il rétablit l’autorité de l’évêque, il choisit personnellement les prédicateurs, entreprend des visites pastorales, publie des statuts synodaux. Cette fervente activité de zélé pasteur pré-tridentin l’occupe pendant toutes les années trente. Mais ce serait une erreur que de voir dans le cas de Fregoso l’exemple d’une réforme diocésaine anticipatrice de ce qu’on appelle généralement – de manière pas suffisamment réfléchie – la « réforme catholique » post-tridentine16. Les choses se présentent de manière un peu plus complexe. En effet le contenu doctrinal de l’activité de Fregoso relève d’une sensibilité religieuse évangélique, inspirée de l’exemple d’évêques comme Briçonnet qu’il avait fréquentés dans le cercle de Marguerite. Pour bien des aspects Fregoso partage les vues des réformés, notamment pour ce qui concerne la justification par la foi seule, l’inutilité des œuvres humaines, la nécessité de simplifier la liturgie et le culte, la valorisation du Christ comme unique intermédiaire entre la terre et le ciel, l’exigence de rendre accessible à tous les fidèles, même les moins instruits, la Parole de Dieu par la divulgation de traductions des Évangiles et des lettres de Saint Paul. Fregoso met en œuvre dans un contexte circonscrit ce qu’avait été le projet de Lefèvre et de ses disciples dix ans plutôt17. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans la péninsule. Bientôt un réseau d’évêque réformateurs se met en place dans le centre-Nord de l’Italie, dont les principaux pôles sont Mantoue, où l’évêque est le cardinal Ercole Gonzaga qui est en même temps un des membres de premier plan de la famille au pouvoir ; et Vérone où agit l’ancien dataire de Clement VII, Gian Matteo Giberti, inspiré lui aussi par le modèle français18.

  • 19 Gigliola Fragnito, Gasparo Contarini: un magistrato veneziano al servizio della cristianità, Floren (...)
  • 20 Gigliola Fragnito, Il cardinale Gregorio Cortese nella crisi religiosa del Cinquecento, « Benedicti (...)
  • 21 Andrea Vanni, ‘Fare diligente inquisitione’: Gian Piero Carafa e le origini dei chierici regolari t (...)

11L’idéal réformateur de ces évêques italiens est renforcé à partir de la moitié des années trente par la politique curiale du nouveau pape Paul III Farnèse, qui appelle à ses côtés le vénitien Gasparo Contarini, nommé cardinal en 1535. Contarini devient le membre le plus influent de la curie pendant quelques années et c’est lui qui essaie d’orienter la papauté vers un parcours de réformes internes qui rende possible une réconciliation avec le monde protestant19. Le puissant cardinal vénitien s’appuie donc sur l’activité et sur l’expérience concrète d’évêques comme Fregoso. Celui-ci est convoqué à Rome en 1536 pour prendre part à une commission réformatrice préparatoire en vue de la convocation du Concile. Et là il retrouve de vieux amis comme Jacques Sadolet et Gregorio Cortese, un moine bénédictin par la suite nommé à la tête de son ordre20. Mais également les partisans d’un autre type de réforme, que l’on peut déjà qualifier par le terme – tant contesté mais à mon sens toujours efficace – de « Contre-Réforme » : dans la commission siègent en effet Girolamo Aleandro et Gian Pietro Carafa, plus tard pape sous le nom de Paul IV, deux des responsables de la réorganisation de l’Inquisition romaine à partir de 1542 et parmi les plus redoutables et farouches chasseurs d’hérétiques21.

12Contarini voudrait avoir Fregoso en permanence à ses côtés à Rome et c’est pour cette raison qu’il demande au pape de le nommer cardinal en 1536. Mais Fregoso, à la stupeur de ses amis et des hommes de l’époque, refuse cet honneur prétextant de ne pas vouloir compromettre ses efforts de réforme à Gubbio. Mais probablement d’autres raisons aussi le poussent à ce choix : d’abord une hostilité jamais abandonnée envers les prétentions temporelles des papes et peut-être aussi, mais nous en sommes là au champ des hypothèses, des convictions spirituelles qu’il sait à cet époque déjà bien au-delà de l’orthodoxie catholique. Trois ans plus tard, en décembre 1539, Fregoso est contraint d’accepter le cardinalat ; s’il refuse cette fois encore, le pape est prêt à l’excommunier. Contre son gré, il accepte et se rend à Rome pour jouer un rôle politique de premier plan. Il devient l’un des principaux collaborateurs de Contarini, s’engage dans la tentative de réformer l’irréformable milieu de la curie romaine, et il s’expose lors de la diète de Ratisbonne en affichant ses positions théologiques un peu trop proches de celles des réformateurs allemands. Il est alors le seul cardinal à oser défendre publiquement en consistoire l’œuvre de médiation avec les protestants et la courageuse recherche d’un compromis théologique avec eux menées par Contarini en mai 1541. Il s’aperçoit toutefois que tout est déjà joué d’avance : le pape ne veut pas l’accord, et il se prépare à concéder de plus en plus de pouvoirs aux cardinaux conservateurs et intransigeants comme Carafa. Il décide alors de quitter Rome, de revenir à son diocèse, où il meurt quelques jours plus tard, le 22 juillet 1541.

  • 22 Massimo Firpo, Dario Marcatto, I processi inquisitoriali di Pietro Carnesecchi (1555-1567), Cité du (...)

13Le décès de Fregoso coïncide avec un moment décisif de l’histoire de l’Église romaine, quand tout semble encore possible. Sa disparition lui permet de ne pas être mêlé de son vivant à des accusations d’hérésie comme ce sera le cas pour Contarini, et ensuite pour d’autres cardinaux et évêques de son parti tel que Reginald Pole, Giovanni Morone et Vittore Soranzo22. Toutefois le destin de la mémoire spirituelle de Fregoso est bel et bien décidé : ses œuvres seront mises à l’Index, son nom sera considéré « suspecto de fide » à cause de ses fréquentations, notamment de son amitié avec Contarini et avec Bernardino Ochino, le vicaire général des capucins, prédicateur de succès, qui décide en 1542 de ne pas répondre à la convocation des inquisiteurs à Rome et préfère fuir à Genève en apostat. Il ne serait toutefois pas correct de faire le procès posthume des convictions spirituelles de l’évêque de Gubbio ; ce ne serait pas utile non plus. Cela dit, il apparaît incontestable que les propos tenus par Fregoso dans ses écrits l’éloignent du catholicisme romain, au moins du catholicisme tel qu’il s’affirmera après sa mort à l’époque du Concile. Fregoso et ses amis ne se considéraient pas pour autant des hérétiques : pour eux la fidélité à l’Église romaine devait passer forcement par un retour au christianisme des origines, un christianisme dans lequel le pouvoir des papes ne devait et ne pouvait pas s’imposer sur celui des évêques. Dans cette conception que l’on pourrait qualifier un peu rapidement de « gallicane » se résume d’un côté toute la distance entre Fregoso et l’Église de la Contre-Réforme qui est en train de se construire au moment de sa mort, et de l’autre l’apport de l’évangélisme français à sa trajectoire humaine et spirituelle.

Ludovico di Canossa, un ambassadeur évangélique

  • 23 Robert J. Knecht, Un prince de la Renaissance : François Ier et son royaume, Paris, Fayard, 1998, p (...)

14Ludovico di Canossa appartient à une famille issue de la plus ancienne noblesse véronaise. Il reçoit sa formation culturelle et politique dans plusieurs cours de la péninsule, notamment dans celles de Mantoue et d’Urbino, où il se rend pour accompagner la nouvelle duchesse Elisabetta Gonzaga. À Urbino il a l’occasion de côtoyer des hommes dont il restera l’ami pendant tout le reste de sa vie, comme Pietro Bembo, Raphaël, Pietro Dovizi Bibbiena et les frères Fregoso. La fin de l’équilibre entre les États italiens et leur perte d’autonomie politique et militaire à la suite de la descente dans la péninsule des armées espagnoles et françaises poussent Canossa à quitter le petit duché pour tenter sa chance au service du souverain pontife. À partir de 1506 il se rend à Rome où il se fait remarquer par Jules II qui en fait un fidèle collaborateur et le récompense de ses services par la nomination à évêque de Tricarico en 1511. Deux ans plus tard, la mort du pape guerrier lui empêche d’obtenir le titre de cardinal, auquel il aspirait pourtant, mais toutefois ne compromet pas définitivement sa carrière curiale. Le successeur du pape Della Rovere, Léon X, dont le frère Giuliano de’ Medici est un proche de Canossa, le mobilise dans des négociations au plus haut niveau. Au cours de l’été 1514 Canossa est envoyé en France et, puis, en Angleterre en tant que nonce extraordinaire pour favoriser la stipulation d’une trêve entre Louis XII et Henri VIII. La mission du nonce se révèle un succès : négocié par le nonce, l’accord de paix entre les deux princes prévoit le mariage entre le roi de France et la sœur du souverain anglais, Marie Tudor. Ayant démontré toute son habilité, le pape choisit de le laisser en France pour s’assurer de bons rapports avec la couronne française. La mort de Louis XII et l’accession au trône de François Ier au mois de janvier 1515 ne comporte aucune conséquence négative sur sa position à la cour ; très tôt Canossa se noue d’amitié avec Florimond Robertet, secrétaire très influent du roi, et avec Louise de Savoie, la mère du nouveau souverain. Malgré la croissante hostilité entre Léon X et François Ier, résolu à descendre dans le milanais pour récupérer le duché, Canossa jouit encore de l’estime du roi, qu’il accompagne dans sa campagne victorieuse de Marignan pendant l’été 1515. Dans les semaines suivantes il joue d’ailleurs un rôle central dans les négociations qui aboutissent à la rencontre de Bologne entre le pape et le roi, qui, grâce à la médiation du Véronais, finit par accepter d’offrir des conditions de paix moins lourdes que prévues. Le talent politique de Canossa éblouit les observateurs politiques de l’époque, qui lui reconnaissent d’avoir empêché la destruction définitive du pouvoir temporel des papes. Mais au-delà des aspects diplomatiques contingents, c’est sur le plan ecclésiastique que l’intervention de Canossa amorce un changement de longue durée : avec le chancelier Antoine Duprat il négocie la conclusion du concordat qui met fin à la Pragmatique Sanction de Bourges et rétablit les rapports entre l’Église gallicane et le Saint-Siège. Il s’agit d’un tournant décisif pour l’Église française, dont le roi reprend le plein contrôle23.

  • 24 Pierre Bourdon, « Nouvelles recherches sur Ludovico di Canossa, évêque de Bayeux », Bulletin histor (...)
  • 25 Eugene F. Rice (éd.), The Prefatory epistles of Jacques Lefèvre d’Etaples and related texts, New Yo (...)

15L’appréciation dont Canossa jouit à la cour de France ne correspond pas à l’idée qu’on se forme de lui au même moment à Rome. Perçu comme trop proche des intérêts français, on lui reproche aussi son ancienne amitié avec le duc d’Urbino, à partir de 1517 en guerre avec les Médicis. Les rapports de plus en plus tendus avec Léon X, dont Canossa supporte mal la politique de népotisme et le désintérêt affiché pour les questions spirituelles, provoquent en 1517 la révocation de son titre de nonce. La fidélité à la cause française lui vaut toutefois le riche diocèse de Bayeux en Normandie que le roi lui octroie dès 1516, et où il choisit de se retirer l’année suivante. Inspiré du groupe de disciples de Lefèvre d’Etaples auquel appartiennent les frères évêques Guillaume et Denis Briçonnet, Canossa s’engage dans une efficace action de rénovation de son diocèse : il convoque à plusieurs reprises le synode diocésain, il fait personnellement les visites pastorales, et s’efforce de diffuser une spiritualité rénovée par la distribution de quelques volumes imprimés et d’une version mise à jour des statuts synodaux24. Les deux ouvrages qu’il fait réimprimer à ses frais – l’Instruction des curez pour instruire le simple peuple de Jean Gerson et le Speculum curatorum d’Arthur Fillon – sont à la même date diffusés par les autres évêques évangéliques, ce qui montre la participation de Canossa au projet réformateur du clergé gallican25. Bayeux devient donc un laboratoire de réforme de la vie religieuse dans le Royaume quelques années avant Meaux, le diocèse de Guillaume Briçonnet où se retrouveront, à partir de 1521, les membres les plus en vue du mouvement évangélique pour y mener une similaire action pastorale de rénovation spirituelle. Comme plus tard les deux Briçonnet, Gérard Roussel, et d’autres prélats réformateurs, Canossa fait le choix de résider dans sa ville épiscopale pour suivre de près les activités diocésaines et réaffirmer l’autorité de l’évêque vis-à-vis des pouvoirs concurrents des universités et des ordres monastiques. Le Véronais participe d’ailleurs à l’expansion du mouvement évangélique, en contribuant à sa diffusion à la cour de France : proche de Louise de Savoie et de sa fille Marguerite, il joue un rôle de premier plan dans l’établissement d’un lien privilégié entre Lefèvre, Briçonnet et les deux puissantes dames de la cour. Canossa les accompagne à Meaux pendant le mois de septembre de 1521, qui marque le début de la correspondance spirituelle entre l’évêque de Meaux et la sœur du roi. Il s’agit d’un passage fondamental dans l’histoire religieuse du règne de François Ier, à partir duquel les évangéliques pourront compter sur l’influent appui de la duchesse d’Angoulême, bientôt à la tête politique du mouvement.

  • 26 Sur le rôle politique de Louise et sur sa capacité de garder la main sur les carrières des principa (...)
  • 27 Guillaume Alonge, « Au service du roi, au service de l'Évangile », in Cédric Michon et Loris Petris(...)

16Évêque réformateur et membre du réseau évangélique, Canossa reste toutefois d’abord un acteur de la vie diplomatique européenne aux yeux du roi et de la reine-mère, qui décident en 1523 de l’envoyer dans la péninsule s’occuper de leurs affaires. En principe sa mission est de suivre le déroulement du conclave à la mort d’Adrien VI et d’empêcher l’élection d’un pape hostile aux Valois. Le Véronais préfère toutefois se tenir à l’écart de Rome, soucieux des intrigues des agents espagnols, et choisit de se rendre dans sa ville natale, Vérone, et puis à Venise, la seule puissance italienne intéressée aux propositions d’alliance de la monarchie française. Suite à l’élection de Clement VII, il réside pendant presque un an dans la capitale de la chrétienté et parvient à influencer les choix politiques du pape Médicis et de son dataire, Gian Matteo Giberti, qui rapidement passe du camp impérial au camp français. Il s’agit d’un premier pas à l’intérieur d’un plus vaste dessein stratégique de Canossa visant à rétablir le prestige de François Ier dans la péninsule et à sortir les Valois de l’isolement diplomatique qui les entoure depuis Marignan. Le 24 février 1525 la défaite de Pavie et la captivité du roi qui en suit semblent ruiner les efforts du Véronais. Mais, contre toute attente, la disparition d’une partie consistante de la classe dirigeante du royaume offre à Canossa et à d’autres conseillers du roi tels que Giovan Gioachino da Passano une possibilité inattendue de faire carrière au sein des hiérarchies françaises et d’occuper des postes à très haute responsabilité, malgré leur nationalité étrangère. Louise et Robertet, qui pendant plusieurs mois gèrent directement le pouvoir monarchique26, confient à Canossa la direction de la politique italienne de la couronne. Il est nommé officiellement ambassadeur du roi auprès de la République de Venise, et ses conseils diplomatiques sont écoutés avec la plus grande attention. Le dessein politique de Canossa repose sur la nécessité d’un rapprochement entre la monarchie française, les États italiens et l’Angleterre d’Henri VIII dans une perspective d’opposition frontale à Charles Quint. Fondamentale est de rallier à la couronne Venise et Rome, capables de faire basculer l’équilibre des forces dans la péninsule. La frénétique activité et les multiples contacts de l’ambassadeur véronais dans les principales cours italiennes, de Ferrare à Mantoue, d’Urbino à Rome, aboutissent à un résultat concret, la formation de la ligue de Cognac en 1526, qui permet d’isoler l’empereur dans la péninsule et l’oblige à redimensionner ses ambitions. L’axe fondamental sur lequel repose la construction d’une alliance franco-italienne est le lien d’amitié et l’étroite collaboration entre Canossa et Giberti, qui de fait gère personnellement la diplomatie pontificale. Il est important de préciser toutefois que les deux hommes jouent un double jeu, au sens où, en dépit de la fidélité politique à la couronne française, ils ne cessent de poursuivre l’ambitieux programme de la « libertà d’Italia ». Le rêve qui avait été au cœur de l’activité diplomatique et militaire de leur premier protecteur, le pape Jules II, reste bien ancré dans l’esprit de Giberti, de Canossa et d’une partie consistante de l’aristocratie italienne, qui encore pendant les années vingt du Seizième siècle aspire à la restauration de l’autonomie politique des États de la péninsule, grâce au maintien d’un équilibre entre les influences espagnoles et françaises27.

  • 28 Un témoignage d’un agent du pape en France confirme l’inquiétude suscitée par la nouvelle commissio (...)

17Une telle attitude ambiguë rend le roi soupçonneux et réticent à adhérer pleinement au dessein d’alliance franco-italienne proposée par son ambassadeur. D’ailleurs des hommes très influents à la cour de France tels que Montmorency et Duprat sont, à l’opposé, les partisans d’un accord avec l’empereur, dans la perspective d’un partage de l’Italie entre les deux grandes puissances et de la construction d’une alliance militaire franco-impériale pour faire front commun à la menace des protestants et des Turcs. La fracture dans le conseil royal est flagrante et ne fait que reproduire une opposition de nature religieuse entre les deux camps, les évangéliques d’un côté et les conservateurs de l’autre. Pendant qu’il est représentant du roi à Venise, Canossa ne cesse de se mêler aux luttes internes à la cour, comme le prouve sa participation en 1527 à une commission de juges délégués chargés de s’occuper de la répression de l’hérésie. Il s’agit en fait d’une nouvelle commission voulue par Marguerite de Navarre pour limiter le pouvoir des théologiens de la Sorbonne, considérés trop sévères à l’égard des prédicateurs du réseau évangélique. L’action de Canossa et de ses collègues vise en effet à assurer l’impunité aux collaborateurs évangéliques les plus exposés et à apaiser les tensions religieuses au sein de l’élite du royaume28. Le Véronais grâce à ses compétences en droit canonique et à ses liens avec les milieux intellectuels de la péninsule joue un rôle important également dans le recueil d’avis favorables au divorce d’Henri VIII. Ses multiples activités s’inscrivent à l’intérieur d’un projet plus vaste, orchestré par Marguerite et par les frères Du Bellay, visant à la construction d’une alliance du roi avec l’Angleterre schismatique, les États italiens, les princes protestants, et l’Empire ottoman.

  • 29 Cédric Michon, La crosse et le sceptre. Les prélats d’État sous François Ier et Henri VIII, Paris, (...)
  • 30 Adriano Prosperi, Tra evangelismo e Controriforma : Gian Matteo Giberti, 1495-1543, Rome, Edizioni (...)
  • 31 Ce nœud historique décisif a été pratiquement ignoré par toutes les interventions lors d’un colloqu (...)
  • 32 Pour une démonstration détaillée de l’influence de Canossa sur les choix pastoraux de Giberti voir (...)
  • 33 Lucien Febvre, Idée d’une recherche d’histoire comparée : le cas Briçonnet, in Au cœur religieux du (...)

18Le sac de Rome en 1527 marque l’écroulement du dessein de la Ligue de Cognac et la fin des ambitions politiques de Giberti et de Canossa. Déçu, fatigué, désabusé, le Véronais demande à plusieurs reprises de pouvoir quitter Venise, où il se sent désormais inutile, et de revenir en France s’occuper personnellement de son diocèse normand. Le cas de Canossa se présente comme d’autant plus intéressant que le Véronais – véritable «prélat d’État», selon la convaincante définition de Cédric Michon29 – partageait ses journées, visiblement bien remplies, entre l’activité diplomatique et l’activité pastorale. Pendant son long séjour à Venise il garde un contact épistolaire constant avec son vicaire à Bayeux : sa correspondance nous montre un Canossa attentif aux détails de l’organisation de son diocèse, soucieux du choix des prêtres et des prédicateurs, scrupuleux dans la défense de son autorité vis-à-vis des ingérences des Parlements et des ordres monastiques. Parallèlement il s’occupe d’un autre diocèse, celui de sa ville natale, Vérone : sa résidence de campagne et de famille, où il se retire fréquemment, se trouve au Grezzano, dans la campagne véronaise. Depuis son palais il suit de près l’activité des collaborateurs diocésains de son ami Gian Matteo Giberti, évêque de Vérone. C’est Canossa qui, fort de son expérience à Bayeux et de ses relations véronaises, met en place la réforme du diocèse entre 1526 et 1528. Quand Giberti vient y résider, Canossa reste à ses côtés comme principal conseiller, et dirige ses choix spirituels et pastoraux. La Vérone de Giberti est considérée traditionnellement par les historiens comme le laboratoire d’une réforme épiscopale, qui servirait, plus tard, de modèle aux pères tridentins. Le dataire de Clément VII décide après le sac de Rome de 1527 d’abandonner la vie politique et, un peu comme Fregoso, de se consacrer exclusivement à la vie religieuse. Il choisit de résider de manière permanente dans son diocèse, où il implante une réforme qui ressemble par bien des aspects à celle de l’évangélisme français. C’est un cas toutefois isolé dans la péninsule et les historiens qui se sont penchés sur l’affaire ne semblent pas avoir suffisamment réfléchi aux origines, aux modèles, aux exemples que Giberti a devant lui. De la curie au siège épiscopal de Vérone le passage n’a pu être immédiat. Adriano Prosperi, qui a consacré il y a quarante ans une étude détaillée à Giberti, hésite, ne nous fournit pas de réponses convaincantes, et finit même par indiquer l’inspirateur de son activité réformatrice en Gian Pietro Carafa, quelqu’un qui déjà à cette époque avait une toute autre idée de la manière de conduire le renouveau de la foi catholique30. Ce qui a été jusqu’ici sous-estimé et qui mérite au contraire d’être mis en valeur est l’influence décisive de l’évangélisme français sur l’engagement réformateur de Giberti31. Le personnage clef qui permet de faire le lien entre le contexte français et Vérone est justement Canossa, qui fut – nous l’avons vu – parmi les collaborateurs de la première heure de l’entourage de Lefèvre et de Briçonnet et parmi les premiers à mettre en pratique le modèle de réforme diocésaine à Bayeux32. Il est donc possible dorénavant d’établir un lien entre le modèle fabriste et le modèle véronais, un lien que Lucien Febvre avait deviné mais sans en apporter les preuves33. Ce qui apparaît intéressant est la circulation d’hommes, d’idées, de modèles réformateurs et de livres à travers le continent, d’un espace diocésain à l’autre, en dépit de frontières culturelles ou linguistiques. C’est en effet Canossa qui choisit les prédicateurs et les vicaires pour son ami Giberti, c’est toujours Canossa qui suggère des solutions pour la restauration des monastères féminins ou pour la construction d’un système public de charité ; c’est sans doute encore Canossa qui indique la voie d’une réforme évangélique, modérée dans les tons, centrée sur le prêche de la Parole de Dieu, tolérante à l’égard des pécheurs et des hérétiques, toujours disponible au dialogue avec le monde protestant. Quand on confronte les ouvrages de prière ou d’endoctrinement spirituel imprimés à Vérone par Giberti au cours des années Trente et les textes produits en France dix ans auparavant on ne peut que constater les ressemblances entre les deux projets réformateurs et entre les stratégies employées.

Un évangélisme à l’échelle européenne

19Comme le démontrent les trajectoires biographiques de Fregoso et de Canossa, les échanges culturels et religieux ne sont pas des réalités abstraites, ils se font au travers de personnes, de livres, de lieux concrets et identifiables. Canossa et Fregoso sont deux médiateurs, deux passeurs entre la France et l’Italie. À leurs côtés on retrouve les figures de certains grands aristocrates, représentants de renom de cette « génération du Courtisan », qui pour des raisons politiques passèrent une partie de leur vie en terre française. Le séjour transalpin devint l’occasion d’un tournant spirituel pour ces hommes d’Église qui, une fois les circuits politiques et diplomatiques abandonnés, mûrirent – au contact des milieux du réformisme des évêques français et, plus généralement, de l’évangélisme de matrice fabriste – une sensibilité réformatrice renouvelée, ouverte pour beaucoup d’aspects aux exigences posées pas Luther, bien que dans le cadre d’une fidélité à l’institution ecclésiastique. Quand par la suite, à partir de la deuxième moitié des années 20, ces hommes retournèrent en Italie, ils devinrent les agents de la médiation de ces suggestions spirituelles inédites, en tentant de donner vie – aussi bien dans leur propre diocèse que, plus tard, en tant que cardinaux, à l’époque du pape Paul III (c’est le cas de Fregoso, mais aussi de Sadolet et de Cortese) – à un programme réformateur, capable d’assurer l’unité religieuse de la chrétienté.

  • 34 Guillaume Alonge, « Evangelismo ed eterodossia nella diplomazia franco-turca di Francesco I », Méla (...)
  • 35 Anna Bettoni, « Duplessis-Mornay et la “famille” de l’ambassade d’Arnaud Du Ferrier à Venise », Alb (...)

20En dehors des espaces diocésains, sur lesquels ces pages se focalisent, il existe d’autres espaces encore d’interaction entre la France et l’Italie, qui mériteraient chacun une étude approfondie. L’ambassade française à Venise est un lieu clef de la diplomatie du roi dans la péninsule mais également un laboratoire culturel et religieux : on peut y rencontrer des théologiens, des experts du judaïsme, des humanistes fascinés par la cabale, des passionnés de l’Antiquité grecque, des lettrés, des espions et des prédicateurs en odeur d’hérésie. Tout au long du xvie siècle se succèdent des « ambassadeurs évangéliques » de François Ier, d’Henri II et de Catherine de Médicis, presque toujours issus du cercle de Marguerite de Navarre, étroitement liés aux milieux hétérodoxes italiens et critiques envers la papauté. Autour de diplomates expérimentés comme Ludovico di Canossa, Lazare de Baïf, Georges de Selve, Guillaume Pellicier, Arnauld Du Ferrier, Paul de Foix, l’on retrouve également des figures moins connues, mais très influentes dans le contexte vénitien, comme Antonio Brucioli, Giovan Gioachino da Passano, les frères Cosimo et Giovan Battista Pallavicini, François Perrot, Pierre Danès. Ces hommes s’occupèrent d’une divulgation systématique du message évangélique auprès des classes les plus humbles de la société à travers la presse et la vulgarisation des textes sacrés, avec un caractère spirituel ressemblant par bien des aspects à celui de Lefèvre34. L’ambassade de Venise devient également un lieu de référence pour les jeunes étudiants français envoyés à l’Université de Padoue pour perfectionner leur formation : avec l’expertise politique et culturelle c’est aussi un ensemble de valeurs spirituelles qui sont transmises à ces hommes, destinés aux plus hautes charges au service de la couronne, comme c’est le cas pour Michel de L’Hôpital et pour Philippe de Mornay35. En déplacement permanent, habitués à traverser continuellement les frontières étatiques, les barrières confessionnelles, les clivages culturels et religieux, ces hommes au service de la couronne furent les acteurs de la circulation européenne des savoirs, des idées, des livres et des objets. Tout comme celle du marchand, du banquier, du fugitif, de l’exilé pour religionis causa, de l’artiste et du voyageur, la figure du diplomate mérite donc le statut de « médiateur culturel », de « filtre humain » des échanges et des rencontres entre différentes traditions, cultures et civilisations dans l’Europe du xvie siècle.

  • 36 Bartolomeo Fontana, Renata di Francia duchessa di Ferrara, sui documenti dell’archivio estense, del (...)
  • 37 Elena Bonora, Giudicare i vescovi, Rome-Bari, Laterza, 2007, p. 196-207. Voir aussi la thèse en cou (...)
  • 38 Guillaume Alonge, Michele Camaioni, « Potere femminile e governo della religione nel Cinquecento. M (...)

21Plus connu des spécialistes est l’espace de la cour de la duchesse de Ferrare, Renée de France, la fille de Louis XII mariée au duc de Ferrare, qui fut un repère d’hérétiques fuyant les persécutions après l’Affaire des Placards36. Il s’agit d’un modèle de communauté de Français évangéliques à l’étranger, contraints d’agir dans un contexte hostile, mais également de nouer des liens avec les milieux hétérodoxes de la péninsule. Il serait important de valoriser les rapports entre Renée et la famille d’Este, notamment le cardinal Ippolito et son entourage (en particulier le poète Ludovico Alamanni), proches de François Ier et de Marguerite de Navarre, et assez tôt inquiétés par des accusations d’hérésie37. Le cas de la duchesse de Ferrare, mais également les exemples de la cour de Mantoue ou d’Urbino, permettent de repenser aux cours princières du xvie siècle comme à des espaces de renouveau spirituel et de construction d’identités religieuses en perpétuelle évolution38.

  • 39 Isidoro Chiari, les frères Folengo, Benedetto Fontanini, Giorgio Siculo, Girolamo Arsago (voir Mass (...)
  • 40 Sur le lien entre Marguerite et les milieux monastiques voir Jean-Marie Le Gall, « Marguerite de Na (...)
  • 41 Adriano Prosperi, L’eresia del libro grande, storia di Giorgio Siculo e della sua setta, Milan, Fel (...)
  • 42 Voir Jean-Marie Le Gall, « Le temps des réformes bénédictines », in AA. VV., Histoire de l'Abbaye d (...)

22Un troisième espace privilégié d’interaction et d’échanges religieux entre la France et l’Italie fut le monastère bénédictin de Saint Honorat sur l’île de Lérins, d’abord pour sa position géographique, au large des côtes de la Provence, mais très proche de la Ligurie. Les moines qui viennent y vivre à partir des premières décennies du xvie appartiennent à la congrégation de Sainte Justine de Padoue et sont menés par l’italien Gregorio Cortese et le français Denis Faucher. Autour de ces deux hommes se forme un groupe de moines intéressés par l’étude des textes sacrés dans les langues originales et engagés dans la lecture des Pères de l’Église. Une attention particulière est portée aux Epîtres de Saint Paul et à la patristique grecque, notamment aux textes de Jean Chrysostome et Grégoire Nanzianzene, que les moines reproduisent en plusieurs exemplaires et qu’ils font ensuite circuler dans les milieux humanistes provençaux et génois. Lérins devient ainsi un centre de rayonnement culturel et de réflexion spirituelle : c’est en effet à l’école de Cortese et de Faucher que se forme toute une génération de bénédictins par la suite très importants dans l’histoire religieuse de la péninsule39. La liberté intellectuelle dont jouissent les moines de Lérins leur permet de développer, à partir d’un sérieux exercice de philologie sacrée, des positions originales et indépendantes, fortement influencées toutefois par le lien étroit avec le réseau évangélique de Marguerite de Navarre et des frères Du Bellay. En effet la réappropriation intellectuelle des Pères se fait en vue du présent : les moines cherchent dans leurs textes une réponse aux doutes et aux angoisses de leur temps. Le cas des Bénédictins permet donc d’enrichir le mouvement évangélique d’un courant monastique : contrairement à Luther ou à Calvin, l’évangélisme ne repousse pas la dimension monastique, dont il n’exige pas la suppression mais plutôt une réforme radicale40. Les Bénédictins joueront dans les années suivantes un rôle important aux côtés des évêques réformateurs et d’autres ordres comme les Augustins de Girolamo Seripando et les Capucins de Bernardino Ochino. Ils seront au premier plan dans les tentatives de dialogue avec le monde protestant, et c’est dans un couvent bénédictin de Sicile que sera écrite une première version du Beneficio di Cristo41. L’ambiance intellectuelle du monastère de Saint Honorat apparaît donc décisive pour l’évolution théologique de Cortese, de Faucher et de leurs disciples42.

  • 43 Naïma Ghermani, « Confession », in Olivier Christin (éd.), Dictionnaire des concepts nomades en sci (...)
  • 44 Sur ces thèmes voir Adriano Prosperi, Tribunali della coscienza, Turin, Einaudi, 1996 ; Thierry Wan (...)

23Le cas de l’évangélisme comme mouvement réellement européen, capable de traverser des frontières confessionnelles et identitaires, nous révèle un Seizième siècle religieux plus dynamique et surprenant par rapport à l’interprétation traditionnelle fondée sur l’opposition entre un Sud catholique et conservateur et un Nord protestant et moderne. La circulation d’idées nouvelles et d’un esprit de renouvellement de la vie spirituelle suit également des trajectoires moins connues, dans la direction Ouest-Est : de l’Espagne des alumbrados à la Naples de Juan de Valdés, mais aussi de Meaux à Vérone. Les hommes et les femmes qui en sont les acteurs se reconnaissent dans un catholicisme pluriel et tolérant, profondément marqué par la leçon de l’Humanisme, ouvert à la confrontation avec l’autre – le protestant, le musulman ou le sauvage – et disponible à une remise en question des doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Leur défaite à la moitié du siècle face à la montée des nouvelles orthodoxies confessionnelles en construction, dans le camp romain tout comme dans celui des nouvelles Églises réformées43, entrainera non seulement une fracture dans la conscience européenne, avec l’interruption des échanges entre dimension religieuse et culturelle, mais aussi de lourdes conséquences sur la manière de croire et de vivre la foi pour les hommes et les femmes de l’époque moderne44.

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Notes

1 Pierre Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, vol. I-IV, Paris, Hachette, 1905-1935, vol. 3, L’Évangélisme (1521-1538).

2 Thierry Wanegffelen, Ni Rome ni Genève (des fidèles entre deux chaires en France au xvie siecle), Paris, Champion, 1997.

3 Pour une réflexion sur le terme d’évangélisme voir Guillaume Alonge, « Évangélisme du Seizième siècle : l’origine d’un catholicisme non tridentin », in Actes du colloque « Modération politique, accommodement religieux », Berne, Peter Lang, à paraître.

4 Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi, Alain Tallon (éd.), La Réforme en France et en Italie, Rome, École Française de Rome, 2007.

5 Guillaume Alonge, Condottiero, cardinale, eretico. Federico Fregoso nella crisi politica e religiosa del Cinquecento, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2017.

6 Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano, éd. par Walter Barberis, Turin, Einaudi, 2017 ; Fregoso est un personnage également à l’intérieur de Pietro Bembo, La prima stesura delle Prose della volgar lingua, éd. par Mirko Tavosanis, Pise, ETS, 2002.

7 Christopher S. Celenza, Bridget Pupillo, « La rinascita del dialogo », in Sergio Luzzatto e Gabriele Pedullà (éd.), Atlante della letteratura italiana, vol. 1, Turin, Einaudi, 2010, p. 341-47 ; Eva Kushner, Le dialogue à la Renaissance : histoire et poétique, Genève, Droz, 2004, p. 8-16, 284-89.

8 Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano, vol. 3 : L'autore (e i suoi copisti), l'editor, il tipografo : come il Cortegiano divenne libro a stampa, Amedeo Quondam (éd.), Rome, Bulzoni, 2016 ; Guillaume Alonge, « La generazione del Cortegiano », in Antonella Romano et Silvia Sebastiani (éd.), La forza delle incertezze. Dialoghi storiografici con Jacques Revel, Bologne, Il Mulino, 2016, p. 141-66.

9 Carlo Dionisotti, « Chierici e laici », in Id., Geografia e storia della letteratura italiana, Turin, Einaudi, 2006, p. 47-73.

10 Sur l’emprisonnement et la mort d’Ottaviano voir Guillaume Alonge, « Il testamento di Ottaviano Fregoso : l’eredità politica e religiosa tra la rivolta popolare e il dominio di Andrea Doria », Società e Storia, CXLII, 2013, p. 617-647.

11 Stefano Dall’Aglio, Savonarola in Francia, circolazione di un’eredità politico-religiosa nell’Europa del Cinquecento, Turin, Aragno, 2006.

12 L’intérêt de Fregoso pour Savonarole est d’ailleurs confirmé par une lettre qu’il écrit en 1531, une fois revenu en Italie : s’adressant à une vieille amie, devenue sa disciple spirituelle, la duchesse d’Urbino Eleonora Gonzaga, il lui suggère la lecture des Prediche de frate Gironimo, qu’il promet de lui envoyer dans les plus brefs délais (Archives d’État de Florence, Ducato di Urbino, cl. I, 266, f. 2r).

13 Guillaume Alonge, « Le “Trattato dell’oratione” du cardinal Federico Fregoso : la genèse lyonnaise d’une œuvre en odeur d’hérésie », in Silvia D’Amico et Susanna Gambino Longo (éd.), Le savoir italien sous les presses lyonnaises à la Renaissance, Genève, Droz, 2017, p. 413-30.

14 Guillaume Alonge, Nicolas Balzamo, « Savonarole en Picardie. Autour de Girolamo Arsagi (1485-1542) », Revue d’Histoire de l’Église de France», à paraitre, p. 27-43.

15 Richard M. Douglas, Jacopo Sadoleto 1477-1547, Humanist and Reformer, Cambridge, Harvard University Press, 1959 ; Marc Vénard, Réforme protestante, Réforme catholique dans la province d’Avignon, Paris, Éditions du Cerf, 1993 ; Id., « Évêques italiens et pastorale dans la France du xvie siècle », in Michele Maccarone et André Vauchez (éd.), Échanges religieux entre la France et l’Italie du Moyen Age à l’époque moderne, Genève, Slaktine, 1987, p. 247-257.

16 Sur la notion contestée de réforme catholique voir Massimo Firpo, « Rethinking “Catholic Reform” and “Counter-Reformation” : What Happened in Early Modern Catholicism – a View from Italy », Journal of Early Modern History, 20, 2016, p. 293-312 ; Marc Vénard, « Réforme, reformation, pré-réforme, contre-réforme… Étude de vocabulaire chez les historiens récents de langue française », in Id., Le catholicisme à l’épreuve dans la France du xvie siècle, Paris, Les Éditions du Cerf, 2000, p. 9-26 ; Jean Delumeau, Thierry Wanegffelen, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 296-99.

17 Sur le réseau de Marguerite et de Lefèvre voir l’excellent travail de Jonathan A. Reid, King’s sister-Queen of dissent : Marguerite of Navarre and her evangelical Network, Boston, Brill, 2009.

18 Paul V. Murphy, Ruling Peacefully: cardinal Ercole Gonzaga and Patrician Reform in Sixteenth-Century Italy, Washington, The Catholic University of America Press, 2007 ; Id., « Between Spirituali and Intransigenti: cardinal Ercole Gonzaga and patrician reform in Sixteenth-Century Italy », The Catholic historical review, LXXXVIII, 2002, p. 457-460 ; Nicola Avanzini, « Tra il cardinale Contarini e Juan de Valdés: la parabola religiosa di Ercole Gonzaga (1535-1542) », Bollettino della Società di Studi valdesi, CXIV, 1997, p. 3‑35.

19 Gigliola Fragnito, Gasparo Contarini: un magistrato veneziano al servizio della cristianità, Florence, Olschki, 1988; Elisabeth G. Gleason, Gasparo Contarini. Venice, Rome, and Reform, Berkeley, University of California Press, 1993.

20 Gigliola Fragnito, Il cardinale Gregorio Cortese nella crisi religiosa del Cinquecento, « Benedictina », XXX, 1983, p. 129-71, 417-59.

21 Andrea Vanni, ‘Fare diligente inquisitione’: Gian Piero Carafa e le origini dei chierici regolari teatini, Rome, Viella, 2010. Sur l’affirmation du parti inquisitorial à l’intérieur de la curie romaine dans les décennies suivantes voir Massimo Firpo, La presa di potere dell’Inquisizione romana, 1550-1553, Roma-Bari, Laterza, 2014.

22 Massimo Firpo, Dario Marcatto, I processi inquisitoriali di Pietro Carnesecchi (1555-1567), Cité du Vatican, Archivio Segreto Vaticano, 2000 ; Id., Il processo inquisitoriale del cardinal Giovanni Morone, nuova edizione critica, voll. I-III, (avec la collaboration de Luca Addante, Guido Mongini e Lorenzo Sinisi), Rome, Libreria editrice vaticana, 2011-2015 ; Massimo Firpo, Sergio Pagano, I processi inquisitoriali di Vittore Soranzo (1550-1558), edizione critica, Cité du Vatican, Archivio Segreto Vaticano, 2004.

23 Robert J. Knecht, Un prince de la Renaissance : François Ier et son royaume, Paris, Fayard, 1998, p. 97-112 ; Alain Tallon, Conscience nationale et sentiment religieux en France au xvie siècle : essai sur la vision gallicane du monde, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 79-136.

24 Pierre Bourdon, « Nouvelles recherches sur Ludovico di Canossa, évêque de Bayeux », Bulletin historique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1911, p. 260-301.

25 Eugene F. Rice (éd.), The Prefatory epistles of Jacques Lefèvre d’Etaples and related texts, New York-London, Columbia University Press, 1972, p. 395-99 ; Marc Vénard, « Obsession sacramentelle ou éducation de la foi ? Le Speculum curatorum d’Artus Fillon », Revue d’Histoire de l’Église de France, 1991, p. 60-69.

26 Sur le rôle politique de Louise et sur sa capacité de garder la main sur les carrières des principaux conseillers du roi voir Robert J. Knecht, « “Notre Trinité !” : François Ier, Louise de Savoie et Marguerite d’Angoulême », in Pascal Brioist, Laure Fagnart, Cédric Michon (éd.), Louise de Savoie, 1476-1531, Tours-Rennes, Presses Universitaires François Rabelais de Tours-Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 93-102 et Cédric Michon, « Le rôle politique de Louise de Savoie (1515-1531) », in Louise de Savoie, 1476-1531, op. cit., p. 103-16.

27 Guillaume Alonge, « Au service du roi, au service de l'Évangile », in Cédric Michon et Loris Petris (éd.), Le cardinal Jean Du Bellay. Diplomatie et culture dans l'Europe de la Renaissance, Tours-Rennes, Presses universitaires François Rabelais de Tours-Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 283-98.

28 Un témoignage d’un agent du pape en France confirme l’inquiétude suscitée par la nouvelle commission dans les milieux conservateurs de la curie et montre à quel point Guillaume Du Bellay était perçu comme une grave menace pour le catholicisme romain : « Notre Seigneur ne se souvient pas depuis combien de temps cette secte cherchait à écarter ces saints juges, et à obtenir ce qu’ils ont fait à présent par le biais du Langey [Guillaume Du Bellay], qui appartient lui aussi à la secte […]. Pardonnez-moi si je meurs de douleur, en observant le grand scandale qui bientôt va se produire ; je vous assure que la cour n’est pas exempte de ces hérésies, et même qu’une partie de cette cour y adhère » (« Non si ricorda Nostro Signore quanto tempo è che questa setta cercava deponere questi santi giudici, e impetrare quello hanno fatto hora col mezzo del Langie [Du Bellay], che è ancora lui della setta […] Perdonatemi ch’io mi creppo di dolore, e vedendo il scandalo grande che presto averrà, che vi dichiaro la corte non essere netta di queste heresie ma una parte inclinarli » ; Lettere de Principi, le quali o si scrivono da principi o a principi o ragionano di principi, Venise, Ziletti, 1581, vol. 2, p. 103v-104v).

29 Cédric Michon, La crosse et le sceptre. Les prélats d’État sous François Ier et Henri VIII, Paris, Tallandier, 2008.

30 Adriano Prosperi, Tra evangelismo e Controriforma : Gian Matteo Giberti, 1495-1543, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 20112, pp. 111-17. Sur l’entourage de Giberti voir le plus récent Paolo Salvetto, Tullio Crispoldi nella crisi religiosa del Cinquecento. Le difficili « pratiche del viver christiano », Brescia, Morcelliana, 2009.

31 Ce nœud historique décisif a été pratiquement ignoré par toutes les interventions lors d’un colloque récemment consacré à Giberti ; Gian Matteo Giberti (1495-1543): atti del Convegno di studi, Marco Agostini, Giovanna Baldissin Molli (éd.), Cittadella, Biblos, 2012.

32 Pour une démonstration détaillée de l’influence de Canossa sur les choix pastoraux de Giberti voir Guillaume Alonge, « Ludovico di Canossa, l’evangelismo francese e la riforma gibertina », Rivista Storica italiana, 126, 2014, p. 5-54.

33 Lucien Febvre, Idée d’une recherche d’histoire comparée : le cas Briçonnet, in Au cœur religieux du xvie siècle, Paris, Librairie générale française, 19832, p. 193-215.

34 Guillaume Alonge, « Evangelismo ed eterodossia nella diplomazia franco-turca di Francesco I », Mélanges de l’École française de Rome - Italie et Méditerranée, modernes et contemporaines, à paraître.

35 Anna Bettoni, « Duplessis-Mornay et la “famille” de l’ambassade d’Arnaud Du Ferrier à Venise », Albineana 18, 2006, p. 380-407. Counter-Reformation

36 Bartolomeo Fontana, Renata di Francia duchessa di Ferrara, sui documenti dell’archivio estense, del mediceo, del Gonzaga e dell’archivio secreto vaticano, 3 vol., Rome, Forzani e C., 1889-1899 ; Charmarie Jenkins Blaisdell, « Politcs and Heresy in Ferrara, 1534-1559 », Sixteenth Century Journal, 6, 1975, p. 67-93. Plus récemment voir Rosanna Gorris Camos, « “Sotto un manto di gigli di Francia”: poésie, allégorie et emblèmes de la dissidence entre Ferrare et Turin », in Anne Rolet (éd.), Allégorie et symbole: voies de dissidence ? De l’Antiquité à la Renaissance, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 439-96 et Eleonora Belligni, Renata di Francia, Turin, Utet, 2009.

37 Elena Bonora, Giudicare i vescovi, Rome-Bari, Laterza, 2007, p. 196-207. Voir aussi la thèse en cours de Jean Sénié sur Les relations des cardinaux d'Este avec la France : entre diplomatie et affirmation de soi (environ 1530-environ 1590), Université Paris-Sorbonne (Paris IV).

38 Guillaume Alonge, Michele Camaioni, « Potere femminile e governo della religione nel Cinquecento. Margherita Paleologo duchessa di Mantova (1510-66) », Rivista Storica italiana, à paraître.

39 Isidoro Chiari, les frères Folengo, Benedetto Fontanini, Giorgio Siculo, Girolamo Arsago (voir Massimo Zaggia, Tra Mantova e la Sicilia nel Cinquecento, Florence, Olschki, 2003).

40 Sur le lien entre Marguerite et les milieux monastiques voir Jean-Marie Le Gall, « Marguerite de Navarre : The reasons for remaining Catholic », in Gary Ferguson et Mary B. McKinley (éd.), A companion to Marguerite de Navarre, Boston-Leiden, Brill, 2013, p. 59-87.

41 Adriano Prosperi, L’eresia del libro grande, storia di Giorgio Siculo e della sua setta, Milan, Feltrinelli, 2000.

42 Voir Jean-Marie Le Gall, « Le temps des réformes bénédictines », in AA. VV., Histoire de l'Abbaye de Lérins, Begrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, ARCCIS, 2005, pp. 320-376 ; Barry Collett, Italian Benedictine Scholars and the Reformation, Oxford, Clarendon Press, 1985.

43 Naïma Ghermani, « Confession », in Olivier Christin (éd.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, tome I, Paris, Éditions Métailié, 2010, p. 117-32.

44 Sur ces thèmes voir Adriano Prosperi, Tribunali della coscienza, Turin, Einaudi, 1996 ; Thierry Wanegffelen, Une difficile fidélité : catholiques malgré le Concile en France. xvie-xvii siècles, Paris, PUF, Paris, 1999 ; Gigliola Fragnito, La Bibbia al rogo, Bologne, Il Mulino, 1997 ; Id., Proibito capire, Bologne, Il Mulino, 2005.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Alonge, « Évangélismes croisés. Réforme épiscopale, renouveau spirituel et construction des frontières religieuses en France et en Italie au xvie siècle »Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 7-30.

Référence électronique

Guillaume Alonge, « Évangélismes croisés. Réforme épiscopale, renouveau spirituel et construction des frontières religieuses en France et en Italie au xvie siècle »Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 14 mai 2018, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4275 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4275

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Auteur

Guillaume Alonge

Centre européen des études républicaines, Paris–PSL

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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