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Approches transnationales du catholicisme contemporain, dossier coordonné par Bruno Dumons

Le ministre du culte au risque des sciences humaines et sociales : Éléments pour une histoire transnationale des « sciences pastorales »

(années 1930-années 1970)
The minister of religion at the risk of the humanities and social sciences : elements for a transnational history of « pastoral sciences » (1930S-1970S)
Agnès Desmazieres
p. 133-145

Résumés

La figure du ministre du culte connaît une mutation profonde au cours du xxe siècle sous l’effet des sciences humaines. L’étude des cas des États-Unis, de la France et des Pays-Bas, examinés dans cet article, montre que ce phénomène revêt une ampleur internationale et touche l’ensemble des confessions judéo-chrétiennes. De manière particulière, l’on voit surgir dans ces pays, selon des orientations propres liées au cadre politico-culturel propre à chaque pays, des « sciences pastorales » qui se donnent pour tâche d’élaborer de nouveaux savoirs et de nouveaux instruments pour aider le ministre du culte, reconfigurant ainsi sa figure et sa mission.

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Texte intégral

  • 1 Marcel Gauchet et Gladys Swain, Dialogue avec l’insensé. Essais d’histoire de la psychiatrie, Paris (...)

1L’émergence, dans les années 1880, des sciences humaines et sociales suscite, comme Marcel Gauchet et Gladys Swain l’ont si justement souligné, un véritable « ébranlement anthropologique »1. Sous l’influence de ces sciences, l’individu se découvre dans sa subjectivité, dans un nouveau rapport à lui-même, mais aussi à autrui, qu’il s’agisse du groupe social ou de Dieu. Cet engendrement du « sujet » moderne ne se réalise pas sans douleur et des résistances se manifestent en particulier de la part des traditions religieuses qui avaient jusqu’alors le monopole sur l’âme.

  • 2 Ann Taves, Fits, Trances, and Visions. Experiencing Religion and Explaining Experience from Wesley (...)

2Loin de seulement remettre en cause le contrôle des religions sur l’individu érigé en « sujet », les nouvelles sciences du sujet individuel et social viennent contester les religions dans leur transcendance même. Alors que la philologie et la critique historique s’investissent dans une lecture séculière des livres sacrés, la sociologie et la psychologie prennent pour objet d’étude l’expérience religieuse, considérée dans sa dimension tant collective qu’individuelle. À la recherche d’une définition scientifique de l’essence de la religion, la première, influencée par les théories de l’évolution, concentre tout d’abord son attention sur les religions primitives, tandis que la seconde se penche sur les phénomènes extraordinaires de la « haute mystique » chrétienne2. Les limites entre profane et sacré ne sont toutefois pas toutes immédiatement tracées et des négociations s’ouvrent prenant des formes très variables selon les contextes religieux, scientifiques et politiques.

  • 3 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, G (...)

3Le ministre du culte représente une figure centrale de cette reconfiguration des rapports entre profane et sacré, entre individualité et altérité. Il est lui-même personnellement affecté, dans sa fonction, par ce changement de paradigme. Sa médiation est encore cruciale pour l’avènement du sujet en contexte religieux. Le champ d’action du « pouvoir pastoral »3 se transforme ainsi en profondeur. La mission du ministre du culte s’élargit. Un nouveau souci (care) pour les préoccupations proprement humaines et sociales des fidèles vient s’ajouter à la traditionnelle cure spirituelle des âmes. Dans le même temps, le « pastorat » tend à se décléricaliser en s’ouvrant aux laïcs et, tout spécialement, aux femmes. Enfin, l’action pastorale se scientifise sous l’effet du développement des sciences humaines et sociales.

4Dans ce contexte, on assiste à l’émergence des « sciences pastorales » qui se donnent pour tâche d’élaborer de nouveaux savoirs et de nouveaux instruments afin d’aider le ministre du culte dans ses nouvelles activités. Ces nouvelles « sciences », qui se distinguent des sciences religieuses, dont elles s’inspirent, par leur démarche explicitement confessionnelle, s’attachent à étudier tant l’environnement socio-culturel de la communauté, objet de l’action pastorale, que son agent principal, le ministre, et la relation pastorale elle-même qui lie le ministre à sa communauté. La figure du ministre du culte, tout à la fois instigateur des recherches en « sciences pastorales », objet de ces études mêmes et responsable de la mise en pratique de leurs enseignements, y joue un rôle de pivot.

5Cette contribution vise à esquisser quelques jalons pour une histoire transnationale des usages religieux des sciences humaines et sociales. Si l’histoire de la sociologie et de la psychologie scientifiques s’est imposée comme un champ de recherches à part entière, l’histoire de leurs applications et de leurs usages a suscité moins d’intérêt du fait de leur caractère engagé et de leur moindre institutionnalisation. Pourtant, une telle étude est une porte d’entrée privilégiée pour l’examen tant des interprétations et usages de la « neutralité » scientifique que du rapport du scientifique à ses convictions économiques, politiques ou, comme ici, religieuses. Cette recherche incite tout particulièrement à repenser les relations entre le scientifique et l’intellectuel, à croiser histoire des sciences et histoire des intellectuels. Elle ouvre des pistes de réflexion pour une étude des usages controversés de la notion de « science » dans les sciences humaines et sociales et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de leurs applications.

De l’impact du cadre politique national sur le développement des « sciences pastorales »

  • 4 Johan Heilbron, Nicolas Guilhot et Laurent Jeanpierre, « Vers une histoire transnationale des scien (...)
  • 5 Des pistes de réflexions particulièrement suggestives ont été proposées à propos du cas néerlandais (...)

6Dans la perspective d’une histoire transnationale des sciences humaines et sociales4, je m’attacherai à examiner, à partir des cas des États-Unis, de la France et des Pays-Bas, comment dynamiques locales, nationales et internationales s’articulent dans le cadre de l’institutionnalisation des « sciences pastorales ». Les États-Unis, la France et les Pays-Bas sont trois États pluriconfessionnels qui ont joué un rôle pionnier dans les recherches de « sciences pastorales ». Le catholicisme, le judaïsme et le protestantisme, religions dominantes dans ces trois pays, s’y sont toutes trois investies dans la confrontation avec les sciences humaines et sociales. Elles ont encore en commun d’y avoir connu une profonde remise en cause de l’identité de leurs ministres du culte, souvent décrite, tant par les médias que par les spécialistes des « sciences pastorales », en termes de « crise ». Ces cas, qui illustrent trois modèles bien distincts de relation entre Églises et État, permettent d’étudier l’impact du cadre politique national sur la formation et l’évolution des « sciences pastorales »5.

7Le modèle de la « religion civile » traduit la prégnance de la religion dans la vie publique américaine. Il révèle encore comment le pluralisme religieux, conçu comme le refus d’une religion établie, et son corollaire, la liberté religieuse, sont constitutifs de l’identité américaine. Les modalités de ce pluralisme ont toutefois évolué au cours du temps. Dominé d’abord par les divers courants du protestantisme, il s’est ensuite ouvert progressivement, au gré des arrivées de migrants européens, au catholicisme et au judaïsme. D’abord minoritaires, ces religions commencent à assumer, après la Seconde Guerre mondiale, le statut de partenaires reconnus.

8La pilarisation des Pays-Bas, dans la deuxième moitié du xixe siècle, reflète, quant à elle, comment des clivages religieux ont contribué à structurer une société toute entière. Le protestantisme perdant ses capacités fédératrices sous les doubles coups des dissidences protestantes et de l’affirmation du catholicisme, la société néerlandaise se refonde autour de quatre piliers (blocs protestant, catholique, socialiste et libéral) qui se constituent en forces politiques et sociales autonomes. Minoritaires et divisés, les juifs échouent à mettre en place leur propre pilier confessionnel et sont condamnés à se rallier aux socialistes ou aux libéraux. Les différents piliers, en se dotant de leurs parti politique, système éducatif (secondaire et universitaire), médias..., exercent une emprise sur l’ensemble de la vie sociale. À partir de 1945, ce contrôle se relâche progressivement au point d’assister, dans les années 1960, à une véritable remise en cause du modèle. La dépilarisation de la société néerlandaise s’accompagne d’une désaffiliation sans précédent des Églises officielles.

9Le modèle français est, lui, caractérisé par une institutionnalisation de la séparation entre Églises et État, consacrée dans la loi de 1905. Le processus de laïcisation, qui se déploie au cours du xixe siècle, vise plus particulièrement le cléricalisme d’une Église catholique majoritaire et bénéficiaire d’une position privilégiée du fait du Concordat. Protestantisme et judaïsme accompagnent par contre activement, selon des modalités variées, ce processus. Le principe de laïcité trouve son application la plus remarquée dans le domaine de l’éducation à partir des lois Ferry de 1881-1882.

La disputée « psychologie » pastorale

10Les vicissitudes de l’expression « pastoral psychology » (« psychologie pastorale »), en persistante concurrence avec celles de « pastoral care » ou de « pastoral counseling », qui n’ont pas leur équivalent en français, éclairent les enjeux scientifiques et religieux sous-jacents à l’étude de la relation qui lie le ministre du culte au fidèle. L’expression « pastoral psychology » met l’accent sur le caractère scientifique des nouvelles disciplines pastorales. La psychologie pastorale est ainsi considérée comme une branche de la psychologie. L’expression « pastoral counseling » renvoie, quant à elle, à une nouvelle approche de la cure d’âme, de type non directif. La psychologie vient ainsi transformer la pratique de la cure d’âme, substituant le conseil ou l’accompagnement pastoral à la traditionnelle direction spirituelle. De manière particulière, l’expression « pastoral care » suggère un élargissement du champ du pastoral, jusque-là centré sur le salut de l’âme spirituelle, au domaine de la santé psychique.

  • 6 Susan E. Myers-Shirk, Helping the Good Shepherd. Pastoral Councelors in a Psychotherapeutic Culture (...)

11Le développement de la psychologie pastorale s’enracine dans une pratique plus ancienne de la psychiatrie pastorale et s’est construite, de manière parfois tumultueuse, en relation avec la médecine. Le pasteur américain Anton Boisen, qu’un séjour dans un hôpital psychiatrique pour des troubles psychotiques a éveillé à la psychiatrie, fait figure de pionnier. En 1930, il cofonde le Council for the Clinical Training of Theological Students, organe pluridisciplinaire chargé de superviser la formation clinique des séminaristes6. Son célèbre ouvrage Exploration of the Inner World (1936) est quasi-contemporain de Pastoraal Psychiatrie (1935), livre d’H. Bless, prêtre néerlandais et aumônier d’hôpital psychiatrique tout comme Boisen.

  • 7 À la mort de Liebman, en 1948, plus d’un million de copies du livre avaient été vendues : Andrew R. (...)

12Autour des années 1940, se dessine une évolution d’une approche médicale de la relation pastorale vers une approche plus psychologique, voire psychanalytique. La contribution du psychologue américain Carl Rogers (1902-1987) est à cet égard déterminante. II exerce une profonde influence sur la jeune psychologie pastorale, non seulement par le biais de ses publications, mais encore de ses enseignements, en particulier à l’Union Theological Seminary de New York. D’obédience presbytérienne, mais ouvert à toutes les confessions, l’Union Theological Seminary promeut un christianisme de type libéral. Susan E. Myers-Shirk, dans son ouvrage Helping the Good Shepherd : Pastoral Councelors in a Psychotherapeutic Culture, 1925-1975 (2009), a d’ailleurs bien montré comment la psychologie pastorale s’est développée aux États-Unis dans le contexte du protestantisme libéral. De même, la nouvelle discipline s’impose de manière pionnière au sein du judaïsme réformé, en particulier grâce à l’ouvrage à succès du rabbin Joshua Loth Liebman, Peace of Mind (1946)7.

13Une telle évolution est révélatrice d’une nouvelle conception de la relation pastorale, où les sciences ne sont pas seulement convoquées pour éclairer le rapport au psychopathologique ou au déviant, mais encore à l’homme normal. Dans cette optique, la formation en psychologie pastorale n’est plus seulement destinée aux aumôniers d’hôpitaux psychiatriques et de prison, mais encore aux pasteurs en charge de paroisse. Dans ce contexte, voient le jour l’Institute of Pastoral Care (1944) et son organe le Journal of Pastoral Care (1947).

  • 8 Paul Tillich, « Why Pastoral Psychology ? An Editorial », Pastoral Psychology, n° 1, 1950, p. 6.

14L’exemple de la revue programmatique Pastoral Psychology (1950) met en lumière le cadre avant tout théologique dans lequel la nouvelle discipline est pensée. Conçue dans une perspective pluriconfessionnelle, la revue est représentative du christianisme libéral. Un de ses principaux animateurs, le théologien Paul Tillich, qui enseigne lui aussi à l’Union Theological Seminary, justifie le développement de la psychologie pastorale à partir de la « similarité de base entre la profession de ministre [du culte] et celle de la psychologie dynamique, [à savoir] le but d’aider l’homme à renforcer ou redécouvrir sa relation essentielle à lui-même, à ses compagnons d’humanité, à l’univers et à Dieu »8. La diffusion de la psychologie pastorale s’accompagne d’une redéfinition de la vocation du ministre du culte, centrée sur la relation d’aide.

  • 9 Hanneke Westhoff, Geestelijke bevrijders. Nederlandse katholieken en hun beweging voor geestelijke (...)
  • 10 Davis J. Bos, « “Woe the pastor Who Becomes a Psychologist !” The Introduction of Psychology in Her (...)

15Cette nouvelle conception du ministre du culte se heurte toutefois à des résistances qui expliquent la réception retardée de la psychologie pastorale parmi les catholiques américains, tout comme parmi les protestants et catholiques néerlandais. Aux États-Unis, l’opposition est menée par le célèbre et influent prédicateur Fulton Sheen qui, du haut de la chaire de la cathédrale Saint-Patrick à New York, condamne, en 1947, les prétentions de la nouvelle discipline à vouloir se substituer au sacrement de confession. Les résistances catholiques proviennent d’un attachement à une conception sacramentelle du ministère, centrée sur l’eucharistie et la confession. Elles doivent aussi beaucoup à une insistance sur son caractère sacral. Dans ce contexte, l’attention qui est portée sur la sexualité du prêtre est la cause de graves réserves à l’égard du recours à la psychanalyse. L’approche psychiatrique continue, pour cette raison, d’être privilégiée après-guerre dans le catholicisme néerlandais9. Les résistances protestantes trouvent, quant à elles, leur source dans une conception du ministère centrée sur la prédication. Les critiques du théologien suisse Karl Barth contre une tendance à psychologiser le ministère ont joué un rôle majeur dans l’hostilité initiale du protestantisme néerlandais à l’égard de la psychologie pastorale10.

  • 11 Ibid, p. 110-111.
  • 12 Heije Faber, « Pastoral Psychology as a Point of Transfer from Systematic Theology to the Psycholog (...)

16Le succès ultérieur de la discipline aux Pays-Bas se comprend dans le contexte du mouvement de réforme de la formation ministérielle, qui touche tant l’Église catholique que les Églises protestantes dans les années 196011. Dans un cas comme dans l’autre, une approche plus pratique de la formation, en contact direct avec la réalité concrète du ministère est recherchée. Le modèle universitaire de formation au pastorat est ainsi jugé trop académique, tandis que l’on reproche aux séminaires catholiques de manquer d’ouverture au monde. C’est ainsi que voit le jour, en 1969, le Klinisch Pastorale Vorming qui s’inspire de l’exemple américain du Council for the Clinical Training. Fondée après Vatican II, l’organisation est marquée par un esprit œcuménique, protestants et catholiques collaborant ensemble à cette formation. L’influence de Carl Rogers y est décisive et doit beaucoup à la médiation du pasteur Heije Faber qui s’est formé aux États-Unis12.

  • 13 L’expression « relation d’aide pastorale » est privilégiée.

17Si la psychanalyse a connu une diffusion considérable dans le catholicisme français après la Libération, la psychologie pastorale n’a pas pour autant réussi à véritablement s’imposer comme une discipline à part entière. L’expression même de « psychologie pastorale », qui n’a guère rencontré de succès parmi les auteurs français13, s’est forgée, au contact avec la psychologie pastorale américaine, en contexte belge et canadien. La revue Supplément de la Vie spirituelle, dirigée par le dominicain Albert Plé, a pourtant beaucoup contribué à une application de la psychologie et de la psychanalyse aux questions pastorales. La revue dominicaine s’intéresse d’ailleurs de près aux initiatives américaines, en particulier en matière de psychologie des vocations.

18La prééminence de la psychanalyse a paradoxalement joué contre l’affirmation de la psychologie pastorale. La psychanalyse continue en effet de susciter des réticences dans une partie du catholicisme français, à commencer dans l’épiscopat, et son statut scientifique fait l’objet de contestations persistantes. Les controverses autour des activités de Marc Oraison, ardent promoteur d’un usage pastoral de la psychanalyse, ont contribué à jeter un discrédit sur la nouvelle discipline. Enfin, la psychologie pastorale a typiquement manqué de supports institutionnels. Le contraste est particulièrement patent avec les États-Unis où le cadre de la « religion civile » a favorisé une reconnaissance officielle de la discipline, comme l’atteste le processus d’homologation par l’US Department of Education de programmes de formation, soutenus par l’Association for Clinical Pastoral Education (1967). En France comme aux Pays-Bas, la psychologie pastorale subit également la concurrence de la sociologie pastorale.

La sociologie « pastorale » en controverse

19Alors que la psychologie pastorale peine à se définir comme une discipline psychologique à part entière, c’est au contraire l’utilisation « pastorale » de la sociologie qui fait débat. Ce déplacement de la problématique invite à s’interroger sur les enjeux différenciés, pour la psychologie et pour la sociologie, d’un positionnement confessionnel.

  • 14 Peter Kivisto, « The Brief Career of Catholic Sociology », Sociological Analysis, n° 4, 1989, p. 35 (...)

20Le développement de la sociologie pastorale dans les trois confessions et les trois pays envisagés apparaît de prime abord plus homogène. Aux États-Unis, si les protestants se sont engagés les premiers dans la nouvelle discipline, les catholiques ont rapidement pris le pas dès l’entre-deux-guerres. Dans les deux confessions, l’influence de l’école de Chicago apparaît décisive. La protestante Religious Research Association et l’American Catholic Sociological Society (ACSS) sont toutes deux nées à Chicago. L’organisation catholique, fondée de manière précoce en 1938 dans le but d’asseoir la légitimité des recherches sociologiques catholiques, est traversée par une tension entre assimilation à la sociologie séculière et création d’une sociologie « catholique »14, entre dialogue avec l’extérieur et promotion de la nouvelle discipline à l’intérieur de l’Église, entre approche purement empirique et revendication d’un fondement théologique.

  • 15 Comme le souligne bien Régine Azria, le cadre de la « religion publique » américaine encourage une (...)
  • 16 Anthony J. Blasi, « Sociology of Religion in the United States », in Anthony J. Blasi and Giuseppe (...)
  • 17 L’enquête de 1979 de Charles Liebman et Saul Shapiro bénéficie du soutien du Jewish Theological Sem (...)

21L’intérêt du judaïsme pour la sociologie est contemporain. La revue Jewish Social Studies commence de paraître en 1938. Le mouvement d’institutionnalisation est toutefois beaucoup plus tardif : l’Association for the Social Scientific Study of Jewry naît seulement en 1971. Ce décalage est dû à la fois à une approche plus culturelle que confessante du fait religieux15, ainsi qu’à des liens plus étroits avec des instances universitaires séculières. L’importante National Survey on Synagogue Leadership (1953), menée par Emil Lehman, directeur exécutif de l’United Synagogue of Conservatism Judaism (USCJ), est ainsi promue par le Bureau of Applied of Social Research de l’Université de Columbia16. Le cas est isolé (l’USCJ aura la seule responsabilité des enquêtes menées ultérieurement17) mais significatif.

  • 18 Joyce D. Williams et Vickie Macklean, « The Legacy of Community Studies », in Anthony J. Blasi (ed. (...)
  • 19 James C. Cavendish, « The Sociological Study of American Catholicism : Past, Present, and Future », (...)

22L’orientation américaine de la sociologie pastorale pourrait être qualifiée de managériale. Il s’agit en particulier d’améliorer la gestion matérielle et humaine des paroisses par une meilleure connaissance de ses dynamiques territoriales. Dans la ligne des community studies18, c’est en premier lieu le cadre paroissial qui retient donc l’attention. Sous l’influence de l’école de Chicago, les villes sont privilégiées. Le jésuite Joseph H. Fichter, auteur de Dynamics of a City Church : Southern Parish Volume 1 (1951), joue un rôle pionnier à cet égard. Derrière un souci de meilleure connaissance d’un territoire paroissial, se dessine une volonté de promotion de la justice sociale à travers l’intégration des minorités à la vie paroissiale19. La sociologie pastorale a une visée réformatrice. Dans la logique d’une approche centrée sur l’unité territoriale de base comme la paroisse, la sociologie pastorale déborde rapidement le milieu universitaire où elle s’est constituée pour se diffuser chez les prêtres par le biais des revues sacerdotales.

  • 20 Chris Dols and Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform and Organizations Research in the Netherl (...)
  • 21 Kees de Groot and Erik Sengers, « Sociology of Religion in the Netherlands », in Anthony J. Blasi a (...)

23Tout comme aux États-Unis, la nouvelle discipline connaît un mouvement d’institutionnalisation très poussé, quoiqu’un peu plus tardif, aux Pays-Bas. Le biais privilégié est celui des instituts universitaires. Le Katholieke Sociaal-Kerkelijk Instituut (KASKI) initie le mouvement en 1947. Il s’agit du premier centre de recherche dédié à la sociologie pastorale en Europe20. Il est suivi par le Gereformeerd sociologisch Instituut, fondé en 1954. Ces fondations originales se comprennent dans le contexte de la pilarisation de la société néerlandaise. Kees de Groot et Erik Sengers montrent ainsi que la sociologie pastorale s’est construite, aux Pays-Bas, en étroite relation avec le gouvernement. Les principales confessions, se dotant chacune d’un institut de sociologie selon le principe de la pilarisation, sont ainsi associées à la reconstruction du pays après-guerre21. De même qu’aux États-Unis, la sociologie pastorale est intimement liée à la théologie. Ces instituts sont rattachés à des facultés de théologie.

  • 22 Chris Dols, Fact Factory: Sociological Expertise and Episcopal Decision Making in the Netherlands ( (...)
  • 23 Chris Dols et Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform… », cit., p. 297-298.
  • 24 François Houtart, « CISR : réflexions sur la thèse d’Émile Poulat », Social Compass, n° 1, 1990, p. (...)

24Dans le contexte d’une société pilarisée, favorable au conservatisme, ce n’est toutefois pas l’approche par le bas, typique de la première sociologie pastorale nord-américaine, qui est privilégiée, mais davantage une approche par le haut. Chris Dols a ainsi éclairé le rôle d’experts que jouent les sociologues auprès des évêques22. Ultimement, une telle appropriation de la sociologie par les évêques néerlandais, à commencer par l’archevêque d’Utrecht, Bernard Alfrink, a représenté une pierre d’attente à une réforme de l’Église23. C’est une perspective technocratique et institutionnelle, valorisant l’expertise au sommet (État comme Églises), qui domine dans le cas néerlandais24.

  • 25 Émile Poulat, « La CISR de la fondation à la mutation. Réflexions sur une trajectoire et ses enjeux (...)

25La sociologie pastorale néerlandaise, en particulier catholique, a des visées expansionnistes. Celles-ci se traduisent par la fondation et le contrôle d’organisations internationales dans le but de promouvoir sa propre approche de la nouvelle discipline. Significativement, en 1951, les Néerlandais, menés par Mgr Koenraadt, président du KASKI, prennent, lors d’une rencontre à Breda, le contrôle des Conférences internationales de sociologie religieuse (CISR), fondées en 1948 par le Belge Jacques Leclercq, et imposent à l’organisation une étiquette confessionnelle. Ce dessein de contrôle des « sciences pastorales » ne se limite d’ailleurs pas à la sociologie. Il s’élargit encore à la psychologie : l’année suivante, c’est un Néerlandais qui prend la présidence des Congrès catholiques internationaux de psychologie clinique et de psychothérapie, nés en 1949, et leur donne une inflexion conservatrice. Plus, le KASKI exporte son modèle d’institut en Allemagne et en Autriche et fonde, en 1956, l’Institut international catholique de recherches socio-ecclésiales (future Fédération Internationale des Instituts Catholiques de Recherches Sociales et Socio-Religieuses) dans le but de rassembler les différents instituts25.

  • 26 François Houtart, « CISR : réflexions… », cit., p. 37.
  • 27 Sur la sociologie pastorale à Lyon : Olivier Chatelan, L’Église et la ville. Le diocèse de Lyon à l (...)

26Les résistances au modèle néerlandais se font particulièrement sentir en France où le contexte de séparation des Églises et de l’État a incité à une distinction précoce entre démarche séculière et démarche confessionnelle. Sous l’égide du chanoine Fernand Boulard, se dessine une approche typiquement française du “pastoral”, orientée vers les masses populaires déchristianisées et, tout spécialement, vers les zones rurales. L’influence de l’Action catholique spécialisée et de son « Voir, juger, agir » y est très prégnante26. Boulard lui-même a été aumônier de la Jeunesse Agricole Catholique. Dans cette mouvance, sont créés le Centre pastoral des missions à l’intérieur par Jean-François Motte et l’Institut de Sociologie de l’Université Catholique de Lyon par Jean Labbens27. De son côté, Louis-Joseph Lebret, fondateur d’Économie et Humanisme et directeur de recherches au CNRS, est à l’origine de l’Institut international de recherche et de formation en vue du développement harmonisé.

  • 28 Émile Poulat, « La CISR de la fondation à la mutation… », cit., p. 72, n. 23.
  • 29 Émile Poulat, « Aux origines du “Groupe de Sociologie des Religions” et de ses Archives », Archives (...)
  • 30 François-André Isambert, « C.-R. de Jean Labbens, La sociologie religieuse (1959) », ibid., n° 1, 1 (...)

27L’opposition entre démarche séculière et démarche confessionnelle éclate au grand jour à la fin des années 1950. L’article de Gabriel Le Bras, « Réflexions sur les différences entre sociologie scientifique et sociologie pastorale » (1959), publié dans les Archives de Sciences Sociales des Religions, fait figure de détonateur. Le Groupe de Sociologie des Religions, organe de la « sociologie scientifique » des religions, a été fondé cinq ans plus tôt. Selon Émile Poulat, le catholique Le Bras aurait voulu s’attaquer aux prétentions de la CISR et, en particulier, des Néerlandais, à s’arroger une autorité scientifique sur la scène internationale28. Derrière les enjeux épistémologiques, se masque un contentieux autour de l’autonomie de la recherche à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique en quête d’un monopole sur l’analyse sociologique du catholicisme. L’on peut en effet se demander si n’a pas pesé dans la prise de parole de Le Bras la demande, formulée l’année précédente par le nonce, d’arrêter la publication des Archives de Sciences Sociales des Religions29. Le conflit est sans doute également pour partie franco-français. Le Bras vise sans doute davantage la tendance Boulard-Labbens que celle Lebret-Motte. L’année suivante, François Isambert critique, toujours dans les Archives, le caractère confessant de la « sociologie religieuse » telle qu’elle est définie par Jean Labbens dans La sociologie religieuse (1959)30.

  • 31 Roger Mehl, Traité de sociologie du protestantisme, Neuchâtel-Paris, Delachaux & Nestlé, 1966, p. 4 (...)
  • 32 Roland Campiche, « La relation ambiguë des protestantismes à la sociologie », in Liliane Voyé and J (...)
  • 33 C’est dans ce numéro des Archives qu’est d’ailleurs publié l’article de Le Bras, « Réflexions sur l (...)

28Les réticences ne sont pas propres au catholicisme mais se rencontrent également dans le protestantisme français. Roger Mehl, introducteur de la sociologie à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et fondateur du Centre de sociologie du protestantisme, le reconnaît dans son Traité de sociologie du protestantisme31. La critique barthienne semble avoir joué comme dans le cas de la psychologie. Au langage catholique de la mission, Mehl substitue celui bultmanien du kérygme : la sociologie est au service du kérygme. Comme le montre bien Roland Campiche, les années 1960 sont l’occasion d’une ouverture du protestantisme français à la sociologie sous l’effet de la sécularisation croissante de la société32. Les relations avec la sociologie académique y apparaissent plus apaisées. Le tropisme strasbourgeois n’y est sans doute pas étranger. Il est ainsi remarquable que les Archives de Sciences Sociales des Religions publient les actes du Colloque européen de sociologie du protestantisme, co-organisé par la faculté de théologie protestante et le Centre de recherches d’histoire des religions de l’Université de Strasbourg en 195933.

  • 34 Loretta M. Morris, « Secular Transcendence. From ACSS to ASR », Sociological Analysis, n° 4, 1989, (...)

29Au tournant des années 1970, se dessine un mouvement de déconfessionnalisation de la sociologie du fait religieux, contribuant non pas tant à un déclin de la sociologie pastorale (qui est plus tardif), mais à sa marginalisation de la scène scientifique. La transformation de l’American Catholic Sociological Review en Sociological Analysis, en 1964, en constitue un premier indice34. Dans la première moitié des années 1970, la plupart des associations se déconfessionnalisent. L’ACSS lance le mouvement en 1970, suivie, l’année suivante, par le CISR. La psychologie pastorale connaît une évolution analogue. En 1972, l’Association catholique internationale d’études médico-psychologiques devient l’Association internationale d’études médico-psychologiques et religieuses. Trois ans plus tard, c’est au tour de l’ex-American Catholic Psychological Association de devenir la Division 36 – Division on the Psychology of Religion – de l’American Psychological Association. Cette évolution tient tant à l’avènement d’une nouvelle génération de spécialistes, laïcs ayant une formation universitaire, qu’à une sensibilité croissante à l’œcuménisme et à un souci d’une plus grande rigueur scientifique.

Le nouveau métier de ministre du culte ?

30À la même époque, l’influence de la sociologie religieuse sur les institutions ecclésiastiques atteint son apogée. Les associations professionnelles de ministres du culte se multiplient, de grandes enquêtes sont réalisées. En contexte catholique, l’expérience des conseils pastoraux nationaux représente une tentative de mise en application de principes formulés par les « sciences pastorales ».

  • 35 Dean R. Hoge and Jacqueline E. Wenger, Evolving Visions of the Priesthood. Changes from Vatican II (...)
  • 36 Roland Campiche et Claude Bovay, « Prêtres, pasteurs, rabbins : changement de rôle ? Bibliographie (...)
  • 37 François-André Isambert, « La sécularisation interne du christianisme », Revue française de sociolo (...)

31Cet apogée coïncide avec l’adoption d’un nouveau discours sur le ministre du culte, centré sur la profession. La prise de distance à l’égard d’un « modèle cultuel »35 n’est pas propre au catholicisme, même si le phénomène y est plus marqué, mais se rencontre dans l’ensemble des confessions et dans les trois pays concernés. Roland Campiche et Claude Bovay, dans leur grande étude sur « Prêtres, pasteurs, rabbins, changement de rôle ? » (1979), soulignent bien le déplacement du centre d’intérêt des sociologues de la question de la « crise » du ministre du culte à celle de sa « profession »36. S’inspirant de la sociologie des professions, les « sciences pastorales » mettent en lumière les profondes mutations que la fonction du ministre du culte connaît. Celles-ci prennent la forme d’une « sécularisation interne »37 de la fonction cléricale dans son ensemble, le phénomène concernant tout à la fois pasteurs, prêtres et rabbins.

  • 38 En France, où le phénomène est moins institutionnalisé, voit le jour, la même année, le mouvement É (...)

32La professionnalisation du ministre du culte est particulièrement poussée aux États-Unis. Elle commence très tôt au sein du judaïsme avec les fondations de la Central Conference of American Rabbis (réformés), en 1889, et de la Rabbinical Assembly, en 1901. En 1968, apparaissent la National Federation of Priests’ Councils ainsi que la National Fellowship of Associate Members and Local Pastors of The United Methodist Church38. Des associations pluriconfessionnelles sont également créées. Le développement de la psychologie pastorale semble avoir joué un grand rôle à cet égard. Dès 1946, sont fondées l’Association for Clinical Pastoral Education et l’Association of Professional Chaplains. Ce contexte est favorable à un élargissement de la profession du « ministre » à des fidèles non rabbins, pasteurs ou prêtres, mais exerçant une mission pastorale particulière. En contexte catholique, est ainsi fondée en 1976 la National Association for Lay Ministry.

  • 39 Robert Kugelmann, Psychology and Catholicism : contested boundaries, Cambridge-New York, Cambridge (...)
  • 40 Marc Oraison, Ce qu’un homme a cru voir. Mémoires posthumes, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 147-14 (...)

33La psychologie pastorale est décisive pour le mouvement de professionnalisation. Sous l’influence de la vocational psychology, forgée aux États-Unis en milieu protestant, s’érige, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une psychologie des vocations, qui vise à améliorer le discernement des vocations par le recours à la psychologie appliquée et, en particulier, aux tests psychologiques. Les États-Unis jouent encore ici un rôle pionnier. En 1948, le jésuite William C. Bier propose une adaptation du célèbre Minnesota Multiphasic Personality Inventory aux vocations sacerdotales39. En France, une approche qualitative est privilégiée, associant technique des tests et entretiens d’inspiration psychanalytique. En 1960, est fondée l’Association médico-psychologique d’aide aux religieux. L’association, initialement formée dans le but de promouvoir le discernement des vocations religieuses, s’est ensuite orientée, après 1968, vers l’organisation de sessions pour les formateurs du clergé40. Dans le contexte de la « crise » du sacerdoce des années 1970, cette initiative s’est rapidement arrêtée. L’investigation psychologique des vocations est par contre récusée aux Pays-Bas.

  • 41 David Polish, « The Changing and the Constant in the Reform Rabbinate », American Jewish Archives, (...)

34Les années 1970 sont également marquées par la réalisation de grandes enquêtes. Aux États-Unis, 1972 est l’année phare avec la parution simultanée de l’enquête Rabbi and Synagogue in Reform Judaism et de celle sur The Catholic Priest in the United States. La première enquête, réalisée par le sociologue Theodore L. Lenn, s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large, menée par la Central Conference of American Rabbis, autour de la formation des rabbins et de l’adaptation de celle-ci aux nouvelles conditions d’exercice du ministère41. Les évêques qui commissionnent la seconde enquête ont, à dessein, choisi un organisme non confessionnel indépendant – le fameux National Opinion Research Center de l’Université de Chicago – pour la réaliser. Ce sont toutefois des prêtres catholiques qui en interprètent les données selon trois axes : historique, sociologique et psychologique. Le champ d’investigation n’est pas seulement limité aux prêtres actifs, mais s’étend à ceux qui ont décidé de partir. La question des départs apparaît centrale dans les enquêtes menées par les différentes confessions, comme l’atteste encore l’enquête du Centre de sociologie du protestantisme, réalisée par Jean-Paul Willaime, sur Les ex-pasteurs : les départs des pasteurs de 1950 à 1975. Résultats d’une enquête entreprise en 1975-1976 par le Centre de Sociologie du Protestantisme (1979).

  • 42 Chris Dols and Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform… », cit., p. 299.

35La création du Pastoraal concilie van de nederlandse kerkprovincie, en 1966, marque, comme l’indiquent à juste titre Chris Dols et Benjamin Ziemann, le « point culminant de l’application des sciences sociales »42. Les sociologues, menés par le franciscain Walter Goddijn, directeur du Pastoraal Instituut van de Nederlandse Kerkprovincie (1962), font figure de cheville-ouvrières de la réforme de l’Église néerlandaise après Vatican II. L’initiative marque une volonté d’associer évêques, prêtres et laïcs à la gouvernance de l’Église, qui n’apparaît plus dès lors comme l’apanage du ministre du culte. Elle représente également une tribune pour la remise en cause de l’obligation du célibat sacerdotal. Il semble que ce soit ce dernier point qui ait motivé l’intervention du Vatican, suscitant l’arrêt de l’expérience. Inspirés par l’exemple néerlandais, les évêques américains projettent eux aussi en 1969 la création d’un National Pastoral Council. Celui-ci ne verra jamais le jour du fait d’un refus de la Congrégation du clergé en 1973. La question du célibat a vraisemblablement ici aussi pesé. En 1971, l’influente National Federation of Priests’ Councils s’était prononcée en faveur de la suppression de son obligation.

  • 43 Ibid, p. 301.

36L’interdiction des conciles pastoraux néerlandais et américains marque un déclin de l’influence des sciences pastorales43. Ce phénomène coïncide avec une crise de légitimité, plus large, des sciences humaines et sociales. Il doit également beaucoup, à partir des années 1980, à un retour disputé à un modèle du ministre du culte plus identitaire, caractérisé moins par sa pastoralité que par sa fonction cultuelle.

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Notes

1 Marcel Gauchet et Gladys Swain, Dialogue avec l’insensé. Essais d’histoire de la psychiatrie, Paris, Gallimard, 1994, p. XLVIII. Ma contribution trouve, pour partie, son origine dans des recherches effectuées comme Robbins fellow à l’University of California Berkeley en 2012 ; je remercie chaleureusement Laurent Mayali, ainsi que toute l’équipe de la Robbins Collection, pour l’accueil réservé. Ces recherches ont fait l’objet d’un exposé préliminaire « Les “sciences pastorales”. Pour une histoire des usages religieux des sciences humaines et sociales (États-Unis, France, Pays-Bas), xixe-xxe siècles » dans le cadre du séminaire du LARHRA (Religions et croyances) le 8 octobre 2015. La bibliographie a été mise à jour dans la mesure du possible. Pour approfondir, il conviendrait notamment de se reporter au numéro spécial, dirigé par Chris Dols et Herman Paul, « Pastoral Sociology in Western Europe (1940-1970) », Journal of Religion in Europe, 9, n° 2-3, 2016.

2 Ann Taves, Fits, Trances, and Visions. Experiencing Religion and Explaining Experience from Wesley to James, Princeton, Princeton University Press, 1999, p. 273-280.

3 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, Gallimard-Seuil, 2004. À propos de l’apport de l’analytique du « pouvoir pastoral » à l’enquête historique : Philippe Büttgen, « Théologie politique et pouvoir pastoral », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2007, 62, n° 5, p. 1129-1154.

4 Johan Heilbron, Nicolas Guilhot et Laurent Jeanpierre, « Vers une histoire transnationale des sciences sociales », Sociétés contemporaines, n° 73, 2009, p. 121-145.

5 Des pistes de réflexions particulièrement suggestives ont été proposées à propos du cas néerlandais : Gerard Wiegers, « Pillars, Pluralism, and Secularization : A Social History of Dutch Science(s) of Religions », in Gerard Wiegers and Jan Platvoet (ed.), Modern Societies & the Science of Religions. Studies in Honour of Lammert Leertouwer, Leiden, Brill, 2002, p. 82-148.

6 Susan E. Myers-Shirk, Helping the Good Shepherd. Pastoral Councelors in a Psychotherapeutic Culture (1925-1975), Baltimore, The John Hopkins University Press, 2009, p. 32-34.

7 À la mort de Liebman, en 1948, plus d’un million de copies du livre avaient été vendues : Andrew R. Heinze, Jews and the American Soul. Human Nature in the Twentieth Century, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 195.

8 Paul Tillich, « Why Pastoral Psychology ? An Editorial », Pastoral Psychology, n° 1, 1950, p. 6.

9 Hanneke Westhoff, Geestelijke bevrijders. Nederlandse katholieken en hun beweging voor geestelijke volksgezondheid in de twingtiste eeuw, Nimègue, Valkhof Pers, 1996.

10 Davis J. Bos, « “Woe the pastor Who Becomes a Psychologist !” The Introduction of Psychology in Hervormde Theology and Ministry », in Joris Van Eijnatten (ed.), The Dutch and their Gods. Secularization and Transformation of Religion in the Netherlands since 1950, Hilversum, Uitgeverij Verloren, 2005, p. 106.

11 Ibid, p. 110-111.

12 Heije Faber, « Pastoral Psychology as a Point of Transfer from Systematic Theology to the Psychology of Religion », in Jacob A. Belzen (ed.), Psychology of Religion. Autobiographical Accounts, New York, Springer, 2012, p. 61-62.

13 L’expression « relation d’aide pastorale » est privilégiée.

14 Peter Kivisto, « The Brief Career of Catholic Sociology », Sociological Analysis, n° 4, 1989, p. 351-361.

15 Comme le souligne bien Régine Azria, le cadre de la « religion publique » américaine encourage une telle compréhension, ample, de la sphère du religieux : Régine Azria, « Le judaïsme et la sociologie », in Liliane Voyé and Jaak Billiet (ed.), Sociology and Religions. An Ambiguous Relationship – Sociologie et religions. Des relations ambiguës, Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 158-159.

16 Anthony J. Blasi, « Sociology of Religion in the United States », in Anthony J. Blasi and Giuseppe Giordan (ed.), Sociologies of Religion. National Traditions, Leyde, Brill, 2015, p. 67.

17 L’enquête de 1979 de Charles Liebman et Saul Shapiro bénéficie du soutien du Jewish Theological Seminary où enseigne Liebman : Jack Wertheimer, « The Conservative Synagogue », in Jack Wertheimer (ed.), The American Synagogue. A Sanctuary Transformed, Hanover-London, Brandeis University Press, 1987, p. 306.

18 Joyce D. Williams et Vickie Macklean, « The Legacy of Community Studies », in Anthony J. Blasi (ed.), Diverse Histories of American Sociology, Leyde, Brill, 2005, p. 370-404 ; Anthony J. Blasi, « Sociology of Religion in the United States », cit., p. 63-64.

19 James C. Cavendish, « The Sociological Study of American Catholicism : Past, Present, and Future », in Anthony J. Blasi (ed.), American Sociology of Religion : Histories, Leyde, Brill, 2007, p. 155.

20 Chris Dols and Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform and Organizations Research in the Netherlands and Germany (1945-1980) », in Kerstin Brückweh, Dirk Schumann, Richard F. Ziemann and Benjamin Wetzell (ed.), Engineering Society. The Role of the Human and Social Sciences in Modern Societies (1880-1980), Basingstoke-New York, Palgrave Macmillan, 2012, p. 295.

21 Kees de Groot and Erik Sengers, « Sociology of Religion in the Netherlands », in Anthony J. Blasi and Giuseppe Giordan (ed.), Sociologies of Religion. National Traditions, Leyde, Brill, 2015, p. 133.

22 Chris Dols, Fact Factory: Sociological Expertise and Episcopal Decision Making in the Netherlands (1946-1972), Nimègue, Valkhof Pers, 2015.

23 Chris Dols et Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform… », cit., p. 297-298.

24 François Houtart, « CISR : réflexions sur la thèse d’Émile Poulat », Social Compass, n° 1, 1990, p. 36.

25 Émile Poulat, « La CISR de la fondation à la mutation. Réflexions sur une trajectoire et ses enjeux », in Liliane Voyé and Jaak Billiet (ed.), Sociology and Religions…, cit., p. 70 ; Chris Dols et Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform… », cit., p. 302.

26 François Houtart, « CISR : réflexions… », cit., p. 37.

27 Sur la sociologie pastorale à Lyon : Olivier Chatelan, L’Église et la ville. Le diocèse de Lyon à l’épreuve de l’urbanisation (1954-1975), Paris, L’Harmattan, 2012.

28 Émile Poulat, « La CISR de la fondation à la mutation… », cit., p. 72, n. 23.

29 Émile Poulat, « Aux origines du “Groupe de Sociologie des Religions” et de ses Archives », Archives de sciences sociales des religions, n° 136, 2006, p. 33.

30 François-André Isambert, « C.-R. de Jean Labbens, La sociologie religieuse (1959) », ibid., n° 1, 1960, p. 194. Jean Labbens se distingue par un intérêt pour les dynamiques de la ville et une sensibilité à la question de la grande pauvreté.

31 Roger Mehl, Traité de sociologie du protestantisme, Neuchâtel-Paris, Delachaux & Nestlé, 1966, p. 41.

32 Roland Campiche, « La relation ambiguë des protestantismes à la sociologie », in Liliane Voyé and Jaak Billiet (ed.), Sociology and Religions…, cit., p. 121.

33 C’est dans ce numéro des Archives qu’est d’ailleurs publié l’article de Le Bras, « Réflexions sur les différences entre sociologie scientifique et sociologie pastorale ».

34 Loretta M. Morris, « Secular Transcendence. From ACSS to ASR », Sociological Analysis, n° 4, 1989, p. 345-346.

35 Dean R. Hoge and Jacqueline E. Wenger, Evolving Visions of the Priesthood. Changes from Vatican II to the Turn of the New Century, Collegeville, The Liturgical Press, 2003, p. 12.

36 Roland Campiche et Claude Bovay, « Prêtres, pasteurs, rabbins : changement de rôle ? Bibliographie thématique », Archives de sciences sociales des religions, n° 1, 1979, p. 140-141.

37 François-André Isambert, « La sécularisation interne du christianisme », Revue française de sociologie, 17, 1976, p. 573-589.

38 En France, où le phénomène est moins institutionnalisé, voit le jour, la même année, le mouvement Échanges et dialogue.

39 Robert Kugelmann, Psychology and Catholicism : contested boundaries, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2011, p. 284-288.

40 Marc Oraison, Ce qu’un homme a cru voir. Mémoires posthumes, Paris, Robert Laffont, 1980, p. 147-149.

41 David Polish, « The Changing and the Constant in the Reform Rabbinate », American Jewish Archives, 35, 1983, p. 315-316.

42 Chris Dols and Benjamin Ziemann, « Catholic Church Reform… », cit., p. 299.

43 Ibid, p. 301.

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Pour citer cet article

Référence papier

Agnès Desmazieres, « Le ministre du culte au risque des sciences humaines et sociales : Éléments pour une histoire transnationale des « sciences pastorales » »Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 133-145.

Référence électronique

Agnès Desmazieres, « Le ministre du culte au risque des sciences humaines et sociales : Éléments pour une histoire transnationale des « sciences pastorales » »Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 09 juin 2022, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4260 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4260

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Auteur

Agnès Desmazieres

GSRL Groupe Sociétés, Religions, Laïcités

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CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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