Caroline Maillet-Rao, La Pensée politique des dévots Mathieu de Morgues et Michel de Marillac. Une opposition au ministériat du cardinal de Richelieu, Paris, Honoré Champion, 2015, 408 p.
Texte intégral
1Après notamment Etienne Thuau (Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, 1966), Donald A. Bailey (Writers against the Cardinal : A study of the Pamphlets wich attacked the Person and Policies of Cardinal Richelieu during the Decade 1630-1640, 1973) et Seung-Hwi Lim (La pensée politique des « Bons catholiques » dans la première moitié du xviie siècle, 1998), C. Maillet-Rao, actuellement professeur associé à l’université d’Alberta au Canada, rouvre dans sa thèse d’histoire du droit, le dossier du parti dévot à l’époque du ministériat de Richelieu.
2Elle s’appuie sur les nombreux pamphlets de Mathieu de Morgues, prêtre et pamphlétaire au service de Marie de Médicis, et sur les écrits du garde des sceaux Michel de Marillac dont elle prépare par ailleurs l’édition. Parmi eux, non seulement les trois traités inédits qui accompagnent la préparation du célèbre Code Michau de 1629 : le Mémoire dressé par le Garde des sceaux de Marillac principalement contre l’autorité du Parlement, le Traité du Conseil du Roy et le Traité des Chanceliers et Gardes des sceaux de France, mais aussi le Discours sur la manière de gouverner l’Etat du 10 juin 1630, le Mémoire du 20 juillet 1630 sur les affaires européennes et la place de la France dans la guerre de Trente ans, une Harangue du sieur Garde des sceaux au lendemain de la révolte des Lanturlus de Dijon en février 1630, et aussi sa correspondance avec Richelieu.
3Au cœur du débat, l’opposition qui a été explicitée par Georges Pagès dans son article de la Revue historique de 1937 (« Autour du Grand Orage. Richelieu et Marillac : deux politiques »), confirmée et durcie encore par Thuau, même si sa présentation quelque peu manichéenne a été depuis longtemps dépassée. D’un côté, autour de Richelieu, les « bons Français » soutiens de l’absolutisme de droit divin et figures de la modernité de l’État centralisateur en construction, de l’autre les « bons catholiques » soucieux avant tout de restaurer l’unité chrétienne en éradiquant la présence protestante et en recherchant la paix avec l’Espagne, et partant figures conservatrices voire réactionnaires d’une monarchie tempérée tournant le dos à la modernité politique. On a depuis longtemps montré que les frontières n’étaient pas étanches entre les deux partis, que les hommes étaient passés de l’un à l’autre. Avec les travaux les plus récents, notamment de Jean-François Dubost, de Françoise Hisdesheimer, ou de Robert Knecht, on en est finalement arrivé les considérer comme les deux faces d’une même orientation absolutiste : l’une « pragmatique », l’autre « intransigeante » ou « confessionnelle ».
4D’une certaine manière, C. Maillet-Rao vient mettre le point d’orgue à cette évolution historiographique. Elle montre que l’organicisme et le droit divin, s’ils font l’objet d’une véritable reformulation au cours de la première modernité, ne constituent pas une pierre d’achoppement entre « dévots » et « politiques » : la place de la religion n’est pas ce qui distingue leur vision du pouvoir monarchique et de son rôle. Ce qui les oppose, au nom de l’absolutisme, c’est la gouvernance mise en place avec Richelieu : le ministériat. « Défini par Richelieu lui-même comme la délégation de l’administration quotidienne du royaume au principal ministre, le ministériat était, aux yeux des dévots, la tentative par Richelieu d’introduire dans la théorie de la monarchie une nouvelle institution, contrevenant au pouvoir absolu du roi ». De la même manière, et contrairement à ce que l’on a pu souvent écrire, les dévots ne prennent pas le parti des parlements contre la couronne : en voulant leur attribuer les « affaires délicates » comme à des juges chargés d’appliquer strictement la loi, ils entendent faire triompher l’autorité du roi source de cette loi, quand les chambres de justice exceptionnelles établies par Richelieu en s’arrogeant ainsi le droit régalien de justice, constituent le véritable contre-pouvoir. Dans cette même logique, la vénalité des charges est l’objet d’une critique radicale de la part des dévots. Fondamentale dans leur pensée, l’idée de paix que le roi a mission divine d’instaurer, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. À l’intérieur, la paix accordée aux protestants n’est pas tolérance religieuse mais affirmation de la souveraineté : à l’extérieur, elle ne correspond pas à un rêve de monarchie universelle, mais « seulement » au respect de la doctrine médiévale de la guerre juste, et à la primauté reconnue à la négociation permanente sur la fureur des armes. Le roi de droit divin se doit d’établir un « règne de l’Amour », qui passe par la paix, la justice et la charité. En ce dernier domaine, le « soulagement des peuples » passe par la justice fiscale (faite essentiellement de modération) et par la mise à l’écart des « pauvres mendiants » auxquels Marillac ne reconnaît pas même le statut de sujets du roi.
5Finalement, renversant les perspectives, C. Maillet-Rao érige les dévots en véritables hérauts de l’absolutisme, précurseurs de l’absolutisme louisquatorzien, quand Richelieu et ses « bons Français » auraient au contraire limité la puissance souveraine, en exerçant une « tyrannie » combattue par leurs adversaires, finalement vaincus par celle-ci. On retrouve cette idée qu’il y a en France, de manière récurrente sous l’Ancien Régime, plus royaliste que le roi : les dévots sous Louis XIII selon C. Maillet-Rao, les parlements sous Louis XV selon Catherine Maire.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernard Hours, « Caroline Maillet-Rao, La Pensée politique des dévots Mathieu de Morgues et Michel de Marillac. Une opposition au ministériat du cardinal de Richelieu, Paris, Honoré Champion, 2015, 408 p. », Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 190-192.
Référence électronique
Bernard Hours, « Caroline Maillet-Rao, La Pensée politique des dévots Mathieu de Morgues et Michel de Marillac. Une opposition au ministériat du cardinal de Richelieu, Paris, Honoré Champion, 2015, 408 p. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 12 avril 2018, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4255 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4255
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