Julien Léonard (dir.), Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles xvie-xviie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, 372 p.
Texte intégral
1Ce livre dirigé par Julien Léonard propose les actes d’un colloque tenu en Nancy en 2014 et édité deux ans plus tard. Il rassemble vingt communications groupées sur les xvie et xviie siècles. Ce recueil est pour l’essentiel un ensemble d’études de cas qui sonde au plus près des pratiques individuelles la proximité de clergés rivaux à l’heure où l’Europe se divise entre catholiques et protestants. En ce sens, ce livre s’inscrit pleinement dans l’historiographie dynamique depuis une vingtaine d’années des problématiques de coexistence confessionnelle, mais spécifiquement sous l’angle des hommes d’Église.
2L’introduction de Julien Léonard s’attache justement à poser les cadres historiographiques et épistémologiques d’un travail sur les « clergés », notion éminemment problématique quand on aborde la sphère protestante. La question des conflits religieux de la première modernité prise sous l’angle de la coexistence confessionnelle et donc du voisinage imposé de confessions rivales dans des territoires proches, a permis de nuancer et de compléter une historiographie fondée uniquement sur la recherche d’identités confessionnelles antagonistes. Les conflits, les controverses, la constitution d’Églises nationales en opposition avec d’autres modèles, tout cela a constitué un terreau fertile pour la confessionnalisation des sociétés européennes. Mais à ce tableau hérité des études de la fin du siècle dernier, s’ajoute, sans le contredire, un quotidien moins clivé, un quotidien que la loi garantit comme multiconfessionnel, celui des édits de pacification au moins dans le contexte français. Si depuis la fin des années 1990 on connaît mieux ce voisinage catholico-protestant, les laïcs semblent mieux appréhendés que les hommes de Dieu. Du moins pour ces derniers, leurs relations n’ont-elles pas fait l’objet d’études spécifiques. Or du côté catholique comme du côté protestant, chez les prêtres comme chez les pasteurs, il est fort à parier que les pratiques se sont influencées les unes les autres et que la concurrence confessionnelle dans l’espace public a généré une adaptation de ces divers clergés. Au-delà de la seule question de voisinage, la notion même de clergé mérite d’être examinée. Julien Léonard prend le parti, et le justifie, d’étendre cette notion au monde protestant, qui, en dépit du thème du sacerdoce universel, a su produire une autorité, un magistère, non fondée sur une identité sacerdotale, mais sur le monopole de l’interprétation des textes bibliques. Ce choix de définition permet d’aborder la question des « hommes de Dieu », des « gens d’Église » par le biais d’une approche comparatiste entre membres de deux ou plusieurs clergés. La multiplication des études de cas permet de poser cette question au niveau des pratiques et des usages, souvent à l’échelle d’un ou deux acteurs. Ceci permet de compléter une approche normative mieux connue, que ce soit par les traités théoriques des hommes d’Église ou la législation sur la coexistence. La limite de la démarche réside dans l’éclatement de cas très distincts les uns des autres et dont la comparaison s’avère en fin de compte hasardeuse.
3Acceptant le parti pris initial de considérer le clergé comme un médiateur, y compris chez les protestants où les pasteurs étaient considérés par Calvin comme des « ambassadeurs de la parole de Dieu », l’ensemble des auteurs souligne dans leur communication, comme le rappelle Yves Krumenacker en conclusion, les points de comparaison et les similitudes que l’historien peut trouver d’un côté et de l’autre de la limite confessionnelle : des constructions confessionnelles concurrentes et souvent simultanées, une cléricalisation croissante des Églises par des clercs qui cherchaient à se distinguer toujours plus des fidèles, une place comparable dans la hiérarchie sociale entre les prêtres et les pasteurs, ou encore des pratiques de prédication souvent relativement proches. Les clergés n’étaient toutefois pas réductibles les uns aux autres, des points de divergence demeuraient : le mariage des pasteurs était rigoureusement exclu dans le clergé catholique, d’autant plus après le Concile de Trente et la mission était plutôt l’apanage du clergé catholique. Mais force est de constater que les études locales tendent à révéler des porosités de pratiques et d’usages entre des clergés antagonistes, les uns prenant des éléments chez les autres, en contradiction avec la bonne orthodoxie de leur confession, mais en accord avec les attentes des fidèles : respect de processions dans certaines communautés protestantes, liturgie en langue vernaculaire chez certains catholiques, pour ne citer que ces deux exemples. Le contact confessionnel selon les cas pouvait s’accompagner d’un conflit incarné par une violence physique ou verbale. Il pouvait aussi donner naissance à des relations cordiales, le plus souvent en face d’un ennemi commun comme pour les missionnaires d’Amérique du Nord ou quand l’enjeu de la conversion de l’autre était devenu secondaire. Prêtres et pasteurs relevaient d’une norme institutionnelle qui était source de distinction, mais à l’échelle des paroisses, les cloisons s’avéraient rarement étanches même si chacun défendait son Église.
4Le corps du livre est ensuite divisé en cinq parties. La première, relativement courte, présente deux études de cas sur les ressemblances entre clergés rivaux face à une adversité commune. L’opposition aux musulmans fut pour l’ordre de Malte un moyen de réagir aux tentations protestantes en se réformant avec vigueur (Anne Brogini). Catherine Ballériaux souligne la proximité entre les missionnaires jésuites d’Amérique du nord et leurs voisins puritains dans leur ambition de convertir les peuples autochtones. Si les deux communautés confessionnelles étaient en concurrence et en conflit, elles partageaient une même vision humaniste de la conversion chrétienne, notamment une méthode graduelle passant par un temps de ségrégation. La deuxième partie propose trois études de cas sur le voisinage quotidien de confessions en théorie rivales : catholiques, calvinistes, luthériens dans les armées en opération sur le territoire du Saint-Empire pendant la guerre de Trente Ans (Laurent Jalabert) ; proximité des clergés dans la Bohème du xvie siècle, proximité perçue lors la visite pastorale d’un évêque de Prague en 1594 dans laquelle on ne sait pas trop si certains prêtres sont ignorants ou en partie hérétique (Nicolas Richard) ; le séjour à Münster de Claude Joly pendant le congrès de 1646-47 (Andreas Nijenhuis-Bescher). Dans le cadre des armées du xviie siècle, cette question du voisinage des clergés apparaît comme cruciale tant les nécessités de la guerre imposent aux différents chefs un recrutement pluriconfessionnel, entraînant une bigarrure des troupes en terres souvent mono-confessionnelles.
5La troisième partie approche ce voisinage des clergés par le prisme des controverses et des prédications. Deux prédicateurs protestants sont à l’honneur, Théophile Cassegrain pour le début du xviie siècle et son contemporain Pierre Du Moulin. Pour le premier, Jérémie Foa présente le parcours d’un pasteur en quête de reconnaissance et qui échoua à imprégner en profondeur le monde des Églises Réformées. Christabelle Thouin-Dieuaide propose une analyse serrée des trois sermons prononcés par Pierre Du Moulin à Sedan en 1640 alors qu’étaient installés au fond du temple où il prêchait trois capucins venus le provoquer. Céline Borello complète ce tableau de la prédication protestante en proposant une analyse des manuels d’éloquence protestante publiés à la fin du xviiie siècle à l’usage des pasteurs, alors le plus souvent clandestins. Elle montre alors combien l’art du prêche donna lieu à une réflexion bien plus technique que confessionnelle, les références aux grands orateurs catholiques étayant régulièrement les propos des rhéteurs réformés. Clarisse Roche pour sa part nous transporte à Vienne sous le règne de Maximilien II (1564-1576) et revient sur le positionnement des prédicateurs des différentes confessions dans cette ville. La situation singulière de la ville à l’égard de la pression ottomane a généré depuis les années 1530 une pastorale trans-confessionnelle afin d’exalter l’identité chrétienne des Viennois. Telle était encore la position de Maximilien II jusqu’en 1566. Les choses changèrent après 1568 en raison de l’arrivée de prédicateurs dans les deux camps plus attachés à marquer la ligne confessionnelle. Enfin, Stefano Simiz propose une réflexion générale sur les processus d’institution-nalisation de la prédication dans les Églises et les modèles à la fois concurrents et proches qu’elles mirent en place au xviie siècle.
6La quatrième partie s’arrête sur la situation française. Six communications nous transportent du Nord de la France à la région toulousaine en passant par la Bourgogne, Sancerre et Saumur, principalement sur les relations catholico-protestantes. Dans les diocèses de Boulogne-sur-Mer et de Saint-Omer (Philippe Moulis), l’apparition du protestantisme dans les années 1560 crée une frontière confessionnelle qui s’adapte à la frontière entre États quand la partie française, malgré la Ligue et les menées espagnoles, devient un refuge pour les réformés persécutés du côté des Pays Bas. Cette situation s’arrête à partir des années 1660, lorsque la France de Louis XIV fait le choix d’une réduction progressive du milieu protestant. Pour le même espace, Sarah Dumortier explore la question du célibat ecclésiastique. Si une petite minorité de prêtres catholiques apostasia, pour la plupart, la conséquence d’un tel acte fut rapidement de contracter un mariage. Pour la grande majorité qui resta fidèle à Rome, leur célibat fut un des enjeux de la Réformation catholique, signe de l’influence d’un discours réformé mis au rang de repoussoir. Frédéric Meyer propose une lecture de l’histoire de la Bourgogne publiée par le cordelier Jacques Fodéré en 1619. Dans le récit des ravages occasionnés par les guerres de religions, ce dernier critique autant les réformés que ses autres frères de la branche franciscaine accusés d’entretenir la division confessionnelle. Estelle Martinazzo présente pour sa part le militantisme du clergé toulousain, tant par son engagement dans la controverse que par son combat contre les petites communautés réformées encore debout au xviie siècle. Didier Boisson étudie la ligne de démarcation confessionnelle à Sancerre de la fin du xvie siècle à la fin du xviie. Bruno Maes enfin évoque les rapports entre l’Académie protestante de Saumur et le collège des Oratoriens, deux institutions éducatives en vis-à-vis tout au long du xviie siècle.
7La dernière partie rassemble quatre communications sur le processus de constructions confessionnelles et cléricales distincts. Federico Zuliani nous transporte dans les Grisons italianophones au milieu du xvie siècle, à la suite du pasteur Pier Paolo Vergerio. D’abord évêque de Capodistria en Italie du Nord, il est poursuivi pour hérésie par le Saint-Office et finit par trouver refuge avec le rang de pasteur au cœur des Alpes. Cet ancien évêque, malgré son apostasie, continua à se comporter comme un prélat et en conserva le titre, assumant dans son apostolat des positions en théorie antagonistes. Nathalie Szczech développe le cas genevois au cours années de constitution du premier clergé calviniste autour de l’adoption et de l’évolution de la Discipline ecclésiastique. Toujours à Genève, en 1571, et grâce à une affaire disciplinaire du Petit Conseil contre les pasteurs Colladon et Le Gagneux, Geneviève Gross explore les liens qui se créent entre les statuts ecclésiastiques et ceux de bourgeois de la ville dans la constitution de l’identité pastorale. Pour finir, Irène Plasman-Labrune propose une étude de la place des pasteurs étrangers dans la France des xvie et xviie siècle, des processus d’intégration à ceux d’exclusion.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre-Jean Souriac, « Julien Léonard (dir.), Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles xvie-xviie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, 372 p. », Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 184-188.
Référence électronique
Pierre-Jean Souriac, « Julien Léonard (dir.), Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles xvie-xviie siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, 372 p. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 12 avril 2018, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4251 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4251
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